Présentée par : Anna Koptova (représentée par un conseil)
Au nom de : L'auteur
État partie intéressé : République slovaque
Date de la communication : 15 décembre 1998 (lettre initiale)
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, créé en application
de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale,
Réuni le 8 août 2000
Ayant achevé l'examen de la communication No 13/1998, soumise au Comité
en vertu de l'article 14 de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Ayant pris en considération tous les renseignements écrits qui lui avaient
été communiqués par l'auteur et l'État partie,
Tenant compte de l'article 95 de son règlement intérieur, en
vertu duquel il est tenu de formuler son opinion sur la communication dont
il est saisi,
Adopte le texte ci-après :
Opinion
1. L'auteur de la communication est Anna Koptova, citoyenne slovaque de souche
rom. Elle est directrice du Bureau de défense juridique des minorités ethniques
de la Fondation Good Romany Fairy Kesaj de Kosice. Elle affirme être victime
de violations, par la République slovaque, des articles 2, 3, 4, 5 et 6 de
la Convention. Elle est représentée par l'European Roma Rights Center, organisation
non gouvernementale ayant son siège à Budapest.
1.2 Conformément au paragraphe 6 a) de l'article 14 de la Convention, le
Comité a porté la communication à l'attention de l'État partie le 25 mars
1999.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur rapporte qu'en 1981, sept familles roms des villages slovaques
de Rovne et Zbudske Dlhe étaient venues travailler dans une coopérative
agricole se trouvant dans la commune de Krasny Brod. Peu après leur arrivée,
toutes ces familles ont demandé et obtenu le bénéfice d'une loi slovaque
(No 135/1982) qui leur permettait d'établir leur domicile permanent dans
ce qui constitue aujourd'hui les communes de Nagov et de Rokytovce, lesquelles
faisaient à l'époque partie de Krasny Brod. La coopérative ayant cessé de
fonctionner à la fin de 1989, ces familles roms ont perdu leur emploi, et
comme elles n'étaient logées à la coopérative que pour autant qu'elles y
travaillaient, elles ont dû quitter les lieux. Dès leur départ, les autorités
ont fait démolir les écuries qu'elles avaient occupées.
2.2 Ces familles sont revenues en mai 1991 dans les municipalités de Rokytovce
et Nagov, où elles étaient légalement inscrites. Pendant les six années
qui ont suivi, elles ont sporadiquement habité dans des logements provisoires
concédés à contre-cur par les autorités du canton de Medzilaborce, en butte
à l'hostilité de l'administration et de la population locales, dont l'attitude
les a à plusieurs reprises contraintes à partir précipitamment. Le service
social du canton a donc mis à leur disposition entre mai et décembre 1991
une caravane en location. Les familles ont réuni l'argent nécessaire, mais
aucun des villages (Krasny Brod, Cabiny, Sukov, Rokytovce, Nagov, Cabalovce)
n'a accepté que la caravane soit installée sur le territoire de leur commune;
en 1993 à Cabiny, les villageois ont démoli les logements de fortune que
les familles avaient bâtis. Tout au long de cette période, celles-ci allaient
fréquemment d'une commune à l'autre, à la recherche d'un foyer durable et
sûr.
2.3 Lorsqu'au printemps 1997, les familles ont de nouveau dressé des logements
provisoires sur des terrains agricoles qu'elles avaient loués à Cabiny,
les autorités des villages environnants se sont réunies pour discuter de
la situation. Le maire de Cabiny a dit que les Roms s'étaient mis dans l'illégalité
en venant dans son village, dont la population, a-t-il averti, pourrait
avoir une réaction négative. Les maires de Cabalovce et de Nagov ont accepté
d'accueillir les Roms sans abri. Le conseil municipal de Rokytovce, village
dont le maire n'avait pas assisté à la réunion, par un arrêté en date du
8 juin 1997, a expressément interdit à ces familles roms de s'établir dans
la municipalité, les avertissant qu'elles seraient expulsées si elles tentaient
de le faire; il était dit en outre dans l'arrêté que les Roms ne faisaient
pas partie de la population de Rokytovce, puisqu'ils n'avaient jamais habité
ni élu domicile dans la municipalité depuis qu'en 1990 celle-ci s'était
constituée par la scission de Krasny Brod. La municipalité de Nagov a elle
aussi interdit aux familles, par l'arrêté No 22 du 16 juillet 1997, de pénétrer
dans le village ou de bâtir des abris sur le territoire de la municipalité,
spécifiant expressément qu'il s'agissait là d'une interdiction permanente.
2.4 Le 21 juillet 1997, on a mis le feu aux logements construits et occupés
à Cabiny par les familles roms. Le ou les auteurs du méfait n'ont toujours
pas été identifiés et rien n'indique que les autorités judiciaires aient
entrepris d'élucider les circonstances de l'incident.
2.5 La Fondation de défense juridique de Kosice a demandé par écrit au
Procureur de Bratislava de déterminer si les arrêtés Nos 21 et 22 pris respectivement
par les conseils municipaux de Rokytovce et de Nagov étaient conformes à
la loi, soutenant que lesdits arrêtés constituaient des actes de "discrimination
officielle" contre les Roms, qui portaient atteinte aux droits de libre
circulation et de libre choix du domicile et au droit à la protection contre
les traitements discriminatoires. Les services du Procureur général ont
informé le 19 septembre 1997 la Fondation que le dossier avait été transmis
au Procureur du comté de Humenné.
