Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
RÉPUBLIQUE DE CORÉE
3. Le Comité regrette qu'il n'ait pas été donné suite à la plupart des propositions et recommandations figurant dans ses précédentes observations finales, adoptées après examen du rapport initial.
5. Le Comité se réjouit de l'adoption d'une législation et de programmes destinés à assurer un niveau de vie suffisant à tous, notamment la loi de 1999 sur la sécurité des conditions de vie de base, la loi sur l'assurance chômage, le régime national de retraite, le régime national d'assurance maladie et la loi sur l'indemnisation en cas d'accident du travail. Il accueille avec satisfaction la généralisation à tous les salariés du salaire minimum, qui ne concernait auparavant que les employés d'entreprises de plus de 10 personnes.
6. Le Comité prend acte de la création récente d'un Ministère spécifiquement chargé de l'égalité des sexes. Il se félicite par ailleurs des mesures prises pour assurer l'égalité entre femmes et hommes en matière d'emploi, de mariage avec des étrangers, de déclaration des enfants et de transmission du nom de famille aux enfants. Il se réjouit de plus de l'adoption d'une loi sur la protection sociale des enfants et des programmes destinés à développer sensiblement les installations publiques et privées chargées d'accueillir les enfants, ce qui encourage la participation des femmes à des activités rémunérées.
7. Le Comité se félicite de l'ouverture récente à Séoul d'un bureau du Haut-Commissariat pour les réfugiés en mesure de traiter les demandes d'asile.
9. Il constate les effets négatifs persistants de la mentalité diffuse d'«assiégé» dont témoigne la loi sur la sécurité nationale, sur l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels. De plus, le niveau élevé du budget de la défense contraste avec la diminution des moyens consacrés à certaines questions clefs en matière de droits économiques, sociaux et culturels.
10. Le Comité note que du fait de traditions et de préjugés culturels profondément enracinés, certaines catégories vulnérables, telles que les travailleurs migrants et de nombreuses femmes, sont marginalisées.
11. Le Comité note que l'approche adoptée par l'État partie, qui accorde la première place à l'économie, a fait passer au second plan la protection des droits économiques, sociaux et culturels. Cela s'est traduit par la marginalisation de certains groupes sociaux dans des domaines comme le logement, la protection sociale et les soins de santé.
13. Le Comité constate avec préoccupation que le rythme rapide du développement économique n'a pas été accompagné des efforts nécessaires pour garantir les droits économiques, sociaux et culturels. Il s'inquiète du fait que, dans un tel cas, certains droits ou les droits de certains groupes sont sacrifiés au nom de la reprise économique et de la compétitivité sur les marchés.
14. Le Comité est préoccupé du fait que les méthodes de collecte de données de l'État partie ne paraissent pas totalement fiables. Tel est le cas par exemple en ce qui concerne les données concernant le chômage et le sous-emploi, le logement, la pauvreté et les migrations. Dans certains cas, il existe des divergences très importantes entre les statistiques communiquées par le Gouvernement et celles provenant d'autres sources, y compris les organismes des Nations Unies et les organisations non gouvernementales, ce qui a de sérieuses conséquences pour l'efficacité des politiques et des programmes élaborés par le Gouvernement pour répondre aux besoins des personnes les plus vulnérables et marginalisées.
15. Le Comité regrette qu'aucun effort suffisant n'ait été fait depuis l'examen du rapport initial pour incorporer pleinement les droits énoncés dans le Pacte à la législation. Il constate avec préoccupation qu'en vertu de la Constitution, le Pacte a le même rang que la législation interne, si bien que la protection accordée à certains droits peut être remise en question par de nouvelles lois ou des lois spéciales. Il regrette qu'il ne soit pas clairement précisé si tous les droits visés dans le Pacte peuvent être invoqués devant les tribunaux intérieurs, ainsi que l'absence de tout cas de jurisprudence.
16. En dépit des progrès relevés au paragraphe 6, le Comité constate avec une vive préoccupation que la situation entre hommes et femmes reste inéquitable. En particulier, il note la persistance de la préférence traditionnelle pour les garçons, ce qui se traduit par un taux élevé d'avortements de fœtus de sexe féminin et une menace pour les droits des femmes en matière de procréation; du système familial patriarcal (ho-ju) tel que défini par la loi; du nombre élevé de cas de violence au sein de la famille; de l'accès relativement étroit des femmes à l'enseignement postsecondaire; de la discrimination à l'égard des femmes et du harcèlement sexuel sur le lieu de travail; ainsi que d'un écart important entre les salaires moyens des femmes et des hommes.
17. Le Comité regrette que les conditions d'emploi des travailleurs «irréguliers» n'aient pas été précisées lors du dialogue. Les informations obtenues de sources indépendantes montrent que ces travailleurs sont défavorisés par rapport aux travailleurs «réguliers» en termes de salaire, de pension de retraite, de couverture chômage, de couverture sociale et de sécurité de l'emploi, alors même qu'ils effectuent souvent les mêmes tâches qu'eux. Le Comité note en outre que les travailleurs irréguliers représentent désormais la moitié de la population active et qu'il s'agit pour la très grande majorité de femmes.
