COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
2. Le Comité se félicite d'avoir eu l'occasion de renouer le dialogue avec l'Iraq en examinant le troisième rapport périodique de l'Etat partie. Le Comité remercie l'Iraq d'avoir communiqué des réponses écrites à sa liste de questions et souligne qu'en dépit de la situation difficile que connaît l'Iraq une délégation venue de la capitale a été dépêchée pour présenter le rapport et répondre aux questions posées par les membres du Comité. A cet égard, le Comité note avec satisfaction que l'Etat partie a accepté de conduire un dialogue constructif avec le Comité.
3. Cependant, le Comité regrette que le rapport soumis par l'Etat partie ne comporte pas d'information sur les articles 13 à 15 du Pacte, tout en reconnaissant que des renseignements à ce sujet ont été, dans une certaine mesure, communiqués par la délégation au cours du dialogue.
4. Le Comité note avec satisfaction que, d'après le système juridique de l'Iraq, le Pacte fait partie intégrante de la législation nationale et peut donc être directement invoqué devant les tribunaux, tout en regrettant de n'avoir eu connaissance d'aucune information sur des cas où le Pacte aurait été effectivement cité par les tribunaux ou invoqué directement devant les tribunaux.
5. Le Comité note qu'une Commission des droits de l'homme a été récemment constituée à l'Assemblée nationale, mais regrette de n'avoir reçu jusqu'à présent aucune information sur les fonctions, les pouvoirs et les activités de cette Commission.
6. Au sujet de l'égalité entre les sexes, le Comité note avec satisfaction l'existence de lois destinées à promouvoir la participation des femmes au développement national, à leur garantir l'égalité de traitement en ce qui concerne l'éducation, la santé, l'emploi et le droit à la propriété foncière, et à les protéger contre l'exploitation et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Il note en outre que les femmes ont droit à un congé de maternité de six mois à salaire complet, plus six mois à demi-salaire, et peuvent prendre leur retraite à l'âge de 55 ans.
7. Le Comité reconnaît que huit années de guerre avec la République islamique d'Iran et le conflit qui a suivi l'invasion du Koweït par l'Iraq ont causé la destruction d'une partie de l'infrastructure du pays, ainsi que des souffrances humaines considérables, et placé l'Iraq dans une situation économique et sociale très difficile. Le Comité note également que les conditions de vie de vastes secteurs de la population iraquienne sont tombées au niveau du minimum vital depuis l'imposition de l'embargo, qui a fait chuter les recettes pétrolières du pays de 20 à 2 milliards de dollars par an, et que cette situation est encore exacerbée par la hausse brutale des prix à la consommation.
8. A cet égard, le Comité fait sienne la résolution 1997/35 adoptée par la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités au sujet des conséquences néfastes des sanctions économiques sur la jouissance des droits de l'homme, et insiste particulièrement sur le fait que "ces mesures touchent le plus gravement la population innocente, en particulier les faibles et les pauvres, et spécialement les femmes et les enfants, (et...) ont tendance à aggraver les disparités dans la répartition des revenus existants déjà dans le pays concerné".
9. Néanmoins, le Comité, tout en constatant que les conséquences des sanctions et des blocus font obstacle à la réalisation intégrale de certains droits inscrits dans le Pacte, souligne que l'Etat partie, conformément à l'article 2, paragraphe 1, reste tenu de s'acquitter, "au maximum de ses ressources disponibles", des obligations qu'il a assumées en vertu du Pacte.
10. Le Comité note avec préoccupation que la situation des droits économiques, sociaux et culturels en Iraq n'a cessé de se dégrader depuis le début des hostilités avec la République islamique d'Iran et s'est encore détériorée depuis la guerre du Golfe et l'adoption des sanctions. A cet égard, le Comité, réaffirmant la préoccupation qu'il a exprimée dans ses précédentes observations finales (E/C.12/1994/6, par. 6), note que jusqu'à présent les autorités n'ont pas pris de mesures suffisantes pour soulager les conditions de vie extrêmement difficiles de la population iraquienne et remédier à une situation où celle-ci se voit privée de la plupart de ses droits fondamentaux dans le domaine économique, social et culturel.
11. Le Comité regrette qu'il n'ait été communiqué d'informations statistiques sur la situation économique, sociale et culturelle en Iraq ni dans le rapport de l'Etat partie ni au cours du dialogue avec la délégation.
