COMITE DES DROITS ECONOMIQUES SOCIAUX ET CULTURELS
Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux, et culturels
GUINEE
2. A sa septième session, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a décidé de procéder à l'examen de la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans un certain nombre d'Etats parties qui, bien qu'ayant été priés à de nombreuses reprises de le faire, ne se sont pas acquittés des obligations contractées en vertu des articles 16 et 17 du Pacte concernant la présentation de rapports.
3. Le système de présentation de rapports mis en place par le Pacte a pour objet de faire en sorte que les Etats parties indiquent à l'organe conventionnel compétent, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et, par l'intermédiaire de ce dernier, au Conseil économique et social, les mesures qu'ils ont adoptées pour assurer le respect des droits reconnus dans le Pacte ainsi que les progrès accomplis et les difficultés rencontrées dans ce domaine. Outre qu'il constitue une violation du Pacte, tout manquement par un Etat partie à ses obligations en matière de présentation de rapports entrave gravement l'exécution, par le Comité, des tâches qui lui sont attribuées. En pareil cas, le Comité est néanmoins tenu de s'acquitter de son rôle d'organe de surveillance et doit le faire en se fondant sur tous les renseignements fiables auxquels il a accès.
4. Lorsqu'un gouvernement n'a fourni au Comité aucune information sur la façon dont il estime s'être acquitté des obligations qu'il a contractées en vertu du Pacte, le Comité doit fonder ses observations sur divers éléments provenant de sources gouvernementales ou non gouvernementales. Les premières fournissent principalement des renseignements statistiques et appliquent d'importants indicateurs économiques et sociaux, tandis que les renseignements trouvés dans les travaux universitaires ou provenant d'organisations non gouvernementales et de la presse ont tendance, par leur nature même, à être plus critiques à l'égard de la situation politique, économique et sociale des pays intéressés. Dans des conditions normales, le dialogue constructif qui se déroule entre l'Etat partie présentant son rapport et le Comité fournit au gouvernement l'occasion de faire connaître sa position et de chercher à réfuter ces critiques et à convaincre le Comité de la conformité de ses orientations avec les prescriptions du Pacte. Le gouvernement qui ne soumet pas de rapport et ne se présente pas devant le Comité se prive de cette possibilité de rétablir les faits.
5. La Guinée est partie au Pacte depuis le 24 mai 1978. A ce jour, elle n'a pas présenté un seul rapport. Le Comité engage vivement le Gouvernement guinéen à s'acquitter de ses obligations concernant la présentation de rapports dans les meilleurs délais afin que, pour le bien du peuple guinéen, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels soit pleinement appliqué. Le Comité tient à souligner qu'il considère que le manquement de la Guinée à ses obligations en matière de présentation de rapports constitue non seulement une violation du Pacte mais aussi un sérieux obstacle à l'application d'une manière appropriée de ses dispositions.
6. Le Comité note qu'il n'est pas possible d'évaluer le respect par la Guinée des obligations découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels sans tenir compte de la situation politique, économique et sociale que vit le pays.
7. Le Comité note que les progrès réalisés dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels depuis la mort de Sékou Touré et la prise du pouvoir par Lansana Conté à la fin de 1993 demeurent insuffisants. Bien que la transition d'un parti unique vers le multipartisme soit en cours, elle s'effectue difficilement, et le Comité constate que l'Etat de droit proclamé par la Constitution de 1990 reste essentiellement formel. D'après les informations recueillies par le Comité, les tensions sociales perdurent et il y a un climat persistant de violence en Guinée. Ce climat s'est accentué lors des périodes électorales, des émeutes populaires et de la récente mutinerie de l'armée.
8. En ce qui concerne la situation économique et sociale, le Comité constate que les conditions de vie des Guinéens sont extrêmement difficiles. D'après un rapport de la Banque Mondiale daté de 1994, intitulé "Trends in developing economy", la Guinée figure parmi les pays les plus pauvres d'Afrique, malgré ses atouts naturels tels que les ressources agricoles, énergétiques et minières. En 1992, le revenu annuel moyen par habitant était estimé à 510 dollars. Environ un quart des enfants meurent avant l'âge de cinq ans, et l'espérance de vie moyenne est de 45 ans. Seulement 37 % des enfants d'âge scolaire ont accès à l'école primaire et 59 % des adultes sont illettrés. Selon des estimations, environ 50 % de la population vit dans une situation de pauvreté. Même si elle a nettement régressé depuis 1990 l'inflation est encore forte, les prix restent élevés et le PNB par habitant insuffisant. Le Comité rappelle que l'extrême pauvreté et l'exclusion sociale portent atteinte à la dignité humaine. De nouvelles politiques, nationales et internationales devraient être lancées dans ces domaines.
