COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Vingt-septième session
12-30 novembre 2001
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE
Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
JAMAÏQUE
1. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le deuxième
rapport périodique de la Jamaïque sur l'application du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/1990/6/Add.28) à sa
soixante-treizième session, tenue le 21 novembre 2001 (E/C.12/2001/SR.73),
et a adopté, à sa 85e séance, le 29 novembre 2001 (E/C.12/2001/SR.85), les
observations finales ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de
l'État partie mais regrette l'absence d'une délégation de l'État partie lors
de l'examen dudit rapport par le Comité. Un dialogue constructif avec la délégation
de l'État partie aurait permis au Comité de bien comprendre l'évolution sociale
et économique du pays et son incidence sur la réalisation des droits économiques,
sociaux et culturels. Le Comité regrette également que l'État partie n'ait
pas soumis de réponses écrites à la liste des points à traiter.
B. Aspects positifs
3. Le Comité prend note des efforts de l'État partie en vue de l'élaboration
de plans d'action nationaux pour la femme ainsi que des mesures d'ordre législatif
et administratif qu'il a adoptées pour améliorer la condition de la femme
en Jamaïque.
4. Le Comité note que le mémorandum d'accord conclu en septembre 2000 entre
le BIT et l'État partie a doté celui-ci des moyens financiers et techniques
lui permettant d'appliquer énergiquement des programmes de lutte contre les
pires formes de travail des enfants.
C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
5. Les conséquences de la crise financière de 1995-1996, l'inflation et l'alourdissement
du service d'une dette publique ayant dépassé les 140 % du PIB national en
mars 2000 ont sérieusement compromis la capacité de l'État partie d'appliquer
le Pacte.
6. Le Comité note que la persistance de certaines traditions et attitudes
culturelles en Jamaïque constitue, pour les femmes, les filles et les garçons,
un sérieux obstacle à la jouissance effective de leurs droits énoncés dans
le Pacte.
7. Une «culture de la violence» diffuse dans l'État partie a favorisé l'instauration
d'un climat qui n'est pas propice à l'exercice, par les membres de la société
jamaïcaine, en particulier les femmes et les enfants, de leurs droits économiques,
sociaux et culturels.
D. Principaux sujets de préoccupation
8. Le Comité est préoccupé par le fait que, dans l'article 24 (3) du chapitre
III de la Constitution, le mot «sexe» ne figure pas parmi les motifs de discrimination
interdits par la loi. Le Comité est également préoccupé par l'existence de
textes de lois établissant une discrimination fondée sur le sexe, à l'encontre,
le plus souvent, des femmes mais aussi, parfois des hommes, ainsi l'article
6 (1) du Pensions Act (loi sur l'assurance vieillesse) de 1947 prévoyant
des versements pour les hommes mariés, le Women (Employment) Act (loi
sur l'emploi des femmes) de 1942 interdisant le travail de nuit des femmes
sauf dans des conditions bien précises et le Children (Adoption) Act
(loi relative à l'adoption d'enfants) de 1958 n'autorisant l'adoption d'enfants
de sexe féminin par des hommes que lorsque des circonstances particulières
la justifient.
9. Le Comité note avec préoccupation la disproportion entre le taux de chômage
des hommes et celui des femmes: 33 600 femmes sont au chômage contre 11 000
hommes. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que 75 % des chômeurs
ont déclaré n'avoir ni diplômes ni qualifications professionnelles reconnus,
ce qui constitue un obstacle à leur accès au marché du travail.
10. Le Comité est préoccupé par le fait que le régime de sécurité sociale
de l'État partie ne prévoit pas de couverture universelle, un grand nombre
des groupes vulnérables et marginalisés, notamment les personnes âgées, les
parents isolés et les personnes handicapées, en étant exclus. Le Comité est
particulièrement préoccupé par la diminution des dépenses de sécurité sociale
et par le fait que le système ne répond pas suffisamment aux besoins d'une
population rapidement vieillissante.
