Présentée par : Ziad Ben Ahmed Habassi (représenté par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie intéressé : Danemark
Date de la communication : 21 mars 1997 (lettre initiale)
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, créé en
application de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Réuni le 17 mars 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 10/1997, soumise au Comité
en vertu de l'article 14 de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Ayant pris en considération tous les renseignements écrits qui lui
avaient été communiqués par l'auteur et par l'État partie,
Tenant compte de l'article 95 de son règlement intérieur, en vertu
duquel il est tenu de formuler son opinion sur la communication dont il
est saisi,
Adopte le texte ci-après :
OPINION
1. L'auteur de la communication est Ziad Ben Ahmed Habassi, un citoyen tunisien
né en 1972 et résidant actuellement à Århus (Danemark). Il affirme être
victime d'une violation par le Danemark du paragraphe 1 d) de l'article
2 et de l'article 6 de la Convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 17 mai 1996, l'auteur s'est rendu dans le magasin "Scandinavian
Car Styling" pour acheter un système d'alarme pour sa voiture. Lorsqu'il
s'est enquis de la procédure à suivre pour obtenir un prêt, on lui a répondu
que "Scandinavian Car Styling" avait un accord avec une banque
locale, la Sparbank Vest, et on lui a donné un formulaire de demande de
prêt qu'il a rempli et remis immédiatement au magasin. Le formulaire contenait,
entre autres, une clause type selon laquelle le demandeur du prêt déclare
être de nationalité danoise. L'auteur, titulaire d'un titre de séjour
permanent au Danemark et marié à une Danoise, a signé le formulaire sans
tenir compte de cette clause.
2.2 Par la suite, la Sparbank Vest a informé l'auteur qu'elle n'autoriserait
le prêt que s'il pouvait présenter un passeport danois ou si c'était sa
femme qui était indiquée comme bénéficiaire. L'auteur a également été
informé du fait que la banque avait pour politique de refuser des prêts
aux personnes qui n'avaient pas la nationalité danoise.
2.3 L'auteur a contacté le Centre de documentation et de conseil en matière
de discrimination raciale (DRC) à Copenhague, un organisme indépendant
qui avait déjà été en contact avec la Sparbank Vest au sujet de sa politique
de prêt à l'égard des étrangers. Dans une lettre datée du 10 janvier 1996,
le DRC a demandé à la Sparbank Vest de lui indiquer les raisons pour lesquelles
elle avait pour politique d'exiger des candidats à un prêt qu'ils déclarent
être de nationalité danoise. Par lettre du 3 mars 1996, la Sparbank Vest
a informé le DRC que le critère de nationalité figurant dans le formulaire
devait être compris comme une simple exigence de résidence permanente
au Danemark. Le DRC a ensuite demandé à la banque combien d'étrangers
avaient effectivement obtenu un prêt. Le 9 avril 1996, la Sparbank Vest
a informé le DRC que ses registres ne précisaient pas si les clients étaient
de nationalité danoise ou ne l'étaient pas et qu'elle ne pouvait donc
pas lui fournir les renseignements demandés. La banque a ajouté que lorsque
le demandeur d'un prêt est étranger, elle évalue la demande en fonction
du caractère temporaire ou non du lien du demandeur avec le Danemark.
La banque disait savoir d'expérience que seul un lien permanent et stable
avec le pays permet de fournir les services nécessaires et d'instaurer
une communication régulière avec le client.
2.4 Le 23 mai 1996, le DRC, au nom de l'auteur, a signalé l'incident concernant
ce dernier aux services de police de Skive, en déclarant que la banque
avait violé la loi danoise sur l'interdiction de différence de traitement
fondée sur la race. Le DRC a adressé par la même occasion à la police
des copies de sa correspondance antérieure avec la banque. Dans une lettre
datée du 12 août 1996, la police a informé le DRC que l'enquête avait
été close en l'absence d'éléments prouvant qu'un acte illégal avait été
commis. Il était indiqué dans la lettre que c'était pour des raisons de
garantie de recouvrement que le formulaire contenait une clause exigeant
que les bénéficiaires du prêt soient de nationalité danoise et que la
banque avait donné l'assurance que cette clause serait supprimée lors
de la réimpression des formulaires.
