Présentée par : D. S.
Au nom de : La requérante
État partie : Suède
Date de la communication : 24 décembre 1998
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, institué en application de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
Réuni le 10 août 2001,
Adopte la décision ci-après :
1. La requérante (lettre initiale datée du 24 décembre 1998) est D. S., citoyenne suédoise d'origine tchécoslovaque, née en 1947, résidant actuellement à Solna (Suède). Elle affirme être victime de violations par la Suède du paragraphe 2 de l'article 2, des alinéas e) et i) de l'article 5 et de l'article 6 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. La requérante n'est pas représentée par un conseil.
Rappel des faits présentés par la requérante
2.1 En mai 1998, le Conseil national des affaires culturelles (Statens kulturråd) a publié une offre d'emploi pour pourvoir un poste de statisticien dans ses services. Le Conseil exigeait que les candidats aient un diplôme universitaire en statistique complété par des connaissances en sociologie ou en économie par exemple et par une expérience dans le domaine de la recherche statistique. Parmi les autres qualifications requises figuraient la capacité de bien s'exprimer oralement et par écrit et une connaissance de la vie culturelle et de la politique en Suède. Les candidats devaient être consciencieux, de bons pédagogues et capables de travailler seuls et en équipe.
2.2 Au total, ont fait acte de candidature 89 personnes, dont la requérante
et L. J. Le 30 juin 1998, le Conseil a décidé de nommer L. J. La requérante
a formé un recours contre cette décision auprès de l'administration et a réclamé
des dommages pour discrimination.
2.3 Le 1er octobre 1998, l'administration a rejeté le recours de la requérante
sans indiquer les motifs de sa décision. La requérante a aussitôt formé un recours
contre cette décision. En décembre 1998, elle a été déboutée au motif que la
décision de l'administration en date du 1er octobre n'était pas susceptible
de recours et qu'aucun autre facteur ne justifiait le réexamen de sa requête.
2.4 La requérante a également déposé une plainte auprès de l'Ombudsman chargé
de la lutte contre la discrimination ethnique, mais ce dernier a refusé de donner
suite à sa requête parce qu'il la considérait infondée. En outre, le syndicat
auquel la requérante était affiliée a refusé de la représenter pour la même
raison. L'Ombudsman a informé la requérante que si elle n'était pas d'accord
avec sa décision et celle du syndicat, il lui était possible d'adresser une
requête au tribunal de district. La requérante affirme qu'elle a épuisé tous
les recours internes car il ne lui servirait à rien de demander réparation au
tribunal de district après le refus de l'Ombudsman de donner suite à sa plainte
au motif qu'elle était infondée.
Teneur de la plainte
3.1 La requérante affirme que le refus du Conseil national des affaires culturelles de donner suite à sa candidature constitue un acte de discrimination à son encontre de la part de la Suède du fait de son origine nationale et de son statut d'immigrante. À cet égard, elle s'élève contre la décision du Conseil d'accorder l'emploi en question à L. J., qu'elle considère moins qualifié qu'elle pour le poste visé.
3.2 La requérante se plaint d'une manière générale du fait qu'un nombre restreint
d'immigrants sont employés en Suède et affirme que cela est dû à la discrimination
pratiquée à l'égard des non-Suédois. Elle déclare que le Gouvernement n'a pris
aucune mesure pour améliorer la situation des immigrants faisant partie de la
population active en Suède et estime qu'il devrait prendre des dispositions
palliatives telles que l'établissement de quotas pour le recrutement d'immigrants
aux postes de haut niveau afin que ceux d'entre eux qui ont fait des études
supérieures puissent travailler.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et commentaires de la requérante
4.1 Dans les observations qu'il a formulées en vertu de l'article 92 du Règlement intérieur du Comité, l'État partie conteste la recevabilité de la communication.
4.2 L'État partie note que les instruments pertinents de protection juridique
contre la discrimination raciale sont la Constitution, la loi sur l'emploi dans
la fonction publique et la loi contre la discrimination ethnique. La Constitution
énonce le principe fondamental en vertu duquel l'autorité des pouvoirs publics
est exercée dans le respect de l'égalité de tous (art. 2, chap. 1). Les tribunaux,
les autorités publiques et les autres services administratifs s'acquittent de
leurs fonctions dans le respect de l'égalité de tous devant la loi et font preuve
d'objectivité et d'impartialité. En matière de nomination dans l'administration
publique, seuls sont pris en compte les facteurs objectifs tels que l'expérience
et la compétence.
