45. Le Comité a examiné le rapport initial du Maroc (CEDAW/C/MOR/1) à ses 312e, 313e et 320e séances, les 14 et 20 janvier 1997 (voir CEDAW/C/SR.312, 313 et 320).
46. Présentant le rapport initial de son pays, le représentant du Maroc a fait observer que, conformément à l'article 18 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, le rapport avait été soumis au Secrétariat en juillet 1994, un an après l'adhésion du Maroc à la Convention. Le Roi Hassan II avait pris l'initiative en 1992 et avait invité diverses associations féminines à soumettre des amendements au Code du statut personnel afin d'éliminer les obstacles empêchant les Marocaines d'exercer leurs droits. Un certain nombre d'articles du Code avaient été amendés à cette fin et de façon à les faire concorder avec divers accords et instruments internationaux, le Code continuant à reposer sur les principes du droit islamique, la charia.
47. Le rapport initial décrivait les mesures prises sur les plans institutionnel, juridique, administratif et autres pour défendre et protéger les droits des femmes dans un cadre politique et juridique global. Le Gouvernement marocain liait la condition féminine aux droits de l'homme et reconnaissait les liens indissociables existant entre le respect des droits de la personne humaine, la démocratie et le développement social, économique et culturel. Les aspects de l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et de la promotion des femmes qui avaient trait à la défense des droits individuels avaient été transférés du Ministère des affaires sociales au Ministère chargé des droits de l'homme, qui coopérait avec d'autres services du Gouvernement sur ces questions.
48. La Constitution, révisée en 1992 et en 1996, contenait désormais des dispositions visant à garantir un plus grand respect des droits individuels en général et des droits de la femme en particulier. La Constitution révisée avait établi un parlement bicaméral et prévoyait la création de commissions d'enquête chargées de s'occuper de la discrimination à l'égard des femmes. À la suite de la réforme du droit de la famille, tout cas de discrimination contre les femmes pouvait désormais donner lieu à des poursuites en justice.
49. Le représentant du Maroc a ensuite décrit les mesures juridiques et administratives prises dans son pays pour réaliser l'égalité entre femmes et hommes dans le cadre de la promotion et de la protection des droits des femmes. La législation relative à l'emploi ainsi que le Code pénal avaient été modifiés. Des initiatives avaient été prises en particulier dans le domaine de l'enseignement et dans celui de l'emploi. Le Gouvernement s'inquiétait du fort taux d'analphabétisme chez les femmes et il considérait que les femmes des zones rurales constituaient le groupe de population le plus vulnérable. Une campagne d'alphabétisation avait donc été lancée en vue de ramener à 10 % en 2010 le taux d'analphabétisme, surtout chez les femmes rurales. Toutefois, si tous les citoyens avaient de la même façon droit à l'enseignement et à l'emploi, en vertu de l'article 13 de la Constitution, il fallait reconnaître qu'il existait un certain nombre d'exceptions interdisant aux femmes l'accès à certaines professions.
50. Terminant sa présentation, le représentant du Maroc a admis qu'il existait encore un certain nombre d'obstacles qui empêchaient les femmes d'exercer leurs droits et de participer pleinement au développement socioéconomique du pays; toutefois, il a donné au Comité l'assurance que son gouvernement était résolu à poursuivre l'action qu'il menait en vue de supprimer ces obstacles.
Conclusions du Comité
Introduction
51. Le Comité a remercié l'État partie de son rapport, qui avait été présenté dans les délais. Il a toutefois remarqué que le rapport écrit n'avait pas tenu compte, dans sa forme, des directives du Comité. Néanmoins, aussi bien dans son rapport oral que dans ses réponses, l'État partie avait su établir avec le Comité un dialogue franc et constructif.
Facteurs et difficultés affectant l'application de la Convention
52. Le Comité a estimé que, bien que l'acte de ratification de la Convention par le Royaume du Maroc soit un événement important en soi, le fait de l'assortir de déclarations et de réserves qui touchaient le fond de la Convention entravait sérieusement son application.
53. Le Comité a relevé les contradictions manifestes entre les obligations qui découlaient de l'engagement de l'État partie au moment de la signature de la Convention et la situation encore fortement discriminatoire des femmes au Maroc, en particulier dans le domaine du droit de la famille.
