1. Le Comité a examiné les deuxième et troisième rapports périodiques du Chili (CEDAW/C/CHI/2 et CEDAW/C/CHI/3) à ses 442e et 443e séances, tenues le 22 juin 1999 (CEDAW/C/SR.442 et 443).
a) Présentation par l'État partie
1. Lors de la présentation du rapport, la représentante du Gouvernement chilien a décrit le contexte social, culturel et politique dans lequel son gouvernement appliquait la Convention et a informé le Comité des arrangements institutionnels pris depuis le rétablissement de la démocratie. Elle a rappelé que le Chili avait créé, en 1949, le premier dispositif gouvernemental en faveur de la condition féminine à la présidence de la République. Elle a souligné que la création du Service national de la femme (SERNAM) en 1991 avait constitué un facteur déterminant en faveur de la prise en compte des sexospécificités dans les politiques publiques et de la consolidation du principe d'égalité pour les femmes chiliennes, lesquelles évolutions avaient pu s'étendre à tout le pays grâce à l'action des directions régionales.
2. Évoquant les initiatives prises par le SERNAM dans le domaine législatif, la représentante a souligné que l'une des grandes étapes franchies au cours de ce siècle au profit de la condition des femmes chiliennes était la réforme constitutionnelle récemment approuvée, à savoir l'amendement des articles 1 et 19 de la Constitution, qui consacrait l'égalité juridique des hommes et des femmes au niveau de la Loi fondamentale. Pour ce qui était du droit de la famille, elle a également mentionné le vote de la loi sur la violence au sein de la famille de 1994, dont on a cherché à renforcer l'application en créant la Commission interministérielle sur la prévention de la violence au sein de la famille, placée sous la coordination du SERNAM, et elle a mis l'accent sur la modification du Code civil et d'autres textes juridiques relatifs à la filiation par la loi promulguée en octobre 1998, qui constituait une réforme importante pour l'avenir des garçons et des filles de demain.
3. Afin de garantir l'égalité entre mari et femme en matière de droits personnels et de gestion du patrimoine, la représentante a également signalé la loi de 1994 portant création d'un régime matrimonial facultatif de propriété commune des acquêts.
4. La représentante a aussi évoqué le lancement du Plan 1994-1999 pour l'égalité des chances en faveur des femmes, qui a été intégré au programme mis en oeuvre par le Gouvernement en 1995 et qui est devenu le principal instrument d'appui à l'application de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et du Programme d'action adopté par la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, tenue à Beijing en 1995. Elle a également souligné les propositions de mesures en vue de garantir l'égalité des chances aux femmes des campagnes que le SERNAM a formulées en collaboration avec la société civile.
5. La représentante du Chili a insisté sur le fait que le gouvernement démocratique était résolu à mettre fin à l'extrême pauvreté au Chili et que, dans cette optique, le SERNAM avait lancé un programme général en faveur de l'emploi des femmes à faibles revenus, notamment des femmes chefs de famille, qui avait permis de réduire le nombre de foyers démunis dans le pays grâce à l'apport économique des femmes.
6. La représentante a également souligné que c'était dans le domaine du travail qu'avaient été engagées les réformes juridiques les plus profondes et que le plus de programmes avaient été exécutés, tant en ce qui concernait les conditions d'accès des femmes au marché du travail et leur insertion professionnelle que la promotion du partage des responsabilités familiales et la protection de la maternité. Elle a souligné que le SERNAM poursuivait le développement du Programme d'aide aux travailleuses saisonnières afin de mieux tenir compte des besoins de ces femmes dans l'offre de services publics et de développer leurs aptitudes à l'encadrement pour mieux rehausser leur statut. Parmi les progrès enregistrés dans le domaine législatif, la représentante du Chili a cité la modification apportée au Code du travail qui permettait d'offrir des services de garderie aux travailleuses et de protéger les droits liés à la maternité des employées de maison.
7. La représentante du Chili a souligné les progrès importants réalisés sur le plan de la santé des femmes et des petites filles, faisant observer que le taux de mortalité maternelle était tombé à 0,2 pour 100 000 naissances vivantes. Elle a reconnu l'incidence des grossesses chez les adolescentes et informé le Comité des Journées d'entretiens sur l'affectivité et la sexualité qui sont fondées sur une nouvelle approche éducative et organisées par le SERNAM, en coopération avec d'autres organismes publics à des fins de prévention. Elle a en outre indiqué que l'avortement constituait un problème de santé publique au Chili, puisque, selon les estimations, il y aurait un avortement pour quatre grossesses, et que c'est la deuxième cause de mortalité maternelle. Malgré ces chiffres, la législation chilienne interdit et réprime l'avortement sous toutes ses formes.
