Indonésie
262. Le Comité a examiné les deuxième et troisième rapports périodiques (fondus en un seul rapport) de l'Indonésie (CEDAW/C/IDN/2-3) à sa 377e séance, le 2 février 1998 (voir CEDAW/C/SR.377).
263. En présentant les rapports, le représentant a rappelé que le droit des femmes à l'égalité était expressément garanti dans la philosophie d'État, consacrée dans le Panch Shila, et dans la Constitution de 1945, ainsi que dans les principes directeurs régissant la politique de l'État de 1978. Toutefois, dans la réalité, les femmes ne bénéficiaient pas des mêmes possibilités et des mêmes droits que les hommes en raison de la persistance de diverses pratiques traditionnelles et culturelles et du fait que certaines lois étaient contraires à l'esprit, sinon à la lettre, du principe d'égalité. Cette situa- tion était reflétée par le fait que l'homme était considéré comme le chef de famille, la femme étant chargée de la tenue du ménage.
264. Le Gouvernement avait mis en place un mécanisme national en 1978, bien avant sa ratification de la Convention en 1984; cet organe, le Bureau du Ministre d'État pour la valorisation du rôle de la femme, fonctionnait aux niveaux national et provincial et était chargé de l'élaboration de principes d'action, de la coordination des activités, de l'organisation de consultations, d'activités de plaidoyer, du suivi et de l'évaluation de la participation et du rôle des femmes dans le développement.
265. Le représentant a signalé qu'en 1994 le Bureau avait créé un service de la planification et des affaires étrangères afin de renforcer son action en matière de coordination et de plaidoyer. Ses activités de recherche et de communication avaient été facilitées par la création de centres d'étude des questions féminines au sein des établissements d'enseigne- ment supérieur. Comme première étape dans l'élaboration du plan de développement national, le Gouvernement avait également effectué une analyse de la situation et du rôle des femmes dans tous les secteurs du développement. Le repré- sentant a souligné que, malgré ces progrès, le mécanisme national manquait de ressources financières et humaines.
266. Dans le cadre du suivi de la Conférence de Beijing, le Gouvernement avait lancé un mouvement à l'échelle nationale – Perspectives pour un partenariat harmonieux entre les hommes et les femmes au sein de la famille, de la société et dans le développement – afin d'inculquer les valeurs d'égalité à la population. Il avait également traduit dans diverses langues locales le Programme d'action et la Convention. Toutefois, les autorités concentraient leur attention sur les quatre domaines prioritaires que consti- tuaient l'éradication de la pauvreté, l'éducation, la santé et la promotion des femmes.
267. Dans le domaine de la prise de décisions au niveau politique, le représentant a indiqué que, même s'il n'existait pas d'obstacles juridiques à la participation des femmes, celle-ci demeurait faible en raison des comportements traditionnels. Le Gouvernement avait l'intention d'examiner la situation par le biais de consultations avec les différents ministères sectoriels, les institutions, les organisations non gouvernementales et les partis politiques.
268. L'Indonésie n'avait pas encore adopté de lois ou de réglementations spécifiques concernant la traite des femmes, mais elle proposait de prendre des mesures en vue de la réinsertion des victimes. Elle proposait également d'examiner les questions portant sur les droits fondamentaux des femmes dans le cadre général des violations des droits de l'homme par l'intermédiaire de la nouvelle Commission nationale sur les droits de l'homme, organe indépendant. Il n'existait pas de structure spécifiquement chargée d'examiner le problème de la violence contre les femmes. Le Gouvernement avait formellement interdit la prostitution; mais, comme il s'agissait d'une pratique qui s'était avérée très difficile à éradiquer au cours des ans, il avait pris des mesures afin de la confiner à certains secteurs spécifique- ment autorisés. Les autorités s'efforçaient également de réinsérer les prostituées dans la société.
269. L'Indonésie constituait un réservoir de main-d'oeuvre migrante considérable pour ses voisins et pour le Moyen-Orient. La majorité de ces travailleurs étaient des femmes, qui, pour la plupart, venaient de zones rurales. Elles se heurtaient souvent à de graves problèmes, subissant notam- ment des atteintes à leurs droits, comme la torture et le viol. Le Gouvernement avait mis en place un système informatisé afin de contrôler la mobilité des femmes à l'étranger et intensifiait la formation qui était dispensée à celles qui envisageaient de partir.
270. Le représentant a indiqué que l'Indonésie prendrait des mesures concrètes afin de modifier les dispositions de la législation qui étaient discriminatoires à l'égard des femmes, de ratifier les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme et d'appeler l'attention des tribunaux sur les délits de caractère sexuel. L'égalité des femmes et des hommes en matière de droit successoral avait été établie par une décision de la Cour suprême en 1960 et la polygamie avait été prohibée. Toutefois, la prévalence de valeurs socioculturelles et de normes traditionnelles réduisait l'impact de ce cadre juridique.
