University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Maroc, U.N. Doc. CRC/C/15/Add.60 (1996).



COMITE DES DROITS DE L'ENFANT

Treizième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION

Projet d'observations finales du Comité
des droits de l'enfant : Maroc


1. Le Comité a examiné le rapport initial du Maroc (CRC/C/28/Add.1) à ses 317ème, 318ème et 319ème séances, tenues les 24 et 25 septembre 1996 (voir CRC/C/SR.317 à 319) et, à sa 343ème séance, tenue le 11 octobre 1996, a adopté les observations finales ci-après.


A. Introduction

2. Le Comité se félicite de la présentation de ce rapport, qui contient des informations sur le cadre juridique dans lequel la Convention est appliquée et sur les autres mesures adoptées depuis la ratification de la Convention par le Maroc. Le Comité remercie le gouvernement des informations qu'il a communiquées par écrit en réponse aux questions figurant dans la liste des points à traiter (CRC/C/Q.Mor.1) ainsi que des informations supplémentaires fournies par l'Etat partie durant le dialogue avec le Comité, au cours duquel les représentants de l'Etat partie ont exposé dans un esprit critique les orientations de la politique et des programmes, mais aussi les difficultés rencontrées dans l'application de la Convention.


B. Aspects positifs

3. Le Comité note la création, en 1993, du Ministère chargé des droits de l'homme, qui s'occupe des questions relatives aux droits de l'enfant. Il note aussi la création, en 1994, du Congrès national des droits de l'enfant, qui récemment a été érigé en institution permanente, ainsi que la création du Haut Commissariat aux personnes handicapées, également en 1994. Le Comité est conscient de la volonté du gouvernement de procéder à une réforme législative compte tenu des questions ayant trait à l'enfance et est encouragé par la rédaction d'un nouveau Code du travail. Il note avec satisfaction qu'à la suite du Sommet mondial pour les enfants, le Plan d'action national en faveur de la survie, de la protection et du développement de l'enfant a été adopté en 1992. Enfin, il salue l'initiative prise par le gouvernement de diffuser des programmes spéciaux durant la Journée internationale de la radio et de la télévision en faveur des enfants.


C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre

de la Convention


4. Le Comité note que la situation des enfants a subi le contrecoup de graves problèmes d'ordre économique et social. Le fort endettement extérieur et les impératifs des programmes d'ajustement structurel, qui ont entraîné des réallocations budgétaires au détriment des services sociaux, ainsi que le chômage et la misère, ont eu une incidence sur l'exercice des droits des enfants. Le Comité note également qu'il existe encore des pratiques et coutumes traditionnelles qui font obstacle à l'exercice plein et entier de certains droits de l'enfant.


D. Principaux sujets de préoccupation

5. Le Comité est préoccupé par le fait que le texte de la Convention n'a pas encore été dûment publié au Journal officiel.

6. Le Comité est également préoccupé par l'insuffisance des mesures prises pour faire largement connaître les principes et les dispositions de la Convention aux enfants et aux adultes.

7. Le Comité est préoccupé par la réserve formulée par l'Etat partie à l'égard de l'article 14 de la Convention, réserve qui risque d'être préjudiciable à l'exercice des droits garantis dans ledit article et de soulever des questions quant à la compatibilité des réserves avec l'objet et le but de la Convention.

8. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance de la coordination entre les divers ministères, ainsi qu'entre les autorités centrales et les autorités locales, pour la mise en oeuvre de politiques de promotion et de protection des droits de l'enfant.

9. Il n'est pas accordé suffisamment d'attention à la nécessité d'établir un système de collecte de données systématique et complet, d'arrêter des indicateurs appropriés et de créer des mécanismes de surveillance pour tous les domaines visés par la Convention. Il ne semble pas exister de données ventilées et d'indicateurs appropriés pour évaluer la situation des enfants, notamment des enfants qui sont victimes de violences et de mauvais traitements, des enfants qui travaillent et de ceux qui ont affaire à la justice pour mineurs; il en va de même en ce qui concerne la petite fille, les enfants qui n'ont qu'un seul parent ou qui sont nés hors mariage, les enfants des zones rurales, les enfants abandonnés, placés en institution ou handicapés et ceux qui, pour survivre, vivent ou travaillent dans la rue.

10. En ce qui concerne l'application de l'article 4 de la Convention, le Comité note avec préoccupation l'insuffisance des mesures prises pour garantir la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels des enfants, dans toutes les limites des ressources disponibles. Il est particulièrement préoccupé par l'insuffisance des mesures et des programmes visant à protéger les droits des enfants les plus vulnérables, notamment les filles, les enfants des zones rurales, les enfants victimes de violences, les enfants n'ayant qu'un seul parent, les enfants nés hors mariage, les enfants abandonnés, les enfants handicapés et les enfants qui, pour survivre, sont contraints de vivre ou de travailler dans la rue.