8. La représentante a également informé le Comité des progrès réalisés quant à la participation des femmes à diverses instances et institutions des trois pouvoirs de l'État, surtout à des postes subalternes, leur présence restant très limitée dans les instances de prise de décisions, comme la Cour suprême ou le Sénat. Elle a mentionné les initiatives prises par divers groupes pour accroître la participation des femmes au Congrès. Elle a également informé le Comité de ce qui avait été fait pour assurer l'égalité des chances des fonctionnaires dans divers ministères.
9. Elle a évoqué les efforts accomplis par le SERNAM pour institutionnaliser la dimension sexospécifique dans les politiques de l'État. Le SERNAM est devenu de plus en plus actif dans le domaine de la sensibilisation et de la formation des fonctionnaires dans ce domaine et a ouvert des centres d'information sur les droits de la femme dans toutes les régions du pays.
10. Pour conclure, la représentante a indiqué que le Gouvernement chilien était en train d'élaborer un nouveau plan sur l'égalité des chances qui s'étendra sur une période de 10 ans (2000-2010), pour que les politiques d'égalisation des chances transcendent les gouvernements et se transforment en politiques de l'État. Ce plan est élaboré avec la participation de tous les secteurs de la société chilienne.
b) Conclusions du Comité
Introduction
1. Le Comité remercie le Gouvernement chilien d'avoir présenté ses deuxième et troisième rapports périodiques, et surtout d'avoir inclus dans le troisième rapport les renseignements que le Comité avait sollicités lorsqu'il a examiné le premier rapport. Il lui est reconnaissant d'avoir répondu longuement et de manière détaillée à ses questions, et d'avoir accompagné ses réponses de statistiques établies avec la participation des ministères et services publics compétents, et celle d'un groupe d'associations féminines et de réseaux thématiques. Le Comité se déclare satisfait de la présentation orale qui lui a été faite et qui a montré de façon transparente et honnête les progrès réalisés ainsi que les obstacles qui s'opposent encore à ce que les femmes chiliennes jouissent de l'égalité dans le droit et dans les faits. Cette présentation a permis au Comité de se faire une idée de la situation qui dépasse le cadre strict de l'application de la Convention.
2. Le Comité félicite le Gouvernement chilien de la décision qu'il a prise de se faire représenter par une délégation dirigée par la Ministre-Directrice du Service national de la femme, qui comprend des spécialistes des sujets sur lesquels porte la Convention. Le Comité note que le troisième rapport comme les réponses fournies par le Gouvernement chilien concernent le respect des engagements du Programme d'action de Beijing.
Aspects positifs
1. Le Comité félicite le Gouvernement chilien d'avoir obtenu plusieurs réformes législatives, y compris l'amendement des articles 1 et 19 de la Constitution de la République en ce qui concerne l'égalité des hommes et des femmes; la loi sur la violence familiale; les réformes visant à améliorer les conditions d'accès à l'emploi et à la formation, le temps de travail et les avantages sociaux auxquels ont droit les travailleuses, y compris les travailleuses domestiques, ainsi que les réformes du Code civil. Ces réformes améliorent l'égalité juridique entre les époux en établissant un régime de la participation aux acquêts, de la constitution du patrimoine familial, et accordent la même protection à tous les enfants, qu'ils soient ou non nés dans les liens du mariage.
2. Le Comité félicite le Gouvernement de la volonté politique dont il a fait preuve dans l'application de la Convention, notamment en ce qui concerne le Service national de la femme (SERNAM), dont il a assuré la continuité des programmes décentralisés dans les 13 régions du pays et à qui il a accordé une autonomie budgétaire, ainsi que l'adoption du plan sur l'égalité des chances et sa mise en oeuvre au niveau national.
3. Le Comité félicite aussi le Gouvernement d'avoir adopté et appliqué des politiques visant à assurer l'égalité en matière d'éducation, grâce auxquelles le taux d'alphabétisation du pays est de 94,6 %. Il accueille aussi favorablement les politiques visant à améliorer les conditions de vie des travailleuses saisonnières, la formation professionnelle des jeunes des deux sexes et le programme de bourses d'études pour les femmes chefs de famille, ainsi que la qualité du réseau de soins de santé primaires. Le Comité félicite le Gouvernement de sa décision d'incorporer la dimension sexospécifique dans toutes ses politiques sociales, pour qu'il en soit tenu compte dans la définition et l'adoption de toutes les politiques gouvernementales et qu'il soit également tenu compte du principe de l'égalité dans différents domaines afin de créer des bases solides pour l'égalité entre les sexes.