4.3 La loi sur l'emploi dans la fonction publique réaffirme le principe énoncé
dans la Constitution en vertu duquel les facteurs essentiels dont il doit être
tenu compte en matière de nomination dans l'administration sont l'expérience
et la compétence. En règle générale, la compétence l'emporte sur l'expérience.
Les autorités doivent prendre également en considération des facteurs objectifs
en rapport avec les buts relatifs à l'ensemble du marché du travail, l'égalité
des chances et les politiques sociales et de l'emploi. Les autorités administratives
ne sont pas tenues de motiver leurs décisions concernant les postes vacants
à pourvoir comme elles le doivent normalement dans les autres cas. Cette exception
a pour but d'épargner aux candidats qui n'ont pas été retenus l'évaluation négative
que cela impliquerait. En vertu de l'article 35 de l'ordonnance sur les organismes
et institutions publics, des recours contre les décisions des autorités administratives
peuvent être formés devant l'autorité compétente. Un recours contre une décision
du Conseil national des affaires culturelles peut aussi être formé devant l'administration
en vertu de l'article 5 de l'ordonnance de 1988 relative au Conseil national
des affaires culturelles.
4.4 Les conflits du travail peuvent être également jugés en vertu de la loi
contre la discrimination ethnique, qui interdit la discrimination dans l'emploi.
En vertu de cette loi, il faut entendre par discrimination ethnique le fait
de traiter une personne ou un groupe de personnes inéquitablement par rapport
à d'autres ou de les soumettre, de quelque manière que ce soit, à un traitement
injuste ou insultant au motif de la race, de la couleur, de l'origine nationale
ou ethnique ou de la conviction religieuse.
4.5 En application de la loi contre la discrimination ethnique, le Gouvernement
a nommé un ombudsman chargé de la lutte contre la discrimination ethnique, qui
a pour mission de combattre la discrimination ethnique sur le marché du travail
ou dans d'autres domaines de la vie sociale. L'Ombudsman doit fournir une assistance
à toute personne victime de discrimination ethnique et l'aider à défendre ses
droits. Il doit aussi veiller à ce que des candidats à un emploi ne fassent
pas l'objet d'une discrimination ethnique.
4.6 Cette loi, qui s'applique à l'ensemble du marché du travail, a deux grands
objectifs. Le premier est d'interdire la discrimination à l'encontre de candidats
à des postes vacants; il concerne donc le cas à l'examen. L'autre est d'interdire
le traitement discriminatoire des employés. La disposition relative au traitement
des candidats à un emploi stipule que tout employeur doit traiter tous les candidats
à un poste sur un pied d'égalité et ne peut nommer l'un d'entre eux en traitant
les autres injustement au motif de leur race, de leur couleur, de leur origine
nationale ou ethnique, ou de leurs convictions religieuses (art. 8); en d'autres
termes seuls les facteurs objectifs doivent entrer en ligne de compte. Tout
employeur qui viole l'interdiction de discrimination peut être condamné à verser
des dommages intérêts au candidat victime de discrimination.
4.7 En vertu de l'article 16 de la loi contre la discrimination ethnique, les
cas de discrimination en matière d'emploi sont traités conformément à la loi
sur le règlement des conflits du travail. Les conflits sont examinés en première
instance et en dernier ressort par un tribunal du travail si l'action en justice
est intentée par une organisation patronale ou une organisation de travailleurs
ou par l'Ombudsman. L'affaire est examinée et tranchée par un tribunal de district
si l'action est intentée par un employeur à titre individuel ou par un candidat
à un emploi. Des recours contre les jugements rendus par les tribunaux de district
peuvent être formés devant le Tribunal du travail, qui est l'instance de dernier
ressort.
4.8 L'État partie fait valoir que la requérante n'a pas épuisé les recours internes
disponibles, comme l'exige le paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention.