2.5 Le 21 août 1996, le DRC a déposé une plainte auprès du Procureur
général de Viborg, contestant la décision par laquelle la police avait
estimé que le critère de nationalité était légitime. Il était manifeste
que l'auteur avait des liens permanents avec le Danemark puisqu'il était
marié à une Danoise et qu'il avait un emploi régulier. Le fait que la
banque continuait néanmoins de demander une attestation de nationalité
danoise constituait un acte discriminatoire que ne saurait justifier son
intérêt à garantir le recouvrement de la créance. Le DRC insistait aussi
sur le fait que la Sparbank Vest n'avait fourni aucun renseignement concernant
les clients étrangers, alors que ce point était pertinent pour déterminer
si sa politique de crédit était discriminatoire ou non. Par une lettre
datée du 6 novembre 1996, le Procureur général a informé le Centre qu'il
ne voyait pas de raison de revenir sur la décision de la police.
2.6 L'auteur indique que, conformément à l'article 101 de la loi danoise
sur l'administration de la justice, la décision du Procureur général est
définitive. Il souligne également que les questions relatives à l'engagement
de poursuites contre des personnes sont laissées entièrement à l'appréciation
de la police et que, par conséquent, il ne peut porter l'affaire devant
un tribunal.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil soutient que les faits décrits équivalent à une violation
du paragraphe 1 d) de l'article 2 et de l'article 6 de la Convention,
où il est stipulé que les allégations relatives à des actes de discrimination
doivent faire l'objet d'enquêtes approfondies de la part des autorités
nationales. Dans la présente affaire, ni les services de police de Skive
ni le Procureur général n'ont examiné la question de savoir si la politique
de la banque en matière de prêt constituait une discrimination indirecte
fondée sur l'origine nationale ou la race. Ils auraient dû notamment examiner
les questions suivantes : premièrement, dans quelle mesure les personnes
faisant une demande de prêt étaient priées de présenter leur passeport;
deuxièmement, dans quelle mesure la Sparbank Vest accordait des prêts
à des étrangers et troisièmement dans quelle mesure la Sparbank Vest avait
accordé des prêts à des citoyens danois vivant à l'étranger.
3.2 Le conseil faisait également valoir que dans des cas comme celui à
l'examen, l'application du critère de la résidence pouvait se justifier.
Toutefois, si des prêts étaient effectivement accordés à des Danois qui
n'avaient pas leur résidence permanente au Danemark, le critère de la
nationalité constituerait en fait une discrimination raciale, au sens
du paragraphe 1 de l'article premier de la Convention. Il aurait été particulièrement
indiqué pour la police d'essayer de déterminer si un acte de discrimination,
intentionnel ou non, avait été commis, en violation de la Convention.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et
observations du conseil
4.1 Dans ses observations datées du 28 avril 1998, l'État partie indique
que, d'après le paragraphe 1 de l'article premier de la loi No 626 (loi
sur la discrimination), toute personne qui, dans l'exercice d'activités
professionnelles ou non lucratives, refuse de servir une personne au même
titre que les autres, pour des raisons de race, de couleur, d'origine
nationale ou ethnique, de religion ou d'orientation sexuelle, s'expose
à une amende ou à une peine d'emprisonnement. La violation de cette loi
donne lieu à des poursuites à la diligence du ministère public, ce qui
revient à dire que des particuliers ne peuvent saisir la justice.
