Présentée par: F. A.
Au nom de: L'auteur
État partie: Norvège
Date de la communication: 12 avril 2000
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, institué
en application de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Réuni le 21 mars 2001,
Adopte la décision ci-après:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication, M. F. A., déclare être victime d'une violation
de la Convention par la Norvège. Il est représenté par l'organisation non
gouvernementale OMOD (Organisasjonen Mot Offentlig Diskriminering), qui
a porté la situation générale à l'attention du Comité le 6 décembre 1999.
Dans une lettre datée du 12 avril 2000, OMOD a présenté des informations
supplémentaires et a formellement demandé que le Comité examine la communication
au titre de l'article 14 de la Convention. La communication a été portée
à l'attention de l'État partie le 13 septembre 2000.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur a déclaré être allé à l'agence immobilière «Eiendoms Service»
et avoir versé à celle-ci une commission qui lui donnait le droit d'avoir
accès aux listes de logements vacants. En consultant ces listes, il s'était
aperçu que la moitié à peu près des annonces mentionnait clairement que
les personnes appartenant à certains groupes étaient indésirables comme
locataires. Les offres étaient ponctuées de mentions telles que «Étrangers
s'abstenir», «Blancs seulement», «Norvégiens ayant un emploi permanent
seulement».
2.2 Le 28 juin 1995, l'auteur a informé la police d'Oslo de cette situation
et a demandé que des poursuites soient engagées contre la propriétaire
de l'agence en vertu de l'article 349 a du Code pénal norvégien,
qui se lit comme suit:
«Quiconque refuse, dans le cadre de son activité professionnelle ou d'une
activité analogue, de fournir des biens ou des services à une personne,
aux mêmes conditions qu'il le fait pour les autres, en raison de la religion,
de la race, de la couleur de la peau ou de l'origine nationale ou ethnique
de cette personne, est passible d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement
d'une durée maximum de six mois...
La même peine est applicable à quiconque incite autrui à commettre
un acte visé au paragraphe précédent ou est complice d'un tel acte de
quelque façon que ce soit.»
2.3 La police a pris plus de deux ans pour enquêter sur cette affaire. Pendant
ce temps, aucun agent n'est allé à l'agence immobilière en question afin
de recueillir des preuves. Finalement, le 3 décembre 1997, la police a infligé
à la propriétaire de l'agence une amende de 5 000 couronnes norvégiennes
(NKr), ou sinon une peine de 10 jours de prison, pour infraction à l'article
349 a du Code pénal. Cette décision était fondée sur le fait que,
pendant la période allant de décembre 1995 à janvier 1996, la propriétaire
avait, par l'intermédiaire de son entreprise, Eiendoms Service, vendu des
listes de logements à louer dans lesquelles il était indiqué que certains
logements n'étaient accessibles qu'aux Norvégiens ayant un emploi régulier.
2.4 La propriétaire a fait appel de cette décision auprès du tribunal
municipal d'Oslo qui, dans un jugement prononcé le 15 juillet 1998, l'a
acquittée. Un appel de ce jugement a été déposé auprès de la Haute Cour,
qui l'a rejeté le 18 janvier 1999. La Haute Cour a noté que, même si la
situation relevait de l'article 349 a du Code pénal, la propriétaire
avait agi dans l'ignorance de la loi. L'affaire a fait l'objet d'un nouvel
appel devant la Cour suprême de Norvège qui, dans un arrêt daté du 27
août 1999, a déclaré que les actes en question n'étaient pas visés par
l'article 349 a et a rejeté l'appel.
Teneur de la plainte
3. L'auteur affirme que les faits invoqués constituent une violation
par l'État partie des droits qui lui sont reconnus en vertu de l'article
premier, paragraphe 1, de la Convention.
Observations de l'État partie
4.1 Par une communication du 13 décembre 2000, l'État partie conteste
la recevabilité de la communication. Il affirme que l'auteur n'a pas présenté
sa communication dans les délais fixés à l'article 91 f du Règlement
intérieur du Comité. Cette disposition se lit comme suit: «Afin de décider
de la recevabilité d'une communication, le Comité … s'assure: …f)
que la communication est soumise, sauf circonstances exceptionnelles dûment
constatées, dans les six mois suivant l'épuisement de tous les recours
internes disponibles». L'arrêt de la Cour suprême a été rendu le 27 août
1999. L'auteur, qui était un employé d'OMOD, en a eu connaissance le jour
même. La communication aurait donc dû être adressée au Comité le 27 février
2000 au plus tard.
4.2 L'État partie affirme que la lettre d'OMOD datée du 6 décembre 1999
est strictement de caractère général et ne contient rien qui permette
de la considérer comme une communication émanant d'une victime présumée
de violation ou présentée au nom d'une telle victime. Le nom de l'auteur
n'y est même pas mentionné. L'attention du Comité y est effectivement
appelée sur l'arrêt de la Cour suprême en date du 27 août 1999, mais cela
ne suffit pas à faire de cette lettre une communication émanant d'un particulier.
