Présentée par : C. P.
Au nom de : L'auteur et son fils, M. P.
État partie : Danemark
Date de la communication : 13 janvier 1994 (date de la lettre
initiale)
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, institué
en application de l'article 8 de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale,
Réuni le 15 mars 1995,
Adopte la décision ci-après :
DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
1. L'auteur de la communication est C. P., citoyen américain d'ascendance
africaine vivant à Roskilde (Danemark). La communication est présentée
en son nom propre et au nom de son fils. Il affirme que son fils et lui-même
ont été victimes de discrimination raciale de la part tant des autorités
municipales et de police de Roskilde que de la justice danoise. Il n'invoque
cependant aucune disposition particulière de la Convention internationale
sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur, afro-américain, réside au Danemark depuis 1963, année où
il a épousé une citoyenne danoise, qui l'a quitté par la suite et dont
il est aujourd'hui divorcé. De 1964 à 1972, il a travaillé dans une entreprise
de produits chimiques de Roskilde, puis de 1972 à une date non précisée,
à la société Kodak, où il a travaillé comme magasinier. En septembre 1990,
il a été engagé comme magasinier à l'école technique de Roskilde. Il prétend
avoir été en butte à des manifestations de racisme de la part des élèves
à partir d'octobre 1990; les autorités scolaires ne seraient pas intervenues.
Un certain nombre d'étudiants auraient, selon lui, avec la bénédiction
de leur professeur, gravé sur une brique rouge un dessin raciste accompagné
de l'inscription insultante suivante : "Un homme noir comme du charbon
avec de grosses lèvres rouges pendu à une potence" avec, en dessous,
la mention "Nègre". Cette brique et d'autres semblables ont
été placées en évidence dans le secteur où il travaillait; là encore,
les autorités scolaires ne seraient pas intervenues, tolérant la présence
de ces briques.
2.2 Le 19 novembre 1990, participant à une réunion du Conseil du personnel
de l'école, l'auteur a montré deux de ces briques et demandé qu'on l'aide
à combattre cette forme de racisme et à y mettre fin. À sa surprise, le
directeur de l'école lui a reproché d'avoir soulevé cette question; rien
n'a été fait pour identifier les étudiants responsables. L'auteur ajoute
qu'après la réunion, le directeur de l'école, le professeur principal
et le directeur technique ont refusé de lui parler.
2.3 En janvier 1991, l'auteur a été informé qu'il devait quitter dans
les dix minutes qui suivaient le secteur où il travaillait depuis qu'il
avait été engagé dans cette école, ce qu'il attribue à l'attitude hostile
et discriminatoire manifestée à son encontre par le directeur de l'école,
notamment. Toujours en janvier 1991, l'auteur a été affecté à la cafétéria
de l'école, à des travaux qu'il accomplissait durant les pauses des étudiants,
qui ne lui auraient pas épargné des remarques et des slogans racistes;
il a demandé au directeur de ne plus être affecté à ces travaux mais a
essuyé un refus. En mai 1991, après ce que l'auteur qualifie de "nombreux
mois de harcèlement racial", le directeur de l'école et le directeur
technique l'ont congédié.
2.4 À propos des événements concernant son fils, l'auteur déclare ce
qui suit : le 20 juillet 1991, son fils M., alors âgé de 15 ans, circulait
à bicyclette lorsqu'il a été arrêté à des feux de signalisation par quatre
jeunes de 17 et 18 ans qui l'ont frappé brutalement avec des bouteilles
de bière, entre autres, et l'ont blessé en divers endroits du visage (nez,
front, joues, mâchoires), ce qui a nécessité de nombreuses interventions
de chirurgie plastique dont la dernière a eu lieu en janvier 1994. L'auteur
note que les quatre jeunes avaient, avant les faits, proféré des insultes
racistes à l'égard de son fils et tenté, en 1988, de le noyer dans un
lac situé dans un parc public. L'incident avait été signalé à la police
qui n'avait pas, selon l'auteur, ouvert d'enquête, considérant qu'il s'agissait
d'une "plaisanterie de gamins".