4.2 Si le Procureur, estimant qu'aucune infraction n'a été commise ou
qu'il ne sera pas possible de rassembler suffisamment de preuves pour
prononcer une condamnation, clôt l'enquête, la partie lésée peut intenter
une action au civil pour réclamer des dommagesnintérêts pour préjudice
pécuniaire ou non pécuniaire. Dans l'affaire à l'examen, l'auteur ne pourrait
prétendre à des dommagesnintérêts pour préjudice pécuniaire, étant donné
que le prêt a été accordé avec mention de l'épouse de l'auteur comme emprunteur
et de l'auteur comme conjoint. Par contre, l'auteur aurait pu exercer
une action en contestation civile contre la banque en faisant valoir qu'elle
avait agi contrairement à la loi en refusant sa demande de prêt. Ce genre
d'action est reconnu dans la jurisprudence nationale. Ainsi, l'État partie
considère qu'une action au civil était un recours possible que le demandeur
aurait pu exercer et que le nonnexercice de ce recours rend l'affaire
irrecevable.
4.3 L'État partie souligne en outre que l'auteur avait la possibilité
de déposer une plainte auprès de l'Ombudsman du Parlement danois au sujet
de la décision rendue par le Procureur. Le fait que les procureurs fassent
partie de l'administration publique signifie que leurs activités relèvent
du pouvoir de l'Ombudsman d'engager des enquêtes s'ils poursuivent des
objectifs illégaux, s'ils prennent des décisions arbitraires ou non fondées
ou s'ils commettent des erreurs ou omissions de toute autre manière dans
l'exercice de leurs fonctions. En déposant une plainte auprès de l'Ombudsman,
on peut obtenir la réouverture d'une enquête par la police et le Procureur.
4.4 L'État partie soutient par ailleurs que la communication est manifestement
mal fondée en fait. Il a expliqué ses objections dans son évaluation des
faits de la cause.
5.1 Le conseil soutient que l'État partie n'indique pas en vertu de quelle
disposition de la loi danoise sur les délits civils une action au civil
aurait pu être exercée contre la Sparbank Vest. Il suppose que l'État
partie fait référence à l'article 26 de ladite loi. À sa connaissance
toutefois, la justice danoise n'a jamais rendu de décision sur des affaires
de discrimination raciale en se fondant sur cet article. Il n'y a donc
pas de preuve dans la jurisprudence danoise à l'appui de l'interprétation
donnée par l'État partie.
5.2 Le conseil soutient par ailleurs qu'un particulier ne peut être tenu
pour responsable au regard de l'article 26 de la loi que s'il y a eu un
acte portant atteinte à la législation nationale. Or, dans l'affaire à
l'examen, les instances compétentes du ministère public n'ont pas trouvé
de raison suffisante pour ouvrir une enquête; et il aurait donc été très
difficile de convaincre un tribunal de l'existence d'une base sur laquelle
établir la responsabilité de la Sparbank Vest. Cela étant, un recours
théorique fondé sur l'article 26 de la loi danoise sur les délits civils
ne semble pas être un recours utile au sens de la Convention.
5.3 En ce qui concerne la possibilité de déposer une plainte auprès de
l'Ombudsman, le conseil fait observer que cette démarche serait inutile,
les décisions de l'Ombudsman n'étant pas juridiquement contraignantes.
Décision du Comité sur la recevabilité de la communication
6.1 À sa cinquantentroisième session, en août 1998, le Comité a examiné
la recevabilité de la communication. Il a dûment examiné l'affirmation
de l'État partie selon laquelle l'auteur n'aurait pas épuisé les recours
internes, mais il a considéré que les formes d'action civile évoquées
par l'État partie ne sauraient être tenues pour constituer un recours
approprié. La plainte déposée tout d'abord auprès des services de police
puis auprès du Procureur général faisait état de la commission présumée
d'une infraction pénale, et il y était demandé que cette dernière soit
sanctionnée au titre de la loi sur la discrimination en vigueur au Danemark.
Il était impossible de parvenir à cet objectif à travers une action au
civil, laquelle n'aurait donné lieu qu'au versement de dommagesnintérêts.