2.6 La Fondation a déposé le 24 novembre 1997 devant la Cour constitutionnelle
de la République slovaque une requête en annulation des deux arrêtés précités,
au motif que ceux-ci portaient atteinte non seulement aux libertés et droits
fondamentaux des Roms ayant leur domicile permanent dans les municipalités
considérées mais aussi aux droits et libertés des Roms en général, et même
aux droits et libertés de la Fondation, qui ne pouvait pas défendre devant
les autorités locales les intérêts des membres de cette communauté. La Fondation
ajoutait que neuf familles roms qui avaient leur domicile permanent dans
les deux villages avaient été contraintes de partir et que les arrêtés établissaient
une interdiction générale qui visait tous les Roms, aucun membre de cette
communauté n'étant désormais autorisé à entrer sur le territoire de ces
municipalités. La Fondation a demandé l'annulation des deux arrêtés car
ils attentaient au droit à la non-discrimination, à la libre circulation
et au libre choix du lieu de résidence, de même qu'aux droits particuliers
des minorités garantis par la Constitution slovaque.
2.7 La Cour constitutionnelle, par une décision en date du 18 décembre
1997, a débouté la Fondation, considérant que celle-ci, étant une personne
morale, ne pouvait pas être atteinte dans les droits constitutionnels qu'elle
invoquait, qui ne s'appliquaient qu'aux personnes physiques. Les services
du Procureur du district de Humenné ont fait savoir le 29 décembre 1997
à la Fondation qu'à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle,
ils avaient suspendu l'enquête concernant les arrêtés contestés.
2.8 Le 5 mai 1998, Mme Koptova ainsi que M. Miroslav Lacko, autre employé
de la Fondation de Kosice, et Jean Lacko, un des Roms dont les logements
avaient été détruits dans l'incendie du 21 juillet 1997, ont conjointement
saisi la Cour constitutionnelle, contestant l'arrêté de la municipalité
de Nagov au motif que cet acte restreignait illégalement le droit de circuler
librement et de choisir sa résidence d'un groupe de personnes en raison
uniquement de son appartenance à la communauté rom. En outre, Jan Lacko,
qui avait son domicile permanent à Nagov, était atteint dans ses droits
à la libre circulation, au libre choix du domicile, à l'égalité de traitement
sans distinction de race ou d'appartenance ethnique et au libre choix de
la nationalité, tous droits garantis par la Constitution slovaque, et qu'il
en allait de même pour tous les autres Roms de Slovaquie, dont Mme Koptova.
Une personne qui avait son domicile permanent à Rokytovce, Julia Demeterova,
et un autre membre des familles dont les logements avaient été détruits
ont de leur côté saisi la Cour constitutionnelle, le même jour, contestant
l'arrêté de la municipalité de Rokytovce pour les mêmes motifs.
2.9 La Cour constitutionnelle, par des avis rendus le 16 juin 1998, a rejeté
les deux requêtes dans les deux cas, pour les mêmes motifs : elle a considéré
que Jan Lacko n'avait présenté aucun élément prouvant que l'arrêté pris
par la municipalité de Nagov avait été appliqué d'une manière portant atteinte
à ses droits de résident permanent dans cette municipalité, et a estimé
que les droits de Miroslav Lacko et de Mme Koptova n'avaient pas été violés
car rien n'indiquait que ces personnes, qui n'avaient pas leur domicile
permanent à Nagov, aient l'une ou l'autre essayé d'entrer sur le territoire
de la municipalité ou de s'y installer et que la population du village ait
tenté de les en empêcher; de même la Cour a estimé que Julia Demeterova
n'avait pas prouvé que l'arrêté pris par la municipalité de Rokytovce avait
été appliqué d'une manière qui portait atteinte à ses droits de résidente
permanente dans cette municipalité.
2.10 Anna Koptova n'est jamais allée à Rokytovce ou à Nagov depuis que
ces deux municipalités ont pris les arrêtés contestés, car elle craint,
étant elle-même d'origine rom, de subir des actes de violence en y entrant.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que plusieurs droits qui lui sont garantis par la
Convention ont été violés, notamment les suivants :
- Paragraphe 1 a) de l'article 2. Les arrêtés contestés émanent d'autorités
et institutions publiques. En les maintenant en vigueur, la République slovaque
a commis des actes de discrimination raciale à l'encontre de l'auteur et
des autres Roms et manqué à son obligation de faire en sorte que toutes
les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales,
ne se livrent à aucun acte ou pratique de discrimination raciale.
- Paragraphe 1 c) de l'article 2. En maintenant les arrêtés en vigueur,
la République slovaque a manqué à son obligation de prendre des mesures
pour revoir les politiques gouvernementales, nationales et locales et pour
modifier, abroger ou annuler toute loi et disposition réglementaire ayant
pour effet de créer ou de perpétuer une situation de discrimination raciale.
- Article 3. Les arrêtés désignent formellement et publiquement l'auteur
et d'autres personnes par leur identité ethnique/raciale présumée et les
singularisent en vue d'un traitement spécial, approuvant ainsi expressément
une politique de ségrégation raciale et d'apartheid. En refusant de les
annuler, la République slovaque manque à son obligation de prévenir, d'interdire
et d'éliminer toute pratique discriminatoire sur le territoire relevant
de sa juridiction.
- Article 4 c). En maintenant en vigueur ces arrêtés, la République slovaque
a manqué à son obligation de ne pas permettre aux autorités et institutions
publiques, nationales ou locales, d'inciter ou d'encourager à la discrimination
raciale, dirigée en l'occurrence contre l'auteur et d'autres Roms.
- Article 5 d) i). Les arrêtés interdisent expressément à l'auteur et
à d'autres personnes de pénétrer sur le territoire des deux municipalités,
cela uniquement parce qu'ils sont roms. En prenant ces mesures d'interdiction
et en les maintenant, la République slovaque porte atteinte au droit de
l'auteur à la libre circulation et au libre choix de son lieu de résidence.
- Article 6. L'auteur de la communication a porté plainte auprès des
organes chargés d'appliquer les lois au niveau local et a saisi la Cour
constitutionnelle, mais ses requêtes ont chaque fois été rejetées. L'avis
rendu le 16 juin 1998 par la Cour constitutionnelle constitue la décision
finale des juridictions internes. La loi ne permettant pas d'en appeler,
tous les recours internes ont donc été épuisés.
