Observations finales du Comité des droits de l'enfant, France, U.N. Doc.
CRC/C/15/Add.20 (1994).
COMITE DES DROITS DE L'ENFANT
Sixième session
EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION
Conclusions du Comité des droits de l'enfant : France
1. Le Comité a examiné le rapport initial de la France (CRC/C/3/Add.15) à ses 139ème, 140ème et 141ème séances (CRC/C/SR.139 à 141), tenues les 11 et 12 avril 1994, et a adopté*/ les conclusions suivantes :
A. Introduction
2. Le Comité note avec satisfaction que l'Etat partie a ratifié sans délai la Convention et a établi un rapport initial très détaillé, qui suit de près ses Directives.
3. Le Comité se félicite de la présence d'une délégation de haut niveau composée de fonctionnaires de ministères directement responsables de l'application de la Convention. Il espère que l'échange de vues qui a eu lieu avec la délégation et la décision du gouvernement de diffuser largement son rapport initial contribueront à ouvrir un large débat dans le pays sur les droits de l'enfant.
B. Aspects positifs
4. Le Comité est particulièrement encouragé par l'attitude de l'Etat partie qui s'est engagé à passer en revue les mesures prises et la politique retenue pour mettre en oeuvre les dispositions et les principes de la Convention et à y réfléchir, compte tenu de l'évolution de la situation concrète des enfants.
5. Le Comité reconnaît l'utilité de la réunion annuelle tenue entre les autorités publiques et l'ensemble des organisations non gouvernementales le jour anniversaire de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies de la Convention relative aux droits de l'enfant. Il souligne l'importance d'une telle réunion pour engager un dialogue fructueux entre le gouvernement et la société civile et pour assurer une évaluation sérieuse des politiques gouvernementales adoptées en vue de promouvoir et de protéger les droits de l'enfant.
6. Le Comité se félicite aussi de la décision du Gouvernement français de soumettre à l'Assemblée nationale un rapport annuel sur la mise en oeuvre de la Convention et sur ses politiques en ce qui concerne la situation des enfants dans le monde. Cette démarche contribuera à mettre en relief l'importance du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, considération primordiale à prendre en compte dans toute décision touchant les enfants, y compris les décisions des organes législatifs.
7. Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l'Etat partie en vue de reconnaître le droit de l'enfant à ce que son opinion soit entendue et prise en compte dans toute procédure le concernant. Il prend note des différentes initiatives lancées pour informer les enfants de leurs droits et les encourager à s'exprimer par l'intermédiaire de conseils spéciaux créés dans les écoles et les collectivités locales.
8. Le Comité est également encouragé par les mesures prises pour inculquer à certains groupes professionnels la connaissance des droits de l'enfant. Il salue aussi les initiatives de membres des professions juridiques tendant à mettre en place à l'intention des enfants un système d'information et d'assistance juridiques dans le domaine de la justice des mineurs.
9. Le Comité relève la participation active de la France aux activités de coopération internationale, notamment dans le domaine de l'aide au développement.
10. Le Comité note en outre la contribution importante de l'Etat partie à la campagne internationale autour de la question du danger des mines terrestres antipersonnel pour la population civile et plus particulièrement pour les enfants.
C. Principaux sujets de préoccupation
11. Le Comité note avec préoccupation la réserve émise par l'Etat partie à l'égard de l'article 30 de la Convention. Il insiste sur le fait que la Convention relative aux droits de l'enfant vise à protéger et à garantir les droits individuels des enfants, y compris de ceux qui appartiennent à des minorités.
12. Eu égard à l'article 55 de la Constitution de la France, cité dans le document de base soumis par l'Etat partie aux organes conventionnels, selon lequel les stipulations des accords internationaux sont directement applicables en France et peuvent être invoquées devant les juridictions nationales, le Comité souhaiterait que lui soit précisée la place exacte de la Convention relative aux droits de l'enfant dans le droit interne, en particulier compte tenu des décisions rendues récemment par la Cour de cassation à ce sujet.
13. Le Comité souligne la nécessité de mettre en place des garanties suffisantes contre les effets sociaux négatifs potentiels de la décentralisation, par exemple afin d'éviter le risque d'aggravation des inégalités dans le niveau de vie entre les régions, et la nécessité de limiter le plus possible les effets négatifs éventuels sur l'exercice des droits économiques et sociaux des enfants, notamment ceux qui appartiennent aux groupes les plus vulnérables.
14. S'agissant du droit de l'enfant de connaître ses origines, y compris dans le cas où la mère a demandé que l'anonymat soit respecté à l'accouchement et dans la déclaration de naissance ainsi que dans les cas d'adoption et de procréation médicalement assistée, le Comité s'inquiète de la compatibilité réelle des mesures législatives à l'étude avec les dispositions de la Convention, en particulier ses principes généraux.
15. Le Comité est préoccupé par la situation des enfants isolés "arrivés inopinément en France" pour obtenir le statut de réfugié (mentionnés au par. 389 du rapport). L'absence de système global de protection impliquant les autorités sociales ou judiciaires, ou associant les deux, pour protéger ces enfants tant qu'ils se trouvent sous la juridiction de l'Etat partie, ainsi que lors du retour dans leur pays d'origine lui semble aussi préoccupante.
