Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
RÉPUBLIQUE DU CONGO
3. Selon le système de présentation de rapport mis en place en vertu du Pacte, les États parties font rapport à l'organe de surveillance compétent, c'est-à-dire le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et, par son intermédiaire, au Conseil économique et social, sur les mesures qu'ils ont adoptées, les progrès qu'ils ont accomplis et les difficultés qu'ils ont rencontrées dans leurs efforts pour se conformer aux droits consacrés par le Pacte. Le non-respect de l'obligation de faire rapport par un État partie non seulement constitue une violation du Pacte mais entrave sérieusement l'accomplissement des fonctions du Comité. Cela ne décharge pas pour autant le Comité de son rôle en matière de surveillance, qu'il doit assumer en se fondant sur toutes les informations fiables dont il dispose.
4. Par conséquent, lorsqu'un Gouvernement n'a fourni au Comité aucune information quant au respect des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, le Comité doit fonder ses observations sur différents matériels émanant à la fois de sources intergouvernementales et de sources non gouvernementales. Alors que les premières fournissent essentiellement des données statistiques et d'importants indicateurs économiques et sociaux, les informations recueillies dans les écrits universitaires, auprès des organisations non gouvernementales et dans la presse ont tendance, de part leur nature même, à être plus critiques à l'égard de la situation politique, économique et sociale qui règne dans les pays concernés. Dans des circonstances normales, le dialogue constructif entre un État partie qui fait rapport et le Comité constitue une occasion pour le Gouvernement du pays concerné d'exprimer ses vues, de tenter de réfuter toute critique et de démontrer au Comité que sa politique est conforme aux dispositions du Pacte.
5. Tout en étant pleinement conscient des difficultés que rencontre actuellement la République du Congo dans ses efforts pour s'acquitter de l'obligation de faire rapport qui lui incombe en vertu du Pacte, le Comité tient à rappeler que bien qu'étant partie au Pacte depuis le 5 janvier 1984, elle n'a pas encore présenté son rapport initial.
6. Le Comité se félicite de la présence, le 5 mai 2000, d'une délégation de haut niveau qui a engagé avec lui un dialogue constructif qui a duré deux séances. Il note également avec satisfaction que la délégation a répondu avec franchise et candeur aux questions posées par ses membres et qu'elle s'est montrée disposée à faire tout ce qui était en son pouvoir pour fournir les informations demandées. Toutefois, le Comité tient à souligner qu'en l'absence d'un rapport écrit, la présence d'une délégation et son dialogue avec le Comité, ne permettent pas de considérer que l'État partie s'est acquitté de l'obligation de présenter un rapport écrit conformément aux article 16 et 17 du Pacte.
7. Sachant que la situation générale qui règne dans la République du Congo est difficile, le Comité estime que ses observations finales doivent se limiter à dresser le bilan de son dialogue avec la délégation en ce qui concerne la situation actuelle des droits économiques sociaux et culturels dans le pays. Il considère en outre que l'État partie n'ayant pas présenté de rapport écrit et ayant besoin d'une assistance technique pour être en mesure de s'acquitter de son obligation de faire rapport, les observations finales du Comité revêtiront forcément un caractère très préliminaire.
9. Le Comité note également les déplacements massifs de population causés par les actes de violence pendant la guerre civile de 1997-1999, qui a gravement perturbé le fonctionnement des rouages de l'État, des services publics, l'activité économique et la stabilité sociale. Les dégâts provoqués par la guerre civile sont provisoirement estimés à environ 55 % du produit intérieur brut prévu pour l'année 2000.
10. Le Comité est d'autre part conscient des incidences négatives des fluctuations des recettes pétrolières et des politiques de développement menées par l'État sur la situation financière de la République du Congo.
11. Le Comité juge particulièrement préoccupante la dette extérieure qui a été estimée à plus de 5 milliards de dollars des États-Unis à la fin de 1998, ce qui représente, pour une population de 2,9 millions d'habitants, une dette de presque 1 700 dollars par habitant.
13. Le Comité félicite l'État partie d'avoir ratifié en novembre 1999 un nombre considérable de conventions internationales du travail fondamentales, à savoir la Convention sur l'inspection du travail de 1947 (Convention No 81), la Convention sur le droit d'organisation et de négociation collective de 1949 (Convention No 98), la Convention sur l'égalité de rémunération de 1951 (Convention No 100), la Convention sur l'abolition du travail forcé de 1957 (Convention No 105), la Convention concernant la discrimination (Emploi et profession) de 1958 (Convention No 111), la Convention sur l'âge minimum de 1973 (Convention No 138) et la Convention sur la sécurité et la santé des travailleurs de 1981 (Convention No 155).
14. Le Comité se félicite en outre du retour dans leur lieu d'origine d'un grand nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et espère que ce processus se poursuivra d'une manière pacifique.