2.5 L'auteur a immédiatement signalé l'incident du 20 juillet 1991 à
la police. Il prétend que celle-ci lui a demandé son permis de séjour
et une copie de son bail au lieu d'enquêter rapidement sur l'affaire.
Il affirme en outre que la police n'a pas cherché à mener une enquête
rapide et complète, et que cela serait dû à la couleur de sa peau. Deux
des agresseurs de son fils auraient été placés en garde à vue le temps
d'un bref interrogatoire et un autre aurait vu sa garde à vue transformée
en détention provisoire pendant une semaine.
2.6 Selon l'auteur, la procédure judiciaire engagée contre les agresseurs
de son fils n'a pas été impartiale et on a laissé les prévenus "dénaturer"
les éléments de preuve. En fin de compte l'un des agresseurs a été condamné
à une peine de prison de 60 jours avec sursis et deux autres à 10 amendes
journalières de 50 et 100 couronnes danoises, respectivement. Selon l'auteur,
ce jugement allait entièrement à l'encontre du contenu du dossier médical
et de la déposition du médecin devant le tribunal. L'auteur prétend que
la "justice a étouffé l'affaire" et relève que la mère d'un
de ceux qui ont été inculpés travaille pour le président du tribunal d'arrondissement
de Roskilde. Les efforts déployés par l'auteur pour que l'affaire soit
retirée à cette juridiction et confiée à un tribunal de Copenhague ont
échoué. Dans sa communication initiale, l'auteur ne précise pas s'il a
fait appel du jugement prononcé par le tribunal d'arrondissement à l'égard
des agresseurs de son fils.
2.7 Quant à son licenciement de l'école technique de Roskilde, l'auteur
fait observer qu'il a porté plainte pour "harcèlement racial et licenciement
illégal". L'affaire a été jugée 11 mois plus tard, les 8 et 9 avril
1992. Il semble qu'elle devait l'être, à l'origine, en janvier de la même
année. L'auteur affirme que le directeur de l'école et le directeur technique
se sont "mis d'accord" pour embrouiller et dénaturer tous les
moyens de preuve. Dans un jugement motivé de 29 pages, le juge a rejeté
la plainte de l'auteur et estimé que celui-ci n'avait droit à aucune indemnité
mais pouvait être dispensé des dépens et des honoraires d'avocat. Selon
l'auteur, le juge a refusé de lui accorder l'autorisation de se pourvoir
devant une juridiction supérieure. En conséquence, le 10 juin 1992, l'auteur
a écrit au Ministre de la justice qui lui a conseillé de s'adresser à
la Direction du droit civil. Par lettre du 3 février 1993, cette dernière
a répondu que le délai d'appel était expiré. L'auteur soupçonne que, ayant
à maintes reprises fait part à son conseil de son intention de faire appel,
tous se sont entendus "pour l'empêcher de porter plainte pour racisme
contre ... le Gouvernement danois".
2.8 Enfin, l'auteur fait référence à une action engagée contre son avocat
pour faute professionnelle. Il ressort de ses lettres qu'un groupe d'avocats
et de magistrats, dont un juge de la Cour suprême, a également rejeté
cette plainte.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur estime que son fils et lui-même ont été victimes de discrimination
raciale de la part des autorités de police et des autorités judiciaires
de Roskilde et conclut que la justice et la profession judiciaire ont
fait preuve d'une grande solidarité pour rejeter sa plainte et celle de
son fils et étouffer ces deux affaires. Il prétend qu'aucune loi au Danemark
ne protège les non-citoyens et les non-Blancs contre le harcèlement racial
et le licenciement illégal.
3.2 L'auteur demande : a) que l'affaire de son licenciement illégal par
l'école technique de Roskilde fasse l'objet d'un nouvel examen judiciaire;
b) que le Comité recommande que les agresseurs de son fils soient de nouveau
inculpés et poursuivis pour les infractions qu'ils ont commises le 20
juillet 1991; et c) que l'attitude de la police et des autorités judiciaires
ayant participé à ces affaires soit condamnée.
