University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Égypte, U.N. Doc. E/C.12/1/Add.44 (2000).



COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS


EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE


Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

ÉGYPTE


1. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le rapport initial de l'Égypte sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/1990/5/Add.38) à ses 12ème, 13ème et 14ème séances, les 2 et 3 mai 2000, et a adopté, à sa 26ème séance, le 12 mai 2000, les observations finales ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial de l'Égypte qui a été établi conformément aux directives révisées concernant la forme et le contenu des rapports énoncées par le Comité. Il prend également note avec satisfaction des réponses écrites fournies aux questions posées dans la liste des points à traiter, ainsi que du dialogue constructif qui s'est instauré entre les membres du Comité et la délégation égyptienne. Il regrette néanmoins que les réponses de la délégation à un certain nombre de questions par des membres du Comité aient été incomplètes.

B. Aspects positifs

3. Le Comité reconnaît les progrès réalisés en général par l'État partie au cours des dernières années dans la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels. Il félicite en particulier l'Égypte pour les améliorations frappantes apportées à son système d'enseignement, comme l'a relevé l'UNICEF, et pour ses résultats dans la marche vers l'élimination de l'analphabétisme, pour lesquels elle a reçu un prix de l'UNESCO.

4. Le Comité prend note avec satisfaction des premières mesures prises récemment par l'État partie pour assurer la protection des droits des femmes, telles que l'adoption d'une nouvelle loi sur le divorce qui améliore la situation des femmes.

5. Le Comité se réjouit de la décision de la Cour constitutionnelle de l'Égypte qui a invoqué les dispositions du Pacte afin d'acquitter les cheminots poursuivis pour s'être mis en grève en 1986 et déclaré que le Code pénal devrait être modifié de manière à reconnaître le droit de grève.

6. Le Comité félicite l'État partie des efforts qu'il a faits en vue d'assurer la mise en œuvre effective du droit à la santé, notamment en créant partout dans le pays, y compris dans les quartiers urbains et ruraux éloignés, un réseau de services et de centres de soins de santé primaires.

7. Le Comité note avec satisfaction que l'État partie a pris des mesures nouvelles et efficaces en vue d'introduire l'utilisation de combustibles sans danger pour l'environnement et la santé, en commençant par les services de transports publics des grandes villes où la pollution représente un grave danger pour la vie et la santé.

8. Le Comité prend note en outre avec satisfaction du fait que l'Égypte a accueilli le Séminaire sur les droits de l'homme et le développement humain dans la région arabe, au Caire, en juin 1999 et que le Gouvernement a mis au point avec le Programme des Nations Unies pour le développement un projet pilote relatif au renforcement des capacités dans le domaine des droits de l'homme, qui a été lancé en juin 1999 et est axé sur le droit au développement.

9. Le Comité prend note également avec satisfaction du fait que la délégation égyptienne a appuyé sa déclaration faite à la troisième Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce, tenue à Seattle en novembre 1999, à savoir que les obligations internationales en matière de droits de l'homme devraient revêtir un caractère prioritaire et être par conséquent prises en compte dans les négociations commerciales.


C. Facteurs et difficultés entravant l'application du pacte


10. Le Comité est d'avis que l'état d'exception en vigueur en Égypte depuis 1981 limite le champ de la mise en œuvre des garanties constitutionnelles relatives aux droits économiques, sociaux et culturels; que certains aspects des programmes d'ajustement structurel et des politiques de libéralisation économique adoptées par le Gouvernement égyptien de concert avec des institutions financières internationales ont entravé l'application des dispositions du Pacte, en particulier à l'égard des groupes les plus vulnérables de la société égyptienne, et que les pratiques et les attitudes traditionnelles profondément ancrées dans la société égyptienne à l'égard des femmes et des enfants diminuent la capacité du Gouvernement de protéger et promouvoir leurs droits économiques, sociaux et culturels.

11. L'écart entre les ressources disponibles et les besoins réels de la population s'agrandit de plus en plus en raison des conditions climatiques et géographiques existant dans le pays et de l'accroissement démographique rapide. Ce facteur entrave la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels en Égypte.


D. Principaux sujets de préoccupation

12. Le Comité déplore le manque de clarté des informations relatives au statut du Pacte dans l'ordre juridique interne de l'Égypte.

13. Le Comité prend note avec une profonde préoccupation des divergences considérables qui existent en Égypte entre les dispositions constitutionnelles d'une part et la législation nationale et son application d'autre part, en ce qui concerne le statut des femmes dans la société en général, la participation des femmes à la vie politique, les dispositions de droit pénal relatives à l'adultère et la pratique des mutilations génitales féminines (MGF). En outre, le Comité est préoccupé par le décalage existant entre la loi et son application en ce qui concerne la pratique et la fréquence du travail des enfants.

14. Le Comité déplore que l'État partie ne tienne pas compte de ses obligations en vertu du Pacte dans ses négociations avec les institutions financières internationales.

