"Il ressort du procès-verbal d'audience que, lors d'une suspension
d'audience, une étudiante en droit, Mme S. R. H., a surpris une conversation
privée entre deux membres du jury, Mme A. M. J. et Mme S. M. M. Cette
conversation a été signalée à l'avocat de la défense, lequel a alors
demandé que l'un des jurés soit écarté. La cour a demandé à l'étudiante
en droit et aux deux jurés de témoigner. [Elles] étaient d'accord sur
les faits. Mme J. s'était déclarée effarée à l'idée que le défendeur
recevait 9 000 couronnes norvégiennes par mois, sans avoir à travailler
en échange, et elle avait aussi dit qu'on devrait le renvoyer là d'où
il venait. Mme M. avait dit que le but d'un tel procès était de recueillir
davantage d'informations sur le trafic de drogue. L'étudiante en droit,
Mme H., s'était alors jointe à la conversation en disant que l'objet
d'un procès comme celui-ci était de déterminer si le défendeur était
coupable. Selon les trois témoins, la question de la culpabilité n'avait
autrement été abordée par aucune d'entre elles.
La plainte
3.1 L'auteur affirme que des considérations racistes ont beaucoup contribué
à sa condamnation, car les éléments réunis contre lui n'auraient pu justifier
un verdict de culpabilité. Il ajoute qu'on ne pouvait s'attendre à ce
qu'il soit jugé équitablement et impartialement, parce que "tous
les membres du jury venaient d'une partie d'Oslo où le racisme est particulièrement
virulent". Il affirme que cette situation a porté atteinte aux droits
que lui reconnaît la Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale.
3.2 L'auteur soutient qu'il faudrait prendre en compte d'autres facteurs
pour déterminer s'il a été victime d'une discrimination raciale. Dans
ce contexte, il mentionne le temps qu'il a passé en détention préventive
(381 jours), dont neuf mois en régime cellulaire, et la qualité de sa
défense : l'avocat qu'on lui a assigné gratuitement semblait "plus
enclin à jouer un rôle d'accusateur que de défendeur". Enfin, l'auteur
estime que lors du procès de février 1991, on a accordé une importance
disproportionnée et déraisonnable à une précédente condamnation pour une
affaire de drogue en 1983 comme élément d'appréciation de sa moralité.
Informations et observations communiquées par l'État partie et
réponse de l'auteur
4.1 L'État partie considère que la communication devrait être déclarée
irrecevable comme étant manifestement mal fondée, "conformément à
la pratique établie dans les organes internationaux de surveillance du
respect des droits de l'homme".
4.2 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle on lui a refusé
le droit à un traitement équitable devant les tribunaux parce que les
jurés ont été choisis dans une partie d'Oslo connue pour ses opinions
racistes, l'État partie note qu'aucun document n'a été présenté pour étayer
une telle déclaration. L'avocat de l'auteur a seulement demandé que l'un
des jurés soit récusé; quant aux autres jurés, la question aurait dû être
soulevée devant le tribunal et les recours internes ne peuvent être réputés
épuisés en ce qui les concerne.
4.3 Après avoir précisé la manière dont s'applique l'article 108 de la
loi sur les tribunaux (régissant la récusation des jurés), l'État partie
fait observer qu'il n'est pas rare que les jurés éprouvent de l'antipathie
pour le défendeur dans une affaire pénale, mais ceci n'implique pas pour
autant qu'ils sont incapables de le juger équitablement. Dans le cas considéré,
les vues exprimées par les jurés avaient un caractère général et la décision
prise par le tribunal de ne pas récuser l'un d'eux a été unanime.
4.4 Quant à l'affirmation de l'auteur selon laquelle son appel auprès
de la Cour suprême a été rejeté de manière injuste et expéditive, l'État
partie note qu'en vertu du paragraphe 2 de l'article 335 du Code de procédure
pénale, aucun appel concernant uniquement l'évaluation des éléments de
preuve en l'espèce ne peut être interjeté devant la Cour suprême. Dans
le cas de l'auteur, l'appel était fondé sur deux motifs : la question
de l'impartialité du jury (en tant que vice de procédure) et la sévérité
de la peine de prison imposée. L'État partie note qu'en vertu de l'article
349 du Code de procédure pénale, l'autorisation de faire appel ne doit
pas être accordée si la Commission de recours estime à l'unanimité qu'un
appel serait vain. En vertu de l'article 360, les vices de procédure ne
doivent être pris en compte que s'ils sont réputés avoir affecté le jugement
quant au fond. Dans le cas de l'auteur, la question de la durée de la
peine de prison a été examinée, mais, comme la réponse à la question de
savoir si la Cour suprême devait entendre l'appelant a été négative, une
réduction de la peine a été jugée improbable. Concluant sur cette question,
l'État partie souligne que rien n'indique que l'auteur n'a pas eu les
mêmes possibilités que quiconque de faire valoir ses arguments devant
les tribunaux, qu'il s'agisse de l'appel ou de la requête en réouverture
de l'affaire, indépendamment de la race, de la couleur, de l'origine ethnique,
etc.