11. L'Etat partie n'a pas encore tenu entièrement compte dans sa législation et ses politiques des principes généraux de la Convention : non-discrimination (art. 2), intérêt supérieur de l'enfant (art. 3), droit à la vie, à la survie et au développement (art. 6), et respect des opinions de l'enfant (art. 12).

12. Le Comité est également préoccupé par le fait que les dispositions législatives touchant la définition légale de l'enfant ne sont pas conformes à l'esprit et aux principes de la Convention. L'âge nubile très bas, l'âge minimum d'accès à l'emploi et l'âge de la responsabilité pénale sont des motifs de préoccupation.

13. Le Comité se déclare vivement préoccupé par la persistance d'attitudes discriminatoires à l'égard des filles, y compris la pratique du mariage précoce, qui font obstacle à l'exercice de leurs droits fondamentaux. Le fait que l'âge nubile soit plus bas pour les filles que pour les garçons soulève de sérieuses questions quant à sa compatibilité avec la Convention, en particulier l'article 2.

14. Compte tenu de l'article 30, le Comité est préoccupé par le fait qu'il n'a pas été pris de mesures pour assurer l'éducation scolaire dans toutes les langues et tous les dialectes existants.

15. Le Comité est préoccupé de constater que les mesures voulues n'ont pas encore été prises pour empêcher et combattre les mauvais traitements que subissent les enfants dans le cadre familial, et s'inquiète également du manque d'informations à ce sujet. Les problèmes de l'exploitation du travail des enfants, en particulier l'emploi de petites filles comme domestiques, et de la prostitution des enfants doivent aussi faire l'objet d'une attention particulière.

16. La situation en ce qui concerne l'administration de la justice pour mineurs, notamment la question de sa compatibilité avec les articles 37 et 40 de la Convention ainsi qu'avec d'autres normes applicables adoptées par les Nations Unies, telles que l'Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, est un sujet d'inquiétude. Le Comité est préoccupé, entre autres, par le fait que les enfants âgés de 16 à 18 ans sont traités comme des adultes et que les enfants privés de liberté ne sont pas séparés des adultes.


E. Suggestions et recommandations

17. Le Comité recommande de façon pressante que l'Etat partie publie le texte de la Convention au Journal officiel.

18. Le Comité est d'avis que de plus grands efforts sont nécessaires pour faire en sorte que les dispositions et les principes de la Convention soient largement diffusés auprès des enfants et des adultes, et bien compris par les uns et les autres, conformément à l'article 42 de la Convention. Il encourage l'Etat partie à pousser plus avant la réflexion systématique sur la manière de sensibiliser davantage la population aux droits des enfants relatifs à la participation, eu égard à l'article 12 de la Convention.

19. Le Comité recommande que des programmes de formation et de recyclage sur les droits de l'enfant soient périodiquement organisés pour les catégories professionnelles qui travaillent avec les enfants ou pour les enfants, y compris les enseignants, les responsables de l'application de la loi, les travailleurs sociaux et les juges, et que les questions concernant les droits de l'homme et les droits de l'enfant figurent dans les programmes de formation qui leur sont destinés. A cet égard, le Comité encourage les autorités à continuer de coopérer avec le Haut Commissaire/Centre pour les droits de l'homme.

20. Le Comité recommande que le Gouvernement marocain envisage de reconsidérer la réserve qu'il a formulée lorsqu'il a ratifié la Convention, en vue de la retirer, dans l'esprit de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne adoptés en juin 1993 par la Conférence mondiale sur les droits de l'homme et dans lesquels les Etats étaient priés instamment de retirer les réserves qu'ils avaient formulées à l'égard de la Convention relative aux droits de l'enfant.

21. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre des mesures plus poussées pour renforcer la coordination entre les différents mécanismes gouvernementaux qui s'occupent des droits de l'homme et des droits de l'enfant, aux niveaux central et local, ainsi que pour assurer une coopération plus étroite avec les organisations non gouvernementales.

