Présentée par: |
Ahmad Najaati Sadic (représenté par un conseil) |
Au nom de: |
Le requérant |
État partie: |
Danemark |
Date de la communication: |
25 mai 2002 (lettre initiale) |
Décision concernant la recevabilité
1.1 Le requérant est M. Ahmad Najaati Sadic, citoyen danois d'origine iraquienne
né en 1955, qui affirme être victime de violations par le Danemark des articles
2, paragraphe 1 d), et 6 de la Convention. Il est représenté par un conseil,
le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale
(DRC).
1.2 Conformément au paragraphe 6 a) de l'article 14 de la Convention, le
Comité a transmis la communication à l'État partie le 16 août 2002.
Les faits
2.1 Le 25 juillet 2000, le requérant travaillait sur un chantier de construction
de logements sociaux à Randers (Danemark) pour la société «Assentoft Painters
and Decorators» appartenant à Jesper Christensen. Le requérant ayant réclamé
à M. Christensen des paiements arriérés, la conversation a tourné à la dispute
et M. Christensen aurait lancé au requérant les propos suivants: «Retourne
dans ton pays, cochon d'Arabe!», «Cochon d'immigré!», «Vous puez, toi et
tous les Arabes», «On vous a assez vus, bande d'idiots et de psychopathes!».
La dispute entre le plaignant et M. Christensen a été entendue par au moins
deux autres ouvriers, M. Carsten Thomassen et M. Frank Lasse Hendriksen.
2.2 Le 1er mars 2001, le DRC, au nom du requérant, a informé la police
d'Aarhus de l'incident, en prétendant que l'article 266b (1) du Code
pénal du Danemark avait été violé par son ancien employeur.
2.3 Le 9 juillet 2001, Frank Lasse Henriksen a été interrogé au téléphone
par la police de Randers. Le procès-verbal de l'entretien a été établi comme
suit:
«Le témoin a affirmé qu'il était en train de travailler quand son patron,
M. Christensen, est arrivé et a présenté un nouvel apprenti; la victime,
Ahmad, était également présente. Une discussion/dispute a éclaté entre
M. Christensen et la victime au sujet de problèmes de congés payés, de
salaire et de fiches de paie perdues […]. Le témoin est intervenu
auprès de M. Christensen qui, exaspéré par la dispute avec la victime,
a estimé - c'est du moins ce qu'il a dit - que si le tÚmoin
prenait le parti de la victime, il pouvait se considÚrer comme licenciÚ.
Le tÚmoin, furieux d'Ûtre traitÚ de cette maniÞre, a pris son patron au
mot. M. Christensen a alors hurlÚ que tout cela Útait la faute d'un salopard
d'Arabe, propos qui, de l'avis du tÚmoin, avaient ÚtÚ d'une grossiÞretÚ
vraiment excessive. Selon le tÚmoin, M. Christensen avait dÚpassÚ largement
les bornes. AprÞs avoir reþu lecture des propos racistes citÚs dans la
plainte, le tÚmoin a affirmÚ qu'ils correspondaient aux insultes lancÚes
Ó la victime par M. Christensen. AprÞs l'incident, le tÚmoin a quittÚ
immÚdiatement le lieu de travail et n'a pas travaillÚ pour M. Christensen
depuis [à].╗.
2.4 Le 12 juillet 2001, Carsten Thomassen a été entendu au téléphone par la
police d'Aarhus. Le procès-verbal a été établi comme suit:
«Le jour des faits, vers 10 h 30, le témoin était sur le balcon du premier
étage, juste au-dessous. Il a compris que les intéressés se disputaient
pour des questions de travail et d'argent. Toutefois, le témoin n'avait
entendu que des bribes de la dispute entre les deux parties qui, de toute
évidence, étaient "très énervées". À un moment donné, le témoin a entendu
M. Christensen dire quelque chose comme: "Rentre chez toi!", "Saleté de
Noir!". Le témoin ne distinguait pas ce que disait M. Sadic car ce dernier
ne parlait pas bien le danois et était difficile à comprendre, surtout
lorsqu'il était énervé, comme à ce moment-là. Toutefois, le témoin considérait
que cette querelle était dans une large mesure le genre d'incident qui
peut arriver de temps à autre sur un chantier […].».