18. Le Comité s'inquiète de l'augmentation du nombre d'accidents du travail ces dernières années, qui semble être liée à des normes moins strictes en matière de sécurité et au nombre insuffisant d'inspecteurs.
19. Le Comité note que les enseignants peuvent légalement exercer le droit que leur reconnaît l'article 8 du Pacte de former des syndicats et de s'y affilier. Il est cependant préoccupé du fait qu'ils ne peuvent toujours pas participer à des négociations collectives ou faire grève, contrairement à ce que prévoient aussi bien le Pacte que la Constitution nationale (art. 33). Tout en étant conscient du rang social élevé dont jouissent traditionnellement les enseignants dans la société coréenne, le Comité considère que le Gouvernement n'a pas à s'instituer gardien de traditions qui empêchent l'exercice de ce droit fondamental.
20. Le Comité constate par ailleurs avec préoccupation que la législation applicable aux mouvements sociaux n'est pas transparente et donne aux autorités une latitude excessive pour déterminer la légalité des grèves. À cet égard, il considère comme totalement inacceptable que les faits de grève tombent sous le coup de la loi pénale. En outre, il est profondément troublé par la force excessive dont ont fait preuve les forces de police pour s'opposer aux manifestations récentes déclenchées par des licenciements massifs. Il considère que la conjugaison de ces divers éléments constitue incontestablement une négation des droits énoncés à l'article 8 du Pacte.
21. Le Comité est préoccupé des cas de plus en plus nombreux d'exploitation sexuelle des enfants, de travail des enfants, et des difficultés causées par l'éclatement de la famille. À cet égard, la protection légale accordée aux enfants ne paraît pas avoir été dûment appliquée.
22. L'exode rural est un autre phénomène préoccupant. La plupart des programmes publics dans le domaine des infrastructures, de l'enseignement, de la santé ainsi que dans d'autres secteurs essentiels concernent principalement les zones urbaines. Du fait de l'exode des jeunes, de nombreuses personnes âgées doivent désormais s'occuper des exploitations agricoles familiales. Le Comité regrette que la situation des personnes vivant en zone rurale n'ait pas été suffisamment abordée pendant le dialogue.
23. Tout en se félicitant de l'adoption de programmes destinés à compléter les revenus de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, notamment dans le cadre de la loi relative à la sécurité des conditions de vie de base, le Comité exprime des doutes quant au caractère approprié de l'assistance fournie. Les critères à remplir pour en bénéficier sont apparemment si stricts que de nombreux pauvres ne peuvent y prétendre et il semblerait que l'assistance financière puisse être brutalement diminuée sans préavis ni motif. Le régime national de retraite couvre théoriquement l'ensemble de la population, mais en réalité de très nombreux travailleurs qui parviennent à l'âge de la retraite sans avoir pu cotiser un nombre d'années suffisant en sont exclus.
24. Le Comité note avec préoccupation que, malgré les efforts de l'État partie pour favoriser l'emploi des handicapés, l'ancien quota de postes réservés aux travailleurs handicapés, soit 2 % dans les entreprises de plus de 300 personnes, n'a pas été atteint, même au sein des organismes publics. Il juge également préoccupant qu'aucun mécanisme n'ait apparemment été institué pour en assurer le respect.
25. Le Comité regrette de n'avoir pas eu communication, conformément à son observation générale n° 7, d'informations exactes concernant le nombre d'expulsions et les conditions précises dans lesquelles elles peuvent intervenir. Il juge également préoccupant que les victimes de projets privés de construction, contrairement aux propriétaires privés expulsés pour des motifs d'utilité publique, ne bénéficient d'aucune indemnisation ni relogement provisoire. Il s'inquiète en outre du prix du logement pour les groupes à faible revenu, en particulier les groupes vulnérables et marginalisés, de l'utilisation comme logements de «maisons de vinyle» qui exposent leurs occupants à de graves risques, et du nombre croissant de sans-logis.
26. Le Comité est troublé de constater que la part des crédits budgétaires alloués à la santé est très faible – moins de 1 % – et qu'elle est en baisse. Il est inquiet de la prédominance des centres de santé privés – qui représenteraient plus de 90 % des installations sanitaires du pays, le phénomène s'étant encore accentué à la suite de la crise financière - et des répercussions négatives que cela entraîne pour l'accès à la santé des couches sociales les plus marginalisées.
27. Le Comité constate avec préoccupation que la médiocre qualité de l'enseignement dispensé dans les établissements publics contraint les familles à compléter l'éducation de leurs enfants par un enseignement privé, ce qui représente un fardeau financier excessif, en particulier pour les familles de groupes à faible revenu.
28. Le Comité note également avec inquiétude la prédominance des établissements privés dans l'enseignement supérieur, ce qui défavorise les groupes à faible revenu. Il relève en outre que plus des deux tiers des étudiants de l'enseignement supérieur sont des hommes, ce qui est contraire au principe de l'égalité des sexes.