4. Le Comité se félicite également des efforts du Gouvernement chilien pour mieux faire connaître les droits fondamentaux de la femme et défendre ces droits dans les divers secteurs de la société ainsi que des mesures prises avec la participation de tous les organismes concernés de l'État et de la société civile, afin de prévenir et de combattre la violence dans la famille, notamment en créant à cet effet un bureau des carabiniers spécialement chargé de cette question et 17 sections spécialisées au Ministère de la justice.
5. Le Comité prend note avec satisfaction de la suite donnée à l'application des recommandations et décisions des conférences mondiales organisées au cours des 10 dernières années, et notamment de la quatrième Conférence mondiale sur la femme organisée à Beijing.
Obstacles à l'application de la Convention
1. Le Comité constate que bien que les femmes chiliennes aient joué un rôle important dans la défense des droits de l'homme et le rétablissement de la démocratie au Chili, la persistance des stéréotypes sociaux et des attitudes traditionnelles est aggravée par le fait que 20 ans de dictature militaire ont ralenti la pleine application de la Convention.
Principaux sujets de préoccupation et recommandations
1. Le Comité est préoccupé par le fait que le droit de la famille limite notamment le pouvoir des femmes d'administrer les biens qui leur appartiennent en propre ou dont elles partagent la propriété. Il est également préoccupé par l'absence de toute loi sur la dissolution du mariage. Cette situation entretient une discrimination à l'égard des femmes, aussi bien dans les relations familiales qu'en ce qui concerne l'exercice de leurs droits économiques et sociaux.
2. Le Comité recommande au Gouvernement chilien de présenter et de défendre vigoureusement un projet de loi sur le divorce qui permet aux femmes de se remarier une fois divorcées et reconnaît aux hommes et aux femmes les mêmes droits de gérer leurs biens durant le mariage et des droits égaux sur leurs biens lors du divorce. Il recommande également que les femmes aient, tout comme les hommes, le droit d'engager la procédure de divorce.
3. Le Comité se déclare préoccupé par la persistance de stéréotypes concernant le rôle des femmes dans la société, et note avec préoccupation que les schémas et les modèles de comportements sociaux en vigueur, par exemple le fait que les adolescentes abandonnent l'école en cas de grossesse, les tâches familiales attribuées aux jeunes et aux femmes, ainsi que les obligations différentes que le mariage impose aux femmes et aux hommes, traduisent la persistance de préjugés sociaux et culturels profondément enracinés qui s'opposent à l'égalité entre hommes et femmes. Le Comité s'inquiète à l'idée que les mesures législatives déjà adoptées, bien que positives, restent insuffisantes pour créer une égalité pleine et entière de fait entre hommes et femmes.
4. Le Comité s'inquiète du faible taux de participation des femmes à la vie politique et dans la fonction publique, notamment au niveau de la prise de décisions.
5. Le Comité exhorte le Gouvernement à compléter les mesures prises en adoptant des stratégies globales comportant des mesures temporaires spéciales, conformément à l'article premier de la Convention, destinées à faciliter la participation des femmes à la vie publique et notamment à la prise des décisions politiques, et à encourager un changement d'attitudes et de perception aussi bien de la part des femmes que des hommes quant à leurs rôles respectifs au sein du foyer et de la famille, au travail et dans la société en général. En particulier, il recommande au Gouvernement de tenir compte de ses recommandations générales Nos 21 et 23 sur l'égalité dans le mariage, les relations familiales et la vie publique, et de renforcer les mesures destinées à sensibiliser la population à l'importance des rôles multiples joués par les femmes, leurs activités et leurs contributions à la communauté et à la famille et, d'une manière générale, à encourager l'égalité de droits et de chances entre hommes et femmes.
6. Le Comité se déclare préoccupé par l'incidence élevée des cas de grossesse chez les adolescentes et par le fait qu'un fort pourcentage de ces adolescentes sont des mères célibataires encore très jeunes. Il constate qu'un grand nombre de grossesses résultent de violence sexuelle et que leurs auteurs en sont pour un grand nombre eux-mêmes adolescents. Il note en outre avec préoccupation que les adolescentes enceintes sont seules exclues des établissements d'enseignement privé secondaire et supérieur.
