Présentée par : L. K. L'auteur a demandé que son nom
ne soit pas mentionné. (représenté par un conseil)
Etat partie : Pays-Bas
Date de la communication : 6 décembre 1991(date de la communication
initiale)
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, créé
en application de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Réuni le 16 mars 1993,
Ayant décidé, conformément au paragraphe 7 de l'article 94 de
son règlement intérieur, de traiter conjointement de la question de la
recevabilité et du bien-fondé de la communication,
S'étant assuré que la communication répond aux critères de recevabilité,
Ayant achevé l'examen de la communication No 4/1991, soumise
par L. K. conformément à l'article 14 de la Convention internationale
sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
Ayant pris en considération tous les renseignements écrits qui
lui ont été communiqués au nom de L. K. et de l'Etat partie,
Tenant compte de l'article 95 de son règlement intérieur, en
vertu duquel il est tenu de formuler son opinion sur la communication
dont il est saisi,
Adopte le texte ci-après :
OPINION
1. L'auteur de la communication, datée du 6 décembre 1991, est L. K.,
citoyen marocain résidant actuellement à Utrecht (Pays-Bas). Il dit être
victime de violations par les Pays-Bas des droits visés aux articles 2,
par. 1 d), 4, alinéa c), 5, alinéas d) i) et e) iii), et 6 de la Convention
internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale. L'auteur bénéficie de l'assistance d'un conseil.
Les faits tels que présentés au Comité
2.1 Le 9 août 1989, à Utrecht, l'auteur, handicapé physique partiel,
est allé voir une maison à louer qui lui avait été proposée ainsi qu'à
sa famille, rue Nicolas Ruychaver, rue bordée de logements sociaux. Il
était accompagné d'un ami, A. B. En arrivant devant la maison, ils ont
trouvé un attroupement d'une vingtaine de personnes. Pendant la visite
du logement, l'auteur a entendu des cris de : "Plus d'étrangers!"
D'autres l'ont menacé, s'il prenait la maison, d'y mettre le feu et d'endommager
sa voiture. L'auteur et A. B. sont ensuite retournés au bureau de logement
municipal et ont demandé au fonctionnaire qui s'occupait du dossier de
les accompagner sur les lieux. Là, plusieurs habitants de la rue ont dit
à ce dernier qu'ils ne pouvaient pas accepter le voisinage de l'auteur,
parce qu'il existait soi-disant une loi selon laquelle il ne devait pas
y avoir plus de 5 % d'étrangers habitant dans cette rue. Le fonctionnaire
leur ayant répondu qu'il n'existait aucune règle de la sorte, les habitants
de la rue ont rédigé une pétition dans laquelle ils faisaient valoir que
l'auteur ne pouvait pas être accepté et ont recommandé qu'une autre maison
soit attribuée à sa famille.
2.2 Le même jour, l'auteur a déposé plainte auprès de la police municipale
d'Utrecht pour acte de discrimination raciale tombant sous le coup de
l'article 137 [alinéas c) et d) du code pénal (Wetboek van Strafrecht)].
La plainte concernait tous ceux qui avaient signé la pétition et ceux
qui s'étaient rassemblés devant la maison. L'auteur dit que le policier
a tout d'abord refusé d'enregistrer la plainte et qu'il a dû faire intervenir
un groupe qui lutte contre la discrimination pour que la police accepte
de dresser un procès-verbal.
2.3 A quelques différences près, la version de l'Etat partie est conforme
à celle de l'auteur. D'après l'Etat partie, l'auteur a visité deux fois
la maison qui lui avait été attribuée par la municipalité d'Utrecht, d'abord
le 8 août 1989, accompagné d'un fonctionnaire du bureau de logement municipal
d'Utrecht puis, le 9 août 1989, accompagné d'un ami. Pendant la première
visite, le fonctionnaire a engagé la conversation avec une habitante du
quartier qui a élevé des objections contre la présence future de l'auteur
comme locataire et voisin. Pendant la conversation, plusieurs habitants
se sont approchés et ont tenu des propos tels que : "Nous avons assez
d'étrangers dans ce quartier" et "Ils sont armés de couteaux
et on ne se sent même plus en sécurité dans sa propre rue". Ces propos
ont été tenus après le départ de l'auteur, et les habitants de la rue
ont ajouté devant le fonctionnaire que la maison serait incendiée dès
l'expiration du contrat de bail du locataire qui occupait encore la maison.
