COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Trente-quatrième session
2-20 mai 2005
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION
Conclusions et recommandations du Comité contre la torture
OUGANDA
1. Le Comité a examiné le rapport initial de l'Ouganda (CAT/C/5/Add.32) à ses 651e et 654e séances, les 11 et 12 mai 2005 (CAT/C/SR.651 et 654), et a adopté, à sa 661e séance (CAT/C/SR.661), les conclusions et recommandations ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial de l'Ouganda, qui est conforme aux directives générales du Comité pour l'établissement des rapports, mais regrette qu'il ait été soumis avec 16 ans de retard. Il salue la franchise de ce rapport dans lequel l'État partie reconnaît des lacunes dans la mise en œuvre de la Convention. Il se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau envoyée par l'État partie et prend note avec satisfaction des réponses franches et complètes apportées aux questions posées au cours de ce dialogue.
B. Aspects positifs
3. Le Comité prend note avec satisfaction des faits positifs suivants:
a) La création, en 1996, en vertu des articles 51 à 59 de la Constitution et conformément aux Principes de Paris, de la Commission ougandaise des droits de l'homme qui a pour fonctions de remédier aux violations des droits de l'homme, ainsi que de bureaux des droits de l'homme dans l'armée, les commissariats de police et les prisons;
b) L'abolition des châtiments corporels suite à l'arrêt no 16 rendu en appel en 1999 (Cour suprême) dans l'affaire Kyamanywa c. Ouganda;
c) L'autorisation accordée à de nombreuses organisations non gouvernementales d'exercer librement leurs activités dans le pays;
d) La générosité manifestée par le Gouvernement ougandais en acceptant d'accueillir plus de 200 000 réfugiés en Ouganda et en respectant pleinement le principe de non-refoulement;
e) La ratification par l'État partie de la plupart des principales conventions internationales relatives aux droits de l'homme;
f) La ratification par l'État partie, le 14 juin 2002, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;
g) Les discussions en cours dans l'État partie concernant la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.
C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention
4. Le Comité est conscient de la situation difficile créée par le conflit armé interne qui se déroule dans le nord de l'Ouganda. Il fait observer toutefois qu'aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture.
D. Sujets de préoccupation
5. Le Comité constate avec préoccupation que l'État partie n'a ni incorporé la Convention dans son droit interne ni adopté des dispositions législatives visant à mettre en oeuvre plusieurs articles de la Convention, et note en particulier:
a) Qu'il n'existe pas dans le droit interne de définition complète de la torture telle que celle qui figure à l'article premier de la Convention;
b) Que la torture ne fait pas l'objet d'une interdiction absolue comme le prévoit l'article 2 de la Convention;
c) Que le droit ougandais ne prévoit pas de compétence universelle pour les actes de torture;
d) Qu'il n'existe pas de dispositions donnant effet à d'autres articles de la Convention, notamment les articles 6 à 9.
6. Le Comité est en outre préoccupé par:
a) La durée de la détention provisoire, notamment le fait que la détention puisse dépasser 48 heures, contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 4 de l'article 23 de la Constitution et qu'une personne soupçonnée de trahison et de terrorisme puisse être détenue pendant 360 jours avant d'être mise en liberté sous caution;
b) Les allégations selon lesquelles l'accès à l'habeas corpus et son efficacité sont limités;
c) Les allégations constantes de tortures et de mauvais traitements généralisés par les forces et services de sécurité de l'État ainsi que l'impunité apparente dont bénéficient les auteurs de ces actes;
d) Le grand nombre de forces et de services de sécurité en Ouganda dotés de pouvoirs d'arrestation, de mise en détention et d'enquête;
e) L'écart disproportionné existant entre le nombre élevé de plaintes pour torture et mauvais traitements et le faible nombre de condamnations pour les auteurs de telles infractions, ainsi que la lenteur injustifiable des enquêtes sur les cas de tortures, ce qui contribue à l'impunité qui règne dans ce domaine;
f) Le problème généralisé de la violence sexuelle, y compris dans les lieux de détention et dans les camps des personnes déplacées à l'intérieur du pays;
g) Les représailles, les actes d'intimidation et les menaces dont feraient l'objet les personnes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements;
h) L'ampleur de l'enlèvement d'enfants par l'Armée de résistance du Seigneur, en particulier dans le nord de l'Ouganda;
i) Les informations selon lesquelles la pratique de la torture est inscrite dans le droit coutumier dans la région de Karamuja.
7. Le Comité prend note des explications fournies par la délégation au sujet de l'interdiction des lieux de détention «secrets», illégaux ou clandestins où des personnes ont été soumises à la torture par des militaires. Il reste néanmoins préoccupé par la pratique répandue de la torture et des mauvais traitements à l'encontre des personnes détenues par des membres de l'armée et des forces de l'ordre.
8. Tout en reconnaissant le rôle important que joue la Commission ougandaise des droits de l'homme dans la promotion et la protection des droits de l'homme en Ouganda, le Comité note avec préoccupation que l'État partie n'a souvent pas donné suite aux décisions de la Commission concernant tant l'octroi d'une indemnisation aux victimes de torture que l'engagement de poursuites contre les auteurs de violations des droits de l'homme dans le petit nombre de cas où elle l'avait recommandé.