3.2 L'auteur affirme être victime des violations susmentionnées aux fins du
paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention. Elle peut raisonnablement considérer
que les deux arrêtés s'appliquent à elle personnellement (et qu'il en va de
même, en fait, pour tous les Roms de Slovaquie). Elle voudrait pouvoir se
rendre librement à Nagov et à Rokytovce, par exemple pour y poursuivre l'action
de sa fondation. Or, elle n'a pas pénétré sur le territoire de ces municipalités
depuis que les arrêtés ont été pris parce qu'elle craignait notamment de se
les voir appliquer. Elle pense qu'en désignant formellement et publiquement
par le terme "Rom" des personnes non spécifiées et en les distinguant
en vue d'un traitement spécial et dommageable, ces arrêtés l'ont exposée,
en tant que Rom, à un traitement dégradant (1).
3.3 L'auteur affirme en outre que pour apprécier sa qualité de "victime",
le Comité devrait se laisser guider par la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme selon laquelle une personne qui estime qu'elle risque
d'être lésée directement par une loi, peut contester celle-ci au motif qu'elle
constitue en soi une atteinte à ses droits fondamentaux, même en l'absence
de toute mesure individuelle d'application à son encontre.
3.4 Bien que l'auteur n'ait pas et n'ait jamais eu son domicile dans les
municipalités considérées, elle fait partie du groupe de personnes qui est
expressément visé, et lésé, par ces arrêtés. Aussi bien le texte des deux
arrêtés que le climat d'hostilité aux Roms qui a présidé à leur adoption
laissent raisonnablement penser que les risques de préjudice inhérents à
ces deux arrêtés B à savoir leur application par la force, en cas de violation
B sont effectivement importants.
3.5 L'auteur affirme enfin que la question ne fait actuellement l'objet
d'aucun examen dans le cadre d'une autre procédure internationale d'enquête
ou de règlement, bien qu'elle note que la Cour européenne des droits de
l'homme a été saisie, au nom d'autres personnes, d'une affaire distincte
concernant les événements donnant lieu à la présente communication.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité
4.1 L'État partie, dans ses observations datées du 23 juin 1999, conteste
la recevabilité de la communication. Il informe le Comité que, le 8 avril
1999, le conseil municipal de Nagov et celui de Rokytovce ont tenu des réunions
extraordinaires, auxquelles a assisté le Procureur de district de Humenné,
et ont décidé d'abroger l'arrêté No 22 du 16 juin 1997 et l'arrêté No 21
du 8 juin 1997, respectivement. L'État partie conclut donc que la communication
n'a plus de raison d'être.
4.2 L'État partie affirme, en outre, que la Cour européenne des droits
de l'homme a été saisie d'une affaire concernant des actes de discrimination
raciale qui auraient été commis contre des Roms par suite de l'adoption
des arrêtés susmentionnés. Bien que les requérants ne soient pas les mêmes,
l'objet de ces deux affaires est identique.
4.3 Selon l'État partie, le Procureur de district de Humenné a convoqué
les habitants roms de Rokytovce par des lettres recommandées datées du 20
novembre 1997. Cependant, les intéressés ne se sont pas présentés au Bureau
du Procureur et n'ont donc pas coopéré à l'établissement des faits.
4.4 L'État partie souligne aussi que l'auteur n'a pas épuisé les recours
internes. Tout d'abord, la Cour constitutionnelle a rejeté la requête présentée
par le Bureau de défense juridique des minorités ethniques au motif qu'en
tant que personne morale, le Bureau ne pouvait pas porter plainte pour une
violation de droits fondamentaux reconnus à des personnes physiques. La
Cour a cependant également noté que sa décision était sans préjudice du
droit des personnes physiques de porter plainte pour une violation de leurs
droits fondamentaux causée par des décisions d'organes administratifs nationaux
ou locaux. Sur la base de cette décision de la Cour, le Procureur de district
de Humenné a informé l'auteur que l'affaire la concernant serait classée.
L'auteur n'a pas fait appel de la décision du Procureur de district bien
qu'un tel recours fût possible en vertu de la loi 314/1996 relative au ministère
public.
4.5 Quant à la décision du 16 juin 1998, par laquelle la Cour constitutionnelle
a rejeté la requête déposée par l'auteur le 5 mai 1998, l'État partie affirme
que rien n'empêchait l'auteur de soumettre à la Cour constitutionnelle une
nouvelle requête en présentant des preuves de la violation de ses droits
constitutionnels ou en faisant ressortir un lien de causalité entre la violation
de ses droits et la décision du conseil municipal.
4.6 L'État partie affirme également que l'auteur aurait pu se prévaloir
du recours prévu à l'article 13 du Code civil, selon lequel toute personne
peut demander la protection de l'État contre toute violation de son intégrité
et obtenir une réparation appropriée; en cas de réparation insuffisante,
en raison principalement de la gravité de l'atteinte à la dignité ou à la
respectabilité sociales, la victime a droit à une indemnisation dont la
Cour déterminera le montant selon qu'il conviendra.
4.7 L'État partie affirme en outre que les arrêtés pris par les conseils
municipaux de Nagov et Rokytovce n'ont jamais été appliqués. Durant le temps
où ils sont restés en vigueur, les membres de la minorité rom n'ont subi
aucun acte de violence et les Roms se sont déplacés à l'intérieur des limites
de ces deux municipalités sans restriction. Les Roms enregistrés en tant
que résidents permanents dans ces municipalités au moment où lesdits arrêtés
ont été adoptés ont continué de jouir de ce statut.