2.5 M. Christensen a été entendu par la police de Randers le 23 juillet 2001,
mais aucune charge n'a été retenue contre lui, sans préjudice de son droit
de refuser de faire une déposition. Le procès-verbal a été établi dans les
termes suivants:
«M. Christensen a affirmé que, le jour des faits, il s'était querellé
avec la victime au sujet du paiement d'heures supplémentaires […].
M. Christensen et la victime […] auraient échangé des injures […].
M. Christensen n'a jamais prononcé […] des mots tels que "Saleté
d'Arabe!", "Saleté de Pakistanais!", "Les Arabes puent!", etc., à l'encontre
de la victime. M. Christensen a été confronté à la déclaration faite par
M. Henriksen à titre de témoin. M. Christensen a riposté en disant qu'il
avait auparavant renvoyé M. Henriksen à cause de désaccords. […]
Après avoir été renvoyé, M. Henriksen avait quitté le chantier et n'aurait
pas pu par conséquent entendre sa conversation avec la victime. […]
Vu les renseignements présentés, M. Christensen ne peut reconnaître qu'il
y ait eu violation de l'article 266b du Code pénal. […]».
2.6 Dans une lettre datée du 24 août 2001, le chef de la police d'Aarhus a
informé le DRC que l'enquête avait été close au motif qu'on ne pouvait raisonnablement
considérer qu'une infraction pénale susceptible de faire l'objet de poursuites
ex officio avait été commise. Le principal argument invoqué pour justifier
la clôture de l'enquête était le fait que la dispute entre le requérant et
M. Christensen s'était produite sur le lieu de travail «où deux autres personnes
seulement étaient présentes». Indépendamment de la question de savoir si M.
Christensen avait tenu les propos en cause, le chef de la police a estimé
que, en tout état de cause, ces propos n'avaient pas été tenus publiquement
ou avec l'intention de leur donner une large diffusion. Concernant sa demande
de dédommagements, il a conseillé au requérant d'engager une procédure civile.
2.7 Le 28 septembre 2001, le requérant a fait appel de la décision de clore
l'enquête devant le Procureur général de région de Viborg, en faisant valoir
que son ancien employeur avait tenu les propos en cause sur un chantier
de construction situé dans une zone de logements sociaux et avait, par conséquent,
accepté tout au moins la possibilité que ses réflexions soient entendues
par d'autres personnes. En outre, le requérant a invoqué plusieurs jugements
des tribunaux danois qui ont estimé que l'article 266b du Code pénal exigeait
que les propos aient été proférés publiquement, très largement. Il a contesté
la conclusion du chef de la police selon laquelle deux autres personnes
seulement avaient été présentes au moment de l'incident. Le requérant a
cité une déclaration écrite dans laquelle M. Thomassen affirmait que «le
mardi 25 juillet 2000 vers 10 h 30, je, soussigné Carsten Thomassen, me
trouvais avec trois autres collègues […] sur le balcon ou nous prenions
une courte pause quand, à notre grande surprise, nous avons entendu une
conversation/querelle entre le patron […] et Ahmad.».