7. Le Comité recommande au Gouvernement et au SERNAM d'étudier en priorité la situation des adolescents et exhorte le Gouvernement à adopter diverses mesures pour satisfaire les besoins des adolescents en matière de services et d'informations concernant la sexualité et la reproduction, notamment en développant la planification familiale et les méthodes contraceptives grâce notamment à des programmes d'éducation sexuelle efficaces. Il exhorte également le Gouvernement à ne pas ménager ses efforts pour permettre l'adoption d'une loi interdisant explicitement l'expulsion des adolescentes enceintes des établissements d'enseignement privés et publics.
8. Le Comité se déclare préoccupé par le fait que les droits des Chiliennes en matière de reproduction sont insuffisamment reconnus et protégés. Il déplore notamment que la loi interdise le recours à toute forme d'avortement. Cette loi touche la santé des femmes, accroît la mortalité maternelle et provoque de nouvelles souffrances lorsque les mères sont emprisonnées pour avoir violé la loi. Le Comité s'inquiète que les femmes ne puissent subir une stérilisation que dans des établissements de santé publique et que les femmes aient le consentement de leur mari et aient eu déjà quatre enfants. Le Comité considère que ces dispositions violent les droits fondamentaux des femmes.
9. Le Comité recommande au Gouvernement d'étudier la possibilité de réviser la législation relative à l'avortement en vue de garantir des interruptions de grossesse sans danger ou d'autoriser les femmes à interrompre la grossesse pour des raisons thérapeutiques ou pour raisons de santé, y compris de santé mentale. Le Comité demande en outre instamment au Gouvernement de réviser les lois qui exigent du personnel de santé qu'il signale les cas d'avortement aux organismes d'application des lois et qui imposent des sanctions pénales aux femmes qui ont subi des interruptions de grossesse. Il engage en outre le Gouvernement à renforcer les mesures qui visent à prévenir les grossesses non désirées, notamment par une diffusion plus large et sans restrictions de moyens contraceptifs divers et en reconnaissant le droit des femmes de recourir à la stérilisation sans devoir obtenir au préalable le consentement de leur mari ou de toute autre personne. Le Comité demande donc au Gouvernement de tenir compte des recommandations générales Nos 21 sur le mariage et les relations familiales et 24 concernant l'article 12 sur les femmes et la santé.
10. Le Comité note avec préoccupation que la modicité des revenus d'un grand nombre de femmes travaillant dans le petit commerce et dans le secteur parallèle les maintient en marge du système de protection sociale. De même, il constate avec inquiétude que, malgré les efforts déployés par le SERNAM, les femmes occupant des emplois saisonniers sont dans une situation particulièrement précaire liée aux conditions de travail, au salaire et à la nécessité de faire garder les enfants.
11. Le Comité demande au Gouvernement de décrire dans le prochain rapport le contenu et les modalités d'application du plan 2000-2001 sur l'égalité des chances, en cours d'élaboration, et d'y inclure des données statistiques relatives à la condition des femmes qui travaillent et à l'amélioration de leurs conditions de vie, ainsi que des informations sur les facilités existant en matière de garde d'enfants et des données sur la question du harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
12. Le Comité souhaite que le Gouvernement le tienne informé de l'avancement de la condition des femmes rurales et autochtones, notamment dans les domaines de la santé, de l'emploi et de l'éducation.
13. Le Comité désire être informé dans le prochain rapport de l'incidence qu'a la consommation de tabac, d'alcool, de stupéfiants et d'autres substances sur la santé des femmes de tous âges.
14. Le Comité recommande au Gouvernement chilien de faire état dans le prochain rapport périodique des mesures qu'il aurait éventuellement prises en réponse aux préoccupations exposées dans les présentes observations finales.
15. Le Comité recommande que l'on diffuse largement les présentes observations finales afin que l'ensemble de la société chilienne, notamment les pouvoirs publics et la classe politique, sache quelles mesures ont été adoptées en vue de garantir l'égalité de droit et de fait entre les hommes et les femmes et quelles sont les mesures qui doivent encore être prises en ce sens. Le Comité demande aussi au Gouvernement qu'il continue à faire connaître, en particulier auprès des organisations féminines et de défense des droits fondamentaux de la personne, la Convention, les recommandations générales du Comité ainsi que la Déclaration et le Programme d'action de Beijing.