271. Le représentant a indiqué que la crise économique actuelle affectait aussi bien les femmes que les hommes, bien que le Gouvernement ait pris des mesures tant aux niveaux central que régional, afin d'assurer un accès égal à l'emploi aux femmes désavantagées, en plus des efforts menés pour encourager la création d'entreprises et l'accès aux ressources, comme la terre et le crédit.
272. Enfin, le Gouvernement était résolu à poursuivre ses efforts en vue d'assurer la promotion des femmes sur divers fronts et s'était fixé un certain nombre d'objectifs et de dates butoirs, comme la réduction du taux de mortalité maternelle d'ici à la fin de 2018 et l'élimination pratiquement totale de l'analphabétisme d'ici 1999. Il envisageait également d'accroître la participation et le rôle des femmes dans le développement dans le cadre de ses efforts visant à instaurer une société juste et prospère.
Conclusions du Comité
Introduction
273. Le Comité a pris note avec satisfaction des deuxième et troisième rapports périodiques combinés de l'Indonésie, qui étaient francs et détaillés, et démontraient un souci de faire progresser la cause des femmes.
274. Le Comité a toutefois déploré que les changements n'aient pas été assez rapides et qu'un grand nombre de problèmes qui avaient été identifiés lors de l'examen du rapport initial de l'État partie n'aient toujours pas été résolus.
275. Le Comité a apprécié les efforts faits par le Gouvernement pour répondre aux nombreuses questions posées par le groupe de travail d'avant-session, mais il a estimé que les informations supplémentaires fournies par la délégation dans sa présentation orale soulevaient un certain nombre de questions nouvelles.
Éléments positifs
276. Le Comité a noté avec satisfaction que la Convention avait été intégrée dans le droit interne de l'Indonésie et invoquée en justice dans des affaires de discrimination.
277. Le Comité a constaté avec satisfaction que le Gouver-nement avait établi un plan national pour appliquer le Programme d'action de Beijing.
278. Le Comité a approuvé le fait que l'Indonésie avait créé un Ministère pour les femmes dans les années 70, avant même de ratifier la Convention. Il considérait également la création par le Gouvernement de centres d'études féminines comme un progrès important.
279. Le Comité a noté avec satisfaction le rôle joué par les ONG féminines en Indonésie qui, de longue date, menaient une action déterminée et efficace.
280. Le Comité a pris note du succès du programme de planification familiale. Il y a vu un exemple de la capacité des autorités de prendre des mesures d'une grande efficacité afin d'améliorer la situation des femmes. Certaines déléga- tions se sont toutefois déclarées préoccupées par le fait que le programme était presque uniquement centré sur les femmes, divers membres soulignant qu'il fallait également tenir compte de la responsabilité des hommes dans ce domaine.
Facteurs entravant l'application de la Convention
281. Le Comité, notant que l'Indonésie traversait une crise économique, a instamment demandé au Gouvernement de ne pas en faire un prétexte pour justifier tout manquement aux obligations découlant de la Convention.
282. De l'avis du comité, la persistance de pratiques culturelles confinant les femmes aux rôles de mère et de ménagère entravait considérablement leur promotion. Les politiques et programmes établis sur la base de ces stéréotypes limitaient leur participation et leur droit à prestation, faisant de ce fait obstacle à la mise en oeuvre de la Conven- tion. Le Comité a estimé que les valeurs culturelles et religieuses ne devaient pas saper l'universalité des droits des femmes : la culture ne représentait pas un concept statique et les valeurs fondamentales de la société indonésienne n'étaient pas contraires à la promotion de la femme.
283. Le Comité a noté que l'Indonésie n'avait pas rassemblé de données sur certaines questions cruciales pour le bien-être des femmes, comme la prévalence de la violence à leur encontre. En l'absence de telles informations, il ne pouvait, non plus que le Gouvernement, surveiller efficacement la situation en ce qui concerne l'égalité des femmes; le Comité n'a pu formuler de recommandations quant aux mesures qui pourraient être prises pour remédier à ce problème.
Principaux sujets de préoccupation
284. Le Comité était très préoccupé de constater que certaines lois en vigueur n'étaient pas conformes aux dispositions de la Convention et défavorisaient les femmes dans la famille et le mariage (polygamie, âge de mariage, divorce, autorisation du mari nécessaire pour l'obtention d'un passeport), sur le plan économique (propriété et héritage de terres, possibilités d'emprunt, avantages sociaux dans le travail, autorisation du mari nécessaire pour travailler de nuit) et dans le domaine de la santé (autorisation du mari nécessaire pour stérilisation ou avortement, même lorsque la femme est en danger de mort).