4.8 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle plusieurs dispositions
de la Convention, dont le paragraphe 1 a) de l'article 2, auraient été violées,
l'État partie indique que, conformément aux paragraphes 1 et 2 de l'article
premier de la loi No 369/1990 Coll. du Conseil national slovaque relative
au système municipal, la municipalité est une collectivité territoriale
autonome de la République slovaque et toute ingérence dans ses domaines
de compétence et/ou imposition de responsabilités ne peut avoir lieu qu'en
vertu d'une loi. Les deux arrêtés adoptés par les conseils municipaux des
municipalités de Nagov et de Rokytovce ne concernaient ni l'exécution de
tâches administratives nationales relevant de l'administration publique
générale ni des questions de sécurité et d'ordre public transférées aux
municipalités. Les municipalités auraient donc pu être soumises au dispositif
de contrôle et de supervision prévu en pareil cas au paragraphe 2 de l'article
71 de la Constitution.
4.9 L'auteur n'a jamais essayé de s'établir dans l'une ou l'autre de ces
municipalités, d'y acquérir ou d'y louer un logement ou d'y travailler.
Elle n'a pas cherché à se rendre dans lesdites municipalités pour s'enquérir
des motifs de la promulgation des deux arrêtés. Elle n'a fourni au Comité
ou aux autorités nationales intéressées aucun élément de preuve tendant
à montrer qu'elle avait essayé de se rendre dans lesdites municipalités
ou avait été empêchée de le faire.
Observations du conseil
5.1 Dans une communication datée du 2 août 1999, le conseil soutient que
même si les arrêtés contestés ont été abrogés, la communication reste recevable.
5.2 Tout d'abord, l'auteur reste une "victime" au sens de l'article
14 de la Convention. Le Comité pourrait se référer à cet égard à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, selon laquelle un plaignant
demeure une "victime" à moins que les conditions suivantes ne
soient réunies : i) les tribunaux internes ont reconnu l'existence d'une
violation, quant au fond, de droits énoncés dans la Convention européenne;
ii) le plaignant a obtenu réparation pour les dommages subis en raison des
dispositions fautives; et iii) le plaignant a obtenu réparation au sujet
d'une plainte selon laquelle les dispositions incriminées n'auraient, en
premier lieu, jamais dû être prises.
5.3 Dans la présente affaire, aucune de ces conditions n'a été remplie
: i) à aucun moment l'auteur n'a été informé par les tribunaux internes
que les arrêtés constituaient une violation du droit interne, de la Constitution
slovaque, de la Convention ou de tout autre traité ou instrument juridique
international protégeant les droits de l'homme; ii) à aucun moment, l'auteur
n'a reçu réparation pour les dommages qui lui avaient été causés par le
fait que les autorités avaient promulgué puis maintenu en vigueur pendant
presque deux ans les arrêtés en cause; iii) à aucun moment l'auteur n'a
reçu réparation à la suite de sa plainte selon laquelle les arrêtés n'auraient,
à en premier lieu, jamais dû être adoptés. En conséquence, le conseil estime
que l'auteur est une "victime" au sens de l'article 14 et que
la question de l'abrogation des arrêtés ne présente d'intérêt qu'aux fins
des suggestions et recommandations que le Comité pourrait adresser à l'État
partie à l'issue de l'affaire.
5.4 Outre les arguments ci-dessus, le conseil fait valoir que le Comité
devrait en tout cas examiner la plainte de l'auteur pour des raisons d'"intérêt
général". Le Comité devrait être compétent pour examiner les communications
présentant un caractère d'intérêt général ou public même dans les cas exceptionnels
où la qualité de victime n'a pas été établie. Une affaire concernant la
promulgation et le maintien en vigueur d'arrêtés interdisant à toute une
minorité ethnique de résider ou pénétrer dans une municipalité constitue
précisément le genre de situation dans laquelle la règle de l'"intérêt
général" peut être invoquée.
5.5 S'agissant de l'argument de l'État partie selon lequel la Cour européenne
des droits de l'homme est également saisie d'une plainte portant sur la
même question, le conseil fait valoir que l'auteur en a déjà informé le
Comité. Cela dit, la plainte déposée auprès de la Cour européenne par trois
autres personnes à raison de violations de la Convention européenne ne devrait
aucunement empêcher l'auteur de présenter au Comité une communication distincte
affirmant que les arrêtés en cause violent la Convention. Le conseil se
réfère à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme allant dans ce
sens.
5.6 En outre, même si l'auteur avait déposé une demande distincte auprès
de la Cour européenne des droits de l'homme au sujet de la même question,
aucune disposition de la Convention n'interdit expressément au Comité d'examiner
une affaire en cours d'examen devant un autre organe international.
5.7 Le fond et l'intention de la Convention et de la Convention européenne
sont entièrement différents. La plainte dont la Cour européenne est saisie
évoque des violations de certaines dispositions de la Convention européenne,
notamment de l'interdiction d'infliger des traitements inhumains et dégradants
et du droit de circuler librement et de choisir son domicile. Elle demande,
entre autres, à la Cour européenne de déclarer que certaines dispositions
de la Convention européenne ont été violées et d'accorder une juste réparation.
Dans la présente communication, en revanche, l'auteur dénonce des violations
distinctes de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (qui, plus que la Convention européenne,
met l'accent sur les devoirs et obligations positifs des États parties de
ne pas exercer de discrimination fondée sur la race, la couleur ou l'origine
nationale) et demande au Comité de formuler des suggestions et recommandations
concernant l'obligation du Gouvernement de réparer les violations alléguées.
Les plaintes qui ont été déposées de façon simultanée auprès du Comité et
de la Cour européenne à propos de questions analogues sont fondées sur des
bases juridiques distinctes et visent à obtenir des solutions juridiques
différentes. Elles ne constituent donc pas des plaintes concurrentes.