4.5 Quant à la durée de la détention préventive, l'État partie explique
qu'une détention préventive d'un peu plus d'un an n'est pas inhabituelle
dans les affaires de drogue. Selon l'État partie, le délai de neuf mois
entre l'arrestation et l'envoi de l'acte d'accusation à la cour d'appel
était partiellement imputable à l'auteur lui-même, qui avait changé plusieurs
fois d'avocat alors qu'il était en détention, ce qui avait retardé les
préparatifs de l'audience principale. L'État partie affirme que rien n'indique
que l'auteur a été maintenu en détention plus longtemps que d'autres suspects
simplement en raison de son origine; il considère donc que cette partie
de la plainte est elle aussi irrecevable car manifestement mal fondée.
4.6 Enfin, l'État partie rejette, parce qu'elle est manifestement mal
fondée, la plainte de l'auteur touchant la qualité de sa défense. Selon
l'article 107 du Code de procédure pénale, un avocat désigné par la cour
est rémunéré par l'État; l'auteur a eu la possibilité de choisir son propre
avocat tout au long du procès et on ne peut pas dire qu'il a été l'objet
d'une discrimination raciale à cet égard.
5.1 Dans sa réponse, l'auteur conteste la déclaration de l'État partie
pour divers motifs touchant la procédure et les faits. Il affirme que
la version que donne l'État partie de la procédure judiciaire est partiale
parce qu'elle est adaptée du procès-verbal d'audience, qui, selon l'auteur,
est peu révélateur quant au fond. Il affirme en outre que, dans une lettre
adressée au Greffe de la Cour suprême, le Procureur lui-même a admis que
le seul témoin à charge avait reconnu devant la cour avoir été pressé
par le policier chargé de l'enquête de faire un faux témoignage contre
M. Narrainen. Ceci détruisant virtuellement la force probante des thèses
de l'accusation, l'auteur conclut qu'il a été déclaré coupable sur la
base d'idées racistes et de graves erreurs commises par les autorités
chargées de l'enquête.
5.2 L'auteur rappelle que plusieurs facteurs concernant son cas, dont
le rassemblement et l'évaluation des éléments de preuve, l'omission de
déclarations importantes dans le procès-verbal, l'absence de préparation
sérieuse de sa défense par les avocats désignés par la cour et la manière
de traiter son appel montrent très nettement qu'il n'a pas bénéficié d'un
jugement équitable et impartial et que la déclaration de culpabilité a
été fondée sur des considérations racistes.
La décision du Comité concernant la recevabilité
6.1 Au cours de sa quarante-deuxième session, en mars 1993, le Comité
a examiné l'affaire du point de vue de la recevabilité. Il s'est dûment
penché sur l'affirmation de l'État partie selon laquelle la plainte de
l'auteur était irrecevable étant donné que ses allégations étaient soit
non confirmées soit non fondées, mais il a conclu que la communication
satisfaisait aux conditions de recevabilité qui sont énoncées dans l'article
91 de son règlement intérieur.
6.2 Le 16 mars 1993, en conséquence, le Comité a déclaré la communication
recevable dans la mesure où des questions pouvaient se poser à son sujet
au titre du paragraphe a) de l'article 5 de la Convention.