6.2 Parallèlement, le Comité n'était pas convaincu qu'une action au civil
aurait quelque chance d'aboutir, attendu que le Procureur général n'avait
pas jugé utile d'engager des poursuites pénales pour donner suite à la
plainte déposée par l'auteur. De même, les renseignements portés à la
connaissance du Comité n'établissaient pas vraiment qu'une plainte déposée
auprès de l'Ombudsman entraînerait la réouverture du dossier. De toute
manière, toute décision d'engager des poursuites pénales serait laissée
à l'appréciation du Procureur général. Le plaignant n'aurait alors aucune
possibilité de saisir un tribunal.
6.3 En conséquence, le 17 août 1998, le Comité a déclaré la communication
recevable.
Observations de l'État partie sur le fond
7.1 L'État partie fait observer que M. Habassi a déposé plainte auprès
de la police le 28 mai 1996. Le 12 août 1996, la police a interrogé le
responsable des prêts à la Sparbank Vest, de Skive, qui a été avisée de
la plainte déposée par M. Habassi. Selon le rapport de police, ledit responsable
a déclaré que tous les postulants à un prêt signaient le même type de
formulaire de demande et que l'Association danoise des banques avait décidé
de supprimer l'expression "que je suis de nationalité danoise"
des formulaires lors de la réimpression de ceuxnci. L'enquête n'a pas
été poussée plus loin. Par une lettre datée du 12 août 1996, le Directeur
de la police de Skive a informé le DRC qu'il avait décidé de clore l'enquête
vu que l'on ne pouvait raisonnablement considérer qu'une infraction pénale
passible de poursuites avait été commise. La lettre donnait aussi des
détails sur la possibilité d'engager une action en dommagesnintérêts,
et des directives sur la manière de déposer une telle plainte étaient
jointes à la lettre. Par une lettre datée du même jour, le Directeur de
la police a également informé la Sparbank Vest que l'enquête avait été
close.
7.2 L'État partie rappelle que, le 21 août 1996, le DRC a déposé auprès
du Procureur général du district de Viborg une plainte contestant la décision
du Directeur de la police. Le DRC indiquait dans sa plainte qu'il jugeait
inquiétant que le Directeur de la police semble considérer le critère
de la nationalité motivé par la nécessité d'assurer le recouvrement du
prêt, comme un critère licite. M. Habassi avait un numéro personnel d'immatriculation
et une adresse officielle au Danemark, ce qui en soi aurait dû suffire
à prouver ses liens avec ce pays. Il avait en outre indiqué sur la demande
de prêt qu'il percevait un salaire et avait une épouse danoise. La pratique
de la banque consistant à exiger une attestation de nationalité constituait
un acte discriminatoire qui ne pouvait se justifier par des considérations
de recouvrement de créance.
7.3 Le DRC indiquait aussi que, pour M. Habassi, peu importait que le
refus de la banque fût le résultat d'attitudes négatives à l'égard des
minorités ethniques (dont les membres seraient, par exemple, considérés
comme étant de mauvais payeurs) ou qu'il fût lié à un véritable souci
de recouvrement de créance. Le fait significatif était en l'occurrence
que, bien qu'il eût rempli toutes les conditions requises pour obtenir
un prêt, il avait été exigé de lui (probablement à cause de son nom à
consonance étrangère) qu'il fournisse d'autres pièces. C'étaient donc
les origines moyennorientales de M. Habassi qui étaient la cause du refus
et non l'argument plus formel de la nationalité. La déclaration de la
banque selon laquelle le critère de la nationalité danoise serait supprimé
des formulaires de demande ne changeait rien au fait que M. Habassi avait
subi un traitement différentié illicite contre lequel les autorités danoises
étaient tenues de fournir une protection conformément à la Convention.