Renseignements et observations de l'État partie et commentaires
de l'auteur
4.1 Dans la communication qu'il a présentée en vertu de l'article 92
du règlement intérieur du Comité, l'État partie a scindé la plainte en
deux : le procès pour licenciement illégal engagé par M. P. et la procédure
pénale contre les agresseurs présumés de son fils.
4.2 En ce qui concerne la première affaire, l'État partie fait observer
que la demande de 100 000 couronnes danoises en dommages-intérêts présentée
par l'auteur le 19 novembre 1991 au titre de son licenciement illégal
a été examinée en avril 1992 par le tribunal de Roskilde qui a rendu un
jugement le 5 mai 1992. L'État partie relève que la demande de l'auteur,
fondée sur l'article 26 de la loi sur la responsabilité civile, reposait
à la fois sur l'argument selon lequel les autorités de l'école technique
n'avaient rien fait face à la présence de briques portant des inscriptions
éminemment racistes, sur le fait que les autorités de l'école n'avaient
pas donné suite à la demande de l'auteur tendant à ce que la question
soit soumise à la Commission de concertation, sur l'allégation selon laquelle
les autorités scolaires avaient réagi à la plainte de l'auteur en l'affectant
à un autre poste où il était chargé, notamment, de surveiller la cantine,
et enfin sur l'allégation selon laquelle il avait été licencié ultérieurement
sans raison valable.
4.3 L'État partie relève que le tribunal, dans son jugement, a constaté
que l'auteur n'avait signalé la présence de briques aux autorités scolaires
que plusieurs semaines après les avoir découvertes. Le tribunal a considéré
que ce retard avait contribué pour une large part à empêcher l'ouverture
d'une enquête en vue de déterminer qui était à l'origine de cet acte.
Il a donc conclu que le seul fait que l'enquête n'avait pas été menée
avec diligence ne permettait pas de considérer que la responsabilité civile
de l'école était engagée.
4.4 Le tribunal, dans son jugement, a qualifié de "très regrettable"
le fait que l'école n'avait pas donné suite aux demandes de M. P. tendant
à ce que l'affaire soit examinée en détail par la Commission de concertation,
mais il a considéré que ce fait à lui seul n'engageait pas la responsabilité
civile de l'école. Il a considéré, en outre, qu'au moment où M. P. avait
été affecté à un autre poste, son licenciement aurait été justifié par
des raisons financières. Le tribunal a estimé qu'on ne pouvait pas reprocher
à l'école d'avoir cherché à garder M. P. en l'affectant à un autre poste
qui, selon les juges, n'était pas "manifestement dégradant",
contrairement à ce que soutenait l'auteur.
4.5 Le tribunal a fait observer en outre que le fait que c'était seulement
au moment de l'audition des témoins, au cours du procès, qu'il était apparu
que le directeur de l'établissement avait été en possession de l'une des
briques et qu'il en avait montré quelques-unes à certains de ses collaborateurs,
ne pouvait - si regrettable que cela puisse paraître - être considéré
comme un acte illicite engageant la responsabilité de l'école.
4.6 Au sujet de la question de l'épuisement des recours internes par
M. P., l'État partie donne les informations ci-après : selon l'article
368 de la loi sur l'administration de la justice, l'auteur aurait pu faire
appel du jugement du tribunal de Roskilde devant la Division de la région
orientale de la cour d'appel. Selon l'article 372(1), le délai autorisé
pour former un recours est de 4 semaines à compter du jour où le jugement
est prononcé. Les articles 372(2) et 399(2) prévoient un certain nombre
d'exceptions à cette règle et autorisent un recours, même après l'expiration
de ce délai.