5.8 Le conseil conteste par ailleurs l'argument de l'État partie selon
lequel les recours internes n'ont pas été épuisés. Il fait valoir que dans
la jurisprudence internationale relative aux droits de l'homme, les recours
internes qu'il faut avoir épuisés s'entendent de ceux qui sont disponibles,
efficaces et suffisants. Une voie de recours est réputée disponible si le
plaignant peut en user sans difficulté; elle est considérée comme efficace
si le recours a des chances d'aboutir, et elle est suffisante si elle peut
permettre au plaignant d'obtenir réparation. L'intéressé n'est pas tenu
d'user d'une voie de droit qui n'est pas disponible, efficace ou suffisante.
5.9 Tout d'abord, il n'y a pas de recours efficace dans l'État partie dans
les cas de discrimination raciale. Dans ses observations finales, datées
du 4 août 1997, concernant la République slovaque, le Comité des droits
de l'homme a relevé l'absence d'organes indépendants chargés d'examiner
les plaintes des victimes de discrimination de quelque sorte que ce soit.
La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) a également
noté l'absence de voies de recours juridiques efficaces contre la discrimination
raciale dans l'État partie.
5.10 En second lieu, l'auteur a bien épuisé tous les recours disponibles.
Comme il est expliqué dans la communication initiale, la Fondation de défense
juridique de Kosice a soumis la question au Bureau du Procureur général
et demandé un examen de la légalité des arrêtés contestés. À la suite d'une
demande, la Fondation a communiqué au Procureur de district de Humenné les
noms de cinq personnes de Nagov et de quatre autres de Rokytovce qui estimaient
avoir fait l'objet de discrimination en raison des deux arrêtés. Peu après,
la Fondation a demandé à la Cour constitutionnelle d'annuler les deux arrêtés
en cause. La Cour a rejeté cette requête au motif qu'en tant que personne
morale, la Fondation ne pouvait pas être atteinte dans les droits constitutionnels
qu'elle invoquait puisque ces droits étaient destinés à protéger seulement
les personnes physiques. À la suite de cette décision, le Bureau du Procureur
de district a décidé de suspendre son enquête puisqu'il n'était pas compétent
pour examiner les décisions de la Cour constitutionnelle. C'est à la suite
de cette décision que la présente communication a été soumise au Comité.
5.11 Le 30 mars 1999, le Secrétaire général départemental du Cabinet du
Gouvernement de la République slovaque a informé le conseil que le Bureau
du Procureur général examinait les arrêtés et que, si ces derniers étaient
jugés illégaux, une recommandation tendant à leur annulation serait présentée
à la Cour constitutionnelle, seul organe judiciaire compétent pour annuler
des arrêtés de conseils municipaux, en vue de garantir le respect du droit
interne et du droit international. Le 31 mai 1999, le conseil a été informé
par le Président du Comité des droits de l'homme et des minorités nationales
de la République slovaque que les arrêtés avaient été abrogés.
5.12 Quant à l'affirmation de l'État partie selon laquelle le requérant
n'aurait pas coopéré à l'enquête, le conseil affirme, que le requérant ait
répondu ou non à une convocation du Procureur général, que le Procureur
était tenu, en vertu du droit interne et international, d'examiner la plainte.
Le seul cas où le Procureur n'y est pas tenu est celui où la non-comparution
d'un requérant à la suite d'une convocation ferait entrave à l'enquête;
autrement dit, si le témoignage du requérant est indispensable aux fins
de l'enquête, cette exception ne s'applique manifestement pas en l'occurrence,
puisque la non-comparution présumée du requérant n'a pas constitué une entrave
à la poursuite de l'enquête menée par le Procureur, sur la conformité des
arrêtés avec les normes internes ou internationales relatives aux droits
de l'homme. En dépit de cette non-comparution présumée, les autorités ont
poursuivi leur enquête jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle fasse connaître
sa décision.
5.13 L'État partie n'a relevé aucune raison de croire que les services
du Procureur, après avoir rejeté la plainte, seraient parvenus à un résultat
différent s'ils avaient été saisis, une seconde fois, d'une plainte identique,
en l'absence de nouveaux éléments de fait ou de droit. En outre, sur la
base de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il est douteux que
le Procureur ait la compétence judiciaire voulue pour remédier aux violations
de la Convention alléguée. En fait, dans la lettre précitée qu'il a envoyée
au conseil le 30 mars 1999, le Gouvernement a lui-même déclaré que le seul
recours efficace et disponible dans la présente affaire était un recours
auprès de la Cour constitutionnelle. Le Gouvernement a ainsi admis qu'une
plainte au Procureur général n'était pas un recours efficace et disponible
puisque les services du Procureur n'étaient pas un organe judiciaire.
5.14 Le conseil conteste également l'argument de l'État partie selon lequel
une action civile en vertu de l'article 11 du Code civil constituerait un
recours efficace. Les dispositions applicables du Code civil régissent les
relations entre personnes privées, alors que les arrêtés en cause ne se
rapportaient pas aux droits des particuliers. Les municipalités qui ont
pris ces arrêtés ne sont pas des entités de droit privé et le Code civil
n'est donc pas applicable en la matière.
5.15 Même si un recours civil efficace avait été disponible, il aurait
été insuffisant dans la mesure où, dans la République slovaque, un tribunal
civil n'a pas le pouvoir juridique d'accorder une réparation suffisante
pour les violations de la Convention subies par le requérant. Les tribunaux
civils ne peuvent pas en effet : i) poursuivre, sanctionner ou punir autrement
les conseillers municipaux responsables de discrimination raciale; ii) déclarer
que l'existence des arrêtés considérés constituait une pratique de discrimination
raciale et qu'une telle pratique est inacceptable et illégale; iii) déclarer
que l'existence desdits arrêtés constituait une violation des droits de
l'homme énoncés dans des instruments internationaux relatifs aux droits
de l'homme que la République slovaque est tenue de respecter; iv) accorder
une réparation à un plaignant qui fait valoir que les dispositions fautives
n'auraient pas dû être adoptées en premier lieu; v) annuler les arrêtés.