11. Le Comité exprime la préoccupation que lui inspire la persistance du travail
des enfants, en particulier dans le secteur non structuré. Le Comité est en
outre préoccupé par le fait que l'âge minimum, pourtant fort bas (12 ans),
d'admission à l'emploi, n'est pas respecté dans la pratique.
12. Le Comité exprime la préoccupation que lui inspire la situation des garçons
dans l'État partie, où de sérieux problèmes existent au sein de la jeunesse,
notamment l'accroissement des taux d'abandon scolaire, l'aggravation de la
criminalité et de la délinquance, un fort taux de suicide, la toxicomanie
et le chômage.
13. Le Comité est vivement préoccupé par l'absence de lois, de politiques
ou de programmes visant expressément à lutter contre l'ampleur croissante
du tourisme sexuel et ses conséquences, notamment l'exploitation sexuelle
et la prostitution des femmes et des enfants, ainsi que la propagation des
maladies sexuellement transmissibles. Le Comité juge particulièrement alarmante
l'augmentation des taux d'abandon scolaire, les jeunes filles étant incitées
à quitter l'école pour se livrer au commerce du sexe, parfois même avec le
consentement de leurs parents, qui tirent avantage de leurs gains.
14. Le Comité est vivement préoccupé par ce qui apparaît comme une généralisation
de la violence dans l'État partie. Selon certaines informations, plus de 1
000 personnes ont été assassinées durant la seule année 2001 et la «politique
tribale» prévaut à tel point que des seigneurs de la guerre règnent sur de
larges secteurs de la capitale, où ils mènent des activités liées à l'extorsion,
au trafic de drogues et à la prostitution. Le Comité est particulièrement
préoccupé par le fait que des actes de violence, notamment de violence domestique
et sexuelle, sont commis contre des femmes de tous les âges et contre des
enfants. Selon les informations fournies par des organisations non gouvernementales,
des enfants sont régulièrement battus, voire menacés avec des armes, et le
châtiment corporel figure parmi les méthodes utilisées dans l'éducation des
enfants, à la maison comme à l'école. Le fait que de tels actes sont commis
en toute impunité constitue une grave violation par l'État partie des obligations
qui lui incombent en vertu du Pacte.
15. Le Comité constate avec préoccupation que malgré les mesures prises par
l'État partie, notamment la mise en œuvre d'un programme national de
lutte contre la pauvreté, plus du tiers de la population vit dans la pauvreté.
Le Comité a reçu d'ONG jamaïcaines des informations selon lesquelles les taux
de pauvreté les plus élevés sont enregistrés parmi les femmes, en particulier
celles qui sont chefs de famille monoparentale. Les mêmes ONG affirment que
si l'État partie a pris des mesures importantes pour améliorer la situation
du logement, des milliers de Jamaïcains n'en continuent pas moins de vivre
dans des conditions déplorables dans des baraques faites de bois et de tôle,
sans eau courante ni électricité. Le Comité est également vivement préoccupé
par la situation des agricultures ruraux qui, soi-disant du fait des accords
de libre-échange, ne peuvent pas soutenir la concurrence des denrées alimentaires
importées vendues à un prix bas sur les marchés locaux, et ont du mal à subvenir
aux besoins de leur famille.
16. Le Comité constate avec inquiétude que, selon des informations reçues
d'organismes des Nations Unies, le VIH/sida est aujourd'hui la principale
cause de décès parmi les hommes et les femmes âgés de 15 à 44 ans. Le Comité
est particulièrement préoccupé par le fait que le taux global de mortalité
des personnes infectées par le VIH/sida est de 60 %, essentiellement parce
que ces malades n'ont pas accès à des médicaments, à des traitements et à
des soins d'un coût abordable. Le Comité constate également avec préoccupation
que la prévalence de l'infection par le VIH est deux fois plus élevée chez
les filles âgées de 16 à 19 ans que chez les femmes plus âgées, selon l'ONUSIDA,
qui attribue ce phénomène au fait que les jeunes femmes participent au marché
du tourisme sexuel.