12. Le Comité note avec préoccupation l'absence de renseignements sur les mesures prises par l'Etat partie pour diffuser plus largement parmi la population des informations sur les droits de l'homme, et plus spécialement sur les droits économiques, sociaux et culturels.
13. Le Comité exprime sa préoccupation au sujet d'informations faisant état de discrimination contre les membres de certaines minorités, plus spécialement les Kurdes, les habitants de la zone des marais, les Assyriens, les musulmans chiites et les Turkmènes, en ce qui concerne l'exercice des droits de l'homme inscrits dans le Pacte. De plus, le Comité prend note avec une profonde préoccupation d'informations d'où il ressort que les effets de l'embargo se font plus durement sentir sur les membres des minorités raciales, ethniques ou religieuses et que la manière dont les ressources limitées disponibles sont réparties par les autorités fait apparaître des discriminations entre zones rurales et urbaines et au détriment de la région méridionale, à l'encontre des habitants des marais.
14. Au sujet de l'article 3 du Pacte, le Comité exprime sa préoccupation en ce qui concerne la discrimination à l'encontre des femmes, en droit et en fait, en ce qui concerne le droit successoral, la liberté de circulation, le droit de la famille, l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, et l'accès à l'emploi. Sur ce dernier point, le Comité note avec préoccupation que le taux de ch_mage est plus élevé parmi les femmes que parmi les hommes.
15. Le Comité note avec préoccupation la possibilité, prévue par la loi No 104 de 1981 et par le Code pénal, de condamner une personne à un travail obligatoire, dans le cadre d'une peine de prison, pour la manifestation d'opinions politiques ou d'une opposition idéologique au système politique, social ou économique, pour violation de la discipline du travail ou participation à des grèves. Le Comité estime que cette pratique a pour but de prévenir ou de limiter la libre expression d'une opinion sur des politiques et des pratiques ayant une incidence directe sur l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels.
16. Le Comité note avec préoccupation que, en violation des dispositions de l'article 8 du Pacte, les syndicats indépendants ne sont pas autorisés en Iraq, étant donné que la loi de 1997 sur l'organisation des syndicats crée une structure syndicale unique centralisée dans le cadre de la Fédération générale des syndicats, elle-même contr_lée par le parti au pouvoir, le parti Ba'ath. Le Comité note aussi que les salariés du secteur public et des entreprises parapubliques ne sont pas autorisés à adhérer à un syndicat. De plus, le Comité note avec préoccupation que la loi de 1997 ne reconnaît pas le droit aux négociations collectives et que des restrictions sévères, y compris des sanctions pénales, limitent le droit de grève.
17. Le Comité, prenant note du rapport du Comité d'experts de l'Organisation internationale du Travail sur la mise en oeuvre des conventions Nos 19 et 118 de l'OIT, exprime son inquiétude quant au fait que, d'après l'article 38, paragraphe b, alinéa ii) de la loi No 39 de 1971 relative au régime de pension et de sécurité sociale des salariés, le versement d'une prestation en faveur d'un ressortissant étranger ne sera garanti que si l'intéressé retourne dans son pays d'origine à l'expiration de la période de service pour laquelle il est assuré. Le Comité note que cette disposition empêche les travailleurs qui quittent l'Iraq avant l'expiration de la période sur laquelle porte leur contrat ou qui s'installent dans un pays autre que leur pays d'origine de bénéficier de prestations. En outre, conformément à l'article 38, paragraphe b, alinéa iii) de la loi, le versement des prestations en dehors de l'Iraq n'est effectué que dans le cadre d'accords de réciprocité ou des conventions internationales sur le travail et sous réserve de l'autorisation nécessaire délivrée en vertu de l'Instruction No 2 de 1978 sur le versement des pensions de sécurité sociale aux personnes assurées qui quittent l'Iraq. De plus, le Comité note avec préoccupation la déclaration de la délégation iraquienne, d'où il ressort que, vu les circonstances que connaît aujourd'hui l'Iraq, ces paiements ont été suspendus.
18. A propos de l'article 9 du Pacte, le Comité note que, bien que la législation iraquienne prévoit un régime de sécurité sociale, l'application de cette législation a été entravée par les difficultés économiques que connaît aujourd'hui le pays à la suite de la chute brutale des recettes de l'Etat partie.