De surcroît, l'auteur ne saurait être tenu d'épuiser que les recours raisonnablement
censés être utiles.
5.16 S'agissant de la seconde requête présentée à la Cour constitutionnelle
par l'auteur à titre individuel, l'État partie prétend que l'auteur n'a
pas fourni la preuve d'une tentative de pénétrer sur les territoires des
municipalités considérées et qu'elle aurait dû présenter une nouvelle requête.
Selon le conseil, ces arguments sont dénués de fondement. Dans la mesure
où la Cour constitutionnelle avait déjà rejeté plusieurs requêtes distinctes
concernant les mêmes arrêtés, la suggestion selon laquelle l'auteur aurait
dû présenter une requête de plus à la même instance qui avait déjà rejeté
sans ambiguïté sa demande, est illogique et dénuée de tout fondement juridique.
5.17 Quant au défaut de preuve, le conseil réitère ses arguments concernant
la qualité de "victime" de l'auteur et suggère que, pour déterminer
cette qualité, le Comité devrait se laisser guider par la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle une personne
qui estime qu'elle risque d'être lésée directement par les effets d'une
loi peut contester celle-ci au motif qu'elle constitue en soi une atteinte
à ses droits fondamentaux, même en l'absence de toute mesure individuelle
d'application à son encontre. Il n'est pas nécessaire que l'auteur démontre
qu'elle a été placée dans une position défavorable. Elle a été personnellement
affectée par les arrêtés pour les raisons suivantes :
Traitement inhumain et dégradant. L'auteur a personnellement subi un traitement
dégradant, un préjudice émotionnel direct, des atteintes à sa dignité humaine
et des humiliations à cause des deux arrêtés, ce que n'a pas effacé leur
abrogation ultérieure. Il n'est donc pas déraisonnable que la plaignante,
comme toute autre personne de souche rom vivant en Slovaquie, estime avoir
été personnellement lésée et publiquement humiliée d'une manière différente
de l'indignation morale qui peut être ressentie par le citoyen non rom,
même le plus compatissant;
Soumission à des restrictions indues de ses libertés individuelles. L'auteur
a été affectée par la menace de l'utilisation éventuelle de la violence;
on l'a empêchée de pénétrer à Nagov et à Rokytovce ou de s'installer à proximité,
ce qui a porté atteinte à son droit de libre circulation et à son droit
de circuler librement et de choisir son domicile; et on l'a empêchée d'avoir
des contacts personnels avec des personnes habitant à proximité de Nagov
et de Rokytovce, ce qui a porté atteinte à son droit à la vie privée;
C. L'auteur a été en outre directement affectée par l'existence des arrêtés,
à cause de l'atmosphère de discrimination raciale qu'ils ont créée autour
d'elle.
5.18 L'État partie affirme que les municipalités qui ont pris les arrêtés
ne sont pas des "autorités publiques" ou des "institutions
publiques" et qu'une municipalité est "une collectivité territoriale
autonome de la République slovaque". Le conseil réfute cette façon
de voir, en ce qui concerne tout au moins la responsabilité du Gouvernement
d'assurer le respect de la Convention. Plusieurs dispositions de la Constitution
et de la loi No 369/1990 relative au système municipal indiquent qu'il existe
des relations directes entre l'État et les municipalités, relations qui
font clairement ressortir que les municipalités sont des "autorités
publiques" ou des "institutions publiques". Le Comité a lui-même
déclaré, dans sa recommandation générale XV sur l'article 4 de la Convention,
que les obligations des "autorités publiques" en vertu de la Convention
s'imposent aux municipalités. Bien que les municipalités puissent être des
"collectivités territoriales autonomes", elles n'en demeurent
pas moins des organes publics faisant partie de l'administration publique
et elles sont donc des institutions publiques au sens du paragraphe 1 a)
de l'article 2 de la Convention.
5.19 Quant au fait que les arrêtés ont été abrogés, ces abrogations n'ont
pas été des "mesures efficaces" au sens du paragraphe 1 c) de
l'article 2 puisqu'elles ont été déraisonnablement retardées. Avant leur
abrogation, les arrêtés ont effectivement violé la disposition susmentionnée.
5.20 Le fait que les arrêtés n'ont pas donné lieu à des poursuites et condamnations
pénales ne signifie pas qu'ils n'ont pas violé la Convention. Ils visaient
en partie à dissuader tout Rom intéressé de se rendre dans les municipalités
en cause, et ont eu manifestement cet effet. Le fait qu'aucun Rom n'a osé
passer outre aux arrêtés tend à indiquer que la promulgation et le maintien
en vigueur pendant presque deux ans de ces arrêtés ont suffit à intimider
les Roms et ont donc porté atteinte à leurs droits en vertu de la Convention.
5.21 Le conseil présente enfin des observations émanant d'organisations
qui surveillent les actes de violence et de discrimination à motivation
raciale commis par les autorités contre les Roms dans l'État partie.
Considérations relatives à la recevabilité
6.1 À sa cinquante-cinquième session, le Comité a examiné la question de
la recevabilité de la communication. Il a dûment examiné les affirmations
de l'État partie selon lesquelles la communication devrait être déclarée
irrecevable pour plusieurs raisons.
6.2 Premièrement, l'État partie a soutenu que les arrêtés adoptés par les
conseils municipaux en cause avaient été abrogés et que, par conséquent,
la communication n'avait plus de raison d'être. Le Comité a noté toutefois
qu'en dépit de leur abrogation, les arrêtés étaient restés en vigueur, de
juillet 1997 à avril 1999. Il devait donc établir si, pendant cette période,
des violations de la Convention avaient eu lieu par suite de leur promulgation.