17. Le Comité est préoccupé par la santé des adolescents dans l'État partie;
ce groupe d'âge constitue une catégorie à haut risque en ce qui concerne de
nombreuses maladies, en particulier celles qui sont liées à la sexualité et
à la procréation. Le Comité constate aussi avec préoccupation la multiplication
des grossesses chez les adolescentes, entraînant un accroissement des taux
de mortalité liée à l'interruption de grossesses non désirées et une hausse
des taux d'abandon scolaire parmi les filles qui quittent l'école pour s'occuper
de leur bébé.
18. Le Comité constate également avec préoccupation que l'avortement clandestin
est à l'origine d'un grand nombre de décès dus à des infections et des complications
résultant d'opérations pratiquées dans de mauvaises conditions sanitaires
par un personnel non qualifié et représente l'une des principales causes de
la mortalité maternelle élevée dans l'État partie.
19. Le Comité exprime la vive préoccupation que lui inspire le niveau insuffisant
des dépenses publiques consacrées à l'éducation, accompagné d'une diminution
de la qualité de l'enseignement. Des statistiques récentes émanant de l'État
partie montreraient que 40 % des enfants ayant achevé le cycle primaire ne
savent «ni lire ni écrire».
E. Suggestions et recommandations
20. Le Comité recommande à l'État partie de prendre des mesures visant à amender
l'article 24 (3) du chapitre III de la Constitution par l'ajout d'une disposition
interdisant la discrimination fondée sur le sexe. Le Comité recommande en
outre à l'État partie d'envisager la modification des textes de loi énumérés
au paragraphe 8 et d'autres mesures juridiques discriminatoires à l'égard
des hommes et des femmes.
21. Le Comité prie instamment l'État partie de donner effet sans plus de retard
à la déclaration de politique nationale en faveur des femmes adoptée par le
Conseil des ministres en 1987, en vue de créer les conditions d'une intégration
de la perspective sexospécifique dans tous les ministères et dans leurs politiques.
Le Comité demande à l'État partie d'inclure, dans son troisième rapport périodique,
des renseignements concernant les progrès réalisés dans l'application de cette
déclaration.
22. Le Comité recommande à l'État partie de dispenser aux hommes et aux femmes
une formation professionnelle et une éducation propres à améliorer leurs chances
d'accéder au marché du travail et de formuler des stratégies et des politiques
de création d'emplois en faveur de la population active féminine.
23. Le Comité recommande à l'État partie de s'efforcer d'assurer la couverture
universelle du régime de sécurité sociale en Jamaïque, en accordant la priorité
aux groupes vulnérables et marginalisés. En particulier, le Comité recommande
vivement la formulation et la mise en œuvre de stratégies destinées à
assurer une couverture suffisante pour le groupe de population ayant droit
aux pensions de retraite. À cet égard, le Comité encourage l'État partie à
explorer les possibilités offertes par la coopération internationale, comme
prévu au paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte.
24. Le Comité recommande à l'État partie de poursuivre à titre prioritaire
l'application du mémorandum d'accord qu'il a conclu avec le BIT en septembre
2000 et lui demande de fournir, dans son troisième rapport périodique, des
renseignements détaillés sur les mesures prises et les progrès accomplis à
cet égard. Le Comité exhorte tout particulièrement l'État partie à revoir
à la hausse l'âge minimum d'admission à l'emploi et à veiller à un respect
plus strict de ce seuil. Le Comité exhorte également l'État partie à ratifier
la Convention no 182 de l'OIT sur les pires formes de travail des enfants
(1999).
25. Le Comité demande à l'État partie de fournir, dans son troisième rapport
périodique, des renseignements détaillés, notamment des données statistiques
se prêtant à des comparaisons dans le temps, sur la situation des garçons
et sur les mesures qu'il a prises pour lutter contre les problèmes énumérés
au paragraphe 12.
