COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Vingt-huitième session
29 avril-17 mai 2002
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE
Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels
BÉNIN
1. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le rapport
initial du Bénin sur l'application du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (E/1990/5/Add.48) à ses 8e, 9e et 10e séances
les 2 et 3 mai 2002 (E/C.12/2002/SR.8 à 10), et a adopté, à sa 24e séance,
le 15 mai 2002, les observations finales ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l'État partie,
qui a été de façon générale établi conformément à ses directives, ainsi que
les réponses écrites dudit État partie à la liste des points à traiter (E/C.12/Q/BEN/1).
3. Le Comité note avec satisfaction qu'un dialogue ouvert et constructif s'est
instauré avec la délégation de l'État partie. Toutefois, il regrette que certaines
réponses écrites à la liste des points à traiter aient été incomplètes, lacunaires
ou absentes et que celles apportées oralement durant ce dialogue aient été
trop souvent vagues et générales.
4. Le Comité note que la délégation de l'État partie a promis que des renseignements
plus précis sur divers indicateurs économiques, sociaux et culturels figureraient
dans son deuxième rapport périodique.
B. Aspects positifs
5. Le Comité se félicite du fait que la Constitution, adoptée en 1990 par
l'État partie, contient une partie consacrée aux droits de l'homme, et notamment
à certains droits économiques, sociaux et culturels.
6. Le Comité accueille avec satisfaction la proposition, faite par le chef
de la délégation de l'État partie, que le Comité dépêche une délégation sur
place pour se rendre compte de la situation du pays, des mesures prises pour
la mise en œuvre du Pacte et des progrès à accomplir, éventuellement
en coopération avec les institutions spécialisées des Nations Unies.
C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
7. Le Comité prend note de la situation économique difficile, persistante,
de l'État partie qui est due en partie au caractère peu diversifié de sa structure
économique, aux effets des programmes d'ajustement structurel appliqués par
l'État partie depuis 1989 et à ceux de la dette extérieure.
8. Le Comité note que la prévalence dans l'État partie de certaines traditions,
coutumes et pratiques culturelles, notamment celles contenues dans le Code
coutumier du Dahomey de 1931, est la source de discriminations notables contre
les femmes et les filles et a pour effet de les empêcher d'exercer pleinement
les droits que leur reconnaît le Pacte.
D. Principaux sujets de préoccupation
9. Le Comité est préoccupé par le fait que, bien que la Constitution de 1990
garantisse certains droits économiques, sociaux et culturels, aucune loi spécifique,
mis à part le Code du travail, n'a été adoptée pour donner effet aux droits
garantis par le Pacte.
10. Le Comité est préoccupé par le grave problème de la pauvreté auquel l'État
partie est confrontée, en dépit d'une croissance économique positive depuis
1995. Malgré ces résultats, une partie importante de la population vit en
dessous du seuil de la pauvreté.
11. Le Comité est préoccupé, bien que la Constitution de 1990 proclame l'égalité
de l'homme et de la femme en droit (art. 26), par le fait que les femmes continuent
à subir une discrimination généralisée, surtout en ce qui concerne l'accès
à l'emploi, à la terre et au crédit et la possibilité d'hériter de propriétés.
12. Le Comité déplore l'insuffisance des mesures prises par l'État partie
pour combattre la pratique persistance de mutilations génitales féminines,
dont sont généralement victimes les jeunes femmes et les fillettes.
13. Le Comité déplore le peu de progrès accomplis par l'État partie dans sa
lutte contre le maintien de pratiques qui empêchent les femmes et les filles
d'exercer les droits qui leur sont reconnus dans le Pacte. Il s'agit notamment
de la polygamie et des mariages précoces et forcés des filles.
14. Le Comité juge préoccupants le taux très important de chômage dans l'État
partie, qui affecte plus particulièrement les jeunes, et les licenciements
provoqués par la privatisation ou la liquidation d'un certain nombre d'entreprises
nationales.
15. Le Comité regrette que le salaire minimum fixé par l'État partie ne suffise
pas pour permettre aux travailleurs et à leur famille de mener une existence
décente.
16. Le Comité est préoccupé par le maintien de restrictions au droit de grève,
en particulier celles prévues par l'ordonnance no 69-14 du 19 juin 1969 relative
au droit de grève.
17. Le Comité juge particulièrement préoccupant le fait que 80 % des travailleurs
œuvrent dans le secteur informel et, n'étant pour cette raison pas déclarés,
ne bénéficient d'aucune protection sociale.
18. Le Comité est profondément préoccupé par l'existence de la pratique des
«vidomégons», ces enfants placés dans des familles pour le service et trop
souvent victimes d'abus, de violence et d'exploitation. Le Comité est également
très préoccupé par le trafic d'enfants tant au niveau national qu'en direction
d'autres États de la région.
