COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l'Allemagne sur l'application du Pacte (E/1994/104/Add.14), ainsi que les réponses qu'elle a apportées par écrit aux questions inscrites dans la liste des points à traiter, de sa 40ème à sa 42ème séance, tenues les 23 et 24 novembre 1998 et a adopté les observations finales ci-après à sa 54ème séance, tenue le 2 décembre 1998.
A. Introduction
2. Le Comité se félicite de la présentation du troisième rapport périodique de l'Allemagne, qui est le premier rapport sur les droits protégés par le Pacte soumis depuis la réunification du pays en octobre 1990. Le rapport suit en général les directives du Comité.
3. Le Comité note avec satisfaction que le rapport a été présenté par une délégation de haut niveau, qui a maintenu un dialogue ouvert et franc avec ses membres. La délégation a souligné dès le départ que le nouveau Gouvernement du Chancelier Schröder avait des orientations différentes de celles du gouvernement précédent sur tout un ensemble de questions économiques et sociales et qu'il accordait à la création d'emplois un rang de priorité élevé.
4. Le Comité note que le rapport a été établi sans la participation d'organisations non gouvernementales. Celles-ci ont néanmoins contribué utilement à l'examen du rapport de l'État partie auquel le Comité a procédé.
5. Le Comité relève que certaines des réponses données aux questions posées sur les points suivants n'étaient pas suffisamment précises et détaillées :
- Le chômage dans les nouveaux Länder;
- Le nombre de fonctionnaires et de cadres licenciés dans la partie est de l'Allemagne après la réunification du pays;
- Le nombre de pauvres et de prestataires de l'aide sociale;
- Les victimes du VIH/sida, l'exploitation des femmes et les sévices exercés contre des enfants;
- Les régimes de retraite.
B. Aspects positifs
7. À cet égard, le recentrage manifeste dont témoigne la déclaration de politique générale susmentionnée pourrait favoriser la mise en oeuvre progressive des droits économiques, sociaux et culturels et permettre de réduire le décalage économique qui subsiste entre les anciens et les nouveaux Länder, dans l'intérêt particulier de ces derniers.
8. Le Comité note avec satisfaction que les nouvelles orientations définies concerneront :
- La mise en place de programmes de formation théorique et pratique destinés à aider les jeunes en général et les jeunes femmes en particulier à trouver un emploi, notamment dans les nouveaux Länder;
- La modernisation de la loi sur la nationalité, de manière à permettre la double nationalité;
- L'élaboration d'un plan d'action destiné à assurer l'égalité des chances aux femmes qui travaillent;
- La promulgation de la loi sur l'égalité des sexes;
- La mise en place d'un système d'enseignement scolaire et d'aide maternelle qui répond aux besoins de la vie de famille aujourd'hui;
- La présentation de projets de loi visant à éliminer la discrimination fondée sur l'origine ethnique et à poursuivre en justice les Allemands qui se rendent coupables de sévices sexuels contre des enfants à l'étranger;
- La réforme du régime de retraite fondé sur le régime d'assurance nationale, les régimes professionnels, un régime de pension privé et la participation des salariés aux capitaux productifs et aux bénéfices de leurs sociétés;
- Le rétablissement des mesures de protection contre les licenciements et l'allocation d'indemnités de maladie.
9. Le Comité prend note de la création du poste de Ministre d'État aux affaires culturelles qui sera chargé de mettre en oeuvre la politique culturelle fédérale et d'assurer la liaison avec les Länder. À cet égard, il relève avec satisfaction que les institutions confessionnelles et les autorités religieuses seront associées à cette politique, appelée à améliorer le dialogue entre les différentes communautés religieuses et à réduire la haine raciale et la xénophobie.
10. Le Comité prend acte de l'intention de l'État partie de créer une commission parlementaire indépendante des droits de l'homme et un poste de responsable des droits de l'homme au sein du Ministère des affaires étrangères.
11. Le Comité se félicite que l'État partie demeure ouvert à l'idée de l'élaboration d'un protocole facultatif.
C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
14. Le Comité note que le chômage demeure particulièrement élevé en Allemagne et qu'il est deux fois plus élevé à l'est qu'à l'ouest. Il constate à cet égard avec regret que les femmes et les étrangers sont les plus touchés.
15. Le Comité note par ailleurs qu'il n'a pas été encore fixé de seuil de pauvreté. La délégation de l'État partie n'a pas non plus communiqué d'information sur les personnes touchées par la pauvreté.
16. Le Comité constate avec une profonde préoccupation que 12 % seulement des fonctionnaires qui travaillaient dans les secteurs de la science et de la technique dans l'ex-République démocratique allemande, dont des enseignants, des scientifiques et des cadres, ont été réemployés et que les autres sont toujours sans emploi et qu'ils ne bénéficient pas d'un régime d'indemnisation ou de retraite satisfaisant. Le Comité craint que la plupart des personnes touchées n'aient été licenciées pour des raisons politiques plutôt que professionnelles ou économiques, en violation du paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte. Il est noté à cet égard que la question de la discrimination s'agissant du recrutement des enseignants dans les nouveaux Länder a été soulevée en 1993 par la Commission d'experts de l'OIT pour l'application des conventions et recommandations. Des préoccupations semblables ont été exprimées par des organisations non gouvernementales allemandes.
17. Le Comité est également préoccupé par le statut des demandeurs d'asile en Allemagne, notamment par la lenteur de la procédure d'examen des demandes de statut de réfugié et aussi par la question de savoir quels sont les droits économiques et les droits en matière de santé qui leur sont reconnus en attendant qu'une décision définitive soit prise à leur sujet.