285. Le Comité a déploré qu'il n'y ait pas dans la Constitu-tion ou les autres textes législatifs de définition claire de la discrimination qui corresponde à celle qu'établit l'article premier de la Convention.
286. Tout en constatant que la femme indonésienne avait maintenant acquis sur le plan juridique les mêmes droits que les hommes dans plusieurs domaines, notamment en matière d'héritage, le Comité se demandait jusqu'à quel point cela se traduisait dans les faits et à quelle proportion de femmes le droit civil était effectivement appliqué.
287. Le Comité a été informé que les musulmans avaient la faculté de choisir de relever de la loi islamique ou du droit civil. Mais il se demandait à qui il appartenait d'en décider, et dans quelle mesure les musulmanes pouvaient choisir de soumettre leurs affaires au droit civil plutôt qu'à la loi islamique.
288. Le Comité a relevé que le mariage entre personnes n'ayant pas la même religion était interdit de fait dans certaines régions.
289. Le Comité était très inquiet des normes sociales, religieuses et culturelles pratiquées dans le pays – normes inspirant la politique du Gouvernement, la législation et les orientations – qui voulaient que l'homme soit le chef et le soutien économique de la famille, reléguant la femme dans son rôle d'épouse et de mère. On ne voyait pas clairementce que les pouvoirs publics envisageaient de faire pour modifier ces conceptions, gros obstacle à la promotion de la femme en Indonésie. Les stéréotypes sexuels classiques étaient également perpétués dans l'enseignement scolaire, les manuels n'ayant pas été révisés de manière à les éliminer.
290. Le Comité craignait que les valeurs religieuses et culturelles de la société, qui constituent le contexte de l'action générale entreprise par le Gouvernement pour assurer l'égalité des sexes devant la loi et dans tous les autres domaines, n'entravent la mise en oeuvre du plan national, concrétisant les engagements pris par le pays à la Conférence de Beijing.
291. Le Comité était préoccupé par les faibles taux féminins de scolarisation et l'ampleur de l'illettrisme féminin, surtout dans les zones rurales. Le droit à l'éducation étant un droit fondamental, et bien que les pouvoirs publics aient pris certaines mesures en vue de faciliter l'instruction des enfants pauvres mais doués, le Comité se préoccupait d'y voir accéder l'ensemble des enfants, y compris ceux appartenant aux minorités.
292. Les renseignements communiqués au Comité mon-traient que les femmes occupaient encore des emplois moins bien rémunérés et moins qualifiés. Il semblait que, selon l'optique la plus courante, la femme mariée puisse apporter un revenu d'appoint à la famille, mais que le droit d'une femme à poursuivre sa propre carrière ne soit guère admis.
293. Le Comité a constaté une grande inquiétude que la loi indonésienne était loin de protéger suffisamment les femmes contre la violence. Il a aussi relevé que le pays ne recueillait pas systématiquement les données qui informeraient sur l'étendue de ce phénomène de la violence dirigée spécifique- ment contre les femmes et sur les formes que peuvent prendre ces abus.
294. Le Comité s'est déclaré très préoccupé par les informa-tions selon lesquelles les droits fondamentaux des femmes n'étaient pas respectés au Timor oriental.
295. Les informations fournies sur la situation des femmes dans les zones de conflit armé traduisaient une conception limitée du problème. Les observations du Gouvernement ne portaient que sur la présence des femmes dans les forces armées, et laissaient entièrement de côté le fait qu'elles étaient exposées à l'exploitation sexuelle dans les situations de conflit, de même que les diverses violations de leurs droits fondamentaux dont elles pouvaient être victimes en pareille situation.
296. Le Comité a pris note des renseignements sur la situation des migrantes, fournis dans un supplément au rapport. Mais il a constaté que la question des décès àl'étranger de migrantes indonésiennes victimes de mauvais traitements et d'abus était passée sous silence, de même que celle de la traite des femmes destinées à la prostitution. Il a noté avec inquiétude qu'il n'existait pas de rouages nationaux pour remédier à la situation des femmes victimes d'abus à l'étranger.
297. Le Comité s'est déclaré vivement préoccupé par les informations selon lesquelles le programme de planification de la famille aurait dans certains cas donné lieu à l'exercice de contraintes, en violation de la Convention, qui pose que les femmes doivent avoir la liberté de choix pour tout ce qui concerne la procréation et que, notamment, leur consente- ment éclairé est requis lorsqu'on leur propose des méthodes de planification des naissances.