6.3 Deuxièmement, l'État partie a fait valoir que la Cour européenne des
droits de l'homme avait été saisie d'une affaire similaire. Le Comité a
noté à ce propos que l'auteur de la présente communication n'avait pas,
quant à elle, saisi la Cour européenne et que, même si elle l'avait fait,
ni la Convention ni le règlement intérieur n'empêchaient le Comité d'examiner
une affaire qui était également examinée par une autre instance internationale.
6.4 Troisièmement, le Comité n'a pas partagé l'avis de l'État partie selon
lequel les recours internes n'avaient pas été épuisés, et il a estimé que
ni la présentation d'une nouvelle requête à la Cour constitutionnelle ni
une action civile ne constituaient des recours utiles en l'espèce.
6.5 Quatrièmement, le Comité a été d'avis, contrairement à l'État partie,
que l'auteur pouvait être considéré comme une "victime" au sens
du paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention, dès lors qu'elle faisait
partie d'un groupe de population directement visé par les arrêtés en question.
6.6 Enfin, le Comité a estimé que les conseils municipaux qui avaient adopté
les arrêtés en question étaient des autorités publiques aux fins de l'application
de la Convention.
6.7 Le Comité a noté que toutes les autres conditions relatives à la recevabilité
énoncées à l'article 91 du règlement intérieur avaient été remplies. En
conséquence, il a décidé, le 26 août 1999, que la communication était recevable.
Il a en outre décidé qu'afin de permettre au Comité d'examiner l'affaire
sous tous ses aspects, l'État partie et l'auteur devraient lui faire parvenir
des renseignements sur la législation interne et les recours visant à protéger
le droit de chacun, sans distinction de race, de couleur, d'origine nationale
ou ethnique, de circuler librement et de choisir son lieu de résidence à
l'intérieur de l'État, conformément à l'article 5 d) i) de la Convention.
Observations supplémentaires de l'État partie
7.1 L'État partie admet que l'enquête ouverte par les services du Procureur
de district de Humenné à la suite de la plainte était incomplète, puisqu'elle
n'avait pas porté sur le fond. Néanmoins, le Bureau de défense juridique
des minorités ethniques n'a pas, comme il en avait la possibilité légale,
demandé l'examen de la légalité des arrêtés en question. Une plainte fondée
sur le paragraphe 1 de l'article 11 de la loi No 314/1996 Coll. (2)
relative au ministère public aurait pu être déposée auprès de l'organe de
poursuites ou encore un recours en inconstitutionnalité des arrêtés en question
aurait pu être déposé par le Procureur général devant la Cour constitutionnelle.
Vu que le Bureau de défense juridique n'a pas fait usage des possibilités
susmentionnées, les organes nationaux ou régionaux de poursuites n'ont pas
su quelle suite le Procureur de district de Humenné avait donnée à la requête.
L'État partie insiste sur le fait que l'ordre juridique slovaque prévoit
des moyens de protection juridique efficaces, applicables, généralement
disponibles et suffisants contre les discriminations.
7.2 L'État partie reconnaît que l'adoption des arrêtés en question en 1997
a créé une situation illégale qui s'est prolongée jusqu'à ce que ces arrêtés
soient abrogés en 1999. Cependant, pendant que ces arrêtés étaient en vigueur,
il n'est survenu aucune violation des droits de l'homme puisque ces arrêtés
n'ont été appliqués à l'encontre de qui que ce soit. À ce propos, la Cour
constitutionnelle a estimé que les requérants n'avaient pas prouvé que leurs
droits et libertés avaient été violés (3).
7.3 L'État partie soutient en outre qu'il n'y a eu en l'espèce aucune violation
directe du droit de circuler librement et de choisir sa résidence, garanti
par l'alinéa d) i) de l'article 5 de la Convention. L'ordre juridique de
la République slovaque garantit l'égalité des citoyens devant la loi (4).
La liberté de circulation et de résidence est également garantie à toutes
les personnes résidant sur le territoire de l'État partie indépendamment
de leur citoyenneté (5). La liberté de résidence s'entend du droit
des citoyens de choisir leur lieu de résidence sans aucune restriction.
Ce droit ne peut être limité qu'en application d'une sanction pénale. L'interdiction
de résidence ne peut être infligée que pour les crimes intentionnels seulement,
et elle ne peut pas être appliquée à des mineurs ni porter sur le lieu de
résidence permanente du délinquant. Les restrictions à la liberté de circulation
et de résidence ne peuvent être imposées que par une loi du Parlement, et
en aucun cas par une décision du Gouvernement ou d'autres organes de l'administration
publique.
Observations du conseil
8.1 Le conseil note que l'État partie reconnaît que les arrêtés en question
étaient illégaux. Dès lors, les seules questions pertinentes sur lesquelles
le Comité doit se prononcer sont, premièrement, celle de savoir si l'auteur
est une victime aux fins de la procédure de plainte prévue par la Convention,
et, deuxièmement, si l'abrogation ultérieure des arrêtés affecte la validité
de la plainte déposée devant le Comité.
8.2 Dans sa décision concernant la recevabilité, le Comité a déjà répondu
à la première question lorsqu'il a indiqué que l'auteur pouvait être considérée
comme une "victime" au sens du paragraphe 1 de l'article 14 de
la Convention car elle faisait partie d'un groupe de la population directement
visé par les arrêtés en question (6). Le Comité a également répondu
à la seconde question lorsqu'il a noté qu'en dépit de leur abrogation, les
arrêtés étaient restés en vigueur de juillet 1997 à avril 1999 et qu'il
devait examiner si, pendant cette période, des violations de la Convention
avaient été commises par suite de leur promulgation (7).
8.3 Enfin, le conseil affirme qu'il a déjà répondu dans ses conclusions
du 2 août 1999 aux points soulevés par l'État partie dans ses observations
quant au fond.
Renseignements supplémentaires communiqués par l'État partie
9.1 À la demande du Comité, l'État partie lui a fourni copie des comptes
rendus des réunions des conseils municipaux de Rokytovce et Nagov contenant
le texte des arrêtés Nos 21 et 22.