Aspects positifs
54. Le Comité a relevé avec satisfaction la révision de la Constitution qui renforçait l'état de droit au Maroc en proclamant solennellement les engagements du pays vis-à-vis des droits de l'homme, tels qu'ils étaient internationalement reconnus.
55. Le Comité a considéré que cet engagement de l'État devait nécessairement profiter à la femme, car les droits de la femme faisaient partie intégrante des droits de l'homme.
56. Le Comité a souligné avec satisfaction que "la cellule femme" créée au sein du Ministère des droits de l'homme participait au processus d'évolution générale initié par le Maroc.
57. Le Comité s'est félicité des efforts fournis par l'État partie en ce qui concernait les réformes et les amendements apportés au Code du statut personnel (la Moudouana). Ces efforts préliminaires traduisaient la volonté politique de l'État partie, placée au plus haut niveau, de faire évoluer le statut juridique des femmes.
58. Le Comité a noté avec satisfaction l'émergence d'un mouvement associatif féminin qui avait su traduire les revendications des femmes et donner à leurs préoccupations un intérêt national.
Principaux sujets de préoccupation
59. Le Comité était très préoccupé par le nombre et l'importance des réserves qui étaient émises par le Maroc, notamment celle relative à l'article 2, qui constituait un article fondamental de la Convention. Le Comité a estimé que toute réserve à cet article était contraire à l'objet et au but de la Convention, et incompatible avec le droit international. Le Comité s'est également inquiété du fait que, conjointement, les réserves relatives aux articles 2 et 15 ôtaient toute possibilité d'évolution des principes du droit islamique.
60. Le Comité a noté avec regret qu'aucune perspective de levée des réserves n'était envisagée par l'État partie.
61. Le Comité a également noté qu'aucune référence, ni publicité, ni publication au bulletin officiel n'était faite à la Convention, comme cela avait été le cas pour d'autres traités internationaux.
62. Le Comité a regretté qu'il n'y ait pas de mécanisme spécifique aux droits des femmes capable de coordonner les activités et les projets en faveur des femmes, et de les encadrer afin d'améliorer leur statut et de mieux leur faire connaître leurs droits.
63. Le Comité s'est inquiété de ce que, malgré les efforts enregistrés dans le domaine politique, la représentativité des femmes au niveau de décision ne soit que très insignifiante.
64. Le Comité a souligné que les spécificités culturelles ne pouvaient remettre en cause le principe de l'universalité des droits de l'homme, qui demeurait inaliénable et non négociable, ni empêcher l'adoption de mesures appropriées en faveur de la femme. En conséquence, le Comité restait préoccupé par les inégalités profondes qui affectaient le statut de la femme. Des discriminations importantes persistaient au niveau du mariage, des relations conjugales, du divorce, de la garde des enfants, et les lois relatives à la sanction de l'adultère et à la transmission de la nationalité continuaient à privilégier le mari au détriment de l'épouse.
65. Le Comité a souligné que la discrimination ne se limitait pas seulement au domaine privé, mais touchait également le domaine public. Des inégalités flagrantes étaient constatées au niveau du recrutement, du salaire, des congés des femmes, ainsi que dans les restrictions d'ordre juridique frappant exclusivement l'emploi des femmes, qui montraient combien les stéréotypes étaient vivaces quant au type de travail jugé approprié pour les femmes.
66. Le Comité a noté avec préoccupation qu'aucune législation n'était prévue pour protéger la femme contre toutes les formes de violence. Le Comité s'est également étonné du silence du rapport quant à l'article 6 de la Convention, relatif à la prostitution.
67. Le Comité s'est déclaré préoccupé par le taux important d'analphabétisme féminin qui touchait notamment la petite fille et la femme en milieu rural.
68. Le Comité a noté avec inquiétude le taux de mortalité maternelle élevé au Maroc, le grand nombre d'accouchements non accompagnés et l'impossibilité de pratiquer l'avortement sans risques, et a jugé nécessaire de créer de nouveaux services de santé sexuelle et en matière de reproduction, y compris de planification familiale.
Suggestions et recommandations
69. Le Comité a recommandé que l'État partie applique le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines et le fasse figurer dans la Constitution, afin que celle-ci soit conforme aux normes internationales pertinentes de la Convention.
