758. Le Comité a examiné le rapport de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (CEDAW/C/YUG/SP.1) à sa 254e séance, le 2 février (voir CEDAW/C/SR.254).
759. En présentant le rapport, la représentante de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a exposé les conséquences qu'avaient eues la désintégration de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, la guerre civile en Bosnie-Herzégovine qui avait provoqué un afflux de réfugiés dans son pays et le blocus imposé injustement à son pays par la communauté internationale, en particulier du fait des sanctions décrétées par le Conseil de sécurité dans ses résolutions 757 (1992) du 30 mai 1992, 787 (1992) du 16 novembre 1992 et 82O (1993) du 17 avril 1993. Elle s'est également référée aux nombreuses interventions des diverses organisations humanitaires et de particuliers visant à fournir une aide humanitaire et à appeler l'attention du monde sur les conséquences dévastatrices des sanctions pour l'économie nationale, les infrastructures sociales et toute la population civile, en particulier les femmes et les groupes vulnérables.
760. Les niveaux de vie avaient brutalement baissé. Les services nationaux de santé manquaient des fournitures médicales et des infrastructures essentielles et la fourniture de médicaments importés et d'autres articles nécessaires était bloquée ou entravée par l'embargo. La mortalité avait augmenté, en particulier parmi les jeunes enfants et les personnes âgées, de même que le taux de mortalité des nourrissons et des personnes atteintes de maladies chroniques. Le problème du sida était devenu pressant par manque de diagnostic. Les femmes pâtissaient de la pénurie de contraceptifs, d'anesthésiants nécessaires pour les avortements et d'articles d'hygiène fondamentaux. Le nombre de fausses couches et d'accouchements au foyer s'était accru; le taux de mortalité des nourrissons nés vivants et la mortalité durant l'accouchement des mères et des enfants avaient augmenté. Les tensions, la peur de l'avenir et la séparation des familles causaient souvent des problèmes psychiques. La violence, l'alcoolisme et diverses formes de sévices sexuels avaient augmenté; diverses formes de violence contre les femmes et le harcèlement sexuel avaient fait l'objet d'activités non gouvernementales, en particulier SOS Telephone, et de mesures de la part du Gouvernement, qui considérait le viol et les sévices contre les femmes et les enfants comme des crimes qui devaient être résolument condamnés où qu'ils se produisent et que les responsables, quels qu'ils soient, devaient être sanctionnés.
761. La représentante, se référant également à la question des sévices infligés aux femmes dans les zones de guerre, a fait valoir que son gouvernement estimait que pareils crimes étaient contraires au droit international humanitaire. C'est pourquoi le Gouvernement avait coopéré activement avec la Commission d'experts créée en vertu de la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité, pour enquêter sur les faits et rassembler des données sur les femmes qui avaient été victimes de viol et étaient arrivées en Yougoslavie comme réfugiées en vue de réadapter physiquement et mentalement ces victimes. Le Gouvernement avait également créé des organes d'Etat pour enquêter sur toutes ces allégations, collecter des données et pour suivre la réadaptation des victimes de violences sexuelles commises dans les zones de guerre, et les avait accueillies comme réfugiées en République fédérative de Yougoslavie. Certaines des preuves recueillies avaient déjà été présentées à la Commission d'experts et diffusées comme documents de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Par exemple, on avait créé au Ministère fédéral du travail, de la santé et de la politique sociale la Commission de contrôle de la violence sexuelle à l'égard des femmes, des enfants et des hommes dans les conditions de guerre, composée d'experts médicaux et de psychologues. Bien que la Commission n'établisse aucune discrimination fondée sur la nationalité, la majorité des victimes étaient des réfugiées serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Certaines de ces femmes avaient déjà pu être réintégrées dans la société, comme par exemple des jeunes femmes qui avaient accouché après avoir été violées dans des camps et des bordels dirigés par des musulmans et des Croates. On a appris d'autres sources médicales et par des experts que de nombreuses femmes serbes avaient été victimes de persécutions, de tortures sexuelles et de viols dans divers camps pour Serbes. Certaines, toutefois, s'étaient rétractées après leur hospitalisation et n'avaient donc pas figuré dans les preuves produites. Toutes celles qui étaient devenues enceintes des suites d'un viol ont reçu l'aide nécessaire. La plupart d'entre elles ne voulaient pas en parler. De très nombreuses femmes qui avaient été violées en Bosnie-Herzégovine, toutefois, qui étaient enceintes de moins de 10 semaines avaient avorté sans attendre l'autorisation de la Commission et avaient caché le fait qu'elles avaient été violées. Ce comportement confirmait l'affirmation de son pays, selon lequel, dans sa culture, une femme n'admettait qu'elle avait été violée que si elle y était contrainte. Seules celles qui étaient venues demander un avortement après quelques mois de grossesse et avaient dû subir un examen et recevoir l'autorisation de la Commission spéciale avaient révélé ce qui leur était réellement arrivé. Le viol est un tel traumatisme qu'il cause souvent des tendances suicidaires. Au lieu de compter le nombre de femmes violées et de tenter de prouver quelle partie avait le plus souffert, de mettre en doute leurs témoignages et de les utiliser à des fins de manipulation politique, il serait préférable d'aider les femmes violées et de les réintégrer dans la société.