15. Le Comité note avec satisfaction qu'à la demande du Gouvernement des institutions spécialisées telles que l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ainsi que le Haut Commissariat aux droits de l'homme et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) aident la République du Congo à faire face à ses innombrables problèmes de la manière décrite ci-après :
a) En 1998, le FMI a décidé de fournir au Congo un crédit spécial pour le relèvement après le conflit, d'un montant de 10 millions de dollars des États-Unis; le FMI a également indiqué que les dépenses de santé, d'éducation et les dépenses sociales avaient la priorité;
b) L'OMS a entrepris plusieurs activités humanitaires concernant, entre autres, la surveillance épidémiologique d'urgence dans les 21 secteurs de Brazzaville où se trouvent des personnes déplacées, l'apport d'un appui technique pour l'approvisionnement en eau et l'assainissement, la fourniture de médicaments de première nécessité et l'apport d'un appui technique pour la décontamination des stocks de sang et la fourniture de sang non contaminé;
c) La FAO exécute actuellement quatre projets opérationnels au Congo dont trois sont des programmes de coopération technique financés par cette organisation portant sur la fourniture d'urgence de moyens de production agricole, la remise en état des systèmes de statistiques agricoles et l'appui à la législation sur la faune. Le quatrième projet vise à fournir d'urgence des moyens de production agricole et un appui aux activités de coordination; il est financé par le Gouvernement suédois.
17. Le Comité est également préoccupé par la discrimination dont sont victimes les femmes. Les lois sur le mariage et la famille sont ouvertement discriminatoires à l'égard de ces dernières (par exemple, l'adultère est illégal dans le cas des femmes mais ne l'est pas dans certaines circonstances dans le cas des hommes; de même alors que le Code législatif stipule qu'en cas de décès de l'époux, 30 % de son patrimoine va à la femme, dans la pratique celle-ci perd souvent tous ses droits à l'héritage). La violence au foyer, y compris le viol et les voies de fait, sont répandus mais rarement dénoncés et il n'existe aucune disposition législative permettant de punir les auteurs. En outre, bien qu'il existe dans la législation congolaise une disposition consacrant le principe "un salaire égal pour un travail égal", les femmes sont sous-représentées dans le secteur moderne et sont victimes de pratiques discriminatoires lorsqu'il s'agit de promotion à des postes supérieurs. Les femmes se trouvant dans les zones rurales sont particulièrement défavorisées en ce qui concerne l'éducation et les conditions d'emploi, y compris les salaires.
18. Pour ce qui est des minorités ethniques, le Comité a constaté une situation similaire. Les Pygmées ne jouissent pas d'un traitement égal dans une société à prédominance bantoue. Ils sont extrêmement marginalisés dans les domaines de l'emploi, de la santé et de l'éducation et sont généralement considérés comme socialement inférieurs.
19. Le Comité est gravement préoccupé par plusieurs questions ayant trait au travail. Du fait de l'abrogation de la Constitution, de nombreuses dispositions constitutionnelles concernant le droit de travailler et le droit à des conditions de travail justes et favorables - telles que les dispositions qui interdisent le travail forcé et le travail servile des enfants âgés de moins de 16 ans et celles qui garantissent un salaire raisonnable et des congés payés périodiques et autres et qui imposent des restrictions en ce qui concerne les heures ouvrables - ne sont plus en vigueur.
20. Le Comité est également préoccupé par les effets négatifs, constatés par la FAO, de la violence, des déplacements de population ainsi que de la désorganisation de la production et des activités de commercialisation sur l'approvisionnement en denrées alimentaires. Les besoins en importations de blé, de riz et de céréales secondaires devraient être pour l'an 2000 d'environ 140 000 tonnes, ce qui représente 97 % de la consommation totale. Le Rapport mondial sur le développement humain (1999) du PNUD indique que la ration calorique journalière est de 2 107 calories au Congo, ce qui est juste inférieur au niveau des pays dont le coefficient de développement humain est faible (2 145 calories). La proportion de personnes sous-alimentées dans la population est passée de 29 % durant la période 1979-1981 à 34 % durant la période 1995-1997.
21. Le Comité est gravement préoccupé par la baisse du niveau de la santé. L'épidémie de sida fait des ravages alors que la crise financière que traverse le pays a entraîné un grave tarissement des ressources destinées aux services de santé publique et à l'amélioration de l'infrastructure pour l'approvisionnement en eau et l'assainissement dans les zones urbaines. La guerre a sérieusement endommagé les services de santé à Brazzaville. Selon une étude commune de l'OMS et de l'ONUSIDA, une centaine de milliers de Congolais, y compris plus de 5 000 enfants, étaient infectés par le VIH au début de 1997. Plus de 80 000 personnes seraient mortes du sida; rien qu'en 1997, le nombre de décès se serait élevé à 11 000. Quelque 45 000 enfants auraient perdu leur mère ou leurs deux parents du fait de l'épidémie.