18. Le Comité est préoccupé aussi par le sort des Sintis et des Roms (Tsiganes) en Allemagne et par l'exercice de leurs droits au logement, à l'éducation et au travail. La discrimination qui continue d'être exercée à l'encontre des Tsiganes appelle des politiques et des mesures correctives d'urgence.
19. Le Comité note qu'à quelques exceptions près, les fonctionnaires en Allemagne ne jouissent pas du droit de grève, ce qui constitue une violation du paragraphe 2 de l'article 8 du Pacte.
20. Le Comité est particulièrement préoccupé par la violence dont les femmes sont victimes, en particulier celles qui font l'objet de traite par le mariage, la prostitution et l'exploitation. Les statistiques concernant le nombre de personnes touchées sont là aussi insuffisantes.
21. Le Comité est vivement préoccupé par la persistance des sévices exercés contre des enfants et de l'exploitation sexuelle des enfants. La pornographie, phénomène répandu, est particulièrement inquiétante, en ce sens qu'elle semble être liée à l'exploitation des enfants et des femmes.
22. Le Comité note avec inquiétude que les droits d'inscription à l'université augmentent bien que l'article 13 du Pacte prévoie l'instauration progressive de la gratuité de l'enseignement supérieur.
23. Le Comité s'inquiète aussi du nombre alarmant de personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida sur le territoire de l'État partie. Le manque de statistiques sur ce point, pour ce qui est en particulier des groupes les plus vulnérables résidant en Allemagne, est particulièrement préoccupant.
24. Le Comité se déclare préoccupé également par la détresse des sans-abri, dont on ignore toujours le nombre réel, de même que par celle des squatters dans de nombreuses régions du pays, notamment dans les nouveaux Länder.
25. Le Comité recommande à l'État partie de faire une place plus grande aux droits reconnus dans le Pacte, par des mesures ou des pratiques législatives ou judiciaires. La déclaration de politique générale du nouveau Chancelier laisse espérer que les droits économiques, sociaux et culturels gagneront en importance. Le Comité recommande donc qu'elle se traduise par des actes dans les meilleurs délais.
26. Le Comité demande à l'État partie de fournir dans son prochain rapport des statistiques et des données plus précises sur le chômage, notamment dans les nouveaux Länder, ainsi que sur le nombre et la situation des personnes touchées par la pauvreté et des prestataires de l'aide sociale.
27. Le Comité recommande vivement à l'État partie d'encourager au sein de la société allemande un débat sur la formulation d'indicateurs ou de repères sociaux qui permettent de déterminer dans quelle mesure le Pacte est appliqué. Il encourage aussi le Gouvernement à continuer d'apporter son appui au dialogue engagé à propos de l'élaboration d'un protocole facultatif se rapportant au Pacte, de manière à promouvoir la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels.
28. Le Comité invite l'État partie à prendre immédiatement des mesures, législatives ou autres, pour faire face et remédier à la situation des diverses catégories de demandeurs d'asile, conformément à l'Observation générale No 4 du Comité. Il suggère également que les demandes d'asile soient traitées rapidement et que les réfugiés jouissent, dans les domaines de la santé, de l'économie et de l'éducation, des droits visés dans le Pacte.
29. Le Comité prie instamment l'État partie de mettre en oeuvre les divers programmes d'enseignement destinés aux jeunes et autres groupes vulnérables, notamment les programmes axés sur la création d'emplois et sur l'amélioration de la situation de l'emploi dans l'est de l'Allemagne.
30. Il convient de réviser radicalement les régimes de retraite et les prestations de sécurité sociale de manière à garantir l'égalité entre les sexes ainsi que l'équité entre tous les bénéficiaires potentiels, dans tous les Länder, à l'est comme à l'ouest.
31. Le Comité recommande que le droit de grève soit accordé aux fonctionnaires qui ne travaillent pas dans des secteurs d'importance vitale.
32. Le Comité demande à l'État partie de prendre des mesures vigoureuses et efficaces contre la traite des femmes et leur exploitation à quelque fin que ce soit.
33. Le Comité demande aussi à l'État partie de prendre des mesures efficaces pour réglementer le travail des enfants, conformément au Pacte et aux Conventions applicables de l'OIT.
34. Le Comité demande en outre à l'État partie de redoubler d'efforts pour prévenir les violences contre les enfants, l'exploitation des enfants et la pornographie impliquant les enfants.
35. Le Comité prie instamment l'État partie d'accorder une assistance plus efficace aux personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida, sans discrimination aucune fondée sur la race, l'origine, la nationalité ou le sexe.
36. S'agissant de la réconciliation nationale, le Comité invite l'État partie à veiller à ce que les fonctionnaires, les cadres et les scientifiques liés à l'ancien régime de l'ex-République démocratique allemande soient indemnisés à ce que cette indemnisation soit à la fois suffisante et équitable.
37. Le Comité recommande à l'État partie d'éviter d'augmenter les frais d'inscription à l'université, conformément à l'article 13 du Pacte.
38. Le Comité prie instamment l'État partie d'accélérer l'intégration de l'est et de l'ouest de l'Allemagne sur tous les fronts, en vue d'éliminer toute disparité qui pourrait subsister entre ces deux régions.
39. Le Comité demande à l'État partie de diffuser largement ses observations finales, à tous les niveaux de la société, et d'informer le Comité des mesures qu'il aura prises pour leur donner effet. Il invite par ailleurs instamment le Gouvernement à consulter les organisations non gouvernementales pour l'élaboration de son quatrième rapport périodique, compte tenu du fait que des organisations non gouvernementales allemandes ont utilement contribué à faire du dialogue entre le Comité et la délégation de l'État partie un dialogue plus fécond et instructif.