Observations générales
762. Les membres du Comité ont remercié la représentante de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) d'avoir présenté le rapport oral complémentaire, qui répondait mieux que les rapports écrits à ce que le Comité à sa douzième session, en 1993, avait demandé aux Etats de l'ex-Yougoslavie, à savoir "... présenter un ou plusieurs rapports à titre exceptionnel..." compte tenu de la vive préoccupation qu'il ressentait devant les événements qui se déroulaient depuis quelque temps dans le territoire de l'ex-Yougoslavie et qui touchaient aux droits fondamentaux des femmes garantis par la Convention. Le rapport portant la cote CEDAW/C/YUG/SP.1 n'était pas conforme aux critères établis, en ce sens qu'il ressemblait plus à un rapport périodique et qu'il n'examinait pas la situation des femmes victimes de l'actuel conflit armé et d'autres formes de violence. Certains ont insisté sur le fait que ce rapport spécial devrait donner plus de précisions sur la situation spéciale où se trouvaient les femmes du fait de l'état de guerre. Les membres se sont dits gravement préoccupés par le sort des femmes en République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), qui connaissaient des conditions de plus en plus difficiles et souffraient de l'inflation, du chômage, d'une recrudescence de la violence quotidienne et de l'effondrement des services sociaux et sanitaires. Ils se sont déclarés solidaires de toutes les femmes de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) et d'autres Etats du territoire de l'ex-Yougoslavie. Ils en ont appelé à leur sagesse et à leur solidarité pour mettre un terme à la guerre en pesant de tout leur poids sur toutes les décisions que prendraient les hommes aussi bien sur le plan militaire que dans le cadre des négociations de paix afin que cessent les ravages et l'utilisation des femmes comme instruments de guerre et que triomphe la paix.
763. Comme dans tout conflit armé, les femmes et les enfants étaient les principales victimes.
764. En réponse à ces observations, la représentante a déclaré que son pays s'était soucié principalement de présenter un rapport périodique parce que son pays n'était pas en guerre contre la Bosnie-Herzégovine, qu'il n'avait rien à voir avec la guerre civile qui opposait les éléments en présence : Serbes de Bosnie, musulmans de Bosnie et Croates de Bosnie, et qu'il n'avait pas de revendications territoriales sur la Bosnie-Herzégovine. Les violations des droits de l'homme auxquelles on assistait ne sauraient être le fait de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), dans la mesure où le dernier soldat de l'Armée populaire yougoslave avait quitté le territoire de la Bosnie-Herzégovine le 19 mai 1992. Par voie de conséquence, la représentante n'était pas en mesure de parler des violations des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine. La République fédérative de Yougoslavie faisait de son mieux pour jouer un rôle constructif dans les négociations de paix de Genève.
Questions générales
765. D'aucuns ont fait observer que, malgré les diverses initiatives diplomatiques et son internationalisation, le conflit continuait de s'aggraver, entraînant pour les femmes et les enfants de graves conséquences. La question a été posée de savoir si les femmes avaient la volonté politique et l'énergie d'arrêter les combats, de s'organiser pour la paix à tous les niveaux, et de lutter ensemble, indépendamment de leurs origines ethniques, de leur nationalité ou de leur religion, en vue d'assurer au pays un avenir juste et pacifique et de contribuer à sa reconstruction. Des renseignements ont été également demandés sur le rôle des organisations non gouvernementales dans la recherche de la paix et de la participation des femmes aux négociations de paix, à la reconstruction du pays et aux activités des futurs organes de décision.