7.4 L'État partie rappelle aussi que le Procureur général du district
de Viborg avait estimé qu'il n'y avait aucune raison de revenir sur la
décision du Directeur de la police et avait fait valoir, en particulier,
que ni loi contre la discrimination ni la Convention des Nations Unies
ne faisaient de la nationalité prise isolément un motif de discrimination.
Dans ces conditions, il fallait partir du principe que la discrimination
contre les étrangers ne constituait une violation de la loi que dans la
mesure où elle pouvait être assimilée à une discrimination fondée sur
l'origine ethnique ou l'un des autres motifs énumérés au paragraphe 1
de l'article premier. Si l'on considérait la genèse de la loi, il fallait
supposer que certaines formes de traitement différentié pouvaient être
jugées licites si leur finalité était légitime compte tenu du but de la
loi. Dans le traitement des demandes de prêt, les liens du demandeur avec
le Danemark peuvent avoir leur importance, entre autres pour évaluer la
possibilité de recouvrement de la créance. De ce point de vue, les données
relatives à la nationalité du demandeur avaient une justification objective.
7.5 L'État partie fait valoir que dans cette affaire, l'enquête de police
répond au critère que l'on peut déduire de la Convention et de la pratique
du Comité. Selon la loi sur l'administration de la justice, la police
ouvre une enquête lorsqu'il est raisonnable de supposer qu'une infraction
pénale passible de poursuites a été commise. Cette enquête a pour but
de déterminer si les conditions nécessaires à la constitution d'une responsabilité
pénale ou à l'imposition d'autres sanctions pénales ont été remplies.
La police rejette la plainte lorsqu'elle ne voit pas de raison d'ouvrir
une enquête. Lorsqu'il n'y a pas de raison de poursuivre une enquête déjà
ouverte, la décision de clore cellenci est aussi du ressort de la police,
pour autant qu'aucun chef d'accusation provisoire n'a été prononcé.
7.6 De l'avis de l'État partie, il n'y a aucune raison de critiquer les
décisions du Directeur de la police et du Procureur général, qui ont été
prises après qu'une enquête a été effectivement menée à bien. La police
a pris la plainte au sérieux et sa décision n'était pas infondée. Cette
décision a été prise sur la base non seulement des renseignements donnés
par l'auteur, notamment la correspondance écrite avec la banque concernant
la politique de cellenci en matière de crédit, mais également sur des
entretiens avec l'auteur et un responsable des prêts de la banque.
7.7 L'État partie rappelle que le Comité, dans son opinion relative à
la communication 4/1991, a déclaré que "lorsque des menaces de violence
raciale sont proférées, en particulier en public et par un groupe de personnes,
l'État partie a le devoir d'enquêter rapidement et diligemment" (1).
L'État partie fait toutefois remarquer que l'affaire à l'étude est d'une
tout autre nature et que le Comité ne saurait raisonnablement poser les
mêmes exigences en matière d'enquête que dans ladite opinion. Même si
le critère du devoir qu'a la police "d'enquêter rapidement et diligemment"
devait s'appliquer dans le cas d'espèce, où une réponse positive a été
donnée à la demande de prêt, l'État partie considère que ce critère a
été satisfait. La plainte déposée n'a certes pas donné lieu à des poursuites
mais la manière dont la police l'a traitée a permis à l'auteur de bénéficier
d'une protection et de voies de recours effectives au sens du paragraphe
1 d) de l'article 2 et de l'article 6 de la Convention.
7.8 L'État partie soutient en outre qu'il n'y a guère plus de raison de
critiquer l'analyse juridique du Procureur. Il relève à cet égard que
tout traitement différencié ne constitue pas nécessairement une discrimination
illicite au sens de la Convention. Dans sa Recommandation générale XIV
concernant le paragraphe 1 de l'article premier de la Convention, le Comité
a déclaré qu'"un traitement différencié ne constitue pas un acte
de discrimination si, comparé aux objectifs et aux buts de la Convention,
les critères de différenciation sont légitimes (...) En examinant les
critères qui auront pu être appliqués, le Comité prendra acte que certaines
mesures peuvent avoir plusieurs objectifs. Pour savoir si une mesure a
un effet contraire à la Convention, il se demandera si elle a une conséquence
distincte abusive sur un groupe différent par la race, la couleur, l'ascendance
ou l'origine nationale ou ethnique." Les décisions tant du Directeur
de la police que du Procureur général étaient à l'évidence fondées sur
le fait qu'un traitement différencié dont le but est légitime et qui respecte
le critère de proportionnalité ne constitue pas une discrimination interdite.
