University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Jordanie, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.21 (1994).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Sixième session


EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Conclusions du Comité des droits de l'enfant : Jordanie



1. Le Comité a examiné le rapport initial de la Jordanie (CRC/C/8/Add.4) à ses 143ème, 144ème et 145ème séances (CRC/C/SR.143-145), les 13 et 14 avril 1994, et a adopté */ les conclusions suivantes :


A. Introduction

2. Le Comité se félicite de la présentation par la Jordanie de son rapport initial. Si ce rapport contient des renseignements détaillés sur la législation et les programmes qui donnent effet aux droits reconnus dans la Convention, en revanche, il fournit moins d'informations sur les facteurs et les difficultés qui entravent l'application de la Convention et la jouissance effective de leurs droits par les enfants. Bien que des réponses aient été données par écrit aux questions soulevées par le Comité avant la session, il aurait été particulièrement utile pour le Comité d'avoir davantage de renseignements, notamment des statistiques, sur les mesures d'application générales, l'observation du principe de non-discrimination et le respect des droits civils.

3. Le Comité note avec satisfaction que les renseignements supplémentaires fournis par la délégation lui ont permis de mieux comprendre la situation des enfants en Jordanie. Il remercie également la délégation pour son attitude constructive à l'égard des organisations non gouvernementales. De plus, il lui sait gré de lui avoir donné l'assurance qu'elle transmettrait ses observations ainsi que toutes questions restées sans réponse au Gouvernement jordanien pour qu'il agisse en conséquence.


B. Aspects positifs

4. Le Comité prend note avec satisfaction des mesures prises au cours de la période considérée pour aligner le droit interne sur la Convention, par la promulgation de nouvelles lois ou l'adoption de programmes spécifiques visant à promouvoir et à protéger les droits de l'enfant. Il se félicite qu'une étude soit actuellement réalisée sur la législation nationale pour vérifier sa compatibilité avec les dispositions et principes de la Convention et qu'un projet de loi sur le statut des personnes soit aussi actuellement à l'étude dans la même optique.

5. Le Comité se réjouit tout particulièrement des progrès notables qui ont été accomplis au cours des dernières années dans des domaines aussi cruciaux que la mortalité infantile et l'espérance de vie et qui ont montré que les autorités étaient déterminées à prévoir des ressources substantielles pour couvrir les dépenses sociales en dépit de graves difficultés économiques.


C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention

6. Le Comité prend note des difficultés économiques et sociales auxquelles la Jordanie a été confrontée par suite de la crise du Golfe et qui ont eu des effets néfastes sur la situation des enfants.

7. La présence d'un très grand nombre de réfugiés, en particulier de réfugiés d'origine palestinienne, crée une autre difficulté qui entrave la mise en oeuvre de la Convention.

8. Le Comité note également que le maintien de certaines traditions et coutumes constitue parfois un obstacle à l'application de la Convention, en particulier en ce qui concerne l'égalité des garçons et des filles.


D. Principaux sujets de préoccupation

9. Le Comité craint qu'en raison de leur portée très générale, les réserves formulées au sujet des articles 14, 20 et 21 de la Convention par l'Etat partie, n'entravent la réalisation des droits garantis dans ces articles et se demande si ces réserves sont compatibles avec l'objet et le but de la Convention.

10. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des mesures prises dans le cadre de la réforme législative pour assurer la pleine conformité de la législation en vigueur avec la Convention, notamment à la lumière des principes fondamentaux énoncés dans celle-ci, afin d'éliminer les contradictions ou de combler les lacunes de la législation nationale, en particulier dans les lois relatives à l'âge minimum du mariage et à l'administration de la justice pour mineurs.

11. Le Comité craint que, bien que la Charte nationale garantisse l'égalité des sexes en Jordanie, des attitudes discriminatoires et des préjugés ne subsistent encore au sein de la société et qu'il y ait encore des différences entre les hommes et les femmes dans la pratique, notamment en ce qui concerne les droits en matière d'héritage, le droit de quitter son pays et l'acquisition de la nationalité jordanienne. Le Comité craint plus particulièrement à ce sujet que compte tenu de la législation jordanienne, il ne se produise des cas d'apatridie. Il se demande également si les lois nationales relatives à l'âge minimum du mariage sont pleinement compatibles avec les dispositions concernant la non-discrimination qui figurent à l'article 2 de la Convention.

12. Le Comité se déclare préoccupé par le statut incertain des enfants et la discrimination qui pourrait découler de cette situation en raison de la coexistence de règlements différents en matière de statut personnel en fonction de la religion de l'enfant. Il prend note à cet égard des efforts faits par la délégation pour fournir des renseignements complémentaires sur les droits des enfants appartenant à la religion baha'ie.

13. Le Comité s'inquiète également de la situation des enfants réfugiés qui risquent de ne pas bénéficier d'une protection totale compte tenu du fait que le Royaume de Jordanie n'a pas encore ratifié les conventions internationales relatives aux réfugiés pertinentes.