16. Le Comité est également inquiet de la législation et la pratique en matière d'arrestation, de détention, de condamnation et d'incarcération dans le cas des mineurs, qui n'est peut-être pas pleinement conforme avec les dispositions et les principes de la Convention, en particulier les articles 37 et 40.
D. Suggestions et recommandations
17. Le Comité souhaite engager l'Etat partie à envisager de réexaminer sa réserve à l'égard de l'article 30 de la Convention, en vue de la retirer.
18. Le Comité souhaite également suggérer à l'Etat partie de réfléchir à la mise en place d'un mécanisme permanent de coordination, d'évaluation et de suivi pour les politiques de mise en oeuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant.
19. Le Comité souhaite insister sur l'importance d'une coopération étroite entre le gouvernement central et les autorités locales, en particulier dans le domaine budgétaire, de façon à réduire au minimum les inégalités éventuelles entre les régions pour ce qui est de la fourniture de services. Il souligne aussi l'utilité d'un mode d'approche global à la mise en oeuvre des droits de l'enfant, à la fois efficace et conforme aux dispositions et aux principes généraux de la Convention, en particulier l'intérêt supérieur de l'enfant et la non-discrimination, considérations qui s'appliquent indépendamment des ressources budgétaires.
20. Tout en relevant avec satisfaction les mesures en vigueur pour garantir un revenu social minimum et améliorer l'accès au logement des groupes les plus défavorisés, le Comité recommande à l'Etat partie, en cette période de récession économique, de surveiller de très près l'exercice des droits individuels des enfants. A cet égard, il suggère d'adopter les mesures voulues pour garantir la réalisation sans réserve des droits économiques et sociaux des enfants des secteurs les plus pauvres et les plus vulnérables de la société, notamment de ceux qui vivent dans les banlieues, des enfants des travailleurs migrants et des enfants socialement marginalisés.
21. Le Comité appelle l'attention de l'Etat partie sur les recommandations des organes de l'ONU et des institutions spécialisées qui insistent sur la priorité à donner aux programmes sociaux dans le cadre de l'aide au développement. Il souhaiterait suggérer à l'Etat partie de tenir compte de ces aspects de la promotion du développement social dans son programme de coopération internationale.
22. Dans le cadre des réformes législatives et à la lumière des principes fondamentaux de la Convention, en particulier de son article 2, le Comité suggère à l'Etat partie d'envisager de revoir sa législation actuelle sur l'âge minimum requis pour contracter mariage.
23. Le Comité souhaiterait suggérer à l'Etat partie d'examiner plus avant les moyens d'encourager l'expression de l'opinion des enfants et de faire en sorte que leur avis soit dûment pris en considération dans toute décision qui concerne leur vie, en particulier à l'école et au sein de la communauté locale.
24. Le Comité voudrait également suggérer qu'un effort supplémentaire soit consenti pour sensibiliser et éduquer dans le domaine de la prévention des violences à l'égard des enfants et des châtiments corporels.
25. Etant donné qu'après la présentation du rapport initial, des textes législatifs importants ont été promulgués, en ce qui concerne la nationalité, l'entrée et le séjour sur le territoire des étrangers, des réfugiés et des demandeurs d'asile ainsi que le regroupement familial, le Comité souhaiterait recevoir, avant le 1er octobre 1994, des renseignements écrits supplémentaires sur ces questions et sur les conséquences éventuelles des nouvelles mesures législatives pour l'exercice des droits de l'enfant, tels qu'ils sont consacrés par la Convention, en particulier ses articles 7, 9, 10 et 22, et compte dûment tenu des principes généraux.
26. Le Comité engage l'Etat partie à examiner sa législation régissant l'administration de la justice des mineurs, notamment les dispositions relatives aux enfants privés de liberté, de façon à garantir que la privation de liberté ne soit utilisée qu'en dernier recours et soit d'une durée aussi brève que possible, conformément à la Convention, notamment à ses articles 37, 39 et 40, ainsi qu'aux normes internationales applicables, les "Règles de Beijing", les Principes directeurs de Riyad et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.
27. Dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et conformément aux dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant ainsi que de la Convention No 138 de l'OIT à laquelle la France est partie, le Comité estime que l'emploi des enfants qui n'ont pas encore achevé leur scolarité obligatoire, autorisé par la législation dans le cas du personnel domestique et des entreprises familiales, notamment dans l'agriculture, mérite d'être reconsidéré par l'Etat partie. Le Comité engage aussi l'Etat partie à réexaminer la possibilité d'employer des enfants dans le secteur de la mode, afin d'avoir l'assurance que les enfants ne peuvent être ainsi engagés qu'au cas par cas et compte tenu de leur intérêt supérieur.
28. Eu égard au prix qu'il attache à la surveillance de l'application de la Convention au plan national, le Comité serait reconnaissant à l'Etat partie de lui adresser un exemplaire des rapports annuels que le Gouvernement français compte soumettre à l'Assemblée nationale au sujet des politiques mises en oeuvre pour assurer l'exercice des droits de l'enfant reconnus par la Convention.
*/ A la 156ème séance, le 22 avril 1994.