15. Le Comité regrette le manque de statistiques et d'informations fiables qui l'a empêché d'évaluer pleinement la situation en Égypte pour ce qui est notamment de la pauvreté, du chômage et des mutilations génitales féminines. Il est particulièrement préoccupé par l'absence d'un seuil officiel de pauvreté.

16. Le Comité note avec préoccupation qu'en dépit des mesures que le Gouvernement a commencé à prendre pour lutter contre les mutilations génitales féminines en Égypte en les criminalisant lorsqu'elles sont pratiquées en dehors des hôpitaux par des personnes n'ayant pas les qualifications médicales requises, cet acte n'est pas considéré comme une infraction pénale lorsqu'il est accompli par un médecin praticien. Il note en outre avec préoccupation que le pourcentage de femmes victimes de telles mutilations reste alarmant selon des statistiques de l'OMS qui indiquent un taux de prévalence de 97 % au cours de l'année 1995 ("Mutilations génitales féminines", OMS, Genève, 1998, p. 13).

17. Tout en félicitant l'État partie de ses efforts pour promouvoir l'égalité des hommes et des femmes dans le cadre d'une nouvelle loi sur le divorce, le Comité note avec préoccupation que cette nouvelle loi contient des dispositions qui peuvent désavantager les femmes. En outre, il juge préoccupant que la loi sur la nationalité n'accorde pas aux enfants des femmes égyptiennes mariées à des non-ressortissants le même statut en matière de citoyenneté qu'aux autres enfants.

18. Le Comité est préoccupé par l'incapacité apparente du Gouvernement de s'attaquer au problème aigu du chômage en Égypte et à l'instabilité des droits des travailleurs reconnus à l'article 8 du Pacte. Il note en particulier avec préoccupation que malgré l'avis rendu par la Cour de sûreté de l'État qui a estimé qu'il fallait modifier le Code pénal pour y inclure le droit de grève, cet acte constitue toujours une infraction pénale en vertu de l'article 124 du Code. À cet égard, le Comité est aussi préoccupé par le nouveau projet de loi sur le travail qui contiendrait des dispositions portant atteinte aux droits des travailleurs, telles que l'interdiction selon laquelle les comités syndicaux ne pourraient pas participer à des négociations collectives au nom des travailleurs et que ces derniers ne pourraient pas exercer le droit de grève sans l'accord des deux tiers des syndiqués.

19. Le Comité est profondément préoccupé par le fait que la loi no 153 de 1999 (loi sur les associations et institutions civiles appelée couramment "loi sur les ONG") n'est pas conforme à l'article 8 du Pacte et est en contradiction avec l'article 55 de la Constitution égyptienne de 1971 qui énonce le droit des citoyens de former des associations et habilite le Gouvernement à contrôler le droit des organisations non gouvernementales (ONG) de mener leurs propres activités, y compris pour rechercher un financement externe.

20. Le Comité note avec préoccupation que le problème de la violence domestique à l'encontre des femmes n'est pas traité de façon suffisante et que le viol conjugal ne constitue pas une infraction pénale.

21. Le Comité est profondément préoccupé par des informations indiquant que des enfants âgés de moins de 12 ans travaillent plus de six heures par jour dans le secteur agricole, situation qui les prive de leur droit à l'éducation. En outre, d'autres informations indiquent que des enfants âgés de 8 à 15 ans travaillent dans des ateliers d'égrenage du coton dans le delta du Nil dans des conditions déplorables, sans périodes de déjeuner ni de repos, et que ces enfants ne bénéficient d'aucune protection en vertu de la loi égyptienne, en ce qui concerne notamment les accidents et les maladies liés au travail.

22. Le Comité est préoccupé par les problèmes considérables de logement, reconnus par la délégation égyptienne, auxquels est confrontée la population égyptienne, problèmes qui ont été accentués par la déréglementation des loyers et une grave pénurie de logements sociaux. En outre, des expulsions forcées non accompagnées de mesures de relogement ou d'indemnisation frappent des communautés pauvres telles que le village des potiers et le quartier "Ayn Hilwan" au Caire. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que des personnes qui n'ont pas des moyens suffisants pour obtenir un logement, au Caire, vivent dans des cimetières. D'après des statistiques officieuses, leur nombre se situerait entre un demi-million et un million de personnes.

23. Le Comité déplore l'insuffisance des renseignements fournis sur la situation des personnes souffrant de maladies et d'incapacités mentales ainsi que sur le régime juridique applicable, notamment sur les protections contre les mauvais traitements et la privation de soins.

24. Le Comité note avec préoccupation qu'en dépit des résultats obtenus par l'Égypte dans le domaine de l'éducation, l'inégalité entre les garçons et les filles en matière d'accès à l'éducation, les taux élevés d'abandon scolaire parmi les garçons et d'analphabétisme chez les adultes, en particulier parmi les femmes, perdurent.

25. Le Comité est gravement préoccupé par la censure officielle en vigueur contre les médias et les œuvres littéraires et artistiques.


E. Suggestions et recommandations

26. Le Comité demande instamment à l'État partie d'établir fermement le statut juridique du Pacte dans l'ordre juridique égyptien et de veiller à ce que ses dispositions puissent être invoquées devant les tribunaux.