2.8 Dans une lettre datée du 27 novembre 2001, le Procureur général de
région de Viborg a rejeté l'appel au motif que, même s'il ne pouvait pas
être établi de façon certaine que deux autres personnes seulement étaient
présentes au moment de l'incident, les propos imputés à M. Christensen avaient
été proférés au cours d'une dispute entre le requérant et son employeur
à un moment où les deux parties étaient déjà très énervées, que les témoins
se trouvaient à une certaine distance du lieu exact de la querelle et qu'ils
n'en avaient entendu que des bribes. Étant donné qu'il «s'agissait seulement
d'une querelle assez vive que d'autres avaient entendu de loin […]»,
le Procureur général de région a estimé que les propos de l'employeur n'avaient
pas eu un caractère public. Comme la dispute n'était pas de nature à troubler
la tranquillité publique ou à déranger d'autres personnes, il n'y avait
pas eu non plus violation du règlement de la police. En conséquence, il
a été conseillé au requérant d'engager toute action éventuelle en réparation
par le biais d'une procédure civile. La décision du Procureur général de
région était définitive et non susceptible d'appel.
La plainte
3.1 Le requérant affirme avoir épuisé les recours internes car il n'a la
possibilité ni de faire appel de la décision du Procureur général de région
ni de saisir les tribunaux danois. Il prétend qu'en vertu de l'article 275
du Code pénal les violations de l'article 266b ne peuvent donner lieu qu'à
des poursuites ex officio et qu'une action en justice contre son
ancien employeur aurait été vouée à l'échec, étant donné que la police et
le Procureur général de région avaient rejeté sa plainte. Le requérant prétend,
à l'appui de cette affirmation, que selon une décision de la Haute Cour
de la région de l'Est, en date du 5 février 1999, un incident de discrimination
raciale ne constitue pas en soi une violation de l'honneur et de la réputation
d'une personne au sens de l'article 26 de la loi sur la responsabilité civile.
3.2 Le requérant prétend que l'État partie a violé ses obligations en vertu
des articles 2, paragraphe 1 d), et 6 de la Convention, en ne faisant pas
procéder à une enquête efficace en vue d'établir dans quelle mesure le chantier
de construction était accessible au public, combien de personnes étaient
présentes au moment de l'incident et dans quelle mesure d'autres personnes
ont pu entendre les propos de l'employeur. Le requérant fait valoir que
par suite de la décision du Comité concernant la communication L.K.
c. Pays-Bas (affaire no 4/1991, opinion adoptée le 16 mars 1993),
les États parties ont le devoir, en vertu des dispositions susmentionnées,
de prendre des mesures efficaces contre les incidents de discrimination
raciale qui leur sont signalés.
3.3 En invoquant une autre affaire qui a fait l'objet d'une décision du
Comité (Kashif Ahmad c. Danemark, affaire no 16/1999, opinion
adoptée le 13 mars 2000), dans laquelle des propos racistes avaient été
tenus dans le hall longeant une salle de classe, le requérant affirme que
l'État partie n'a pas alors fait valoir que les propos en cause n'avaient
pas été proférés publiquement et que le Comité a estimé qu'une violation
avait été commise. Il invoque en outre deux affaires dans lesquelles les
tribunaux danois ont estimé qu'il y avait eu violation de l'article 266b
du Code pénal dans des circonstances qu'il considère comme similaires.
3.4 Le requérant demande au Comité d'inviter l'État partie à mener une
enquête sérieuse sur l'incident qu'il a signalé et à lui octroyer une réparation
financière, conformément à l'article 6 de la Convention.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond
de la communication
4.1 Par une note verbale datée du 20 novembre 2002, l'État partie a présenté
ses observations sur la recevabilité et, subsidiairement, sur le fond de
la communication.
4.2 En ce qui concerne la recevabilité, l'État partie affirme que le requérant
n'a pas épuisé les voies de recours internes. Contrairement aux violations
de l'article 266b, qui sont susceptibles de faire l'objet de poursuites
ex officio, les violations de l'article 267 (2) du Code pénal
- disposition générale relative aux diffamations qui complète l'article
266b - ne font l'objet de poursuites qu'Ó la demande de l'intÚressÚ,
en vertu de l'article 275 (3) du Code pénal. Le requérant aurait
donc pu demander que soit intentée une action au pénal au titre de l'article
267 contre son employeur et, ce faisant, obtenir une décision sur le point
de savoir si ce dernier avait tenu les propos en cause et, sous réserve
des conditions énoncées à l'article 267, obtenir la condamnation de M. Christensen.