766. La représentante a répondu que, dans la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), les femmes soutenaient la politique du Gouvernement concernant la Bosnie-Herzégovine qui était une politique de paix. Elles recherchaient, avec les hommes de la République fédérative de Yougoslavie, des solutions pacifiques à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Les ONG du pays s'étaient efforcées de contribuer au rétablissement de la paix, mais leurs efforts n'avaient pas encore abouti.
767. Les membres du Comité ont formulé des observations sur diverses conséquences négatives des sanctions décrites dans le rapport et souligné ses effets particulièrement néfastes pour les femmes, en ce qui concerne notamment l'emploi, les soins de santé, le logement, la nutrition, les pensions, la maternité, les soins aux enfants, la violence quotidienne, les sévices sexuels et la désintégration de la famille. Tout en réaffirmant leur préoccupation devant le fait que les sanctions affectaient les groupes sociaux les plus vulnérables et non pas les gouvernements, certains ont noté que le rapport ne donnait pas d'explications quant à la raison de l'imposition de l'embargo. Dans ce contexte, il a été demandé pourquoi le rapport faisait référence au Kosovo et au Metohija comme des régions qui demeuraient lentes à se libérer de quelques traditions et coutumes qui font obstacle à l'égalité entre les hommes et les femmes (CEDAW/C/YUG/SP.1, p. 14) et pourquoi la distinction était établie sur des bases ethniques, religieuses et traditionnelles. La représentante a répondu que ces régions avaient été mentionnées non pas dans un but discriminatoire, mais pour appeler l'attention, comme demandé par le Comité à sa dixième session.
768. D'aucuns ont fait observer que le rapport ne contenait pas suffisamment d'informations sur la question de la violence contre les femmes. Si des renseignements avaient été fournis dans la déclaration sur la multiplication des actes d'agression et de violence contre les femmes dans la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) — comme les violences physiques, les sévices sexuels, les relations sexuelles imposées par la force verbale ou physique, les violences sexuelles contre les enfants, la cruauté mentale à l'égard des femmes et des enfants et propos injurieux à leur égard, le harcèlement et l'intimidation des femmes sur le lieu de travail, l'exploitation économique des femmes et des enfants —, il n'y avait pas eu d'information sur le viol en tant qu'arme de guerre. Bien que les rapports du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme aient mentionné les viols massifs en tant que moyen de guerre, de même que de nombreux articles de presse publiés au cours des deux dernières années, le Comité souhaiterait obtenir des informations et des données plus précises sur la question. La primauté de la force sur le droit et l'utilisation de leur pouvoir par les hommes pour revenir à des pratiques aussi barbares étaient scandaleuses et exigeaient des précisions sur les faits, les chiffres et les mesures prises par le Gouvernement (si tant est qu'il en prenne) afin de poursuivre les coupables en justice et d'aider les victimes à se réadapter. Un membre toutefois n'était pas d'avis que ces données seraient utiles, préférant concentrer l'attention sur l'assistance aux femmes victimes de ces crimes et sur leur réadaptation. D'aucuns ont aussi fait observer que l'affirmation contenue dans le rapport oral de la représentante selon laquelle "un comportement sexuel violent et aberrant était loin d'être typique de la guerre dans l'ex-Bosnie-Herzégovine seule et qu'il se manifestait dans toutes les guerres" (voir CEDAW/C/SR.254) était inacceptable dans un rapport officiel, immorale et effrayante.
769. La représentante a dit que l'accusation du recours aux viols massifs comme arme de guerre ne s'appliquait pas à son pays car la République fédérative de Yougoslavie n'était pas en guerre avec la Bosnie-Herzégovine. Elle s'est référée au rapport du Rapporteur spécial confirmant l'incidence des viols massifs mais en soulignant la responsabilité de toutes les parties au conflit. Bien que de tels incidents se soient produits dans toutes les régions ravagées par la guerre, il n'existait pas de preuves sérieuses établissant la perpétration de viols systématiques et organisés; et la République fédérative de Yougoslavie disposait de certaines preuves établissant que des femmes serbes avaient été violées par des Croates et des musulmans. Elle a ajouté que la question du viol des femmes qui étaient réfugiées en République fédérative de Yougoslavie avait été examinée par la Commission d'Etat sur les crimes de guerre et les crimes de génocide et le Groupe interdépartemental du Gouvernement fédéral avec la participation des principaux ministères, d'ONG et d'associations de citoyens. Elle a déclaré que son gouvernement était prêt à coopérer avec tous les organes d'enquête internationaux. Elle a également présenté ses excuses pour la phrase en question, qui pouvait donner à tort l'impression que le viol était considéré par le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie comme un comportement normal en temps de guerre, et demandé qu'elle soit envisagée dans le contexte du paragraphe suivant du rapport, où le viol était nettement décrit comme une grave violation du droit humanitaire.
