Observations finales du Comité des droits de l'enfant, Zimbabwe, U.N.
Doc. CRC/C/15/Add.55 (1996).
COMITE DES DROITS DE L'ENFANT
Douzième session
EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 44 DE LA CONVENTION
Observations finales du Comité des droits de l'enfant : Zimbabwe
1. Le Comité a examiné le rapport initial du Zimbabwe (CRC/C/3/Add.35) à ses 293ème, 294ème et 295ème séances (CRC/C/SR.293 à 295), les 22 et 23 mai 1996 et a adopté A sa 314ème séance, le 7 juin 1996. les observations finales ci-après :
A. Introduction
2. Le Comité remercie l'Etat partie d'avoir mené, par le truchement d'une délégation de haut niveau et pluridisciplinaire, un dialogue ouvert et fructueux avec le Comité. Tout en notant l'attitude critique dont l'Etat partie a fait preuve dans son rapport, le Comité regrette que l'information qui y figure n'ait pas été présentée selon ses directives.
B. Aspects positifs
3. Le Comité prend note avec satisfaction des mesures adoptées par le Gouvernement pour promouvoir la tolérance et la démocratie dans la société, y compris par des dispositions constitutionnelles. A ce sujet, il se félicite de l'adoption récente de l'amendement No 14 à la Constitution, qui interdit la discrimination fondée sur le sexe. Il prend également note des mesures adoptées pour sensibiliser l'opinion aux droits de l'enfant et pour encourager la participation des enfants, notamment en organisant un parlement des enfants et en favorisant la mise en place de conseils de la jeunesse et la nomination de maires-enfants.
4. Le Comité prend note de la création de la Commission interministérielle des droits de l'homme et du droit international, chargée de coordonner les activités entreprises par les ministères et services gouvernementaux compétents pour mettre en oeuvre la Convention. Le Comité se félicite de la décision du Gouvernement de présenter un rapport annuel au Cabinet et au Parlement sur les mesures prises pour donner effet aux droits consacrés dans la Convention.
5. Le Comité juge encourageants les efforts menés conjointement par le Gouvernement et les organisations non gouvernementales pour promouvoir les droits de l'enfant.
6. Le Comité note avec satisfaction que la fonction de médiateur a été créée en 1982 et se félicite de la décision d'élargir le mandat du Médiateur afin qu'il puisse enquêter sur les violations présumées des droits de l'enfant commises par des membres des forces armées, de la police ou du personnel pénitentiaire.
7. Le Comité se félicite des mesures prises par le Gouvernement pour améliorer les conditions de vie et atténuer la pauvreté, en particulier en donnant à la population des zones rurales les moyens de développer les activités génératrices de revenus.
8. Le Comité se félicite de voir que le Gouvernement a l'intention d'incorporer un enseignement relatif à la Convention dans les programmes scolaires. Il se félicite en outre de l'attention accordée par le Gouvernement à la campagne contre le SIDA ("Let's all talk about it"), actuellement menée dans les milieux scolaires.
9. Le Comité accueille avec satisfaction l'initiative qui vise à rendre les tribunaux plus réceptifs aux problèmes des enfants victimes de sévices sexuels en mettant à la disposition de ces enfants les services de conseillers spéciaux pour faciliter leur réadaptation.
C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention
10. Le Comité relève que, jusqu'en 1980, le Zimbabwe était soumis à un régime non démocratique; la législation et les politiques adoptées et mises en oeuvre par le pouvoir favorisaient la ségrégation raciale et la discrimination au sein de la société. Les séquelles de cette époque, auxquelles viennent s'ajouter le fardeau de la dette extérieure et les conséquences de la récente sécheresse, ont entravé l'application de la Convention.
D. Principaux sujets de préoccupation
11. Le Comité juge préoccupant le fait que l'Etat partie n'ait pas encore entrepris une réforme d'ensemble de la législation nationale en vue de rendre celle-ci pleinement conforme à la Convention. Il note que l'existence d'un double système juridique - fondé à la fois sur la "common law" et le droit coutumier - soulève des difficultés supplémentaires pour la mise en oeuvre de la Convention et empêche d'en contrôler efficacement l'application.
12. Le Comité note avec préoccupation l'insuffisance des mesures législatives adoptées pour prévenir et éliminer toute forme de discrimination eu égard à l'article 2 de la Convention. Il constate à ce sujet que, selon l'article 23 de la Constitution, le principe de la non-discrimination ne s'applique pas aux employeurs ou établissements privés; la même disposition autorise des dérogations dans des domaines aussi importants que l'adoption, le mariage, le divorce et d'autres aspects du droit des personnes et prive notamment les filles du droit à l'héritage. En outre, cette disposition autorise une discrimination fondée sur la race pour ce qui est de l'âge légal du mariage, le droit d'hériter et les enfants nés hors mariage. Le Comité note de surcroît que, selon la législation, l'âge légal du mariage n'est pas le même pour les garçons et pour les filles.