26. Le Comité recommande vivement à l'État partie de prendre de toute urgence
des mesures législatives et administratives pour interdire et sanctionner
pénalement le tourisme sexuel et l'exploitation des femmes et des enfants
à laquelle il donne lieu.
27. Le Comité demande à l'État partie d'appliquer la loi dans toute sa rigueur
et de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour éradiquer
le fléau de la violence. Le Comité rappelle à l'État partie que dans le cadre
de la lutte contre la violence, le respect et la protection des droits de
l'homme doivent être assurés en toutes circonstances. Le Comité demande à
l'État partie de fournir, dans son troisième rapport périodique, des renseignements
détaillés sur les mesures qu'il a prises pour éradiquer toutes les formes
de violence, en particulier contre les femmes et les enfants, et sur les progrès
accomplis à cet égard.
28. Le Comité demande à l'État partie de fournir, dans son troisième rapport
périodique, des renseignements détaillés sur l'étendue de la pauvreté dans
le pays, y compris des données statistiques comparables dans le temps et ventilées
selon le sexe, l'âge et les zones urbaines ou rurales. Le Comité souhaite
également obtenir des renseignements sur les mesures prises pour lutter contre
la pauvreté en ce qui concerne différentes couches de la société, en particulier
les groupes les plus vulnérables et marginalisés, ainsi que sur les résultats
obtenus. Le Comité renvoie l'État partie à sa déclaration, adoptée le 4 mai
2001, sur la pauvreté et le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (E/C.12/2001/10).
29. Le Comité prie instamment l'État partie de fournir, dans son troisième
rapport périodique, des renseignements sur la situation du VIH/sida en Jamaïque,
sur les mesures législatives et administratives prises par l'État partie pour
lutter contre l'épidémie dans ses multiples dimensions - programmes
de prÚvention, accÞs aux mÚdicaments, aux traitements et aux soins -
ainsi que sur les mesures prises pour protÚger la population contre cette
maladie et sur les rÚsultats obtenus.
30. Le ComitÚ prie instamment l'╔tat partie de veiller Ó ce qu'un enseignement
soit dispensÚ dans les domaines de la santÚ en matiÞre de sexualitÚ et de
procrÚation et, le cas ÚchÚant, de faciliter l'accÞs des adolescents aux moyens
contraceptifs. Le ComitÚ prÚconise Ó cet Úgard l'Útablissement de critÞres,
sur la base des donnÚes comparatives qui seront prÚsentÚes dans le prochain
rapport pÚriodique et renvoie l'╔tat partie aux paragraphes 57 et 58
de son observation gÚnÚrale no 14 sur le droit à la santé.
31. Le Comité prie l'État partie de fournir, dans son troisième rapport périodique,
des renseignements détaillés, sur la base de données comparatives, concernant
le problème de l'avortement en Jamaïque et les mesures d'ordre législatif
ou autre, dont la révision de sa législation actuelle, qu'il a prises pour
protéger les femmes contre les avortements clandestins et non médicalisés.
32. Le Comité prie instamment l'État partie de prendre des mesures immédiates
pour freiner la baisse de la qualité de l'enseignement, notamment en sollicitant
l'aide de l'UNESCO à cet égard. Le Comité renvoie l'État partie à son observation
générale no 13 sur le droit à l'éducation.
33. Le Comité demande à l'État partie d'assurer une large diffusion des présentes
observations finales à tous les niveaux de la société, y compris parmi les
services gouvernementaux et auprès du corps judiciaire.
34. Le Comité demande à l'État partie de présenter son troisième rapport périodique
au plus tard le 30 juin 2003 et d'y inclure des renseignements détaillés sur
les mesures qu'il a prises pour appliquer les recommandations du Comité figurant
dans les présentes observations finales. L'État partie est en particulier
prié de tenir compte, lors de l'élaboration de son troisième rapport périodique,
de la liste des points à traiter que le Comité lui a adressée en mai 2001
(E/C.12/Q/JAM/1).