19. Le Comité se déclare en outre préoccupé par l'augmentation du travail des enfants et regrette l'absence d'informations sur les mesures que pourraient avoir prises les autorités pour s'attaquer à ce problème. Il regrette en particulier l'absence d'informations sur les mécanismes d'inspection éventuellement mis en place pour surveiller l'application de la loi No 71 de 1987 sur le travail, régissant la protection des jeunes gens au regard de l'emploi et des conditions de travail. De surcroît, le Comité note avec préoccupation que selon l'article 96 du Code du travail, les enfants employés dans des entreprises familiales sous l'autorité ou la supervision de leur père, de leur mère ou de leur frère ne sont pas protégés par les dispositions spécifiques de la loi No 71 de 1987 sur le travail.
20. En ce qui concerne le droit à un logement suffisant prévu à l'article 11 du Pacte, le Comité se déclare préoccupé par des informations selon lesquelles une discrimination serait exercée dans la mise en oeuvre de ce droit, notamment en ce qui concerne l'expulsion de membres de certaines minorités (Kurdes, Turkmènes et musulmans chiites) et la situation des "squatters" dans les zones urbaines.
21. Le Comité note avec préoccupation que selon une étude menée en 1995 par les autorités iraquiennes avec le soutien de l'UNICEF, 50 % de la population rurale du sud et du centre de l'Iraq n'ont pas accès à l'eau potable. Cette proportion atteindrait 90 % dans le gouvernorat méridional de Thigar. Le Comité souligne à cet égard que cette situation n'est pas conforme aux dispositions de l'article 11 du Pacte relatives au droit à un niveau de vie suffisant.
22. En ce qui concerne l'article 12 du Pacte, le Comité note avec préoccupation que les infrastructures ayant été en partie détruites, l'eau bue est largement contaminée, ce qui entraîne des problèmes de santé, tels que des maladies transmises par l'eau, des maladies diarrhéiques et le choléra. Le Comité note également avec préoccupation qu'en raison de la pénurie de denrées alimentaires et des restrictions qui en résultent dans la distribution de vivres, ainsi que de la pénurie de certains médicaments, équipements médicaux et autres articles d'hygiène personnelle en Iraq, la santé physique de la population iraquienne se détériore rapidement. Il note en particulier la réapparition de certaines maladies qui avaient été éradiquées en Iraq (typhoïde, poliomyélite, tétanos, hépatite virale, giardase, rubéole, kala-azar, brucellose, fièvre hémorragique, croup, coqueluche, rachitisme, gale, kystes séreux, rage, etc.).
23. Le Comité est alarmé par l'augmentation rapide du taux d'analphabétisme en Iraq (54 % selon les estimations), qui touche surtout les femmes, situation aggravée par la situation actuelle difficile.
24. Le Comité réaffirme ses préoccupations concernant le manque d'informations sur l'application de l'article 13 du Pacte s'agissant de l'enseignement primaire obligatoire et gratuit; de l'éducation dans le domaine des droits de l'homme; de l'égalité des chances en matière d'éducation entre hommes et femmes; de l'absence de données statistiques et autres sur la mise en oeuvre du droit à l'éducation en Iraq, des atteintes aux franchises universitaires commises par les autorités, des mesures portant atteinte au patrimoine culturel de certaines communautés et minorités religieuses; et de l'exercice d'un contr_le gouvernemental sur le choix et la diffusion des émissions radiophoniques réalisées dans les langues des minorités (E/C.12/1994/6, par. 9 et 11 à 14).
25. Le Comité prie instamment l'Etat partie de prendre toutes les mesures appropriées pour veiller, dans toute la limite des ressources dont il dispose, à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, conformément au paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte. A cet égard, le Comité appelle l'attention de l'Etat partie sur son Observation générale No 3 relative à la nature des obligations des Etats parties, et plus particulièrement sur les paragraphes 10 à 13 de cette Observation générale. Le Comité suggère en outre au Gouvernement de travailler en collaboration étroite avec les organismes et institutions spécialisées des Nations Unies en vue d'appliquer intégralement et rapidement toutes les clauses de l'accord "pétrole contre vivres" et de promouvoir la réalisation de l'ensemble des droits économiques, sociaux et culturels de tous les groupes vivant en Iraq.
26. Le Comité recommande que des mesures soient prises pour collecter systématiquement des données quantitatives et qualitatives désagrégées, conformément aux critères utilisés par les Nations Unies et ses institutions spécialisées, sur tous les droits consacrés par le Pacte dans le but d'évaluer les progrès réalisés, de dégager les difficultés existantes et de fixer les priorités d'une action future.