13. Le Comité note avec préoccupation la persistance de comportements sociétaux ainsi que de pratiques culturelles et religieuses qui, comme le reconnaît l'Etat partie, font obstacle à la réalisation des droits de l'enfant. On peut mentionner à ce sujet les difficultés rencontrées, dans les régions isolées, pour enregistrer la naissance des enfants abandonnés et des enfants réfugiés, ainsi que la situation des fillettes victimes de pratiques telles que le ngozi ou le lobola (enfant donnée en gage ou en mariage à titre de récompense) et les mariages précoces, ou encore la situation des enfants handicapés.
14. Le Comité relève avec préoccupation l'absence de mécanisme efficace propre à garantir l'application systématique de la Convention et à permettre de suivre les progrès réalisés en la matière. Des efforts insuffisants ont été faits pour recueillir des données quantitatives et explicatives fiables dans tous les domaines visés par la Convention et pour tous les groupes d'enfants, en particulier ceux qui font partie des catégories les plus défavorisées.
15. Le Comité est préoccupé de voir que les dispositions de l'article 4 de la Convention ne sont pas suffisamment prises en compte et constate la persistance de disparités économiques et sociales dans la jouissance des droits reconnus par la Convention, en particulier s'agissant des enfants qui vivent dans les zones rurales, les exploitations agricoles commerciales et les zones urbaines défavorisées. Il relève à ce sujet que, comme l'a admis l'Etat partie, les mesures instituant le paiement de droits pour les soins de santé et l'enseignement, ainsi que les carences du système d'aide sociale ont limité l'accès des groupes à faible revenu à ces services.
16. Le Comité note en outre que l'on n'a pas accordé suffisamment d'attention au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant dans la législation et dans la pratique, non plus qu'au respect des opinions de l'enfant dans le cadre scolaire, social et familial. A ce sujet, le Comité relève que, comme l'a admis l'Etat partie, les droits et libertés civils de l'enfant s'exercent sous réserve du consentement des parents ou de la discipline qu'ils imposent, pratique qui ne paraît guère compatible avec la Convention, en particulier les articles 5 et 12.
17. Le Comité s'alarme du nombre d'orphelins et d'enfants abandonnés ainsi que de l'augmentation du nombre d'enfants chefs de famille, par suite notamment de la propagation du SIDA; il s'inquiète aussi de l'insuffisance des mesures prises pour garantir la réalisation de leurs droits fondamentaux et de l'absence de solution de rechange au placement de ces enfants en institution.
18. Le Comité constate avec inquiétude que la législation admet le recours aux châtiments corporels à l'école ainsi que dans la famille. Il souligne que les châtiments corporels, de même que toute autre forme de violence, de mauvais traitements, de négligence, de sévices ou de traitement dégradant, sont incompatibles avec les dispositions de la Convention, en particulier l'article 19, le paragraphe 2 de l'article 28 et l'article 37.
19. Le Comité s'inquiète de voir que l'enseignement primaire n'est ni gratuit ni obligatoire. En outre, il fait part de sa préoccupation devant le manque d'équipements scolaires et de moyens pédagogiques ainsi que la pénurie d'enseignants qualifiés dans les régions rurales, en particulier les zones d'agriculture commerciale. Il partage les préoccupations formulées par le Gouvernement à propos de la qualité médiocre de l'enseignement. La charge que représentent pour les familles les frais de scolarité dans le secondaire entraîne une augmentation du taux des abandons scolaires chez les filles, en particulier dans les régions rurales. Le Comité relève avec inquiétude le clivage de plus en plus net engendré dans le système scolaire par l'existence de deux réseaux parallèles - écoles privées et écoles publiques - qui favorise en définitive la ségrégation raciale à l'école sur la base de la situation économique des parents.
20. En ce qui concerne l'exploitation des enfants, le Comité s'inquiète de la persistance de l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine, notamment dans l'agriculture, les services domestiques et les exploitations agricoles commerciales. Il s'inquiète tout particulièrement de l'absence de législation interdisant le travail des enfants.
21. Le Comité juge inquiétant le système actuel de justice des mineurs, notamment l'absence de dispositions interdisant expressément l'imposition de la peine capitale, de peines d'emprisonnement à vie sans possibilité de libération et de peines d'une durée indéterminée, ainsi que le recours au châtiment du fouet comme mesure disciplinaire à l'encontre des garçons.
E. Suggestions et recommandations
22. Le Comité recommande à l'Etat partie d'entreprendre un réexamen détaillé de la législation nationale afin de la rendre pleinement compatible avec les principes et dispositions de la Convention. Il faudrait en particulier veiller à donner pleinement effet au principe de la non-discrimination, notamment en révisant les dispositions pertinentes de la Constitution ainsi que les autres textes législatifs de nature à favoriser une discrimination quelle qu'elle soit, fondée sur le sexe, la race, la naissance ou la situation matrimoniale, par exemple.
23. Le Comité souligne qu'il importe de mettre en place un système efficace et permanent pour suivre l'application de la Convention, reposant sur une étroite coopération entre tous les ministères et services gouvernementaux compétents aux niveaux national et local, et engage l'Etat partie à poursuivre ses efforts en vue d'institutionnaliser la collaboration avec les organisations non gouvernementales.