Lors de la deuxième visite, l'auteur et A. B., qui est un ami, ont trouvé
devant la maison un groupe d'habitants du quartier qui s'y étaient rassemblés
pour protester contre l'arrivée possible d'un autre étranger. L'auteur
ayant refusé de renoncer à l'offre du bureau de logement, les habitants
ont fait signer une pétition par 28 habitants. On pouvait y lire : "Rejeté
pour cause de pauvreté? Ne peut-on trouver une maison ailleurs pour cette
famille?", et ils l'ont envoyée au fonctionnaire du bureau de logement.
2.4 Comme suite à la plainte du 9 août 1989, la police a établi un procès-verbal
sur l'incident (procès-verbal No 4239/89) daté du 25 septembre 1989. D'après
l'Etat partie, 17 des 28 pétitionnaires ont été interrogés par la police
et les 11 autres n'ont pas pu être contactés à temps avant l'établissement
du procès-verbal de la police.
2.5 Entre-temps, l'avocat de l'auteur a saisi de l'affaire le procureur
près le tribunal de district d'Utrecht et demandé accès au dossier. Le
2 octobre 1989, le procureur lui a transmis tous les documents; toutefois,
il a informé l'auteur, le 23 novembre 1989, que l'affaire n'avait pas
été enregistrée au greffe de son office à titre pénal parce qu'on n'était
pas certain qu'il y ait eu délit. Le 4 janvier 1990, l'avocat a donc demandé
à la cour d'appel d'Amsterdam (Gerechtshof) d'ouvrir une action contre
le "groupe d'habitants de la rue Nicholas Ruychaver d'Utrecht"
pour discrimination raciale au sens de l'article 12 du code de procédure
pénale.
2.6 L'avocat soutient qu'au bout de plusieurs mois il a été informé que
le dossier avait été transmis au greffe de la cour d'appel le 15 janvier
1990. Peu après, à une date qui n'est pas précisée, le procureur près
la cour d'appel a demandé au procureur près le tribunal de district un
complément d'information qui lui a été fourni rapidement. Toutefois, l'avocat
a dû attendre le 10 avril 1991 pour pouvoir prendre connaissance de ces
nouvelles pièces, malgré les demandes répétées qu'il avait formulées entre
le 15 février 1990 et le 15 février 1991. Ce n'est qu'après qu'il eut
menacé d'engager une action contre le procureur près la cour d'appel et
de demander un arrêt immédiat, que l'affaire a été portée au registre
de la cour pour le 10 avril 1991. Le 5 mars 1991, le procureur général
près la cour d'appel a demandé à la cour de déclarer la plainte sans fondement
ou de refuser d'en connaître dans l'intérêt public.
2.7 Il s'est avéré que seuls deux des habitants de la rue avaient été
cités à comparaître devant la cour d'appel; ils n'ont pas comparu en personne
et se sont fait représenter. Dans son arrêt du 10 juin 1991, la cour d'appel
a rejeté la requête de l'auteur. Elle a déclaré que la pétition ne pouvait
être considérée comme une insulte délibérée ni une incitation à la discrimination
raciale au sens de l'article 137 alinéas c) et e) du code pénal. La cour
d'appel a donc estimé que l'en-tête de la pétition - qui, sur la foi des
déclarations faites pendant l'audience et à la police pouvait s'interpréter
comme suit : "Rejeté pour cause de rixe? Ne peut-on trouver une maison
ailleurs pour cette famille?" - ne pouvait être tenu, aussi regrettable
et malvenu qu'il puisse avoir été, pour une insulte ou une incitation
à la discrimination raciale.
2.8 En vertu de l'article 12 du code de procédure pénale, l'avocat a
demandé au procureur général près la Cour suprême de requérir l'annulation
de la décision de la cour d'appel, dans l'intérêt de la justice. Le 9
juillet 1991, cette requête a été rejetée. En dernier recours, l'avocat
a envoyé au Ministre de la justice une lettre lui demandant de donner
au procureur l'ordre d'engager une action en justice. Le ministre a répondu
qu'il ne pouvait accéder à cette demande car, la cour d'appel ayant achevé
l'examen de l'affaire en cause, aucune autre procédure ne pouvait être
engagée en vertu de l'article 12 du code de procédure pénale. Toutefois,
le ministre a demandé au chef du Parquet d'Utrecht de soulever les problèmes
auxquels l'auteur se heurtait, au cours de consultations tripartites qu'il
tiendrait avec le maire et le chef de la police municipale de la ville.