Les observations de l'État partie quant au fond et la réponse de
l'avocat
7.1 L'État partie rejette comme inexacte l'allégation de l'auteur selon
laquelle les membres du jury venaient de certains quartiers d'Oslo où
le racisme est très répandu et ces jurés appartenaient à des mouvements
néo-nazis. Il fait observer que la liste des jurés a été établie conformément
au chapitre 5 de la loi sur les tribunaux, que ni le procureur ni la défense
n'ont formulé d'objection quant à la manière dont elle avait été établie,
et que l'avocat a demandé la récusation de deux jurés dont les noms apparaissaient
sur la liste initiale. Six des jurés venaient de localités situées en
dehors d'Oslo, et quatre de différents quartiers de la ville d'Oslo. L'État
partie fait observer qu'aucun quartier d'Oslo ne peut être qualifié de
particulièrement raciste, et que ni les tribunaux ni le Gouvernement ne
savent à quel parti politique les jurés sont affiliés. Ceci dit, étant
donné la procédure de constitution des jurys, il est peu probable que
soient choisis des jurés appartenant à des partis marginaux : en effet,
les noms des jurés sont tirés au sort à partir de listes qui sont fournies
par les hommes politiques des municipalités.
7.2 Quant à l'impartialité des jurés, l'État partie réitère son observation
antérieure (voir plus haut le paragraphe 2.5). Il ajoute que Mme J., la
personne qui avait formulé les remarques défavorables au cours de la suspension
d'audience, est une salariée qui, en 1990, a eu des revenus inférieurs
à ceux que l'auteur de la communication a perçus sous forme de prestations
sociales au cours de la même année. Dans ces conditions, déclare l'État
partie, les remarques plutôt générales de Mme J. constituaient "une
réaction qui n'était guère surprenante à l'égard d'un état de choses qui
a dû lui sembler injuste".
7.3 L'État partie rappelle que la question de savoir si, du fait que
les remarques avaient été effectivement formulées, M. Narrainen n'avait
pas bénéficié d'un procès équitable a été examinée en détail par la Commission
des recours de la Cour suprême étant donné que, en vertu de l'article
360, paragraphe 2, alinéa 3, du Code de procédure pénale norvégien, un
jugement est déclaré nul et non avenu par la Cour suprême si l'on constate
que l'un des jurés n'avait pas qualité pour se prononcer. Selon l'État
partie, le fait que la Commission des recours ait refusé l'autorisation
de faire appel à la Cour suprême implique que, de l'avis de la Commission,
il était évident que rien, dans cette affaire, n'était de nature à entamer
la confiance que l'on pouvait avoir dans l'impartialité de Mme J. On note
que, pour décider s'il y a lieu d'autoriser l'appel à la Cour suprême,
la Commission des recours s'appuie également sur des instruments internationaux
tels que la Convention internationale sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination raciale, considérés comme des sources de droit
pertinentes.
7.4 En ce qui concerne l'appréciation des éléments de preuve dans cette
affaire, l'État partie expose les raisons pour lesquelles c'est une haute
cour qui, en première instance, est chargée de juger les affaires relatives
à des faits passibles d'au moins six ans de prison. Dans ces affaires,
la cour comprend trois juges de carrière et un jury de 10 personnes; c'est
le jury qui se prononce sur la question de la culpabilité. Un jugement
de haute cour peut faire l'objet d'un appel auprès de la Cour suprême,
mais les erreurs d'appréciation des éléments de preuve concernant la question
de la culpabilité ne sont pas des motifs d'appel reconnus (par. 2 de l'article
335 du Code de procédure pénale). L'État partie explique qu'"il est
important que, dès le début, les affaires pénales graves soient traitées
de façon qui inspire confiance. C'est pourquoi ces affaires sont confiées
en première instance à une haute cour comportant un jury. C'est le jury
qui décide de la question de la culpabilité. Cela est une pratique courante,
fondée sur le principe qui veut que tout accusé soit jugé par ses pairs
[...]. Ce principe n'aurait guère de valeur si l'appréciation des éléments
de preuve à laquelle procède le jury [...] pouvait être invalidée par
les juges de carrière de la Cour suprême".