9. Le Comité note que le gouvernement n'a pas su gérer la crise économique et sociale décrite plus haut, en dépit des différentes mesures prises en vue de lancer une nouvelle stratégie de développement socio-économique. La Guinée a opté pour l'économie de marché, et en 1995 un programme de réforme économique et financière a été entrepris et un accord visant à faire bénéficier le pays de la facilité d'ajustement structurel renforcée (FAS) a été négocié avec l'aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. A cet égard, le Comité tient à souligner qu'au regard du Pacte et de la manière dont il est interprété par le Comité, toute réforme doit être assortie de programmes pour protéger les groupes et les membres vulnérables de la société.
10. Concernant les droits énoncés à l'article 8 du Pacte, le Comité note que, malgré le rôle important joué par les syndicats pour l'accession de la Guinée à l'indépendance, la liberté syndicale a été par la suite muselée par le gouvernement. Toutefois, le Comité se félicite des observations transmises par le Gouvernement guinéen au Bureau international du Travail en 1995, selon lesquelles plusieurs nouveaux syndicats se sont constitués en Guinée conformément au Code du travail de 1988.
11. A propos de l'article 12, le Comité note que les taux de vaccination contre le BCG, le tétanos, et la poliomyélite mettent en évidence un net progrès dans le domaine médical.
12. Le Comité note avec préoccupation que seuls certains des droits énoncés dans le Pacte (par exemple, la liberté syndicale et la liberté de l'enseignement qui est obligatoire) sont consacrés par la Constitution de 1990, et que les dispositions du Pacte n'ont pas encore été incorporées au droit interne guinéen. De plus, malgré la consécration du principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire dans la Constitution, la Cour suprême et la Haute cour de justice semblent être sous l'emprise du pouvoir exécutif. Ceci explique les difficultés rencontrées par les Guinéens dans l'exercice des droits fondamentaux, le pouvoir judiciaire ne jouant pas un rôle effectif dans la garantie de ces droits.
13. Concernant les droits visés aux articles 6 et 7 du Pacte, le Comité note qu'il existe un grave problème de chômage en Guinée. Ainsi, le nombre de diplômés sans emploi a considérablement augmenté ces dernières années. D'après les informations recueillies par le Comité, les bas salaires que perçoivent les travailleurs ne permettent pas de faire face à la cherté de la vie, et font que beaucoup de Guinéens sont obligés de compléter leur revenu en prenant un autre emploi, ce que font d'ailleurs illégalement la plupart des fonctionnaires.
14. Le Comité note également que les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes s'accentuent, particulièrement dans le secteur informel de l'économie. Il invite donc le Gouvernement guinéen à prendre à l'échelle nationale des mesures afin de mettre en oeuvre le principe "à travail égal, salaire égal" qui est corollaire du principe de non-discrimination à l'égard des femmes consacré par le Pacte, la Convention No 111 de l'OIT et la Constitution de 1990.
15. S'agissant des conditions de travail, le Code du travail contient des dispositions sur la sécurité et l'hygiène du travail. Cependant, le gouvernement n'a pas encore élaboré de règles rendant ces normes applicables. Par exemple, le Comité note que, selon la Commission d'experts de l'OIT, le gouvernement n'a pas encore adopté de réglementation prévoyant une protection contre les radiations ionisantes.
16. Concernant l'article 8 du Pacte, le Comité note que le droit de grève consacré par la Constitution de 1990 et par les Conventions Nos 87 et 98 de l'OIT, qui ont été ratifiées par la Guinée, semble ne pas être respecté. Ainsi, le gouvernement a intimidé, voire arrêté, des grévistes à plusieurs reprises. Le Comité se réfère par exemple à la plainte déposée à la fin de 1995 auprès du Comité de la liberté syndicale de l'OIT au sujet de la grève organisée par le Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée.
17. A propos de l'article 9, le Comité est préoccupé par le fait que, jusqu'en 1995, aucune suite n'avait encore été donnée au projet du Code de la sécurité sociale récemment révisé avec l'assistance de l'OIT. Ne bénéficient des prestations sociales que les employés de l'administration publique, les établissements étatiques et les grandes entreprises. Comme la majeure partie de la population active est concentrée dans le secteur agricole, la couverture sociale reste insignifiante.
18. Concernant l'article 10 du Pacte, le Comité note que beaucoup d'enfants travaillent dans les exploitations agricoles et les petits commerces ainsi que comme vendeurs dans la rue. Selon le Comité, le respect du Pacte exige que le gouvernement rende effectives les dispositions interdisant le travail des enfants âgés de moins de 16 ans contenues dans le Code du travail.