9.2 Le compte rendu concernant l'arrêté No 21 dit ce qui suit :
"La réunion extraordinaire a été convoquée au vu du procès-verbal [de
la réunion] des maires des communes de Cabina, Nagov, Cabalovce, Krasny
Brod et Rokytovce à propos de citoyens roms sans abri du district de Medzilaborce.
Après avoir lu et étudié le procès-verbal, les membres du Conseil municipal
ont pris position sur la question considérée comme suit :
Les conseillers ont catégoriquement affirmé et ils déclarent que les
Roms intéressés ne sont pas vraiment des citoyens de Rokytovce mais des
immigrants en provenance des villages de Rovné et Zbudské. En 1981, une
famille s'était installée à Krásny Brod pour travailler à la JRD (Coopérative
agricole unifiée)...
En 1981, ces personnes s'étaient vu accorder le statut de résidents permanents
par l'ancien secrétaire du Comité national municipal de Krásny Brod, car
Rokytovce n'existait pas alors comme commune indépendante et faisait seulement
partie de celle de Krásny Brod. Cette famille fut officiellement enregistrée/recensée
comme occupant une maison à titre de locataire...
En 1989, cette famille rom a déménagé pour s'installer à Sukov (?), où
il y avait du travail pour ses membres.
Après la constitution en 1990 de Rokytovce en commune indépendante, les
citoyens de souche rom n'y ont plus vécu; ils n'y ont pas non plus demandé
l'établissement de leur domicile permanent. De ce fait, nous ne les comptons
pas parmi les habitants de la commune.
Sur la base des constatations tirées des inscriptions au Registre du
logement, il a été établi que sur les cinq candidats roms au retour dans
la commune de Rokytovce, deux seulement y ont leur résidence permanente,
à savoir Júlia Demetrová et Valéria Demetrová.
Le Conseil municipal a déclaré en conclusion que dans le cas où les Roms
s'installeraient de force dans la commune, ils en seraient expulsés avec
l'aide de tous les citoyens."
9.3 L'arrêté No 22 du 16 juillet 1997, modifié par arrêté No 27/98, indique
ce qui suit : "Le Conseil municipal ne peut accepter l'hébergement des
citoyens roms sur le territoire de la commune de Nagov, car ils n'ont ni titre
de propriété, ni origine, ni logement, ni emplois dans ladite commune."
Délibérations du Comité
10.1 Ayant reçu le texte intégral des arrêtés 21 et 22, le Comité estime
que quoique lesdits arrêtés visent explicitement les Roms domiciliés précédemment
dans les municipalités concernées, le contexte dans lequel ils ont été adoptés
indique clairement que d'autres Roms auraient été également empêchés de
s'y établir, ce qui constituait une violation de l'article 5 d) i) de la
Convention.
10.2 Le Comité note néanmoins que les arrêtés en cause ont été annulés
en avril 1999. Il note en outre que le droit de circuler librement et de
choisir sa résidence est garanti par l'article 23 de la Constitution de
la République slovaque.
10.3 Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires
afin de s'assurer que toutes les pratiques entravant le droit des Roms relevant
de sa juridiction de circuler librement et de se choisir une résidence soient
totalement et promptement éliminées.
Notes
1. Pour parvenir à cette conclusion, l'auteur s'appuie sur la jurisprudence
de la Commission européenne des droits de l'homme, en particulier sur sa décision
dans l'affaire des Asiatiques de l'Afrique de l'Est c. Royaume-Uni,
où la Commission a estimé que la législation en matière d'immigration contestée
avait publiquement soumis les requérants à la discrimination raciale et constitué
une atteinte à leur dignité humaine constituant un "traitement dégradant"
au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales.
2. En vertu du paragraphe 1.2 de l'article 30 de cette loi, le Procureur
contrôle, de sa propre initiative ou à la suite d'une requête, la procédure
ou les décisions prises par les organismes administratifs publics et les
décisions prises par un tribunal ou un organe de poursuites, d'enquête ou
de police. L'auteur de la requête peut exiger un contrôle de la légalité
de l'action ainsi menée en présentant une nouvelle requête à l'organe supérieur.
En vertu de l'article 11 de la même loi, les procureurs doivent contester
les textes de loi ayant force obligatoire pour tous, les règlements municipaux
obligatoires, les directives, les amendements, les arrêtés, d'autres actes
juridiques et décisions d'organes administratifs publics concernant des
individus, qui violent la loi. Si la contestation est adressée à l'organe
qui a pris la décision, celui-ci peut soit annuler la décision contestée,
soit la remplacer par une décision conforme à la loi. Si cet organe n'accepte
pas pleinement la contestation, il est tenu d'en saisir un organe supérieur
ou de surveillance. Le procureur peut présenter une nouvelle contestation
si la première a été rejetée.
3. Voir par. 2.9.
4. Le paragraphe 2 de l'article 12 de la Constitution stipule que les droits
et les libertés fondamentales de tous sont garantis sans distinction de
sexe, de race, de couleur, de langue, de croyance et de religion, d'opinion
politique et de toute autre opinion, d'appartenance à une minorité nationale
ou ethnique, etc. L'article 33 stipule que nul ne peut être pénalisé en
raison de son appartenance à une minorité nationale ou à un groupe ethnique.
L'article 34 prévoit que l'épanouissement, notamment le droit d'avoir, en
commun avec d'autres membres d'une minorité nationale ou d'un groupe ethnique,
sa propre vie culturelle, de diffuser et de recevoir des informations dans
sa langue maternelle, de s'associer dans des associations nationales, et
de fonder et faire fonctionner des institutions éducatives et culturelles
est garanti à tout citoyen appartenant à une minorité nationale ou à un
groupe ethnique.
5. Article 23 de la Constitution.
6. Voir par. 6.5.
7. Voir par. 6.2.