27. Le Comité demande instamment à l'État partie, nonobstant la déclaration qu'il a faite en ratifiant le Pacte, d'entreprendre au plus tôt un examen approfondi de sa législation en vue de modifier les lois qui sont contraires aux dispositions de sa propre Constitution et à celles du Pacte.

28. Le Comité recommande vivement que les obligations de l'Égypte en vertu du Pacte soient prises en considération dans tous les aspects des négociations avec les institutions financières internationales telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce afin de veiller à ce que les droits économiques, sociaux et culturels, en particulier ceux des groupes les plus vulnérables, ne soient pas affectés.

29. Le Comité recommande vivement l'élaboration d'un plan d'action national pour les droits de l'homme mis à jour, conformément à la Déclaration et au Programme d'action de Vienne de 1993, et demande à l'État partie d'en inclure une copie dans son prochain rapport périodique.

30. Le Comité demande instamment à l'État partie de créer une institution nationale pour la promotion des droits de l'homme qui soit en pleine conformité avec les "Principes de Paris" de 1991.

31. Le Comité recommande vivement à l'État partie de rechercher de l'aide, notamment dans le cadre de la coopération internationale, afin de recueillir les statistiques et les renseignements nécessaires pour formuler des stratégies efficaces en vue de s'attaquer à des problèmes tels que l'emploi, la pauvreté, le logement et les expulsions forcées.

32. Le Comité engage vivement l'État partie à traiter le problème des mutilations génitales féminines comme une question hautement prioritaire en vue de promouvoir activement l'éradication totale de cette pratique partout dans le pays. Il encourage le Gouvernement égyptien à rechercher l'assistance technique de l'OMS à cet égard.

33. Le Comité recommande au Gouvernement de réexaminer les dispositions de la nouvelle loi sur le divorce en vue d'en supprimer toutes les dispositions qui ont un caractère discriminatoire à l'égard des femmes et placent ces dernières dans une situation désavantageuse. Il lui recommande également de réviser la loi sur la nationalité qui est discriminatoire à l'égard des enfants de femmes égyptiennes mariées à des non-nationaux.

34. Le Comité invite le Gouvernement égyptien à modifier ou à abroger la loi no 153, conformément à ses obligations en vertu de l'article 8 du Pacte et de la Constitution égyptienne, qui reconnaît le droit des citoyens de former leurs propres organisations.

35. L'État partie doit renforcer ses stratégies et programmes de lutte contre la violence au foyer. À cet égard, le Comité l'engage à criminaliser le viol conjugal et à combattre ce problème par des campagnes d'information et des programmes d'éducation.

36. Le Comité invite instamment l'État partie à renforcer la législation égyptienne du travail afin de protéger les enfants contre les conditions de travail abusives et à prendre des mesures immédiates en vue d'assurer l'éradication du travail illégal d'enfants.

37. Le Comité demande instamment à l'État partie de lutter contre la profonde pénurie de logements en adoptant une stratégie et un plan d'action et en construisant ou en fournissant des logements locatifs à bon marché, destinés spécialement aux groupes vulnérables et à faible revenu. À cet égard, le Comité rappelle à l'État partie ses obligations en vertu de l'article 11 du Pacte et l'invite à se reporter à ses Observations générales 4, relative au droit à un logement suffisant, et 7, relative aux expulsions forcées, qui pourront l'aider à orienter son action dans le domaine du logement.

38. Le Comité demande instamment à l'État partie de veiller à ce que ses lois, politiques et pratiques relatives au VIH/sida soient non discriminatoires et pleinement conformes aux directives internationales adoptées lors de la deuxième consultation internationale sur le VIH/sida et les droits de l'homme, en 1996.

39. Le Comité demande à l'État partie d'inclure dans son deuxième rapport périodique des renseignements supplémentaires sur les malades mentaux, en indiquant notamment combien sont hospitalisés, les installations dont ils disposent et les garanties juridiques prévues pour assurer la protection des patients contre les mauvais traitements et la privation de soins.

40. Le Comité invite instamment le Gouvernement à prendre des mesures pour traiter les facteurs économiques, sociaux et culturels qui sont les causes fondamentales de l'inégalité en matière d'accès à l'éducation, des taux élevés d'abandon scolaire parmi les garçons et de l'analphabétisme parmi les adultes, notamment chez les femmes. Le Comité demande qu'une attention particulière soit accordée à ces problèmes dans le prochain rapport périodique de l'Égypte.

41. Le Comité invite le Gouvernement égyptien à respecter la liberté indispensable aux activités créatrices, notamment celle des médias, conformément aux dispositions de l'article 15, paragraphe 3, du Pacte.

42. Le Comité demande à l'État partie de lui fournir des renseignements à jour, notamment des statistiques, portant sur l'emploi, la situation des femmes (en particulier sur les mutilations génitales féminines), la pauvreté, le logement et les sans-abri dans son deuxième rapport périodique qui devra être soumis au 30 juin 2003.

43. Le Comité demande à l'État partie de distribuer aussi largement que possible parmi ses citoyens le texte des présentes observations finales.



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