4.3 L'État partie affirme que l'engagement d'une action pénale en vertu
de l'article 267 du Code pénal offre un recours efficace. En outre, la décision
des autorités danoises de clore l'enquête menée en vertu de l'article 266b
ne mettait pas en doute l'efficacité de ce recours, étant donné que ni le
chef de la police ni le Procureur général de région n'avaient pris position
sur la question de savoir si M. Christensen avait tenu les propos qui lui
étaient reprochés. L'État partie fait valoir, pour la même raison, que la
clôture de l'enquête ouverte en vertu de l'article 266b n'empêchait pas
le requérant d'engager une action en réparation pour préjudice non pécuniaire
contre son ancien employeur, en vertu de l'article 26 de la loi sur la responsabilité
civile. (4)
4.4 L'État partie affirme que la communication est incompatible avec la
Convention ratione materiae, car l'argument central de la plainte
est que les autorités danoises n'ont pas interprété et appliqué correctement
l'article 266b du Code pénal. Tous les éléments concrets qui, selon le requérant,
auraient dû faire l'objet d'une enquête se rapportent aux conditions prévues
pour prononcer les peines énoncées à l'article 266b, à savoir le lieu où
les propos ont été proférés, le nombre de personnes qui ont entendu ou auraient
pu entendre M. Christensen, etc. L'État partie est d'avis que l'évaluation
juridique faite par le chef de la police et le Procureur général de région
de Viborg, selon laquelle les conditions prévues à l'article 266b n'étaient
pas remplies dans le cas d'espèce, est principalement une question concernant
l'interprétation et l'application du droit interne, question que le Comité
n'est pas habilité à examiner.
4.5 À la lumière des arguments susmentionnés, l'État partie estime que
la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu des paragraphes
1 et 7 a) de l'article 14 de la Convention.
4.6 Subsidiairement, l'État partie affirme, en ce qui concerne le fond,
que les autorités danoises ont examiné la plainte du requérant sérieusement,
puisqu'elles ont ouvert une enquête et entendu des témoins ainsi que l'ancien
employeur du requérant, à la suite de la plainte. Il estime donc que la
manière dont le chef de la police et le Procureur général de région ont
traité et examiné la plainte est pleinement conforme aux obligations
de l'État partie en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 6 de la Convention.
4.7 Concernant la disposition exigeant que les propos aient été proférés
«publiquement ou avec l'intention de leur donner une large diffusion», l'État
partie reconnaît qu'il existe inévitablement un certain flou quant à la
limite entre le domaine public et privé et soutient qu'il appartient par
conséquent aux autorités nationales d'établir si cette condition est remplie
dans tel ou tel cas.
4.8 L'État partie affirme que les deux jugements présentés à l'appui des
arguments du requérant n'étaient pas utiles en l'espèce, car l'un ne faisait
état d'aucun renseignement précis sur le nombre de personnes présentes dans
le point de vente de journaux et l'autre mentionnait que le tribunal avait
noté que «de nombreuses personnes doivent avoir entendu […] l'incident».
4.9 L'État partie affirme en outre que l'article 266b du Code pénal n'est
pas la seule disposition visant à assurer le respect des obligations de
l'État partie en vertu de la Convention, car il est complété par d'autres
dispositions, notamment l'article 267 du Code.
4.10 L'État partie estime que même si la communication était déclarée recevable
par le Comité, elle ne fait pas apparaître de toute façon une violation
de la Convention.