19. Le Comité s'inquiète des actes de violence dans la famille dont sont victimes les femmes, et invite le gouvernement à prendre des mesures appropriées pour remédier à cette situation.
20. En ce qui concerne le respect de l'article 11 du Pacte, qui stipule que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant, le Comité note avec préoccupation la pauvreté dans laquelle vivent environ 50 % de la population. La malnutrition est donc toujours aussi répandue dans le pays. Le Comité est également préoccupé par l'absence d'un salaire minimum garanti par la loi. Concernant le droit à un logement suffisant, le Comité constate que les mesures prises par le gouvernement ne semblent pas toujours à la mesure des besoins de la population guinéenne.
21. Concernant le droit à la santé énoncé à l'article 12, le Comité se réfère aux informations figurant dans les numéros de 1994-1995 de la publication "The Economist Intelligence Unit", et note que seulement 13 % de la population ont accès aux services médicaux. De plus, seulement 55 % de la population ont accès à l'eau potable, situation qui est aggravée par l'onchocercose (cécité des rivières). L'espérance de vie des Guinéens (45 ans) reste une des plus faibles en Afrique. Le Comité constate que les femmes et les enfants sont particulièrement touchés par la précarité sur le plan médical.
22. De même, le Comité est particulièrement préoccupé par la persistance de la pratique de la mutilation génitale, qui a de graves incidences sur la santé physique, psychique et sociale des femmes. Ces dernières sont également les premières victimes du virus du SIDA. Concernant les enfants, le Comité note que le taux de mortalité reste élevé.
23. A propos des articles 13 et 14 du Pacte, le Comité rappelle que l'analphabétisme perdure, et regrette que le Gouvernement guinéen n'ait pas donné assez d'importance à la scolarisation et à l'éducation dans l'accord d'ajustement structurel. En effet, il lui semble nécessaire de faire bénéficier les enfants du droit à la scolarisation et à la formation de façon à leur permettre de s'intégrer dans le tissu socio-économique, le pays ayant encore grandement besoin de personnes convenablement formées pour faire face au sous-développement. Le Comité constate que la discrimination à l'égard des femmes s'accentue, ce qui ressort d'ailleurs du taux d'alphabétisation des adultes, des chiffres relatifs à l'accès à l'enseignement, et du taux d'abandons scolaires chez les jeunes filles. De plus, d'après les informations recueillies par le Comité, le taux de scolarisation reste faible, les écoles primaires sont surchargées et le principe de la gratuité de l'enseignement primaire, qui est garanti par la loi, n'est pas toujours respecté. Il semble également que le gouvernement ne soit pas prêt à augmenter le budget consacré à l'enseignement pour pallier au manque considérable d'instituteurs.
24. Le Comité note que les dispositions énoncées à l'article 15 ne sont pas mises en oeuvre de façon satisfaisante. L'accès à la culture reste difficile, comme en témoigne par exemple le prix élevé des publications. Le Comité est également préoccupé par l'insuffisance de mesures prises par l'Etat pour sauvegarder la spécificité culturelle des diverses ethnies qui se trouvent en Guinée.
25. Le Comité prie de nouveau le Gouvernement guinéen de participer activement à un dialogue constructif sur la manière de mieux satisfaire aux obligations découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il appelle l'attention du gouvernement sur le fait que le Pacte impose à tous les Etats parties l'obligation juridique de présenter des rapports périodiques et que la Guinée manque à cette obligation depuis de nombreuses années.
26. Le Comité recommande au Gouvernement guinéen de mettre à profit les services consultatifs du Centre pour les droits de l'homme de l'ONU afin d'être en mesure de soumettre aussitôt que possible un rapport complet sur la mise en oeuvre du Pacte, conformément aux directives générales révisées adoptées par le Comité en 1990 (E/C.12/1991/1), en mettant l'accent en particulier sur les problèmes et les préoccupations mentionnés dans les présentes observations. Le Comité encourage, d'autre part, le Centre pour les droits de l'homme à mettre à la disposition des Etats, par le biais de son programme de services consultatifs et d'assistance technique, l'assistance d'experts afin de leur permettre d'élaborer leurs politiques relatives aux droits économiques, sociaux et culturels, de mettre en place le dispositif nécessaire pour appliquer des plans d'action cohérents et complets pour la promotion et la protection des droits de l'homme et de concevoir des moyens appropriés d'évaluer et de surveiller leur mise en oeuvre.