14. Le Comité croit comprendre que de jeunes enfants travaillent en Jordanie et même que, dans des régions éloignées, certains enfants ne sont même pas envoyés à l'école pour cette raison. Le Royaume de Jordanie n'a pas adhéré à la Convention No 138 et à d'autres conventions de l'OIT sur l'âge minimum d'admission à l'emploi relatives à la protection des enfants et des jeunes qui travaillent.

15. Le Comité est préoccupé par le manque de mesures prises par les autorités pour évaluer et résoudre le problème des violences familiales.

16. Dans le domaine de l'administration de la justice pour mineurs, le Comité est préoccupé par l'application de l'article 92 du Code pénal qui dispose que toute personne de moins de 18 ans ne peut être considérée comme pénalement responsable mais prévoit qu'une action pénale peut être engagée contre des enfants de plus de sept ans. Il déplore également que des enfants qui ont été privés de liberté bien qu'ils n'aient pas été reconnus coupable d'une infraction pénale soient détenus dans les mêmes locaux que des condamnés.


E. Suggestions et recommandations

17. Le Comité exprime l'espoir que le gouvernement étudiera la possibilité de revoir les réserves qu'il a formulées au sujet des articles 14, 20 et 21 de la Convention en vue de les retirer.

18. Des efforts particuliers devraient être faits pour aligner totalement la législation actuelle sur les principes et les dispositions de la Convention, notamment à l'occasion de l'établissement d'une nouvelle loi sur le statut des personnes.

19. Le Comité suggère au Gouvernement jordanien d'envisager la création d'un mécanisme national qui serait chargé de coordonner les activités de mise en oeuvre et de suivi de l'application de la Convention. Il faudrait renforcer la coordination entre les divers organismes gouvernementaux et organisations non gouvernementales chargés de mettre en oeuvre la Convention et d'en surveiller l'application.

20. Il faudrait prendre des mesures pour mettre au point des méthodes permettant de définir des indicateurs appropriés et de recueillir des données statistiques et d'autres renseignements sur la situation des enfants sur la base desquels seraient élaborés des programmes visant à donner effet à la Convention.

21. Le Comité suggère qu'une formation appropriée soit dispensée aux agents de la force publique, aux juges et autres responsables de l'administration de la justice et, de manière plus générale, aux membres des professions qui s'occupent de la mise en oeuvre de la Convention, pour leur faire connaître les principes et les normes fondamentaux énoncés dans la Convention relative aux droits de l'enfant.

22. Des mesures devraient être prises pour combattre et éliminer les attitudes discriminatoires et les préjugés et garantir une protection efficace contre la discrimination, en particulier à l'égard des petites filles et des enfants nés en dehors du mariage ainsi que contre toute différence de traitement découlant du statut des parents.

23. Il est recommandé de réaliser une étude sur l'ampleur et la nature des violences familiales. Des mesures de suivi appropriées devraient être envisagées surtout dans le domaine de l'éducation familiale et de l'appui social.

24. Conformément à l'article 4 de la loi jordanienne sur l'éducation et à l'article 29 de la Convention, l'accent devrait être mis dans l'enseignement sur les valeurs importantes que sont la paix, la tolérance et le respect des droits de l'homme. La participation active des enfants devrait être encouragée. Des efforts devraient également être entrepris pour créer de nouveaux moyens, comme l'appartenance à des associations, permettant aux enfants de faire connaître leurs vues et de les faire prendre en compte.

25. Des mesures devraient être prises pour améliorer le taux de fréquentation scolaire des enfants habitant des régions éloignées, réduire le taux d'abandon scolaire et relever le niveau de l'alphabétisme, en particulier chez les filles. Les programmes scolaires devraient être modifiés afin d'y inclure des informations sur la Convention.

26. Afin que tous les enfants réfugiés ou tous les enfants demandant le statut de réfugié puissent jouir des droits garantis par la Convention, le Comité recommande au Royaume de Jordanie d'envisager la possibilité de ratifier la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés.

27. Le Comité recommande que l'Etat partie entreprenne une réforme complète de l'administration de la justice pour mineurs et qu'il prenne pour guide dans cette révision la Convention et d'autres normes internationales adoptées dans ce domaine, telles que les Règles de Beijing, les Principes directeurs de Riyad et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. Il faudrait aussi accorder une attention particulière aux mesures de rééducation et de réinsertion sociale conformément à l'article 39 de la Convention.

28. Il faudrait renforcer le mécanisme déjà mis en place pour surveiller la situation des enfants qui travaillent afin d'évaluer les progrès réalisés dans l'application de la Convention et de réduire l'écart existant entre la loi et la pratique. En outre, le Comité appuie les efforts actuellement déployés pour préparer l'adhésion de la Jordanie à la Convention No 138 et d'autres conventions de l'OIT sur l'âge minimum d'admission à l'emploi, relatives à la protection des enfants et des jeunes qui travaillent.

29. Le Comité recommande que le rapport présenté par l'Etat partie, les comptes rendus analytiques des séances au cours desquels il a été examiné et les conclusions du Comité soient diffusés le plus largement possible dans le pays, en particulier auprès des fonctionnaires et des spécialistes qui travaillent avec des enfants, des parlementaires, et des organisations non gouvernementales et dans les médias.

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*/ A la 156ème séance, tenue le 22 avril 1994.



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