Observations du requérant
5.1 Le requérant affirme que l'article 267 du Code pénal, ainsi que l'article
26 de la loi sur la responsabilité civile, ne traitent pas du problème de
la discrimination raciale et n'offrent donc pas un recours efficace contre
les actes de discrimination raciale, d'une manière qui satisfasse aux prescriptions
énoncées aux articles 2, paragraphe 1 d), et 6 de la Convention. Il considère
que le seul recours utile est prévu à l'article 266b du Code pénal et indique
que dans des affaires précédentes, le Comité n'a pas estimé que le requérant
aurait dû, pour épuiser les recours internes, engager une action pénale
en vertu de l'article 267 du Code pénal ou une action civile en vertu de
l'article 26 de la loi sur la responsabilité civile.
5.2 En ce qui concerne les conditions énoncées à l'article 266b du Code
pénal, le requérant affirme de nouveau que les tribunaux danois ont estimé
dans le passé qu'il y avait eu violation même lorsqu'une seule personne
autre que la victime (ou les victimes) avait été présente pendant un incident
de discrimination raciale. Il invoque également l'opinion adoptée dans l'affaire
Kashif Ahmad c. Danemark (affaire no 16/1999, par. 6.1), où
le Comité a estimé qu'il y avait eu violation de l'article 6 de la Convention
au motif «que l'auteur [avait] été insulté en public» car les propos incriminés
[avaient] été tenus «dans un couloir du lycée et en présence de plusieurs
témoins».
5.3 En se fondant sur la déclaration écrite de M. Thomassen, le requérant
prétend qu'au moins cinq personnes ont entendu sa dispute avec son employeur
et que la police n'a pas contacté les trois autres collègues mentionnés
dans cette déclaration.
5.4 Le requérant rejette le raisonnement de l'État partie selon lequel
l'argument central de sa communication est lié à l'interprétation de la
législation interne et à l'évaluation des faits et des éléments de preuve.
Il fait valoir que le défaut d'enquête efficace est étroitement lié au fait
que les autorités danoises ont estimé que sa plainte n'entrait pas dans
le champ d'application de l'article 266b du Code pénal.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une communication quant au fond, le Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale doit, conformément à l'article 91 de son règlement
intérieur, décider si la communication est recevable ou non en vertu de
la Convention.
6.2 Le Comité note que le requérant a adressé une plainte en vertu de l'article
266b du Code pénal à la police et au Procureur général de région et que
ces autorités, après avoir entendu deux témoins et l'ancien employeur du
requérant, ont décidé d'abandonner l'action pénale prévue à l'article 266b
après avoir estimé que les conditions prévues par cette disposition n'étaient
pas remplies. Le Comité a pris note de l'argument de l'État partie selon
lequel, en dépit de l'abandon des poursuites engagées en vertu de l'article
266b du Code pénal, le requérant aurait pu demander qu'une action pénale
soit engagée contre son ancien employeur en vertu de la disposition générale
sur les diffamations (art. 267 du Code pénal). Le requérant ne nie pas l'existence
de ce recours, mais il met en doute son efficacité pour les incidents de
discrimination raciale.
6.3 Le Comité note que la notion de «voie de recours effective», au sens
de l'article 6 de la Convention, ne se limite pas aux procédures pénales
fondées sur des dispositions qui punissent spécifiquement, expressément
et exclusivement les actes de discrimination raciale. En particulier, le
Comité ne considère pas qu'il y a violation des articles 2, paragraphe 1
d), et 6 de la Convention si, comme dans le cas de l'État partie, les dispositions
de droit pénal interdisant spécifiquement les actes de discrimination raciale
sont complétées par une incrimination générale des propos diffamatoires
qui est applicable aux propos racistes, même si ceux-ci ne font pas l'objet
de dispositions légales spécifiques.