24. Le Comité suggère d'améliorer le système de collecte des données et d'établir des indicateurs désagrégés qui permettront d'évaluer les progrès accomplis dans tous les domaines visés par la Convention, pour toutes les régions du pays et tous les groupes d'enfants.
25. Le Comité engage le Gouvernement à poursuivre les efforts faits pour élargir le mandat du Médiateur, de façon que les violations des droits de l'enfant, y compris quand elles sont commises par des membres des forces armées, des responsables de l'application des lois ou des membres du personnel pénitentiaire, fassent l'objet d'une enquête en bonne et due forme et que l'on puisse suivre la situation des enfants placés en institution ou dans des centres de détention.
26. Le Comité engage le Gouvernement à adopter des mesures adéquates pour lutter contre les attitudes sociales dominantes et les pratiques culturelles et religieuses entravant la réalisation des droits de l'enfant. Il faudrait lancer des campagnes systématiques d'information et de sensibilisation pour faire mieux comprendre les dispositions de la Convention et la nécessité de respecter et de protéger les droits de l'enfant. De même, il faudrait développer les activités de formation s'adressant aux groupes professionnels qui travaillent avec et pour les enfants : enseignants, responsables de l'application des lois et personnel pénitentiaire, membres des forces armées, juges, travailleurs sociaux et personnels sanitaires. Le Comité engage en outre l'Etat partie à poursuivre les efforts entrepris pour incorporer un enseignement relatif à la Convention dans les programmes scolaires et à envisager d'inclure une sensibilisation à la Convention dans les programmes de formation.
27. Le Comité engage l'Etat partie à prendre toutes les mesures appropriées pour l'enregistrement de toutes les naissances, y compris celles qui interviennent dans les zones rurales et les zones d'agriculture commerciale, et soutient les efforts visant à mettre en place des services d'enregistrement dans les écoles et les dispensaires.
28. Le Comité recommande à l'Etat partie d'accorder une attention particulière à l'application de l'article 4 de la Convention et de prendre toutes les mesures appropriées, dans la limite des ressources disponibles, pour la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels de l'enfant. Une attention spéciale devrait être accordée à la situation des groupes d'enfants les plus défavorisés, y compris ceux qui vivent dans les zones rurales, les zones urbaines pauvres et les zones d'agriculture commerciale, ainsi que les orphelins et les enfants abandonnés; il faudrait prendre des mesures visant à offrir à ces enfants un filet de sécurité adéquat et à les protéger contre les répercussions des restrictions budgétaires et de la suppression de la gratuité des services de santé et de l'enseignement.
29. Le Comité recommande à l'Etat partie de veiller à ce que l'intérêt supérieur de l'enfant prime dans toutes les initiatives concernant des enfants, y compris celles qui émanent des tribunaux, des établissements d'assistance publique ou privée, des autorités administratives ou des organes législatifs. Le Comité engage l'Etat partie à prendre des mesures appropriées pour aider les parents à s'acquitter de leurs responsabilités en matière de soins aux enfants. Le Comité engage en outre l'Etat partie à envisager des solutions de rechange au placement en institution des enfants privés de leur milieu familial, ainsi que des mesures spéciales de protection et d'assistance pour les enfants chefs de famille. Le Comité incite l'Etat partie à envisager de ratifier la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale de 1993.
30. L'Etat partie devrait adopter des mesures appropriées visant à garantir le respect des opinions de l'enfant dans la famille, à l'école et au sein de la société, et à promouvoir l'exercice par l'enfant de ses droits selon des modalités conformes au développement de ses capacités.
31. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre des mesures législatives pour interdire le recours à toute forme de châtiment corporel dans la famille et à l'école.
32. Il faudrait également adopter des dispositions législatives interdisant le travail des enfants au-dessous d'un âge minimum, compte tenu de l'article 32 de la Convention. A ce sujet, le Comité invite l'Etat partie à étudier les recommandations faites par l'Organisation internationale du Travail dans son rapport de mission de 1993 et l'encourage, en particulier, à interdire le travail des jeunes de moins de 18 ans dans les activités dangereuses et à rendre l'enseignement gratuit et obligatoire jusqu'à l'âge de 15 ans. Le Comité engage l'Etat partie à solliciter l'aide de l'Organisation internationale du Travail en la matière.
33. Dans le domaine de la justice des mineurs, le Comité recommande à l'Etat partie de relever l'âge minimum de la responsabilité pénale et d'incorporer dans la législation une disposition interdisant expressément la peine capitale, l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération et les peines d'une durée indéterminée ainsi que le châtiment du fouet comme mesure disciplinaire.
34. Le Comité recommande en outre à l'Etat partie d'assurer une large diffusion
à son rapport, aux comptes rendus analytiques des séances consacrées à l'examen
dudit rapport et aux observations finales du Comité. Le Comité suggère également
que ces documents soient portés à l'attention du Parlement de façon qu'il soit
donné suite aux suggestions et recommandations qu'ils contiennent.