4.7 Dans une lettre du 25 mai 1992 adressée au Ministère de la justice,
l'auteur rappelait les faits à l'origine de la procédure engagée devant
le tribunal de Roskilde, et le jugement prononcé par ce dernier. Il n'indiquait
pas quand le jugement avait été prononcé et ne donnait pas de précisions
sur la nature de la procédure. Le 9 juin 1992, le Ministère de la justice
avait fait savoir à l'auteur qu'il ne pouvait ni s'interposer dans les
décisions des tribunaux, ni les modifier. Il l'avait informé qu'il pouvait
former un recours devant la Division de la région orientale de la cour
d'appel, et lui avait indiqué les délais réglementaires prévus à cet égard.
4.8 Le 10 juin 1992, l'auteur a adressé une requête à la Direction du
droit civil du Ministère de la justice demandant l'autorisation de former
recours après l'expiration du délai autorisé à cet effet (art. 372, par.
2), de la loi sur l'administration de la justice). La Direction du droit
civil s'est alors procuré les pièces du dossier ainsi qu'un exposé de
l'avocat de l'auteur, P. H. Dans une lettre datée du 18 septembre 1992,
P. H. a déclaré avoir envoyé à l'auteur, le 6 mai 1992, une copie du jugement
rendu le 5 mai, en lui indiquant qu'à son avis il n'y avait pas de motifs
d'appel. N'ayant pas de nouvelles de M. P., l'avocat lui a écrit de nouveau
le 19 mai, en lui demandant de lui téléphoner. Selon l'avocat, M. P. l'a
contacté seulement après l'expiration de la date limite pour former recours,
en lui faisant savoir qu'il voulait effectivement faire appel du jugement;
à ce sujet, l'auteur a indiqué à P. H. qu'il ne s'était pas manifesté
plus tôt car il se trouvait aux États-Unis. L'avocat a alors expliqué
à M. P. la manière dont s'appliquait l'article 372 de la loi sur l'administration
de la justice.
4.9 Après avoir examiné l'affaire, la Direction du droit civil a refusé,
par une lettre datée du 3 février 1993, d'accorder l'autorisation de former
appel du jugement rendu par le tribunal de Roskilde devant la Division
de la région orientale de la cour d'appel. Dans ces conditions, l'État
partie soutient que la plainte de l'auteur doit être déclarée irrecevable
au motif du non-épuisement des recours internes. Le fait que l'appel de
jugement rendu le 5 mai 1992 n'ait pas été formé à temps est imputable
à l'auteur lui-même ou à sa négligence, ou aux deux éléments.
4.10 À ce sujet, l'État partie note que M. P. s'est adressé une fois
encore à la Direction du droit civil, pour la même question, le 7 janvier
1994. Sa lettre a été interprétée par la Direction comme une demande de
réexamen de la question. Dans une lettre du 16 mars 1994, cette dernière
a maintenu la décision rendue le 3 février 1993. Par une lettre du 7 juin
1994 adressée à la Direction du droit civil, et non à la Cour suprême
du Danemark, l'auteur a fait une demande d'aide judiciaire en vue de présenter
à la Cour suprême une demande d'autorisation de former un recours extraordinaire
au titre de l'article 399 de la loi sur l'administration de la justice.
Le 9 août 1994, la Direction lui a fait savoir qu'une demande d'autorisation
à cet effet devait être examinée en première instance par une juridiction
du comté de Roskilde, à laquelle sa demande a alors été transmise.
4.11 Au sujet des événements du 20 juillet 1991, dans lesquels était
impliqué le fils de l'auteur, l'État partie mentionne le compte rendu
de l'audience qui s'est tenue devant le tribunal de Roskilde, d'où il
ressort que l'incident ayant opposé M. P. à trois jeunes habitants de
Roskilde a fait l'objet d'un examen approfondi par le tribunal, qui a
correctement apprécié les éléments de preuve. L'État partie note qu'au
cours de la procédure, les certificats médicaux concernant les blessures
subies par M. P. ont été versés au dossier. Le 25 novembre 1991, le Commissaire
de police de Roskilde a inculpé les trois délinquants, M. M. H., A. A.