Au cours de ces consultations tripartites, le 21 janvier 1992, il a été
décidé d'accorder une attention particulière à la lutte contre la discrimination.
La plainte
3.1 L'auteur considère que les propos et les remarques des habitants
de la rue constituent des actes de discrimination raciale au sens de l'article
premier, paragraphe 1, de la Convention, et l'article 137, alinéas c),
d) et e), du code pénal néerlandais, lesquels interdisent de proférer
publiquement des insultes contre un groupe de personnes pour le seul motif
de leur race, d'inciter publiquement à la haine à l'égard de personnes
en raison de leur race et de publier des documents contenant des insultes
de nature raciale à l'égard d'un groupe de personnes.
3.2 L'auteur affirme que les instances judiciaires et le procureur n'ont
pas examiné tous les faits de la cause ou, tout au moins, n'ont pas cherché
à prononcer une décision motivée au sujet de sa plainte. Il estime en
particulier que l'enquête policière n'a été ni approfondie ni complète.
Premièrement, A. B. n'a même pas été interrogé et les habitants de la
rue ne l'ont été qu'au sujet de la pétition et non des événements qui
se sont produits devant la maison que l'auteur avait visitée les 8 et
9 août 1989. Deuxièmement, l'auteur considère que la décision du procureur
de ne pas engager une procédure n'était pas fondée. Troisièmement, le
procureur, selon l'auteur, aurait fait des déclarations trompeuses dans
une interview accordée à un journal local au sujet des intentions prétendues
des habitants de la rue à l'égard de l'auteur. Quatrièmement, le procureur
général près la cour d'appel aurait fait traîner indûment la procédure
en ne donnant pas suite à l'affaire pendant plus d'un an. Enfin, la cour
d'appel se serait, elle aussi, contentée de preuves incomplètes.
3.3 L'avocat estime qu'il y a dans cette affaire violation de l'article
2 [par. 1 d)], et des articles 4 et 6; il fait observer que les articles
4 et 6 doivent être considérés en liaison avec la première phrase et le
paragraphe 1 d) de l'article 2, d'où il découle que les obligations des
Etats parties à la Convention ne sont pas respectées si l'on se borne
à considérer la discrimination raciale comme un délit. Il estime que,
même si la liberté d'engager ou non des poursuites, appelée principe d'opportunité,
n'est pas exclue par la Convention, l'Etat partie, en ratifiant cet instrument,
a accepté d'accorder une attention particulière aux affaires touchant
la discrimination raciale, en garantissant notamment l'examen rapide de
ce genre d'affaires par les instances judiciaires nationales.
Les informations et observations présentées par l'Etat partie et
les commentaires de l'avocat
4.1 L'Etat partie ne conteste pas la recevabilité de la communication
et reconnaît que l'auteur a épuisé tous les recours internes. Il reconnaît
en outre que les dispositions prévues à l'article 137, alinéas c), d)
et e), du code pénal sont en principe applicables aux actes des habitants
de la rue.
4.2 S'agissant de l'affirmation selon laquelle l'enquête policière aurait
été incomplète, l'Etat partie soutient qu'il est inexact de prétendre
que les habitants de la rue n'ont été interrogés qu'au sujet de la pétition.
Un certain nombre d'habitants ont fait des déclarations au sujet de la
menace de recourir à l'incendie dans le cas où l'auteur aurait décidé
d'occuper la maison qui lui était proposée. L'Etat partie soutient en
outre que, bien qu'il soit impossible, après si longtemps, de déterminer
pourquoi A. B. n'a pas été cité à comparaître devant la cour d'appel,
on peut "douter du fait que sa déposition aurait jeté sur l'affaire
un éclairage différent. Somme toute, nul ne conteste que les remarques
contestées ont été faites".