6.4 En ce qui concerne l'argument du requérant selon lequel une action
pénale contre son ancien employeur en vertu de l'article 267 aurait été
vouée à l'échec puisque les autorités avaient déjà rejeté sa plainte en
vertu de l'article 266b du Code pénal, le Comité note, au vu des éléments
dont il dispose, que les conditions prévues pour déclencher des poursuites
en vertu de l'article 266b ne sont pas identiques à celles prévues pour
engager une action en vertu de l'article 267 du Code pénal. Par conséquent,
il n'apparaît pas que la décision des autorités danoises d'abandonner les
poursuites en vertu de l'article 266b, pour défaut d'éléments permettant
d'établir si les propos de l'employeur ont été proférés publiquement ou
avec l'intention de leur donner une large diffusion, ait porté préjudice
à la demande d'engagement d'une action pénale que le requérant aurait pu
présenter en vertu de l'article 267 (combiné avec l'article 275 du Code
pénal). Le Comité estime, par conséquent, que la possibilité d'engager une
telle action peut être considérée comme une voie de recours efficace que
le requérant n'a pas épuisée.
6.5 S'agissant de la question des dédommagements, le Comité rappelle l'argument
de l'État partie selon lequel le requérant n'a pas engagé une action civile
en vertu de l'article 26 de la loi sur la responsabilité civile contre son
ancien employeur, et qu'il n'a pas, par conséquent, épuisé les voies de
recours internes. En ce qui concerne les arguments du requérant selon lesquels
la Haute Cour de la région de l'Est a estimé, dans une décision précédente,
qu'un incident de discrimination raciale ne constitue pas en soi une atteinte
à l'honneur et à la réputation d'une personne, le Comité estime que le fait
d'avoir de simples doutes sur l'efficacité des recours internes au civil
ne dispense pas un plaignant de les engager. (Voir la communication no 19/2000,
Sarwar Seliman Mostafa c. Danemark, décision adoptée le 10
août 2001, par. 7.4)
6.6 Par conséquent, le Comité considère que, faute d'avoir épuisé les recours
internes disponibles, l'auteur n'a pas satisfait aux conditions prescrites
par le paragraphe 7 a) de l'article 14 de la Convention.
6.7 En conséquence, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale
décide:
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie et au requérant.
6.8 Toutefois le Comité invite l'État partie à réexaminer sa législation,
dans la mesure où la condition restrictive de large publicité ou «d'atteinte
d'un vaste public», exigée par l'article 266b du Code pénal danois pour
l'incrimination des injures à caractère racial, n'apparaît pas pleinement
conforme aux exigences des articles 4 et 6 de la Convention.
[Fait en anglais (version originale) et traduit en arabe, chinois, espagnol,
français et russe.]
Notes
1. L'article 266b du Code pénal danois est libellé comme suit: «(1) Quiconque,
publiquement ou dans l'intention d'atteindre un vaste public, fait une assertion
ou diffuse des informations ayant un caractère menaçant, insultant ou dégradant
pour un groupe de personnes en raison de leur race, couleur, origine nationale
ou ethnique, conviction ou préférence sexuelle, est passible d'une amende
ou d'un emprisonnement ne dépassant pas quatre mois.
(2) […].
(3) […].».
2. L'article 267 du Code pénal est libellé comme suit: «(1) Toute personne
qui porte atteinte à l'honneur d'autrui par des remarques ou une conduite
injurieuses ou en faisant ou en diffusant des allégations faisant état d'un
acte de nature à entamer l'estime de ses concitoyens est passible d'une
amende ou d'une peine d'emprisonnement […] ne dépassant pas quatre
mois.
(2) […].
(3) […].».
3. L'article 275 du Code pénal est libellé comme suit: «(1) Les infractions
visées dans la présente partie donnent lieu à des poursuites à la demande
de l'intéressé, à l'exception des infractions mentionnées aux articles […]
266b.
(2) […].».
4. Le paragraphe 1 de l'article 26 de la loi sur la responsabilité civile
est libellé comme suit: «(1) Toute personne qui est responsable d'une violation
illégale de la liberté, de la paix, de la réputation ou de l'image d'autrui
doit payer des dédommagements à la partie lésée à titre de réparation pour
préjudice non pécuniaire.».