O. et J. V. B. L'affaire a été examinée par le tribunal de Roskilde, où
siégeait un juge suppléant d'un tribunal de Copenhague, du fait que l'un
des accusés était le fils d'une employée du tribunal de Roskilde. Siégeaient
en outre à l'audience deux échevins parce que l'affaire portait sur une
infraction passible d'une peine privative de liberté (art. 686, par. 2,
de la loi sur l'administration de la justice).
4.12 Le 27 janvier 1992, le tribunal de Roskilde a rendu son jugement.
Le Commissaire de police de Roskilde a jugé la peine infligée à M. M.
H. (peine de prison de 60 jours avec sursis) trop douce. Il a alors recommandé
au ministère public pour le Zealand de faire appel de la peine prononcée
contre M. H. devant la Division de la région orientale de la cour d'appel,
afin que ce dernier se voie infliger une peine d'emprisonnement ferme.
Le ministère public a suivi cet avis, fait appel, et la Division de la
région orientale de la cour d'appel, composée de trois juges professionnels
et de trois échevins, a examiné l'affaire le 3 juin 1992. La Cour a décidé
qu'étant donné la violence avec laquelle M. H. avait agressé M. P., une
peine d'emprisonnement ferme de 40 jours devait être prononcée.
4.13 En ce qui concerne les allégations que M. P. a adressées au Comité
au nom de son fils, l'État partie soutient qu'elles sont irrecevables,
en partie parce qu'elles échappent au champ d'application de la Convention,
et en partie parce qu'elles sont manifestement non fondées. Il relève
que la communication ne contient aucun détail sur la nature des violations
dont la Convention aurait fait l'objet touchant la manière dont les autorités
et les tribunaux ont conduit la procédure pénale engagée contre les trois
personnes accusées de voies de fait à l'égard de M. P.
4.14 L'État partie réfute l'argument selon lequel, en raison de la race
et de la couleur de M. P., les tribunaux ont infligé aux trois délinquants
une peine plus légère que celle qui aurait été prononcée à l'encontre
d'autres délinquants ayant usé de la même violence. Il fait observer que
cet élément n'est absolument pas entré en ligne de compte dans la procédure
qui s'est déroulée devant le tribunal de Roskilde ni dans celles engagées
devant la Division de la région orientale de la cour d'appel. L'État partie
fait valoir au contraire que les tribunaux comme la police de Roskilde
ont pris très au sérieux le procès des trois individus accusés d'agression
contre M. P. : cela ressort à la fois de la peine infligée à M. H. et
du fait qu'il a été mis en détention provisoire après l'incident, sur
décision prise par le tribunal de Roskilde le 21 juillet 1991.
4.15 L'État partie rappelle en outre que le parquet a estimé que la peine
prononcée par le tribunal de Roskilde était trop légère à l'égard de l'un
des agresseurs, raison pour laquelle il a été fait appel du jugement devant
la Division de la région orientale de la cour d'appel, qui a alourdi la
peine en la portant de 60 jours d'emprisonnement avec sursis à 40 jours
de prison ferme. À ce sujet, l'État partie relève que le ministère public
avait précisément requis une peine de prison ferme à l'origine.
4.16 Enfin, en ce qui concerne la question des dommages-intérêts à verser
à M. P., l'État partie note que, dans son jugement du 27 janvier 1992,
le tribunal de Roskilde lui a accordé 3 270 couronnes danoises, que M.
H. était tenu de payer. Selon la décision rendue par la Division de la
région orientale de la cour d'appel le 3 juin 1992, la somme en question
avait, àcette date, été versée par M. H. Les dommages-intérêts accordés
par ce jugement concernaient seulement le pretium doloris, tandis
que la demande de M. P., visant à ce que la responsabilité civile des
délinquants et leur obligation de réparer le dommage causé soient incluses
dans le jugement, a été renvoyée devant les tribunaux civils. Aux termes
de l'article 993, paragraphe 2, de la loi sur l'administration de la justice,
les actions en dommages-intérêts peuvent être portées devant les tribunaux
civils. L'État partie ignore si le fils de l'auteur a effectivement engagé
une procédure civile à cet effet.