De surcroît, l'auteur n'était pas partie à l'action pénale qui a été engagée
sur la base des accusations de caractère général portées par OMOD et n'avait
aucun lien avec les violations dont M. F. A. aurait été victime. De plus,
les questions soulevées dans la lettre ont été abordées au cours du dialogue
instauré entre le Comité et l'État partie dans le cadre de la procédure
de présentation de rapports au Comité. Les autorités norvégiennes y prêtent
sérieusement attention.
4.3 L'État partie fait valoir en outre que l'allégation de violation de
la Convention n'est pas dûment étayée aux fins de la recevabilité. Par
exemple, la lettre du 6 décembre 1999 et celle du 12 avril 2000 n'indiquent
pas quelles dispositions de la Convention auraient été violées ni l'objet
précis de la communication. Dans ces conditions, il est impossible à l'État
de donner une suite adéquate. Ces lettres n'expliquent pas non plus si
la violation présumée concerne la discrimination exercée par les propriétaires
des logements ou l'activité de l'agence. Dans le premier cas, il serait
important de savoir si les logements en question étaient situés dans la
maison même des propriétaires ou s'ils étaient mis en location dans le
cadre d'une activité commerciale. Dans le second, les tribunaux norvégiens
ont estimé que l'entreprise Eiendoms Service n'avait pas fait preuve de
discrimination contre ses clients.
4.4 La décision de la Haute Cour décrit le modus operandi de l'entreprise,
qui est une agence de location de logements privés: les propriétaires
informaient l'agence des disponibilités et celle-ci listait les offres
dans un fichier qui contenait des indications factuelles sur les logements
proposés. Il comportait aussi une rubrique intitulée «desiderata du propriétaire».
Si les demandeurs de logement étaient intéressés par une offre figurant
dans le fichier ils devaient contacter eux-mêmes le propriétaire. Eiendoms
Service ne s'occupait pas de faire visiter les logements, d'établir des
baux, etc. La Cour a constaté que certains propriétaires qui avaient fait
appel à Eiendoms Service avaient rejeté des personnes d'origine étrangère
comme locataires; par contre, Eiendoms Service n'avait aucune responsabilité
quant aux préférences d'un propriétaire. La Cour a estimé que les dispositions
de l'article 349 a du Code pénal, telles que les confirment les
travaux préparatoires, ne s'appliquaient pas aux services offerts par
un propriétaire privé lorsqu'un entrepreneur en était l'agent. Rien n'indiquait
que la propriétaire de l'agence eut des objections ou des préjugés à l'encontre,
par exemple, de personnes ayant une couleur de peau différente. Au contraire,
elle avait souvent aidé des étrangers à trouver un logement. L'État partie
affirme que l'auteur n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles il conteste
les conclusions de la Cour.
Observations du conseil
5.1 Se référant aux objections soulevées par l'État partie en s'appuyant
sur l'article 91, alinéa f, du Règlement intérieur du Comité, le
conseil fait valoir que les carences éventuelles mises en relief par l'État
partie ne sauraient outrepasser ce que l'on peut attendre d'une petite
ONG sans expertise juridique comme OMOD. La possibilité d'être protégé
contre des violations par des organes comme le Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale doit être ouverte à tous, et pas seulement
à ceux qui possèdent des compétences juridiques.
5.2 La lettre d'OMOD datée du 6 décembre 1999 avait pour objet de demander
au Comité de traiter l'arrêt rendu par la Cour suprême le 27 août 1999
comme une plainte présentée par un particulier au titre de l'article 14
de la Convention. Dans cette lettre, il est expressément demandé au Comité
de procéder à une évaluation individuelle de l'arrêt de la Cour suprême
au regard de la Convention. Si la communication n'était censée être qu'une
communication de caractère général émanant d'une ONG, comme l'État partie
le laisse entendre, elle aurait été incluse dans le rapport qu'OMOD prépare
périodiquement comme suite aux rapports périodiques que la Norvège présente
au Comité. Il est vrai que l'auteur a saisi l'occasion d'attirer l'attention
sur les répercussions à grande échelle que cet arrêt pourrait avoir s'agissant
de la protection des minorités ethniques contre la discrimination raciale
et de la place qu'occupe la Convention en Norvège. Toutefois, cette information
ne doit pas être interprétée comme complémentaire de la plainte qui a
été présentée.
5.3 La lettre d'OMOD du 12 avril 2000 est venue confirmer que l'objet
de la lettre datée du 6 décembre 1999 était d'obtenir que l'arrêt de la
Cour suprême soit traité comme une plainte déposée par un particulier
au titre de l'article 14 de la Convention et soit considéré comme faisant
partie de la communication soumise le 6 décembre 1999.