7.5 Quant à la recevabilité des moyens de preuve dont la Haute Cour a
été saisie et aux pressions que la police aurait exercées sur le témoin
S. B. pour qu'il fasse une fausse déclaration, l'État partie rappelle
que les tribunaux norvégiens apprécient librement les preuves. Le fait
que M. Narrainen a été reconnu coupable laisse entendre que, dans cette
affaire, les jurés n'ont pas cru S. B. lorsque celui-ci est revenu sur
ses déclarations antérieures et a affirmé que l'auteur de la communication
était innocent. Dans ce contexte, l'État partie déclare que l'explication
la plus vraisemblable de l'attitude qu'a eue S. B. devant la Cour est
la crainte des représailles dont il pourrait faire l'objet s'il s'en tenait
à ses déclarations précédentes; il fait observer que S. B., lui-même détenu
à la prison de Bergen, a été soumis à des pressions visant à lui faire
retirer ses déclarations antérieures à peu près à l'époque où l'auteur
de la communication lui-même est arrivé à la prison, et qu'il craignait
des représailles. Toujours dans le même contexte, l'État partie rejette
comme inexactes ou trompeuses certaines parties des déclarations de l'auteur
de la communication qui sont reproduites dans le paragraphe 5.1 ci-dessus.
7.6 L'État rejette comme inexacte l'affirmation de l'auteur de la communication
selon laquelle on a promis à S. B. une réduction de peine en échange d'un
témoignage incriminant l'auteur, car ni la police ni le Procureur ne sont
compétents pour une telle négociation avec un accusé. De même, l'État
partie rejette comme dénuée de fondement l'affirmation de l'auteur de
la communication selon laquelle on a promis à S. B., en échange d'informations
le concernant, "la possibilité de purger sa peine dans un lieu confortable"
: en fait, S. B. a été incarcéré dans la prison principale de la région
du Rogaland, où, selon ses propres déclarations, il a été soumis à des
pressions considérables par les autres prisonniers, y compris par l'auteur
de la communication.
7.7 En ce qui concerne le fait de considérer une condamnation antérieure
comme un élément de preuve à l'encontre de M. Narrainen, l'État partie
déclare que cela est normal dans le cadre du droit pénal norvégien, et
que rien, absolument, ne prouve que le fait d'accepter cet élément de
preuve ait eu un rapport quelconque avec l'origine ethnique de l'auteur
de la communication.
7.8 En ce qui concerne la modification prétendue illégale de l'acte d'accusation
établi contre l'auteur de la communication, l'État partie cite le paragraphe
2 de l'article 38 du Code de procédure pénale, qui précise ce qui suit
: "... en ce qui concerne la disposition pénale applicable à l'espèce,
le tribunal n'est pas lié par l'acte d'accusation [...]. Il en est de
même pour la peine et les autres sanctions applicables." Sur la question
de savoir si c'est telle ou telle disposition qui est applicable à une
même infraction, les modifications peuvent également être apportées par
les services du Procureur (par. 3 de l'article 254 du Code de procédure
pénale); c'est ce qui s'est produit dans le cas de l'auteur de la communication.
L'État partie explique que la raison pour laquelle la disposition applicable
peut être modifiée, après la mise en accusation mais avant le début de
la procédure de jugement, est que le défendeur n'est pas accusé d'un nouveau
crime; il s'agit simplement de choisir la disposition appropriée qui sera
applicable aux mêmes faits.
7.9 Enfin, pour ce qui est de la durée de la détention provisoire de
M. Narrainen, l'État partie répète les observations détaillées qui sont
reproduites dans le paragraphe 4.5 ci-dessus. Quant à la qualité de l'avocat,
il rappelle que, puisque l'auteur de la communication "était incarcéré
à Oslo, il pouvait choisir entre de nombreux avocats hautement qualifiés".
Il précise que, lorsque le tribunal a déjà désigné un représentant au
titre de l'aide juridique, il n'en désigne un autre que si le défendeur
le lui demande : il s'ensuit que l'avocat qui a assisté M. Narrainen a
dû être choisi conformément aux demandes de ce dernier. L'État partie
conclut qu'il n'y a aucune raison de penser que M. Narrainen n'a pas bénéficié
des mêmes services juridiques que n'importe quel autre accusé. Au contraire,
il s'est vu offrir toutes les possibilités de demander à avoir un nouveau
représentant chaque fois qu'il était mécontent du précédent, et il a ainsi
tiré parti intégralement des "dispositions de sauvegarde" du
système de procédure pénale.
8.1 Dans sa réponse aux observations de l'État partie, l'avocat fournit
des renseignements détaillés sur la composition des jurys dans le cadre
du système de justice pénale. Selon des statistiques récentes, 43 % des
ressortissants étrangers résidant en Norvège habitent Oslo ou les communes
avoisinantes. Parmi les citoyens norvégiens nés à l'étranger, quelque
60 516, dont la moitié venus d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique, vivaient
à Oslo. Entre 10 et 15 % des personnes vivant à Oslo ont des origines
culturelles et ethniques différentes de celles du reste de la population.