5.1 Dans ses commentaires, datés du 25 janvier 1995, l'auteur conteste
la plupart des arguments de l'État partie et réaffirme qu'il n'a pas pu
faire valoir ses droits civils ni ceux de son fils. Il qualifie de nouveau
de "farce" le procès des trois individus qui avaient attaqué
son fils et prétend que l'avocat commis d'office pour représenter son
fils ne lui a jamais expliqué à quoi s'attendre ni comment se préparer
à l'audience. M. P. se plaint de la partialité du juge, qui a autorisé
les accusés à présenter leur propre version de l'incident l'un après l'autre
sans être interrompus par la cour. Il rejette plusieurs passages du jugement
qu'il qualifie de "tout à fait fallacieux" et met en cause le
fait qu'un juge professionnel ait été autorisé à poser à son fils des
"questions subjectives" puis à utiliser ses réponses contre
lui. Selon lui, en concluant que, sur la base des témoignages entendus
à l'audience, il était impossible de dire qui exactement avait déclenché
la bagarre, le tribunal "encourageait le racisme des Blancs"
et utilisait un "mauvais prétexte pour conclure à l'innocence des
accusés".
5.2 L'auteur évoque ensuite ce qu'il considère comme un déni de justice
: il est difficile de dire exactement en quoi consiste ce déni de justice,
mais il semblerait que l'auteur dénonce en particulier la manière dont
le juge a interrogé son fils et n'a pas remis en question les témoignages
des accusés. L'auteur dénonce énergiquement la décision du ministère public
de ne pas faire appel des peines prononcées contre deux des accusés. L'auteur
résume l'attitude du tribunal comme suit : "La question que je pose
est la suivante : comment un juge peut-il prendre une décision équitable
sans écouter tous les témoignages ou, pire encore, en écoutant seulement
les explications des délinquants, si ce n'est parce qu'il a l'intention
d'être indulgent à leur égard ? Ce qui fut le cas. Indigne d'un professionnel".
5.3 Au sujet des procédures faisant suite à ses allégations de licenciement
illégal et raciste par l'école technique de Roskilde, l'auteur réitère
sa version des faits et fait valoir qu'il a "épuisé tous les moyens
possibles pour que sa cause soit entendue et pour faire appel". Il
affirme que l'école n'avait pas de motif légitime justifiant un licenciement
pour raisons économiques étant donné qu'elle venait d'agrandir ses installations
et aurait pu mettre à profit les services d'un magasinier. Il accuse le
directeur de l'école technique de faux témoignage à l'audience.
5.4 L'auteur affirme avec insistance que s'il y a eu retard pour faire
appel de la décision rendue par le tribunal de Roskilde, il ne doit pas
lui être imputé. Il fait observer qu'il faisait confiance à son avocat
pour la question de l'appel; contrairement à ce qu'affirment l'État partie
et son ancien représentant, l'auteur affirme qu'il a bien pris contact
avec son avocat pour confirmer qu'il voulait faire appel "à tout
prix", même si son avocat lui avait indiqué que les chances de succès
en appel étaient minces. Il accuse son avocat de s'être dérobé aux alentours
de la période - c'est-à-dire au cours des premiers jours du mois de juin
1992 - où le délai pour former appel de la décision du tribunal de Roskilde
approchait. De plus, l'auteur accuse de nouveau, encore qu'indirectement,
son représentant de faute professionnelle et soupçonne l'avocat de s'être
entendu avec le juge pour que l'affaire ne soit pas renvoyée devant la
juridiction supérieure de Copenhague.
5.5 En conclusion, l'auteur soutient que la réponse de l'État partie
est pleine d'"absurdités et d'illogismes" et il réfute la plupart
des observations de l'État partie qu'il qualifie de "fallacieuses",
"inexactes", "contraires à la vérité" ou "carrément
mensongères". Il est évident que l'auteur conteste l'appréciation
des éléments de preuve et des témoignages faite par les tribunaux dans
les deux procès - celui dirigé contre l'école technique et l'action pénale
engagée contre les agresseurs de son fils - et qu'il est convaincu d'avoir
été débouté dans les deux cas à cause du racisme dont toutes les personnes
concernées ont fait preuve à son égard et à l'égard de son fils. Il affirme
que "rien n'est fait contre le racisme au Danemark aujourd'hui".