22. Le Comité recommande également à l'Etat partie d'entreprendre de rassembler toutes les données et statistiques nécessaires sur la situation des enfants en s'attachant aux différents aspects visés par la Convention, sans oublier les enfants appartenant aux groupes les plus vulnérables. Il faudrait s'efforcer d'appliquer des politiques et des mesures de promotion et de protection des droits de l'enfant, aux niveaux central et local, en coopération avec les organismes et institutions spécialisées des Nations Unies, notamment l'UNICEF et l'OIT. Il est également suggéré qu'un système de surveillance pluridisciplinaire soit mis en place pour évaluer les progrès réalisés et les difficultés rencontrées dans la concrétisation des droits reconnus par la Convention aux niveaux central et local, et en particulier pour surveiller de façon régulière les incidences des mutations économiques sur les enfants. Ce système de surveillance devrait permettre à l'Etat partie de formuler les politiques appropriées et de lutter contre les disparités sociales et les préjugés traditionnels constatés. Le Comité encourage également l'Etat partie à envisager la mise en place d'un mécanisme indépendant, tel que l'institution d'un médiateur pour les droits de l'enfant.

23. En ce qui concerne l'article 4 de la Convention et compte tenu des difficultés économiques actuelles, le Comité souligne combien il importe d'affecter le maximum de ressources possible à la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels des enfants, au niveau central comme au niveau local, en application des principes de la Convention et en particulier des principes de la non-discrimination et de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 2 et 3).

24. Le Comité recommande que soient prises les mesures d'ordre politique et législatif voulues pour mettre la législation en conformité avec la Convention et les autres normes internationales pertinentes. Il recommande en particulier la réforme du Code pénal et du Code du travail. Il encourage vivement le Gouvernement marocain à ratifier la Convention No 138 de l'OIT concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi et, à cet effet, à envisager de solliciter à nouveau la coopération technique de l'OIT.

25. Le Comité recommande que des campagnes de sensibilisation concernant les droits de la petite fille soient menées tant en zone rurale qu'en zone urbaine. Il demande instamment à l'Etat partie d'appliquer une politique nationale d'ensemble visant à promouvoir et protéger ces droits. Il recommande en outre que, compte tenu des articles 2 et 3 de la Convention, l'âge nubile soit relevé et soit le même pour les filles et les garçons.

26. Le Comité recommande que des mesures de protection spéciales soient appliquées à l'égard des enfants des zones rurales, des enfants victimes de violences, des enfants n'ayant qu'un seul parent, des enfants nés hors mariage, des enfants abandonnés, placés en institution ou handicapés, des enfants qui ont affaire au système de justice pour mineurs, notamment lorsqu'ils sont privés de liberté, des enfants qui travaillent et des enfants qui, pour survivre, sont contraints de vivre ou de travailler dans la rue.

27. Le Comité encourage le Gouvernement marocain à prendre toutes mesures pour empêcher et combattre les mauvais traitements à enfant, y compris les violences exercées contre les enfants au sein de la famille, le châtiment corporel, le travail des enfants et l'exploitation sexuelle des enfants. Il recommande que des études approfondies soient entreprises sur ces importantes questions afin de permettre une meilleure compréhension de ces phénomènes et de faciliter l'élaboration de politiques et programmes pour les combattre efficacement. Dans cette perspective, le gouvernement devrait poursuivre ses efforts en étroite coopération avec les dirigeants communautaires et avec les organisations non gouvernementales, en vue de faire évoluer les attitudes négatives qui persistent à l'égard des enfants appartenant aux groupes les plus vulnérables.

28. Le Comité recommande à l'Etat partie d'envisager d'entreprendre une réforme en profondeur du système de la justice pour mineurs dans l'esprit de la Convention, en particulier de ses articles 37, 39 et 40, et d'autres normes des Nations Unies dans ce domaine, telles que l'Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. Il faudrait prêter une attention particulière à l'idée de ne recourir à la privation de liberté qu'en dernier ressort et pour le laps de temps le plus court possible, à la protection des droits des enfants privés de liberté, aux garanties d'une procédure régulière et à l'indépendance et l'impartialité absolues du pouvoir judiciaire. Des programmes de formation consacrés aux normes internationales pertinentes devraient être organisés à l'intention de toutes les personnes dont la profession relève du système d'administration de la justice pour mineurs. Le Comité suggère au Gouvernement marocain d'envisager de demander de l'aide au niveau international en matière d'administration de la justice pour mineurs, en s'adressant au Haut Commissaire aux droits de l'homme/Centre pour les droits de l'homme et à la Division de la prévention du crime et de la justice pénale (à Vienne).

29. Enfin, le Comité recommande qu'en application du paragraphe 6 de l'article 44 de la Convention, le rapport initial présenté par le Maroc soit largement diffusé auprès du grand public et qu'il soit envisagé de le publier, avec les comptes rendus analytiques pertinents et les observations finales adoptées à son sujet par le Comité. Pareil document devrait recevoir une large diffusion afin de faire connaître la Convention, son application et son suivi et de susciter la discussion au sein du gouvernement, du Parlement et du public en général, y compris les organisations non gouvernementales intéressées.



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