27. Le Comité recommande que des mesures concrètes soient prises d'urgence pour veiller à diffuser largement les dispositions du Pacte parmi la population. A cette fin, le Comité recommande que des programmes d'éducation systématique sur les droits consacrés par le Pacte soient mis en place dans les écoles et tous les autres établissements d'enseignement.
28. Le Comité recommande également que l'indépendance de la Commission des droits de l'homme existante soit garantie et que celle-ci soit habilitée à recevoir et à examiner les plaintes déposées par des particuliers en raison de violations de leurs droits de l'homme, notamment de leurs droits économiques, sociaux et culturels.
29. Le Comité recommande que, conformément au paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte, des mesures soient prises pour garantir que les droits énoncés dans le Pacte soient "exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation", et il se réfère tout particulièrement à cet égard à la situation des Kurdes, de la population des marais, des Assyriens, des musulmans chiites et des Turkmènes.
30. En ce qui concerne la discrimination à l'égard des femmes, le Comité recommande au Gouvernement de poursuivre la politique qu'il mène pour assurer la pleine égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle. Il recommande en particulier qu'un examen approfondi de la législation interne soit effectué pour éliminer toute disposition juridique discriminatoire pouvant subsister, que des voies de recours particulières soient offertes aux femmes victimes de discrimination sexuelle et que des campagnes d'information et d'éducation soient menées à cette fin.
31. Le Comité recommande de réviser la loi No 104 de 1981 et le Code pénal qui contiennent des dispositions réprimant par une peine de travaux forcés l'expression d'opinions politiques ou idéologiques contraires au régime politique, social ou économique ainsi que toute rupture de la discipline du travail ou participation à des grèves, et de les rendre conformes au paragraphe 1 de l'article 6 du Pacte et à la Convention No 29 de l'OIT concernant le travail forcé ou obligatoire.
32. Le Comité recommande aussi d'entreprendre à titre prioritaire un examen approfondi de la législation régissant les droits des syndicats, le droit de grève et le droit de négociation collective, afin de la rendre conforme à l'article 8 du Pacte.
33. Le Comité recommande que les lois sur la sécurité sociale en vigueur en Iraq soient appliquées sans discrimination. A cette fin, le Comité suggère de réviser la loi No 39 de 1971 sur les pensions et la sécurité sociale des travailleurs.
34. Le Comité prie instamment le Gouvernement de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations concrètes et détaillées sur les mesures prises ou prévues pour traiter les traumatismes psychologiques et émotionnels dont souffrent les enfants après des années de conflit armé et de difficultés économiques et sociales connexes, ainsi que le problème du travail des enfants. En outre, le Comité souligne qu'il est nécessaire que tous les mineurs qui travaillent soient protégés, notamment ceux qui sont employés dans des entreprises familiales, et il recommande que l'article 96 du Code du travail soit révisé en conséquence.
35. Le Comité recommande aux autorités de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour garantir l'exercice, sans discrimination, du droit à un logement suffisant prévu à l'article 11 du Pacte, et appelle l'attention de l'Etat partie sur ses Observations générales Nos 4 et 7.
36. Le Comité recommande au Gouvernement de ne rien ménager pour garantir grâce au développement d'infrastructures suffisantes dans toutes les régions du pays l'accès à l'eau potable de l'ensemble de la population, et tout particulièrement de la population rurale.
37. Le Comité, quoiqu'il soit conscient que l'embargo imposé à l'Iraq crée des conditions extrêmement difficiles pour assurer la disponibilité des denrées alimentaires, médicaments et articles médicaux, recommande au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires, dans toute la limite des ressources dont il dispose, pour satisfaire les besoins de la population, et en particulier des groupes les plus vulnérables comme les enfants, les personnes âgées et les mères allaitantes, conformément à l'article 12 du Pacte.
38. En ce qui concerne les articles 13 à 15 du Pacte, le Comité renouvelle les recommandations qu'il a adressées à l'Etat partie dans ses observations finales adoptées lors de l'examen du deuxième rapport périodique de l'Iraq sur ces articles (E/C.12/1994/6, par. 15 à 19).
39. Enfin, le Comité recommande à l'Etat partie de traiter dans son quatrième rapport périodique des préoccupations exprimées dans les présentes observations finales ainsi que des questions soulevées au cours de l'examen du troisième rapport périodique qui sont restées sans réponse, et il encourage l'Etat partie à diffuser largement le texte des présentes observations finales adoptées par le Comité à l'issue de l'examen de son troisième rapport périodique.