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner les faits incriminés dans une communication, le
Comité pour l'élimination de la discrimination raciale doit, conformément
à l'article 91 de son règlement intérieur, décider si la communication
est ou non recevable au regard de la Convention internationale sur l'élimination
de toutes les formes de discrimination raciale.
6.2 Le Comité a pris note des arguments des parties concernant la question
de l'épuisement des recours internes dans le cas de la plainte de M. P.
pour licenciement illégal par l'école technique de Roskilde. Il rappelle
que le tribunal de Roskilde a examiné la plainte le 19 novembre 1991 et
a rendu un jugement motivé le 5 mai 1992, jugement qui a été notifié à
l'auteur par son avocat le 6 mai 1992. L'auteur affirme qu'il a bien indiqué
à son avocat à temps qu'il voulait faire appel du jugement et il accuse
son avocat d'avoir fait preuve de négligence en ne faisant pas appel dans
les délais prévus. Le Comité note que dans le dossier dont il est saisi
il apparaît que l'avocat de l'auteur a été engagé à titre privé. Dans
ces conditions, l'inaction ou la négligence de l'avocat ne peut pas être
imputée à l'État partie. Bien que les autorités judiciaires de l'État
partie aient communiqué à l'auteur toute information pertinente concernant
la procédure d'appel, on peut douter, compte tenu du fait que l'auteur
a affirmé avoir été victime de brimades raciales, que les autorités ont
réellement épuisé tous les moyens disponibles pour garantir à l'auteur
l'exercice de ses droits, conformément à l'article 6 de la Convention.
Toutefois, puisque, à première vue, l'auteur n'a pas apporté la preuve
que la décision des autorités judiciaires était entachée de considérations
de discrimination raciale et puisqu'il appartenait à l'auteur lui-même
de poursuivre les voies de recours internes, le Comité conclut que les
conditions prescrites au paragraphe 7.1 de l'article 14 de la Convention
internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale n'ont pas été remplies.
6.3 Quant au passage de l'affaire relative aux poursuites contre les
agresseurs du fils de l'auteur, le Comité note que la police a placé les
agresseurs en garde à vue après que l'auteur lui eut signalé l'incident
le 20 juillet 1991 et que le Commissaire de police de Roskilde a demandé
qu'ils fassent l'objet de poursuites au pénal. Il note également que le
fait que la mère de l'un des inculpés travaillait pour le tribunal a été
dûment pris en compte, en ce sens que pour examiner l'affaire les autorités
ont nommé un juge suppléant d'un autre tribunal. En outre, il y a lieu
de faire observer que le Commissaire de police de Roskilde a recommandé,
après que le jugement a été prononcé, de faire appel de la sentence prononcée
contre l'un des agresseurs, M. H., en vue de lui infliger une peine plus
lourde; le ministère public de Zealand a suivi cet avis et la Division
de la région orientale de la cour d'appel a imposé une peine d'emprisonnement
ferme à M. H. À l'issue d'un examen approfondi des pièces d'audience disponibles
en ce qui concerne l'affaire du fils de l'auteur, le Comité estime que
ces documents ne corroborent pas l'argument de l'auteur que l'enquête
de la police aussi bien que la procédure judiciaire devant le tribunal
de Roskilde ou la Division de la région orientale de la cour d'appel étaient
entachées de considérations à connotations raciales. Le Comité conclut
que les éléments dont il est saisi ne font pas apparaître de violation
de la Convention en ce qui concerne cette partie de la communication et
que celle-ci est donc également irrecevable.
7. En conséquence, le Comité pour l'élimination de la discrimination
raciale décide :
a) que la communication est irrecevable;
b) que la présente décision sera communiquée à l'État partie et à l'auteur.
[Texte établi en anglais (version originale) et traduit en espagnol,
français et russe]