4.3 L'Etat partie dément également l'idée que le Procureur n'a pas dûment
motivé la décision de ne pas engager de poursuites et que l'interview
accordée à un journal d'Utrecht par l'attachée de presse du Parquet le
6 décembre 1989 a été incomplète et inexacte. Il fait observer, premièrement,
que la décision de ne pas engager de poursuites a été longuement expliquée
dans la lettre que le procureur près le tribunal d'Utrecht a adressée
le 25 juin 1990 au procureur général près la cour d'appel d'Amsterdam,
en ce qui concerne la plainte déposée par l'auteur en vertu de l'article
12 du code de procédure pénale. Il signale, en second lieu, que l'interview
du 6 décembre 1989 visait non à exposer l'opinion du Parquet, mais celle
des habitants de la rue.
4.4 En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle la cour d'appel aurait
fait traîner indûment la procédure, l'Etat partie considère que bien que
le procureur général ait mis plus de temps qu'il n'était prévu ou aurait
été souhaitable pour établir son rapport, le délai de 15 mois qui s'était
écoulé entre le dépôt de la plainte et son examen par la cour d'appel
n'avait pas diminué l'efficacité du recours et qu'il n'y avait donc pas
lieu de considérer ce délai comme une violation de la Convention.
4.5 L'Etat partie fait observer que la législation néerlandaise est conforme
aux dispositions prévues au paragraphe 1 d) de l'article 2 de la Convention
puisqu'elle dispose que la discrimination raciale constitue un délit au
sens de l'article 137 alinéa c) et suivants du code pénal. Un acte délictueux
ne donne lieu à des poursuites que si des preuves suffisantes ont été
réunies. Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas eu violation des articles
4 et 6 de la Convention étant donné que, comme cela est indiqué dans la
lettre du procureur en date du 25 juin 1990, il n'avait pas été suffisamment
établi qu'un acte délictueux avait été commis les 8 et 9 août 1989, ni
par qui il l'avait été.
4.6 De l'avis de l'Etat partie, le fait que la discrimination raciale
est qualifiée d'acte délictueux dans le code pénal suffit à établir que
l'obligation énoncée à l'article 4 de la Convention est respectée, étant
donné que ledit article ne saurait donner à entendre que ses dispositions
entraînent des poursuites contre tout acte qu'elles visent. L'Etat partie
fait observer à cet égard que la décision d'engager des poursuites est
régie par le principe d'opportunité et il se réfère à la communication
No 1/1984 expliquant ce principe Yilmaz-Dogan c. Pays-Bas,
opinion émise le 10 août 1988, par. 9.4.. L'auteur a pu se prévaloir d'un
recours efficace conformément à l'article 6 de la Convention puisqu'il
a effectivement porté plainte en application de l'article 12 du code de
procédure pénale contre la décision du procureur de ne pas engager de
poursuites. L'Etat partie souligne que la cour d'appel a procédé à un
examen complet et exhaustif de l'affaire.
4.7 L'Etat partie dément, enfin, avoir violé l'article 5 d) i) et e)
iii) de la Convention à l'encontre de l'auteur, et affirme qu'il n'a jamais
été porté atteinte au droit de l'auteur de choisir librement son lieu
de résidence, que ce soit avant ou après les événements d'août 1989. A
cet égard, l'Etat partie se réfère à l'opinion émise par le Comité au
sujet de la communication No 2/1989, dans laquelle le Comité a noté que
les droits énoncés à l'article 5 e) de la Convention font l'objet d'une
application progressive et que "le Comité n'a pas pour compétence
de veiller à ce que ces droits soient établis, sa mission consistant plutôt
à suivre l'application desdits droits, lorsqu'ils ont été octroyés dans
des conditions d'égalité" D.T. Diop c. France,
opinion émise le 18 mars 1991, par. 6.4.. L'Etat partie indique que des
règles appropriées ont été établies pour assurer un accès équitable au
logement et que ces règles ont été appliquées dans le cas de l'auteur.
5.1 Dans ses observations, l'avocat conteste plusieurs des observations
de l'Etat partie. Ainsi, il dément que l'enquête policière ait été méthodique
et affirme que A. B. aurait pu désigner ceux qui, le 9 août 1989, avaient
proféré des menaces et tenu des propos discriminatoires, et qu'il l'aurait
fait s'il avait été cité comme témoin. L'avocat affirme en outre qu'il
n'a pas été en mesure de prendre connaissance de la décision en date du
25 juin 1990 du procureur général de ne pas engager de procédure pénale
avant le 10 avril 1991, date prévue pour l'audience devant la cour d'appel.