19. Le Comité est préoccupé par le grand nombre d'enfants qui travaillent
et qui, de ce fait, sont privés de leur droit à l'éducation.
20. Le Comité est préoccupé par le grand nombre d'enfants de la rue.
21. Le Comité est préoccupé par l'absence de politique sociale en matière
de logement et le manque de logements à loyer modéré. Il constate avec grande
inquiétude que les loyers sont trop élevés pour une grande partie de la population,
en particulier pour les groupes défavorisés et marginalisés, et que les démolitions
sont pratiquées sans compensation. Le Comité est également préoccupé par le
nombre toujours plus important de personnes vivant dans la rue et dans des
bidonvilles insalubres et dépourvus des services de base.
22. Le Comité note avec préoccupation les disparités de niveau de vie entre
les habitants des zones rurales et ceux des zones urbaines, dans la mesure
où l'accès des premiers à l'eau potable, aux installations sanitaires et à
l'électricité est considérablement moindre, la privatisation de l'eau et de
l'électricité entraînant des augmentations de coûts.
23. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des services de santé et le
manque de sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive, ce qui n'a
pas permis de réduire la mortalité infantile et maternelle. Il est également
préoccupé par le grand nombre d'avortements clandestins, qui sont principalement
responsables du taux élevé de mortalité maternelle dans l'État partie.
24. Le Comité est préoccupé par l'insuffisance des structures hospitalières
et centres de santé et par la proportion croissante de personnel non qualifié
dans le secteur sanitaire, surtout dans les zones rurales.
25. Le Comité est préoccupé par la persistance d'un taux élevé d'analphabétisme
dans l'État partie, lequel taux est plus élevé chez les femmes que chez les
hommes. Il prend également note avec une vive préoccupation de la préférence
en matière d'éducation donnée traditionnellement aux enfants de sexe masculin.
Cela se reflète dans l'inscription nettement supérieure des garçons, par rapport
aux filles, dans l'enseignement primaire.
26. Le Comité est préoccupé par le fait que l'éducation primaire n'est pas
gratuite et que les parents payent des frais d'écolage directs et indirects.
27. Le Comité juge préoccupant que l'État partie ne fournisse pas assez d'efforts
pour conserver la diversité des langues dans le pays, notamment en ne prenant
pas des mesures pour éviter que certaines d'entre elles ne disparaissent complètement.
E. Suggestions et recommandations
28. Le Comité engage vivement l'État partie à faire en sorte que le Pacte
soit pleinement pris en considération dans la formulation et l'application
de toutes les mesures concernant les droits économiques, sociaux et culturels
et que ses dispositions puissent faire concrètement l'objet d'actions en justice.
29. Le Comité recommande à l'État partie d'accentuer ses efforts afin de réduire
les effets de la pauvreté dans la population, notamment par une répartition
plus équitable des ressources et un meilleur accès aux services pour ceux
qui sont dans le besoin. Par ailleurs, le Comité encourage vivement l'État
partie à inclure les droits économiques, sociaux et culturels dans le Document
de stratégie de réduction de la pauvreté.
30. Le Comité demande à l'État partie de prendre des mesures plus énergiques
et réalistes pour s'attaquer, en droit et dans les faits, à l'inégalité des
sexes et à la discrimination à l'égard des femmes dans l'État partie. Il prie
notamment l'État partie d'adopter rapidement le Code de la famille qui est
en discussion au Parlement depuis 1995.
31. Le Comité engage l'État partie à multiplier ses efforts en vue de mettre
fin à la pratique des mutilations génitales, notamment en adoptant une loi
qui criminalise cette pratique, en créant des mécanismes de protection de
la femme, et par le biais de programmes éducatifs et de soutiens financiers
aux exciseuses qui cessent leurs activités. L'État partie est invité à indiquer,
dans son deuxième rapport périodique, quels progrès auront été réalisés dans
ce domaine.
32. Le Comité engage l'État partie à interdire les pratiques coutumières qui
portent atteinte aux droits des femmes et à prendre des mesures énergiques
pour lutter par tous les moyens contre ces pratiques, y compris par l'intermédiaire
de programmes d'éducation impliquant les chefs traditionnels. L'État partie
devrait concentrer plus particulièrement son action sur l'élimination de la
pratique de la polygamie et des mariages forcés.
33. Le Comité prie instamment l'État partie d'adopter des mesures plus efficaces
pour réduire le chômage, notamment lorsqu'il affecte les jeunes, et de prévenir
les licenciements massifs ou les accompagner de mesures sociales.
34. Le Comité engage vivement l'État partie à prendre des mesures pour augmenter
progressivement le salaire minimal et permettre ainsi aux salariés de pourvoir
aux besoins essentiels de leur famille.