298. Le Comité a regretté que les renseignements fournis au sujet du problème du sida aient été si limités. Il n'y avait de données ni sur l'ampleur du problème, ni sur les taux d'augmentation, pas plus que de chiffres ventilés selon le sexe. Il était particulièrement préoccupant de l'avis du Comité que le problème soit attribué aux prostituées. D'aucuns ont trouvé inquiétant aussi qu'il y ait des program- mes destinés à «nettoyer les rues de la ville» des prostituées à chaque fois qu'une grande manifestation internationale avait lieu à Jakarta. Le Comité a appris d'autres sources que des femmes chassées des rues auraient été contraintes à subir un examen vaginal.
299. Le Comité a jugé très préoccupant le chômage des femmes, très élevé en cette période de crise économique, en particulier en ce qui concerne les femmes chefs de famille. Il a aussi noté l'écart entre salaires féminins et salaires masculins, la ségrégation professionnelle, les femmes étant beaucoup plus nombreuses que les hommes à faire des travaux demandant peu de qualifications et mal rémunérés, et la discrimination antiféminine dans l'emploi et les presta- tions sociales.
300. Le Comité a constaté avec préoccupation que le Gouvernement ne prenait pas suffisamment de mesures pour se conformer à l'article 6 de la Convention et s'attaquer au problème de la prostitution et de la traite des femmes. On ne faisait pas non plus tout ce qui était nécessaire pour assister les femmes concernées par des programmes socio économiques et des programmes de santé, et les actions de prévention et de réinsertion sociale s'adressaient surtout aux prostituées et non pas à leurs clients.
Suggestions et recommandations
301. Le Comité a recommandé que le Gouvernement expose dans le rapport suivant tous les résultats du plan national d'action et du schéma d'orientation visant à assurer unpartenariat harmonieux des sexes dans l'oeuvre de développement, qui concrétisaient le Programme d'action de Beijing. Il a aussi rappelé à l'attention du Gouvernement ses observations sur les difficultés que les valeurs religieuses et culturelles de la société indonésienne pouvaient susciter dans la réalisation de ces initiatives.
302. Le Comité a recommandé que le Gouvernement prenne les mesures qui convenaient pour atténuer les répercussions de la crise économique sur les femmes, en particulier dans les domaines de l'enseignement, de la santé et de l'emploi.
303. Le Comité a engagé le Gouvernement à réunir à titre prioritaire des chiffres sur l'ampleur, les causes et les conséquences du phénomène de la violence à l'encontre des femmes en Indonésie. Il a en outre souligné la nécessité de sensibiliser aux problèmes des femmes les représentants de l'administration – personnel judiciaire, police, personnel des services sociaux, personnel de santé, etc. – qui sont appelés à s'occuper de ce type de violence.
304. Le Comité a recommandé au Gouvernement de faire accélérer en priorité le progrès de la condition féminine en Indonésie. Il l'a engagé à s'activer plus énergiquement pour résoudre les contradictions actuelles entre l'attachement professé par les pouvoirs publics pour les principes énoncés dans la Convention et la situation effective des femmes en Indonésie.
305. Le Comité a recommandé d'intégrer les réponses écrites au reste du quatrième rapport périodique, afin d'éviter les redites et de donner au Comité plus de temps pour dialoguer avec l'État partie. Il a demandé par ailleurs que l'on s'attache particulièrement dans le quatrième rapport aux aspects prioritaires qu'il avait signalés dans ses questions.
306. Le Comité a demandé que, dans le rapport suivant, le Gouvernement donne des indications sur les programmes et centres d'études féminines bénéficiant d'un financement public, ainsi que sur les mesures prises pour réviser les manuels scolaires de façon à présenter les femmes comme les égales des hommes.
307. Le Comité a vivement engagé le Gouvernement à faire immédiatement le nécessaire pour abolir la polygamie dans le pays et pour rectifier les autres lois discriminatoires mentionnées au paragraphe 282.
308. Le Comité a recommandé au Gouvernement de faire en sorte que les femmes indonésiennes puissent librement choisir leur époux, conformément à la disposition 16 b) de la Convention.
309. Le Comité a recommandé de prendre les mesures qui conviennent pour que les droits fondamentaux des femmes du Timor oriental soient respectés.
310. Le Comité a recommandé au Gouvernement de lutter contre la traite des femmes et la prostitution, conformément à l'article 6 de la Convention, et notamment d'établir des programmes socioéconomiques et des programmes de santé pour assister les femmes concernées.
311. Le Comité a demandé que les présentes conclusions soient largement diffusées dans le pays, afin que toute la population, en particulier les agents responsables de l'administration publique et les hommes politiques, sache quelles mesures ont été prises pour assurer une égalité de fait entre les deux sexes et quelles autres actions sont encore nécessaires. Il a aussi prié le Gouvernement de continuer à faire connaître dans tout le pays, notamment auprès des organisations féminines et des organisations de défense des droits de l'homme, les dispositions de la Convention (avec les recommandations générales du Comité) et la teneur de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing.