COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX
ET CULTURELS
Vingt-septième session
12-30 novembre 2001
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE
Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
Colombie
1. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le quatrième
rapport périodique de la Colombie sur l'application du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/4/Add.6) à ses
61e et 62e séances, tenues le 14 novembre 2001 (E/C.12/2001/SR.61 et 62),
et a adopté, à ses 85e et 86e séances (E/C.12/2001/SR.85 et 86), tenues le
29 novembre 2001, les observations finales ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de
la Colombie qui a été établi selon ses directives.
3. Le Comité se félicite des réponses écrites détaillées à la liste des
points à traiter (E/C.12/Q/COL/2), mais regrette qu'elles aient été soumises
tardivement. Le Comité, tout en se déclarant satisfait de la franchise ayant
marqué le dialogue avec la délégation, regrette que davantage d'experts
n'aient pas été présents au cours de ce dialogue.
B. Aspects positifs
4. Le Comité prend acte des efforts de l'État partie pour parvenir à la paix
par le dialogue et les négociations avec les principales parties au conflit.
5. Le Comité accueille avec satisfaction le plan national de développement
de 1998-2002, intitulé «Changer pour construire la paix».
6. Le Comité se félicite de l'adoption de la loi 387 de 1997 en vertu de
laquelle le Gouvernement a été chargé d'établir une série de normes pour
prévenir les déplacements et protéger les personnes déplacées.
7. Le Comité se félicite de l'adoption, en juin 2000, de la loi n° 584
portant réforme du Code du travail et de la ratification de cinq conventions
de l'OIT, dont la Convention n° 151 de 1978 sur les relations de travail
dans la fonction publique.
C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
8. Le Comité note avec une vive préoccupation les inégalités extrêmes et l'injustice
sociale qui règnent en Colombie ainsi que le trafic de drogue qui ont, notamment,
entraîné une grave propagation de la violence dans le pays. Cette violence
a sérieusement compromis l'exercice des droits consacrés dans le Pacte.
9. Le Comité note que la récente récession économique, couplée avec certains
aspects des programmes d'ajustement structurel et des politiques de libéralisation
économique adoptés par l'État partie, a aggravé les incidences négatives
sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels par la population
et, en particulier, par les groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés.
D. Principaux sujets de préoccupation
10. Le Comité regrette que l'État partie n'ait pas présenté suffisamment d'informations
sur les mesures précises qu'il a prises pour donner suite aux recommandations
figurant dans les observations finales adoptées par le Comité en 1995 en ce
qui concerne le troisième rapport périodique de la Colombie, en particulier
sur le taux élevé de pauvreté, l'ampleur du problème des personnes déplacées,
les enfants des rues, la discrimination dont souffrent les femmes, le sort
des communautés autochtones, la protection des syndicalistes et des défenseurs
des droits de l'homme, la gratuité de l'enseignement, la situation des «mères
communautaires» et le logement social.
11. Le Comité note avec une vive préoccupation l'accroissement du nombre
de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Il est particulièrement
préoccupé par le fait que ces personnes appartiennent aux groupes les plus
défavorisés et marginalisés, étant essentiellement des femmes, des enfants,
des paysans et des membres des communautés autochtones et afro-colombiennes
du pays, chassés de leur territoire par la violence et le conflit armé.
En particulier, le Comité note avec préoccupation les conséquences négatives
de la partie militaire du Plan Colombie, qui a entraîné de nouveaux déplacements
parmi les groupes de la population affectés par la fumigation des cultures
illicites.
12. Le Comité note avec regret que les terres traditionnelles des communautés
autochtones ont été réduites ou occupées sans leur consentement par des
sociétés forestières, minières et pétrolières, au détriment de la pratique
de la culture de ces communautés et de l'équilibre de l'écosystème.
13. Le Comité note la stagnation, voire la régression dans la promotion
de l'égalité des sexes depuis 1997, qui a eu pour effet d'exposer les femmes
à la paupérisation générale qu'a connue le pays. Le Comité regrette que
le Service de la parité entre les sexes, qui, à l'origine, avait été créé
en tant qu'institution financièrement et administrativement autonome a perdu
son autonomie et une partie de son budget lorsqu'il est devenu, après son
intégration dans le Gouvernement, le Conseil de la Présidence pour l'égalité
de la femme.
14. Le Comité est préoccupé par la diminution du programme de l'Institut
colombien du bien-être de la famille pour les «mères communautaires»,
qui s'occupent de près de 1,3 million d'enfants. Il déplore qu'elles ne
soient toujours pas reconnues comme travailleuses et ne perçoivent pas le
salaire minimum légal.
15. Le Comité est vivement préoccupé par la hausse rapide du taux de chômage.
En particulier, il constate avec préoccupation que le chômage frappe principalement
les jeunes et les femmes.
16. Le Comité est préoccupé par le fait que le salaire minimum national
ne suffit pas à garantir un niveau de vie décent au travailleur et à sa
famille. Il constate également avec préoccupation qu'une grande disparité
subsiste entre le salaire des hommes et celui des femmes, en particulier
dans le secteur commercial, et que, selon le Conseil de la Présidence pour
l'égalité de la femme, les salaires des femmes sont en général inférieurs
de 25 % à ceux des hommes.
17. Le Comité est vivement préoccupé par la sécurité personnelle des travailleurs
et des représentants syndicaux qui sont particulièrement exposés à la violence
physique, y compris aux assassinats. Il note avec effroi que, de 1991 à
2001, plus de 1 500 syndicalistes ont été assassinés, souvent seulement
en raison de leur appartenance syndicale et que d'autres ont été menacés
ou contraints au déplacement. Le Comité constate également avec préoccupation
que de nombreux travailleurs ne peuvent pas exercer leurs droits d'adhérer
à un syndicat, de participer à des négociations collectives ou de se mettre
en grève.
18. Le Comité est préoccupé par le fait que 43 % de la population colombienne
ne bénéficient pas encore de la sécurité sociale. Il note que l'État partie
n'a pas encore ratifié la Convention n° 102 de 1952 de l'OIT concernant
la sécurité sociale (norme minimum).
19. Malgré les importantes mesures adoptées par l'État partie au sujet
du travail des enfants, le Comité est préoccupé par la persistance de ce
problème. Il note aussi avec préoccupation que l'État partie n'a pas ratifié
la Convention n° 182 de 1999 de l'OIT sur les pires formes de travail des
enfants.
20. Le Comité est vivement préoccupé par le nombre élevé d'enfants des
rues et d'enfants touchés par le conflit armé. Il juge particulièrement
inquiétant le fait qu des enfants soient forcés à participer au conflit
armé.
21. Le Comité est préoccupé par le fait que les subventions au logement
ont été sensiblement réduites et par l'exiguïté des logements et la qualité
structurelle des habitations, notamment dans les provinces de Sucre, Cordoba,
Bolivar et Magdalena.
22. Le Comité est vivement préoccupé par les conditions de vie des personnes
déplacées, en particulier les femmes, les enfants, les paysans et les communautés
autochtones et afro-colombiennes du pays.
23. Le Comité est vivement préoccupé par le fait que l'État partie n'a
pas encore entrepris une véritable réforme agraire pour s'attaquer résolument
aux problèmes de la pauvreté et des disparités économiques dans les zones
rurales.
24. Le Comité est vivement préoccupé par la situation actuelle des droits
de la femme en matière de santé sexuelle et génésique et, en particulier,
par l'accroissement du nombre d'avortements illégaux. Il est également préoccupé
par les taux élevés de mortalité infantile et juvénile, en particulier dans
les zones rurales.
25. Le Comité est préoccupé par la réduction des programmes de vaccination
dans le pays qui a pour effet d'exposer davantage la population et, en particulier,
les enfants, à différentes maladies infectieuses.
26. Le Comité est préoccupé par la réduction des subventions de l'État
aux services de santé qui rend l'accès aux soins de santé encore plus difficile,
notamment dans les zones rurales, où la couverture en matière de santé est
déjà beaucoup plus faible que dans les zones urbaines. Le Comité note également
que les femmes et les groupes autochtones sont particulièrement touchés
par cette réduction des subventions.
27. Le Comité note que l'article 67 de la Constitution garantit la gratuité
de l'enseignement public, sauf pour ceux qui peuvent s'acquitter des frais
de scolarité. Il constate avec préoccupation que la perception de droits
a empêché plusieurs enfants d'avoir accès à un enseignement primaire gratuit
et que leurs familles ont dû saisir la justice pour obtenir la gratuité
de cet enseignement. Cette pratique de l'État partie est contraire aux articles
13 et 14 du Pacte.
28. Le Comité est préoccupé par la piètre qualité de l'enseignement à tous
les niveaux. Il est également préoccupé par le fait que l'État partie a
un des taux d'alphabétisation des adultes les plus bas de la région.
E. Suggestions et recommandations
29. Le Comité recommande vivement à l'État partie de tenir compte, dans tous
les aspects de ses négociations avec les institutions financières internationales,
des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, de façon que les droits
économiques, sociaux et culturels, en particulier ceux des groupes les plus
défavorisés et les plus marginalisés ne soient pas compromis.
30. Le Comité recommande à l'État partie de se doter des moyens voulus
pour réduire les inégalités sociales extrêmes et de redoubler d'efforts
pour mettre fin au conflit armé par le biais de négociations politiques,
une telle démarche constituant la seule façon de garantir efficacement les
droits économiques, sociaux et culturels de tous les citoyens.
31. Le Comité invite l'État partie à fournir, dans son cinquième rapport
périodique, des renseignements sur l'application des observations finales
qu'il avait adoptées en 1995, et en particulier en ce qui concerne les points
soulevés au paragraphe 10 ci-dessus.
32. Le Comité prie instamment l'État partie de prendre des mesures efficaces
pour empêcher le déplacement de personnes, d'appliquer les décisions de
la Cour constitutionnelle à ce sujet et de mettre en place une politique
publique globale donnant la priorité à ce problème.
33. Le Comité invite instamment l'État partie à faire en sorte que les
communautés autochtones participent à la prise des décisions qui les touchent.
Il demande, en particulier, instamment à l'État partie de consulter les
communautés autochtones et d'obtenir leur consentement avant la réalisation
de projets d'exploitation des forêts, du sol ou du sous-sol et pour toute
politique publique les concernant, conformément à la Convention no 169 de
l'OIT.
34. Le Comité prie instamment l'État partie de prendre les mesures législatives
et financières requises pour garantir l'indépendance du Conseil de la présidence
pour l'égalité de la femme afin de lui permettre de s'attaquer efficacement
aux graves problèmes que connaît le pays en matière d'égalité entre les
sexes.
35. Le Comité réitère sa recommandation de 1995 tendant à régulariser la
situation des mères communautaires dans le domaine de l'emploi en les considérant
comme des travailleuses, de façon qu'elles aient droit au salaire minimum.
36. Le Comité encourage l'État partie à prendre des mesures en vue de réduire
le taux élevé du chômage et, en particulier, à trouver des solutions au
problème du chômage des jeunes et des femmes.
37. Le Comité invite l'État partie à veiller à ce que le salaire minimum
permette aux travailleurs et à leurs familles d'avoir un niveau de vie décent.
Il prie aussi instamment l'État partie d'adopter une politique qui garantisse
un salaire égal pour un travail égal, comme le prévoit le Pacte, et à réduire
l'écart entre les salaires des hommes et des femmes.
38. Le Comité prie instamment l'État partie de prendre des mesures efficaces
pour garantir la sécurité personnelle des représentants syndicaux, juger
et punir les personnes responsables de l'assassinat de syndicalistes et
assurer une juste indemnisation aux familles des victimes. Le Comité invite
en outre l'État partie à prendre toutes les mesures nécessaires, notamment
sur les plans législatif et administratif, pour faire en sorte que tous
les travailleurs exercent leurs droits syndicaux.
39. Le Comité invite instamment l'État partie à songer à ratifier la Convention
n° 102 de l'OIT et à prendre des mesures pour élargir sensiblement la couverture
du système de sécurité sociale.
40. Le Comité prie instamment l'État partie de prendre des mesures efficaces
pour renforcer la législation en vigueur concernant le travail des enfants
et pour améliorer ses mécanismes de contrôle de façon que cette législation
soit appliquée et que les enfants soient protégés contre l'exploitation
économique. À cet égard, le Comité invite instamment l'État partie à ratifier
la Convention no 182 de l'OIT.
41. Le Comité invite l'État partie à prendre d'urgence des mesures pour
faire face au problème des enfants des rues et des enfants touchés par le
conflit armé et pour empêcher et dissuader les enfants de prendre les armes.