770. Se référant aux préoccupations exprimées devant la situation des détenues et leur marginalisation, les cas de grossesse non désirée, les nombreux avortements, les décès de femmes pendant l'accouchement, la chute brutale des taux de natalité et les cas de sida de plus en plus nombreux, l'intervenante a souligné les difficultés croissantes qui modifiaient la condition des femmes et résultaient de la guerre dans la Bosnie-Herzégovine voisine des pénuries généralisées, du dysfonctionnement des services médicaux et de l'insuffisance des fournitures médicales, de même que de l'effondrement des structures sociales en raison des sanctions. L'avortement était toujours utilisé comme moyen de contraception. Un nombre croissant de nouveau-nés étaient atteints du sida. Le risque de contracter cette maladie était particulièrement grave en raison du manque d'informations et de médicaments et de l'absence d'éducation sexuelle, notamment chez les jeunes.
771. La représentante, à qui des questions avaient été posées concernant la prostitution, la politique suivie par le Gouvernement dans ce domaine et le nombre croissant de prostituées — dont on pouvait constater l'existence même dans les pays voisins —, (et si cet état de choses avait un rapport avec les viols généralisés) a répondu que la prostitution n'était pas un crime aux termes du Code pénal yougoslave. Un nombre croissant de personnes prostituées, principalement des femmes mais aussi de jeunes garçons et filles, avait commencé à pratiquer la "prostitution cachée" en raison de la situation dramatique du pays, de la pénurie de produits essentiels et de l'absence de perspectives.
772. En ce qui concerne les questions relatives à la situation des femmes et des enfants réfugiés, la représentante a dit que les réfugiés de toutes les régions voisines ravagées par la guerre étaient acceptés par la société et par les familles, indépendamment de leurs origines ethniques, religion ou nationalité. C'était également un principe appliqué par son gouvernement. Se référant à la question de la violence croissante au sein des familles accueillant des réfugiés, elle a dit qu'elle résultait des pénuries de produits essentiels et des difficultés quotidiennes, et n'avaient aucun rapport avec la nationalité et l'origine ethnique des réfugiés et des familles d'accueil. Contrairement à l'opinion répandue, les différences culturelles entre les pays qui constituaient l'ex-Yougoslavie n'étaient pas très marquées et ces nations avaient vécu ensemble dans la paix pendant de nombreuses années.
773. En conclusion, un membre a dit que l'affirmation de la représentante selon laquelle son pays n'avait rien à voir avec les violations des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine était inacceptable.
Conclusions du Comité
774. Le Comité a félicité les représentantes de la République fédérative de Yougoslavie pour avoir présenté leur rapport à titre exceptionnel, en dépit de la situation regrettable qui régnait dans leur pays, et aussi pour avoir fourni des réponses à la plupart des questions posées par les membres du Comité.
775.Le Comité a exprimé sa tristesse devant le sort des femmes de la République fédérative de Yougoslavie et a rappelé qu'il déplorait toujours la violence, sous toutes ses formes, dirigée contre les femmes. Il s'est déclaré préoccupé par l'accroissement de la violence perpétrée contre les femmes du pays par suite des contraintes et des privations que connaissait actuellement la population. Il a fait part de son inquiétude de ce que les femmes souffraient également des conséquences des sanctions qui avaient de graves répercussions sur les soins de santé et la nutrition en particulier. La guerre tragique qui sévissait sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie avait porté atteinte à la dignité des femmes en tant qu'êtres humains, avait fait que de nombreuses femmes sont devenues des réfugiées et avait démontré la vulnérabilité des femmes en temps de conflit.
776. Le Comité en a appelé à toutes les femmes de la République fédérative de Yougoslavie pour qu'elles ne restent pas passives. Les femmes devaient participer pleinement aux niveaux gouvernemental et non gouvernemental pour ce qui était de lancer des initiatives de paix dans le territoire de l'ancienne Yougoslavie. Le Comité a exprimé l'espoir que les femmes engendreraient la volonté politique nécessaire pour obtenir des changements et mettre un terme au conflit. Le Comité comptait sur les initiatives que prendraient les femmes de la République fédérative de Yougoslavie pour mettre fin au conflit tragique.