70. Le Comité espérait que le Gouvernement marocain envisagerait, par la volonté politique de ses dirigeants, de lever progressivement les nombreuses réserves qui affectaient sérieusement la bonne application de la Convention.
71. Le Comité a recommandé instamment au Gouvernement de poursuivre ses efforts visant à modifier les lois encore discriminatoires pour les aligner sur les dispositions de la Convention. Tout en respectant les étapes de l'évolution politique, économique, sociologique et culturelle du Maroc, et en reconnaissant que la population devait donner son appui à toute réforme concernant les droits des femmes, le Comité a encouragé le Gouvernement à persévérer en tirant parti de l'ijtihad, qui consistait à interpréter les textes religieux sous un nouveau jour, afin de donner l'élan nécessaire à la promotion de la condition féminine et à faire ainsi progressivement évoluer les mentalités.
72. Le Comité a recommandé la mise en place d'un mécanisme spécifique au plus haut niveau politique, doté des ressources financières et humaines nécessaires, qui coordonne et encadre les actions au profit des femmes, qui soit capable de prévenir les attitudes, préjugés et stéréotypes encore discriminatoires à l'égard des femmes, et réduise l'écart entre l'égalité de droit et l'égalité de fait.
73. Le Comité a recommandé, en outre, qu'une éducation aux droits des femmes, comprenant les législations nationale et internationale, soit diffusée dans tous les systèmes scolaires et universitaires, auprès des associations et organisations non gouvernementales féminines, et également en milieu rural.
74. Le Comité a recommandé aux organismes nationaux compétents, aux sections féminines des différents partis politiques, ainsi qu'aux organisations non gouvernementales et associations, de tout mettre en oeuvre afin que le rôle traditionnel de l'homme dans la famille et dans la société évolue autant que celui de la femme, si on voulait parvenir à une réelle égalité des chances entre l'homme et la femme dans tous les domaines. Le Comité a fait remarquer à l'État partie qu'une réforme des manuels scolaires, tant au niveau du programme qu'au niveau du contenu, pour en extirper les stéréotypes et l'image négative de la femme, pouvait aider à accélérer le changement des mentalités et lever certains obstacles.
75. Le Comité a également prié le Gouvernement de porter un intérêt particulier aux groupes vulnérables, aux femmes chefs de famille, aux femmes abandonnées, aux femmes handicapées, et de prendre les mesures nécessaires pour les protéger contre toute exclusion et marginalisation. La réduction des inégalités permettait la réduction de la pauvreté et le développement économique du pays.
76. Le Comité a recommandé au Gouvernement que des mesures appropriées et efficaces soient prises pour réduire le taux d'analphabétisme et le taux de mortalité maternelle jugés considérables en milieu rural.
77. Le Comité a instamment prié le Gouvernement de s'attaquer au problème de la violence à l'encontre des femmes, d'adopter les mesures qui s'imposaient pour combattre ce phénomène et de créer des structures d'accueil pour les victimes de violences dans les zones urbaines et dans les zones rurales, et ce, conformément à la recommandation générale 19.
78. Le Comité a fortement recommandé que le Gouvernement prenne des dispositions spéciales pour réduire les taux de mortalité maternelle et protéger le droit des femmes à la vie en permettant à toutes les femmes d'accéder rapidement à toute la palette des soins obstétricaux d'urgence.
79. Le Comité a recommandé que le Gouvernement examine les restrictions frappant actuellement l'accès des femmes au marché du travail, en particulier celles se fondant sur des conceptions stéréotypées des emplois que peuvent occuper les femmes.
80. Le Comité a demandé au Gouvernement marocain de traiter des problèmes soulevés dans les présentes conclusions dans son prochain rapport, d'y préciser comment avaient été appliquées les recommandations générales du Comité et de suivre de près les directives du Comité pour la présentation des rapports, s'agissant notamment du suivi du Programme d'action de Beijing. Il a demandé au Gouvernement de fournir des données statistiques par sexe dans tous les domaines mentionnés dans la Convention dans son prochain rapport. Plus particulièrement, il a demandé que les présentes conclusions soient largement diffusées dans l'ensemble du Maroc.