5.4 Le conseil reconnaît que la lettre du 6 décembre 1999 n'indiquait
pas quelles dispositions de la Convention avaient été violées; toutefois,
il estime que les allégations de violations de la Convention devraient
suffire pour que le cas soit jugé recevable. Dans la lettre du 12 avril
2000, OMOD affirme que, dans son arrêt, la Cour suprême a «refusé de conférer
à F. A. les droits reconnus à l'article 1.1». Parmi ces droits figurent
les droits énoncés aux articles 5, alinéa e iii, 5, alinéa f,
et 6, qui correspondent tout spécialement au cas de M. F. A. En outre,
c'est M. F. A. qui a signalé Eiendoms Service à la police. Par la suite,
cette dernière a porté l'affaire devant la Haute Cour et la Cour suprême.
5.5 Le conseil fait valoir que l'objet de la communication est le fait
que la Cour suprême ne s'est pas conformée aux obligations qui lui incombent
en vertu de la Convention. Il fait valoir aussi que la violation présumée
de la Convention concerne les actions de l'agence immobilière et non celles
des propriétaires.
5.6 Quant à l'affirmation de l'État partie selon laquelle OMOD n'a pas
étayé son affirmation selon laquelle la conclusion de la Cour suprême
était injustifiée, le conseil soutient que la propriétaire de l'agence
avait bien refusé de fournir à une personne des «biens ou des services,
aux mêmes conditions qu'[elle] le fait pour les autres». On n'avait pas
du tout offert à l'auteur le même service qu'aux Norvégiens de souche.
En fait, on lui avait proposé un plus petit nombre d'appartements vacants
qu'à d'autres clients en raison de son origine ethnique, alors qu'il avait
dû payer exactement la même commission pour avoir accès au fichier. De
surcroît, l'auteur n'avait pas été informé à l'avance qu'il en était ainsi.
Cette différence de traitement était illégale, indépendamment de savoir
si elle était faite au nom d'un tiers, par exemple un propriétaire. C'était
la propriétaire de l'agence de logements qui avait écrit les textes discriminatoires
sur ses fiches, et elle savait ce que cela signifiait pour des personnes
appartenant à une minorité.
5.7 Le conseil soutient en outre que l'activité commerciale d'Eiendoms
Service ne saurait être considérée comme appartenant au «domaine privé».
L'agence offrait au public un service général qui coïncide avec la définition
donnée par l'article 5, alinéa f, de la Convention. L'activité
d'Eiendoms Service constituait donc un cas manifeste de discrimination
dans le domaine public, et non dans le domaine privé.
Considérations relatives à la recevabilité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
pour l'élimination de la discrimination raciale doit, conformément au
paragraphe 7 a de l'article 14 de la Convention et aux articles
86 et 91 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable
ou non.
6.2 L'État partie affirme que la plainte de l'auteur est irrecevable car
la communication n'a pas été soumise dans les délais prévus à l'alinéa
f de l'article 9 du Règlement intérieur du Comité. Le Comité rappelle
qu'en vertu de cette disposition, les communications doivent lui être
soumises, sauf circonstances exceptionnelles dûment constatées, dans les
six mois suivant l'épuisement de tous les recours internes disponibles.
6.3 Le Comité note que la Cour suprême norvégienne a adopté sa décision
finale sur les faits qui font l'objet de la présente communication le
27 août 1999. L'auteur a soumis la communication en vertu de l'article
14 de la Convention le 12 avril 2000, c'est-à-dire plus de six mois après
la date d'épuisement des recours internes. Avant cette date, le 6 décembre
1999, la décision de la Cour suprême de la Norvège avait été portée à
l'attention du Comité mais rien n'indiquait que l'auteur avait l'intention
de présenter une communication en application de l'article 14 de la Convention.
Les termes généraux dans lesquels était libellée la lettre du 6 décembre
1999 laissaient entendre que l'auteur souhaitait soumettre les faits au
Comité pour examen dans le cadre des activités visées à l'article 9 de
la Convention.
6.4 En outre, le Comité n'a constaté aucune circonstance exceptionnelle
qui aurait justifié que la disposition relative au délai de six mois énoncée
à l'alinéa f de l'article 91 du Règlement intérieur ne soit appliquée.
7. En conséquence, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale
décide:
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur
de la communication.
8. Le Comité saisit cette occasion pour exhorter l'État partie à prendre
des mesures efficaces pour assurer que les agences immobilières s'abstiennent
d'appliquer des pratiques discriminatoires et n'acceptent pas les propositions
de propriétaires privés qui imposeraient une discrimination pour des motifs
raciaux. Il rappelle à cet égard ses conclusions concernant le quinzième
rapport périodique de la Norvège dans lesquelles il notait avec préoccupation
que les personnes qui cherchaient à louer ou à acheter des appartements
ou des maisons n'étaient pas suffisamment protégées contre la discrimination
raciale des privés. À ce propos, le Comité a recommandé à la Norvège de
s'acquitter pleinement des obligations qui lui incombaient en vertu de
l'alinéa e iii de l'article 5 de la Convention.