8.2 L'avocat fait observer que, parmi les personnes qui figurent sur
les listes servant à la sélection des jurés, aucune ou en tout cas très
peu sont des étrangers ou des Norvégiens nés à l'étranger. La Haute Cour
d'Eidsivating s'est refusée à lui fournir un exemplaire des listes concernant
la zone d'Oslo, en alléguant que ces listes, où figurent environ 4 000
noms, comportent des renseignements de caractère privé qui ne doivent
pas être rendus publics. Selon l'avocat, il ressort clairement de la pratique
judiciaire norvégienne que les jurés norvégiens sont uniformément des
Blancs — parmi les procureurs, avocats et condamnés qui ont été
interrogés, aucun ne se souvenait avoir jamais vu une personne de couleur
siéger dans un jury. Cela est corroboré par un article de journal, daté
du 24 février 1994, dans lequel sont examinées les listes de jurés fournies
par la ville d'Oslo. Il est dit dans cet article que, sur 2 306 personnes,
seulement 25 sont d'origine étrangère, et que la plupart des noms étrangers
sont des noms anglais, allemands ou américains. On y lit encore que, selon
des statistiques officielles, 38 000 ressortissants étrangers de 20 ans
ou plus vivent à Oslo; d'autre part, 67 000 autres personnes sont nées
à l'étranger ou ont des parents étrangers.
8.3 Le conseil fait observer que l'absence de représentation égale des
groupes ethniques au sein des jurys peut s'expliquer par le fait que les
partis politiques locaux semblent hésiter à désigner des personnes appartenant
à ces groupes et par le fait que, pour être juré, il faut avoir résidé
cinq ans en Norvège et connaître la langue norvégienne. Le conseil estime
qu'étant donné cette situation, les hautes cours norvégiennes devraient
veiller tout spécialement à ce que les accusés non blancs bénéficient
d'un procès équitable.
8.4 Quant à l'impartialité alléguée des jurés, l'avocat fait sienne,
en ce qui concerne les propos racistes qu'aurait formulés Mme J., l'analyse
de l'avocat qui a interjeté appel auprès de la Cour suprême au nom de
l'auteur de la communication. Dans le mémoire qu'il avait adressé à la
Commission des recours, cet avocat, se référant à l'article 135 a) du
Code pénal, qui interdit les propos racistes de caractère public, avait
plaidé que les remarques telles que celle de Mme J. visant un accusé sont
particulièrement répréhensibles si elles sont formulées au cours de la
procédure devant un membre du public, et de surcroît dans une affaire
telle que celle de l'auteur de la communication, qui était né à l'étranger.
À cet avocat, Mme J., lorsqu'elle avait répété ses propos depuis le banc
des témoins, avait nettement donné l'impression d'avoir des préjugés raciaux
à l'égard des personnes d'origine étrangère.
8.5 L'avocat, en outre, doute qu'étant donné la charge de travail extrêmement
lourde de la Commission des recours, qui traite en moyenne 16 affaires
par jour, cette commission ait véritablement eu le temps de prendre en
considération tous les facteurs pertinents de l'affaire concernant l'auteur
de la communication, y compris ceux qui concernent la discrimination raciale
au regard du droit international. Il fait également observer que les parties
ne sont pas représentées devant la Commission des recours, laquelle, de
surcroît, ne motive aucunement ses décisions.
8.6 Quant à l'appréciation des éléments de preuve dans l'affaire considérée,
l'avocat fait observer que M. Narrainen a été déclaré coupable sur la
base d'un seul rapport de police et des témoignages des fonctionnaires
de police qui avaient recueilli les déclarations de S. B. Que cette absence
d'autres éléments de preuve importants puisse faire douter de la culpabilité
de M. Narrainen, c'est ce que montrait le fait que, selon l'un des trois
juges de l'affaire, la responsabilité de l'accusé n'avait pas été prouvée
de manière absolument indubitable. L'avocat soutient qu'on ne peut exclure
que certains jurés aient eu des doutes analogues; dans ces conditions,
la présence au sein du jury d'une personne qui avait donné des preuves
de partialité à l'encontre de l'auteur de la communication a pu aisément
faire pencher la balance.