42. Le Comité prie instamment l'État de prendre des mesures pour augmenter
les subventions au logement, en particulier dans les provinces les plus
pauvres. Il recommande l'adoption d'un système de financement de logements
sociaux pour permettre aux plus pauvres d'avoir accès à un logement convenable.
43. Le Comité demande à l'État partie de prendre des mesures pour améliorer
les conditions de vie des personnes déplacées, en particulier les femmes,
les enfants, les paysans et les membres des communautés autochtones et afro-colombiennes
du pays.
44. Le Comité invite instamment l'État partie à adopter les mesures nécessaires
en vue d'entreprendre une véritable réforme agraire.
45. Le Comité prie l'État partie de fournir dans son prochain rapport périodique,
en se servant de données comparatives, des renseignements détaillés sur
le problème de l'avortement en Colombie et les mesures législatives ou autres
– notamment celles consistant à revoir la législation en vigueur –
qu'il a prises pour protéger les femmes contre les avortements clandestins
et risqués. Le Comité recommande à l'État partie d'appliquer énergiquement
son programme national de santé sexuelle et génésique.
46. Le Comité invite l'État partie à intensifier ses efforts en ce qui
concerne les programmes de vaccination pour combattre les maladies et les
infections, en particulier parmi les enfants.
47. Le Comité prie instamment l'État partie d'allouer une plus grande part
de son PIB au secteur de la santé et de veiller à ce que son système de
subvention ne soit pas discriminatoire à l'égard des groupes les plus défavorisés
et marginalisés.
48. Le Comité recommande à l'État partie de lancer une campagne efficace
pour faire face au problème de la qualité de l'enseignement et de l'accès
à l'éducation, en veillant, entre autres, à ce que l'enseignement soit gratuit
et obligatoire. À cet égard, le Comité rappelle à l'État partie les obligations
qui lui incombent en vertu de l'article 14 du Pacte aux termes duquel il
doit garantir «l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous».
Le Comité recommande à l'État partie, dans le cadre de la mise en œuvre
de son plan national pour l'éducation, de prendre en compte les observations
générales nos 11 et 13 du Comité et de créer un mécanisme de contrôle efficace
dudit plan. L'État partie est également encouragé à solliciter les avis
et l'assistance techniques de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation,
la science et la culture en ce qui concerne la mise en œuvre de son
plan.
49. Le Comité invite l'État partie à fournir, dans son cinquième rapport
périodique, des renseignements détaillés, y compris des statistiques comparatives
étalées dans le temps et ventilées selon le sexe, l'âge et l'origine géographique
(zones urbaines/rurales) sur l'ampleur de la pauvreté dans le pays. Il demande
également des informations sur les mesures prises pour faire face au problème
de la pauvreté parmi différents groupes ainsi que des informations sur les
résultats de ces mesures. Le Comité appelle l'attention de l'État partie
sur la déclaration sur la pauvreté et le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels que le Comité a adopté le 4 mai
2001 (E/C.12/2001/10).
50. Le Comité recommande à l'État partie de se conformer aux normes fixées
dans les directives internationales sur le VIH/sida et les droits de l'homme
adoptées lors de la deuxième consultation internationale sur le VIH/sida
et les droits de l'homme, en septembre 1996.
51. Le Comité recommande vivement l'application du plan d'action national
pour l'enseignement des droits de l'homme que le Haut-Commissariat aux droits
de l'homme a proposé dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour
l'éducation dans le domaine des droits de l'homme (1995-2004).
52. Le Comité demande à l'État partie d'assurer une large diffusion des
présentes observations finales à tous les niveaux de la société et en particulier
auprès des hauts fonctionnaires et des autorités judiciaires et d'informer
le Comité de toutes les mesures prises à cet égard. Il encourage également
l'État partie à consulter les organisations non gouvernementales et d'autres
membres de la société civile lors de l'élaboration de son cinquième rapport
périodique.
53. Le Comité confirme que si l'État partie le souhaite, il est disposé
à entreprendre une mission en Colombie en vue d'aider la Colombie à s'acquitter
de ses obligations en vertu du Pacte à la lumière des présentes observations
finales.
54. Le Comité demande à l'État partie de présenter son cinquième rapport
périodique d'ici le 30 juin 2006.