22. En outre, le Comité note avec préoccupation qu'en raison de la violence et des déplacements massifs qu'elle a entraînés, des épidémies, notamment de choléra et de diarrhées se sont déclarées. En outre, du fait de la désorganisation de l'infrastructure du pays, y compris dans les domaines des transports et des communications, les organismes d'aide humanitaire ont du mal à accéder aux groupes de personnes déplacées se trouvant à l'extérieur de Brazzaville.
23. Le Comité considère que le système d'éducation laisse beaucoup à désirer. Le pays avait dans le passé un système d'éducation relativement avancé mais la situation s'est détériorée du fait de la mauvaise gestion de l'économie, de la pénurie de ressources et des troubles politiques. Selon la délégation de l'État partie, les enfants sont de moins en moins nombreux à s'inscrire dans les écoles, il y a un manque d'enseignants et de matériels didactiques et les bâtiments scolaires sont dans un état déplorable.
25. Le Comité demande instamment à l'État partie d'adopter une constitution afin de garantir à la population de la République du Congo et, en particulier, aux groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés de la société l'exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Il est également tenu de prendre les mesures requises, notamment, pour interdire la discrimination et éliminer le travail forcé ou le travail servile, en particulier parmi les enfants âgés de moins de 16 ans, et de créer des conditions propices à l'exercice du droit au travail et notamment le droit à un salaire égal pour un travail égal pour les hommes et les femmes. Le Comité tient à souligner que les questions qui se posent en la matière devraient être portées à l'attention de l'Organisation internationale du travail avec laquelle le Gouvernement du Congo est actuellement en négociation au sujet des mesures de suivi concernant la récente ratification de conventions de l'OIT et d'éventuels programmes de coopération technique.
26. Le Comité demande instamment à l'État partie de s'attaquer aux inégalités dont sont victimes les femmes en vue de les éliminer, notamment, en adoptant et en faisant appliquer les mesures législatives et administratives requises.
27. En outre, le Comité exhorte l'État partie à adopter des mesures en vue d'intégrer pleinement les Pygmées dans la société congolaise afin qu'ils puissent jouir pleinement de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
28. Le Comité engage vivement l'État partie à accorder une attention immédiate à la grave situation dans le domaine de la santé sur son territoire et à prendre des mesures en la matière en vue de rétablir les services de santé de base, à la fois dans les zones urbaines et dans les zones rurales, et de prévenir et de combattre le VIH/sida et d'autres maladies contagieuses telles que le choléra et la diarrhée. Le Comité encourage en outre le Gouvernement à collaborer étroitement avec l'OMS et l'ONUSIDA dans ses efforts pour faire face à ces problèmes.
29. Le Comité exhorte l'État partie à accorder l'attention requise à la remise en état de l'infrastructure de l'enseignement en allouant les ressources nécessaires pour le paiement des salaires des enseignants, l'acquisition de matériels didactiques ainsi que pour la réparation des écoles. Il recommande en outre à l'État partie de retirer sa réserve au sujet des paragraphes 3 et 4 de l'article 13 du Pacte.
30. Conformément au paragraphe 1 de l'article 2 et à l'article 23 du Pacte, les institutions spécialisées sont invitées à fournir au Comité des informations complémentaires et à lui faire part de leurs observations au sujet de la situation et de l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels dans la République du Congo.
31. Le Comité encourage l'État partie à consulter le PNUD et d'autres organismes et programmes compétents au sujet des services consultatifs et de la coopération technique disponibles pour la formulation et l'application d'un plan d'action cohérent et complet en vue de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Un tel plan devrait prévoir la mise en place de mécanismes efficaces pour le suivi et l'évaluation de son application.
32. Le Comité appuie la requête adressée par le Gouvernement à la FAO et au Programme spécial de sécurité alimentaire pour qu'ils l'aident à lancer de petits projets agricoles à faible coût de nature à faciliter l'approvisionnement en denrées. Il note qu'une nouvelle mission pour la formulation de projets est prévue dans un avenir proche en vue d'aider les équipes nationales à effectuer les premiers préparatifs pour un tel programme. La République du Congo peut également mettre à profit l'initiative de coopération Sud-Sud qui est axée sur l'échange de connaissances, de compétences et de données d'expérience entre les pays en développement.
33. Le Comité recommande au Gouvernement de la République du Congo de faire appel aux services consultatifs du Haut Commissariat aux droits de l'homme afin de pouvoir présenter, dès que possible, un rapport complet sur l'application du Pacte établi conformément aux directives révisées du Comité et mettant en particulier l'accent sur les questions soulevées et les préoccupations exprimées dans les présentes observations finales provisoires.
34. Le Comité attend avec intérêt le rapport initial de la République du Congo et espère que le Gouvernement mettra à profit le dialogue constructif de sa délégation avec le Comité ainsi que les informations fournies par différents programmes et institutions spécialisées pour s'acquitter des obligations qui lui incombent en tant qu'État partie au Pacte.