8.7 À la lumière de ce qui précède, l'avocat affirme que les tribunaux
norvégiens ont violé l'article 5 a) de la Convention par l'arrêt de la
Haute Cour en date du 6 février 1991 et par la décision de la Commission
des recours en date du 7 mars 1991. Peut-être les propos du juré ne constituaient-ils
pas en eux-mêmes une violation de la Convention, mais le fait que l'on
ait permis à Mme J. de continuer à faire partie du jury constituait une
violation de l'article 5 a). Dans ce contexte, l'avocat se réfère à l'opinion
formulée par le Comité dans l'affaire L. K. c. Pays-Basa,
dans laquelle on a estimé que l'adoption d'une législation qualifiant
la discrimination raciale d'acte délictueux ne signifie pas, en elle-même,
que l'État partie s'est pleinement acquitté des obligations qui lui incombent
en vertu de la Convention.
8.8 L'avocat conclut que la manière dont les jurys norvégiens sont constitués
n'assure pas l'égalité raciale, que ce que Mme J. avait déclaré à un autre
juré tendait à prouver qu'il existait à l'encontre de l'auteur de la communication
un préjugé lié à ses origines et à la couleur de sa peau, et que ni la
Haute Cour ni la Commission des recours n'avaient accordé l'attention
voulue à l'allégation de discrimination raciale faite par l'avocat, ou
n'avaient envisagé comme il se devait l'éventualité d'une violation des
obligations contractées par la Norvège en vertu de la Convention.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité a examiné l'affaire de l'auteur à la lumière de toutes
les déclarations et pièces justificatives présentées par les parties.
Il fonde ses conclusions sur les considérations ci-après.
9.2 Le Comité estime que, dans l'affaire à l'examen, la principale question
qui se pose est celle de savoir si les poursuites intentées à M. Narrainen
ont respecté le droit de ce dernier à un traitement égal devant les tribunaux,
sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou ethnique,
conformément à l'article 5 a) de la Convention. Le Comité fait observer
que la règle énoncée dans l'article 5 a) s'applique à toutes les catégories
de procès, y compris à ceux où il est fait appel à un jury. Toutes les
autres allégations de l'auteur de la communication sortent, de l'avis
du Comité, du cadre de la Convention.
9.3 Si des membres d'un jury sont soupçonnés d'avoir des préjugés raciaux
à l'encontre de l'accusé ou de les exprimer, il appartient aux autorités
judiciaires nationales d'enquêter sur la question et de disqualifier le
juré si elles le soupçonnent d'avoir des préjugés.
9.4 Dans la présente affaire, les propos défavorables qu'avait tenus
Mme J., juré, ont été portés à l'attention de la Haute Cour d'Eidsivating,
qui a dûment suspendu l'audience, enquêté sur la question et entendu des
témoignages au sujet des déclarations présumées défavorables de Mme J.
Selon le Comité, les déclarations de Mme J. peuvent être l'indication
de préjugés raciaux et auraient pu, au regard de l'article 5 a) de la
Convention, être considérées comme suffisantes pour disqualifier le juré.
Cependant, les organes judiciaires norvégiens compétents ont examiné la
nature des remarques contestées et leurs implications possibles concernant
le déroulement du procès.
9.5 Considérant qu'il ne lui appartient ni d'interpréter les règles de
procédure pénale norvégiennes concernant la disqualification des jurés,
ni de décider si le juré aurait dû être disqualifié sur cette base, le
Comité ne peut conclure, sur la base des renseignements dont il est saisi,
que la Convention a été violée. Toutefois, à la lumière des observations
faites dans le paragraphe 9.4, il recommande ce qui suit conformément
à l'article 14, paragraphe 7, de la Convention.
10. Le Comité recommande à l'État partie de faire tout ce qui est en
son pouvoir pour éviter qu'une procédure judiciaire ne soit entachée de
préjugés raciaux, sous quelque forme que ce soit, susceptibles de nuire
à l'administration de la justice dans des conditions d'égalité et de non-discrimination.
En conséquence, le Comité recommande que, dans des affaires pénales telles
que celle qu'il a examinée, il soit dûment prêté attention à l'impartialité
des jurés, conformément aux principes sur lesquels repose l'article 5
a) de la Convention.
Notes
a Communication No 4/1991 (L. K. c. Pays-Bas),
opinion adoptée le 16 mars 1993, par. 6.4.