7.9 Enfin, l'État partie rejette l'argument de l'auteur selon lequel la
police est seule juge de la question de savoir si elle doit engager des
poursuites contre les particuliers et il n'y aurait aucune possibilité
de porter l'affaire devant les tribunaux danois. En premier lieu, il est
possible de se plaindre au Procureur général de district compétent; en
deuxième lieu, l'auteur avait la possibilité d'engager une action civile
contre la banque; et en troisième lieu, il avait la possibilité de se
plaindre à l'Ombudsman. Une plainte déposée auprès de l'Ombudsman peut
avoir pour effet une réouverture de l'enquête par la police et le Procureur.
Observations du Conseil
8.1 Le conseil soutient que la police a interrogé l'auteur mais n'a eu
qu'une brève conversation téléphonique avec la banque. Aucune enquête
détaillée n'a été menée, par exemple, sur les conditions exigées des Danois
vivant à l'étranger. La police n'a pas du tout examiné si l'affaire constituait
une discrimination indirecte au sens de la Convention. Or, le Comité,
dans ses conclusions relatives à la communication 4/1991, a insisté sur
le devoir qui incombe aux États parties d'enquêter convenablement sur
les incidents de discrimination raciale qui leur sont signalés.
8.2 L'État partie déclare que le critère de la nationalité danoise était
à considérer uniquement par rapport à l'analyse des liens avec le Danemark
de la personne qui demande un prêt, en corrélation, donc, avec les risques
de recouvrement judiciaire ultérieur du montant du prêt en cas d'insolvabilité.
Le conseil souligne qu'au vu du rapport de police, cette raison n'avait
pas été mentionnée par le responsable des prêts de la Sparbank Vest. Ledit
rapport indique que l'assistant de police E. P. avait pris contact avec
le Directeur du Service des prêts de la Sparbank Vest, qui estimait que
la banque n'avait rien fait d'illégal dans l'affaire de la demande de
prêt en question, puisque tous les demandeurs de prêt signaient le même
type de formulaire comportant la mention "que je suis de nationalité
danoise". La banque n'avait donné aucune raison particulière justifiant
cette pratique. Elle n'avait pas, en particulier, fait état d'un critère
de résidence découlant du risque lié au recouvrement des créances. Il
semble donc que la raison invoquée a été inventée de toutes pièces par
la police de Skive. Même si cette raison avait été invoquée par la banque
ellenmême, elle semble éminemment sans rapport avec la question de savoir
si les exigences de la Convention ont été satisfaites.
8.3 La nationalité danoise n'est à l'évidence pas une garantie contre
le risque de recouvrement judiciaire ultérieur de la créance lorsque l'emprunteur
et un ressortissant danois vivent, par exemple, en Tunisie. En fait l'application
du critère de la nationalité pour la raison donnée par la police tendrait
fortement à indiquer qu'une discrimination indirecte fondée sur des considérations
interdites par la Convention a été commise. Le risque de recouvrement
judiciaire ultérieur justifierait plutôt le critère de la résidence. Or,
s'agissant de ce dernier critère, le conseil appelle l'attention du Comité
sur une lettre datée du 6 avril 1995, adressée au DRC, dans laquelle le
Ministre des entreprises (Erhvervsministeren) émet l'avis qu'une
politique de crédit en vertu de laquelle les prêts ne seraient accordés
qu'aux personnes qui habitent le Danemark depuis au moins cinq ans serait
contraire aux règles en vigueur en matière de discrimination. L'auteur
conclut que la police n'a pas du tout essayé d'éclaircir avec la banque
la question de la véritable raison pour laquelle le critère de la nationalité
est appliqué.