9. En outre, le Comité regrette que l'État partie n'ait pas pris suffisamment de mesures pour garantir la protection des personnes touchées par le conflit armé dans le nord de l'Ouganda, en particulier des personnes déplacées actuellement cantonnées dans des camps.
E. Recommandations
10. Le Comité recommande à l'État partie de prendre toutes les mesures législatives, administratives et judiciaires nécessaires pour prévenir la torture et les mauvais traitements sur son territoire, et en particulier:
a) D'adopter une définition de la torture qui englobe tous les éléments qui figurent à l'article premier de la Convention et de modifier son droit pénal interne en conséquence;
b) D'adopter une législation interne visant à donner effet au principe de non-refoulement énoncé à l'article 3 de la Convention;
c) De veiller à ce que les actes de torture constituent des infractions relevant de sa compétence au regard du droit ougandais conformément à l'article 5 de la Convention;
d) De garantir l'application de plusieurs articles de la Convention, notamment les articles 6 à 9, par exemple en créant une commission des lois;
e) De réduire la durée de la détention provisoire;
f) D'accroître l'accès à l'habeas corpus et son efficacité;
g) De prendre des mesures énergiques pour que soit éliminée l'impunité des auteurs présumés d'actes de torture et de mauvais traitements, que des enquêtes promptes, impartiales et exhaustives soient menées à ce sujet, que les auteurs de ces actes soient jugés et, le cas échéant, reconnus coupables et condamnés à des peines appropriées et que les victimes soient convenablement indemnisées;
h) De limiter au maximum le nombre de forces et de services de sécurité dotés de pouvoirs d'arrestation, de détention et d'enquête et de veiller à ce que la police reste la principale institution responsable de l'application de la loi;
i) De ne plus avoir recours aux lieux de détention secrets, illégaux ou clandestins et de fournir immédiatement des informations sur tous les lieux de détention;
j) D'autoriser des observateurs indépendants des droits de l'homme, notamment la Commission ougandaise des droits de l'homme, à accéder librement à tous les lieux de détention, officiels et non officiels, sans préavis;
k) De renforcer la Commission ougandaise des droits de l'homme et de veiller à ce que ses décisions soient pleinement appliquées, en particulier en ce qui concerne l'octroi d'une indemnisation aux victimes d'actes de torture et l'engagement de poursuites contre les auteurs de tels actes;
l) De prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que toutes les personnes dénonçant des tortures ou des mauvais traitements soient protégées contre tous actes d'intimidation et toutes conséquences défavorables que pourrait avoir pour elles cette dénonciation;
m) De mettre en place et de promouvoir au sein du système pénitentiaire un mécanisme efficace chargé de recevoir des plaintes pour violence sexuelle et d'enquêter sur ces plaintes, ainsi que de fournir une protection et une aide psychologique et médicale aux victimes;
n) D'agir promptement pour protéger la population civile dans les zones de conflit armé du nord de l'Ouganda contre les violations commises par l'Armée de résistance du Seigneur et les membres des forces de sécurité. L'État partie devrait en particulier protéger les personnes déplacées cantonnées dans des camps qui sont constamment exposées aux attaques de l'Armée de résistance du Seigneur;
o) D'intervenir, de toute urgence et sur tous les plans pour empêcher l'enlèvement d'enfants par l'Armée de résistance du Seigneur et faciliter la réintégration des anciens enfants soldats dans la société;
p) De prendre des mesures efficaces, y compris judiciaires, pour empêcher la justice populaire;
q) De prendre des mesures immédiates et efficaces pour mettre fin à la pratique coutumière de la torture dans la région de Karamuja.
11. Le Comité recommande en outre à l'État partie:
a) De mettre en place un système national d'aide juridictionnelle efficace;
b) D'accroître ses efforts pour achever le processus législatif et promulguer la nouvelle loi sur les réfugiés et d'adopter ultérieurement toutes les mesures nécessaires pour assurer sa mise en œuvre intégrale, conformément au droit international des réfugiés et des droits de l'homme;
c) De promulguer la loi sur les prisons de 2003 pour faire cesser la pratique répandue de la torture dans les prisons de l'administration locale;
d) De poursuivre les discussions concernant le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et de songer à y adhérer dès que possible;
e) D'envisager de faire la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention.
12. Le Comité demande à l'État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, origine ethnique et sexe, sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements qui auraient été commis par des responsables de l'application de la loi, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires correspondantes. Des renseignements sont également demandés sur les mesures d'indemnisation et les services de réadaptation offerts aux victimes.
13. L'État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par l'Ouganda au Comité ainsi que les conclusions et recommandations de celui-ci, dans les langues appropriées, par les sites Web officiels, les médias et les organisations non gouvernementales.
14. Le Comité demande à l'État partie de lui fournir, dans le délai d'un an, des renseignements sur la suite qu'il aura donnée aux recommandations du Comité contenues dans les paragraphes 10 h), i), j), n) et o) ci-dessus.
15. L'État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le deuxième, avant le 25 juin 2008.