35. Le Comité encourage vivement l'État partie à abroger l'ordonnance No 69-14
du 19 juin 1969 relative au droit de grève et recommande à l'État partie de
limiter l'interdiction du droit de grève aux services essentiels – conformément
à la Convention no 87 de l'Organisation internationale du Travail (1948),
concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical –
et, en ce qui concerne la fonction publique, aux fonctionnaires qui exercent
des fonctions de maintien de l'ordre.
36. Le Comité recommande à l'État partie d'adopter toutes les mesures nécessaires
pour réduire la part de la population active dans des secteurs économiques
informels et de veiller à ce que son système de sécurité sociale garantisse
aux travailleurs une couverture sociale et une pension minimale suffisante.
37. Le Comité invite instamment l'État partie à prendre toutes les mesures
efficaces, législatives, économiques et sociales, et à développer des campagnes
de sensibilisation auprès des familles, notamment dans les régions les plus
pauvres du pays, en vue de mettre fin à la pratique des «vidomégons». Le Comité
demande instamment à l'État partie d'intensifier ces mesures afin de combattre
le trafic d'enfants, notamment par l'adoption de mesures législatives et par
la signature d'accords avec les pays qui reçoivent ces enfants.
38. Le Comité recommande à l'État partie de contrôler efficacement le travail
des enfants et de sanctionner les personnes ou les entreprises qui y ont recours.
39. Le Comité demande à l'État partie de traiter le problème des enfants de
la rue et de chercher à les réintégrer dans la société et le système scolaire.
40. Le Comité recommande à l'État partie de mettre en place un plan cohérent
de logement social, de construire davantage de logements sociaux et bon marché
pour les personnes défavorisées et marginalisées à faible revenu, de veiller
à la régulation des loyers pour les logements sociaux et d'éviter toute expulsion
forcée sans compensation, et de prendre des mesures prioritaires pour les
personnes sans abri et vivant dans des bidonvilles insalubres, conformément
aux recommandations contenues dans les observations générales nos 4 et 7.
41. Le Comité encourage vivement l'État partie à prendre des mesures efficaces
pour réduire les disparités actuelles entre les zones rurales et les zones
urbaines, notamment en améliorant l'accès à l'eau, à l'électricité et aux
installations sanitaires dans les zones rurales et en veillant à maintenir
un coût abordable de l'eau et de l'électricité.
42. Le Comité invite instamment l'État partie à améliorer ses services de
santé et entreprendre des programmes en matière d'éducation sexuelle et reproductive.
Le Comité invite l'État partie à s'attaquer prioritairement au problème des
avortements clandestins.
43. Le Comité recommande à l'État partie de mettre en place une politique
globale de santé permettant de garantir l'accès des populations les plus pauvres
à des soins primaires de santé, gratuits et de qualité.
44. Le Comité recommande à l'État partie d'intensifier ses efforts en vue
de permettre l'égal accès des filles et des garçons à l'éducation. Il invite
instamment l'État partie à prendre toutes les mesures efficaces pour améliorer
le taux d'alphabétisation, en particulier celui des femmes.
45. Le Comité recommande à l'État partie d'entreprendre par tous les moyens,
y compris la coopération technique, l'instauration progressive de l'éducation
primaire gratuite. Le Comité invite instamment l'État partie à se conformer
aux dispositions de l'article 14 du Pacte et à adopter, dans un délai de deux
ans, un plan détaillé des mesures nécessaires pour réaliser progressivement,
dans un nombre d'années raisonnable fixé par ce plan, la pleine application
du principe de l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous.
46. Le Comité prie instamment l'État partie de s'attacher à élaborer et adopter
un plan national d'éducation pour tous, comme préconisé au paragraphe 16 du
Cadre d'action de Dakar. L'État partie est invité à tenir compte, dans la
formulation et l'application de ce plan, des observations générales nos 11
et 13 du Comité et à établir un système de suivi efficace dudit plan. L'État
partie est invité à demander des conseils et une assistance technique à l'Organisation
des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture aux fins de la
formulation et de l'application de son plan.
47. Le Comité recommande à l'État partie d'engager une politique globale de
protection de son patrimoine linguistique.
48. Le Comité demande à l'État partie de diffuser largement les présentes
observations finales dans toutes les couches de la société, en particulier
auprès des fonctionnaires de l'État et des membres de l'appareil judiciaire,
et de l'informer dans son prochain rapport périodique de toutes les mesures
qu'il aura prises pour y donner suite. Il invite en outre l'État partie à
associer les organisations non gouvernementales et d'autres membres de la
société civile à l'élaboration de son deuxième rapport périodique.
49. Enfin, le Comité prie l'État partie de soumettre son deuxième rapport
périodique d'ici au 30 juin 2007 et d'y faire figurer des renseignements détaillés
sur les mesures qu'il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées
dans les présentes observations finales.