8.4 Le conseil dit que, selon l'État partie, les décisions du Directeur
de la police et du Procureur se fondaient sur le fait qu'un traitement
différencié dont le but est légitime et qui respecte le critère de proportionnalité
ne constitue pas une discrimination interdite. Le conseil fait toutefois
valoir que les autorités n'ont en fait pas examiné si la banque poursuivait
un but légitime, et que dans les affaires où une discrimination est alléguée,
la décision d'engager ou non des poursuites doit être prise après une
enquête approfondie sur ces allégations.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité a examiné l'affaire de l'auteur à la lumière de toutes
les déclarations et pièces justificatives présentées par les parties,
conformément au paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention et à
l'article 95 de son règlement intérieur. Il fonde ses conclusions sur
les considérations cinaprès.
9.2 On a souvent besoin de moyens financiers pour s'intégrer plus facilement
dans la société. Il est donc important de pouvoir accéder au marché des
prêts et de pouvoir demander un prêt financier aux mêmes conditions que
la majorité de la population.
9.3 Dans l'affaire à l'examen, l'auteur s'est vu refuser un prêt par une
banque danoise au seul motif qu'il n'avait pas la nationalité danoise,
le critère de nationalité lui ayant été présenté comme étant motivé par
la nécessité d'une garantie de recouvrement de créance. De l'avis du Comité,
toutefois, la nationalité n'est pas la condition exigible la plus pertinente
lorsqu'on enquête sur l'intention d'une personne de rembourser un prêt
ou sa capacité à le faire. La résidence permanente du demandeur ou l'endroit
où il a son emploi, ses biens ou ses liens familiaux sont probablement
plus pertinents en l'occurrence. Un citoyen peut s'installer à l'étranger
ou avoir tous ses biens dans un autre pays et échapper ainsi à toute tentative
de recouvrement de créance. En conséquence, le Comité estime qu'il convient,
en se fondant sur le paragraphe d) de l'article 2 de la Convention, d'enquêter
dûment sur les véritables raisons qui sousntendent la politique en matière
de prêt suivie par la banque à l'égard des résidents étrangers, pour vérifier
si des critères pouvant donner lieu à une discrimination raciale, au sens
de l'article premier de la Convention, sont appliqués.
9.4 Le Comité note que l'auteur, considérant que l'incident constituait
une infraction à la loi danoise sur la discrimination, l'a signalé à la
police. La police, en premier lieu, puis le Procureur général de Viborg
ont accepté les explications fournies par un représentant de la banque
et décidé de ne pas approfondir. De l'avis du Comité, cependant, les moyens
mis en oeuvre par la police et le Procureur général pour déterminer si
un acte de discrimination raciale avait été commis ont été insuffisants.
10. Dans ces conditions, le Comité estime que l'auteur a été privé d'une
voie de recours effective, au sens de l'article 6 de la Convention, compte
tenu du paragraphe d) de l'article 2.
11.1 Le Comité recommande à l'État partie de prendre des mesures pour
lutter contre la discrimination raciale sur le marché des prêts.
11.2 Le Comité recommande en outre à l'État partie d'accorder réparation
ou satisfaction au requérant dans la mesure du préjudice subi.
12. Conformément au paragraphe 5 de l'article 95 de son règlement intérieur,
le Comité invite l'État partie à l'informer, en tant que de besoin et
en temps voulu, de toute mesure pertinente qu'il aura prise pour donner
effet aux recommandations formulées aux paragraphes 11.1 et 11.2.
[Fait en anglais et traduit en espagnol, français et russe.]
1. // L.K. c. Pays-Bas, CERD/C/42/D/4/1991, par. 6.6.