5.2 L'avocat conteste la version, présentée par l'Etat partie, de l'interview
du procureur du 6 décembre 1989 et soutient qu'en relatant la version
des habitants de la rue sans faire aucun commentaire d'aucune sorte, l'attachée
de presse l'a rendue crédible. Le Conseil réaffirme enfin que les autorités
judiciaires n'ont fait aucun effort pour que l'affaire soit examinée rapidement.
Il fait observer que toute procédure pénale engagée aux Pays-Bas doit
tenir dûment compte des principes énoncés à l'article 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme, notamment l'obligation d'éviter tout
retard excessif dans la procédure.
L'examen de l'affaire par le Comité
6.1 Avant d'examiner les faits incriminés dans une communication, le
Comité pour l'élimination de la discrimination raciale doit, conformément
à l'article 91 de son règlement intérieur, décider si la communication
est ou non recevable au regard de la Convention. En vertu du paragraphe
7 de l'article 94, le Comité peut, dans des cas appropriés et avec le
consentement des parties concernées, examiner conjointement la recevabilité
d'une communication et son bien-fondé. Le Comité note que l'Etat partie
ne conteste pas la recevabilité de la communication et qu'il a formulé
des observations détaillées sur le fond de l'affaire. Etant donné les
circonstances, le Comité décide d'examiner conjointement la recevabilité
et le bien-fondé de la communication.
6.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
à l'article 91 de son règlement intérieur, que la communication répond
aux critères de recevabilité énoncés dans ce même article. Il déclare
en conséquence la communication recevable.
6.3 Le Comité constate, d'après les renseignements dont il dispose, que
les remarques faites et les menaces proférées les 8 et 9 août 1989 à l'encontre
de L. K. constituent une incitation à la discrimination raciale et à des
actes de violence contre des personnes d'une autre couleur ou d'une autre
origine ethnique, en violation des dispositions de l'article 4 a) de la
Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, et que les enquêtes menées par les services de police et les
autorités de justice sur les incidents survenus ont été incomplètes.
6.4 Le Comité n'accepte pas l'affirmation selon laquelle l'adoption d'une
législation qualifiant la discrimination raciale d'acte délictueux signifie
en elle-même que l'Etat partie s'est pleinement acquitté de ses obligations
en vertu de la Convention.
6.5 Le Comité réitère la position qu'il a adoptée en formulant son opinion
sur la communication No 1/1984 du 10 août 1987 (Yilmaz-Dogan c.
Pays-Bas), selon laquelle "la liberté d'engager des poursuites
en cas d'infraction pénale - que l'on désigne couramment par l'expression
principe d'opportunité - est régie par des considérations d'ordre public
et relève que la Convention ne saurait être interprétée comme défiant
la raison d'être de ce principe. Néanmoins, ce principe doit être appliqué,
dans tous les cas présumés de discrimination raciale, à la lumière des
garanties énoncées dans la Convention".
6.6 Lorsque des menaces de violence raciale sont proférées, en particulier
en public et par un groupe de personnes, l'Etat partie a le devoir d'enquêter
rapidement et diligemment. Dans le cas à l'étude, l'Etat partie a manqué
à ce devoir.
6.7 Le Comité constate que, considérant le peu de cas fait des incidents,
les enquêtes de police et de justice n'ont pas, en l'espèce, permis au
requérant de disposer d'une protection et de voies de recours effectives,
au sens de l'article 6 de la Convention.
6.8 Le Comité recommande à l'Etat partie de revoir sa politique et ses
procédures concernant les décisions d'engager des poursuites dans les
cas d'allégations de discrimination raciale à la lumière de ses obligations
en vertu de l'article 4 de la Convention.
6.9 Le Comité recommande en outre à l'Etat partie d'indemniser le requérant
dans la mesure du préjudice moral subi.
7. Conformément au paragraphe 5 de l'article 95 de son règlement intérieur,
le Comité invite l'Etat partie à l'informer, dans le prochain rapport
périodique qu'il soumettra conformément au paragraphe 1 de l'article 9
de la Convention, des mesures qu'il aura prises pour donner effet aux
recommandations formulées aux paragraphes 6.8 et 6.9 ci-dessus.
Notes
a/ Yilmaz-Dogan v. The Netherlands, Opinion du 10 août 1988, paragraphe
9.4.
b/ D.T. Diop v. France, Opinion of 18 mars 1991, paragraphe 6.4.