Il affirme qu'elle a certes déposé une plainte auprès de l'Ombudsman chargé
de la lutte contre la discrimination ethnique mais n'a pas contesté devant le
tribunal de district (avec possibilité de recours devant le Tribunal du travail)
la décision de ne pas la nommer au poste qu'elle briguait. L'État partie fait
observer que la requérante savait qu'il lui était possible de contester la décision
devant un tribunal de district mais a jugé inutile de le faire au motif que
« la loi contre la discrimination ethnique sur le marché du travail n'est pas
applicable en pratique lorsqu'un immigrant, qui n'est pas nommé à un poste en
dépit du fait qu'il était le plus qualifié, ne dispose pas de preuves directes
attestant qu'il a été victime d'une discrimination ». À cet égard, l'État partie
fait valoir que rien n'indique que le cas à l'examen n'aurait pas été dûment
examiné par le tribunal de district et que de simples doutes quant à l'efficacité
d'un tel recours ne dispensent pas la requérante de l'obligation de s'en prévaloir.
5.1 En réponse aux observations de l'État partie, la requérante réaffirme qu'elle
a épuisé tous les recours internes utiles disponibles. Elle indique qu'elle
n'a pas intenté une action auprès du tribunal de district parce que son syndicat
et l'Ombudsman ont refusé d'entamer une procédure en son nom au motif que ses
allégations étaient infondées. En outre, la requérante fait observer que l'Ombudsman
n'a jusqu'ici intenté que trois actions en vertu de la loi de 1994 contre la
discrimination raciale, sans obtenir une seule fois gain de cause. Pour cette
raison, elle pense que, dans les circonstances de la cause, un recours auprès
du tribunal aurait été inefficace. Elle signale en outre que la loi elle-même
a depuis lors été modifiée parce qu'elle était considérée inefficace. La requérante
indique également qu'elle aurait certes bénéficié d'une aide judiciaire pour
une partie des frais que lui aurait occasionné sa requête auprès du tribunal
de district mais qu'en raison de sa situation financière elle aurait été incapable
de s'acquitter du solde1.
5.2 La requérante procède d'autre part à une comparaison entre son niveau d'instruction
et son expérience et celle de la personne qui a obtenu l'emploi en question
afin de démontrer qu'elle était la candidate la plus qualifiée pour le poste
et que si elle ne l'avait pas obtenu c'était parce qu'elle était d'origine tchécoslovaque.
La discrimination dont elle a été victime est, selon elle, également mise en
évidence par le fait que son employeur prospectif n'a pas tenu compte de l'expérience
qu'elle avait acquise dans son pays d'origine.
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité pour
l'élimination de la discrimination raciale doit décider, en application du paragraphe
7 a) de l'article 14 de la Convention, si la communication est ou non recevable.
6.2 Le Comité note que, selon l'État partie, les demandes de la requérante sont
irrecevables pour non-épuisement des recours internes, celle-ci n'ayant pas
contesté devant le tribunal de district la décision de ne pas la nommer au poste
vacant. La requérante a répondu qu'elle ne l'avait pas fait parce que son syndicat
avait refusé de la représenter et parce qu'aussi bien son syndicat que l'Ombudsman
estimaient que sa réclamation n'était pas fondée. La requérante a aussi déclaré
ultérieurement que, même si elle avait bénéficié d'une aide judiciaire pour
le paiement d'une partie des frais liés à une telle procédure, elle n'aurait
pas eu les moyens de s'acquitter du solde. Elle affirme que de toute manière,
un tel recours était voué à l'échec, la législation applicable étant déficiente.
6.3 Le Comité conclut que, quelques réserves qu'ait pu avoir la requérante quant
à l'efficacité de la législation en vigueur en matière de prévention de la discrimination
raciale sur le marché du travail, il lui incombait d'exercer les recours disponibles,
y compris en saisissant le tribunal de district. Le Comité rappelle que des
doutes sur l'efficacité de tels recours ne sauraient dispenser un plaignant
de les exercer. Quant à l'argument de la requérante selon lequel elle ne disposait
pas de ressources suffisantes pour intenter une action devant le tribunal de
district, le Comité relève qu'elle aurait bénéficié d'une aide judiciaire pour
présenter sa demande, et ne peut donc conclure que les frais encourus auraient
constitué un grave empêchement dispensant la requérante de l'obligation d'épuiser
les recours internes.
6.4 À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que la requérante n'a pas
satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention.
7. En conséquence, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale
décide :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à la requérante.