29. Le Comité note que seul l'enseignement primaire est gratuit et obligatoire, ce qui n'est pas conforme au niveau élevé de développement économique de l'État partie.
30. Le Comité craint que les critères actuels pour l'octroi du statut de réfugié soient beaucoup trop stricts étant donné que, jusqu'à présent, seule une demande d'asile a été approuvée.
31. Le Comité note avec préoccupation qu'une formation dans le domaine des droits de l'homme n'est pas encore officiellement obligatoire pour tous les membres des professions les plus directement concernées par la promotion et la protection des droits économiques, sociaux et culturels.
32. Le Comité est préoccupé du fait que la loi sur la sécurité nationale est utilisée pour limiter les activités des intellectuels et des artistes. En application de cette loi, non seulement leurs œuvres sont censurées, saisies ou détruites, mais les intellectuels et artistes eux-mêmes font l'objet de poursuites pénales.
34. Le Comité insiste sur le fait que la politique du gouvernement en matière de droits de l'homme doit s'appuyer sur une bonne connaissance de la situation en ce qui concerne chaque droit, l'identification exacte des groupes les plus vulnérables et la formulation de lois, programmes et politiques appropriés. Il demande instamment aux organismes nationaux de statistique et aux ministères compétences de revoir, à la lumière des dispositions du Pacte, la façon dont sont collectées les données concernant l'ensemble des droits qui y sont énoncés.
35. Le Comité prend acte de l'adoption d'une nouvelle loi portant création d'une commission nationale des droits de l'homme, mais il insiste sur le fait que cette commission devrait être établie conformément aux Principes de 1991 concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme («Principes de Paris») et, à cet égard, appelle l'attention sur son observation générale n° 10.
36. Le Comité exhorte l'État partie à conférer au Pacte une valeur juridique qui permette de l'invoquer directement dans le cadre de l'ordre juridique interne. Il recommande de lui donner un rang supérieur à celui des lois nationales, qu'elles soient antérieures, postérieures ou spéciales et renvoie à cet égard à son observation générale n° 9.
37. Le Comité recommande que l'État partie dégage les ressources nécessaires pour permettre au Ministère de l'égalité des sexes nouvellement créé d'exercer efficacement ses fonctions et d'adopter une optique d'égalité entre les sexes dans la législation et dans la société.
38. Le Comité recommande à l'État partie de faire figurer des informations détaillées sur la situation des travailleurs «irréguliers» dans son troisième rapport périodique. Dans l'intervalle, il lui recommande vivement de revoir le statut de ces travailleurs et de leur garantir les droits prévus par le Pacte.
39. Le Comité rappelle à l'État partie que les dispositions de l'article 8 garantissent à toute personne le droit de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier à un syndicat, le droit d'engager des négociations collectives par l'intermédiaire des syndicats, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux, ainsi que le droit de faire grève. Il invite instamment l'État partie à renoncer à toutes poursuites pénales contre les syndicats pour faits de grève. Il exhorte également l'État partie à s'abstenir de recourir à la force sauf quand cela est absolument nécessaire au maintien de l'ordre public. Le Comité recommande que le droit des enseignants et d'autres fonctionnaires de former des syndicats et de s'y affilier, d'engager des négociations collectives et de faire grève soit garanti par la loi et dans la pratique. Il est demandé de fournir des informations détaillées à ce sujet dans le troisième rapport périodique.
40. Le Comité recommande que l'État partie prenne des mesures plus efficaces pour lutter contre le trafic sexuel des enfants et le travail des enfants, et développe ses programmes visant à la protection et à la réadaptation des victimes de telles pratiques.
41. Le Comité recommande à l'État partie de créer, au sein du gouvernement, une instance chargée de recevoir les plaintes ou les demandes d'assistance en matière de logement. Il recommande qu'une aide soit accordée, sous forme d'une indemnisation ou d'un logement provisoire, aux victimes d'expulsions résultant de projets de construction privés. L'État partie devrait veiller à ce que les membres de groupes vulnérables ou marginalisés puissent se loger dans des conditions satisfaisantes. De plus, il devrait prendre immédiatement des mesures pour aider tous les sans-logis ou les personnes qui vivent dans des conditions particulièrement médiocres, par exemple dans des «maisons de vinyle».
42. Le Comité recommande à l'État partie d'adopter un plan destiné à renforcer le système public d'enseignement, en conformité avec l'article 13 du Pacte et l'Observation générale n° 13, et conformément à son niveau élevé de développement économique. Ce plan devrait comporter les éléments suivants: un calendrier réaliste de mesures spécifiques visant à instituer un enseignement secondaire gratuit et obligatoire; un réexamen des fonctions et de la qualité de l'enseignement public par rapport à l'enseignement privé, de façon à renforcer l'enseignement public et à alléger le fardeau financier que représente l'enseignement privé pour les familles à faible revenu, l'étude des possibilités d'accès à l'enseignement à tous les niveaux, y compris l'enseignement postsecondaire, et l'adoption de mesures spécifiques pour assurer à toutes les couches sociales l'égalité d'accès à l'enseignement; et une réévaluation des programmes d'enseignement à tous les niveaux, de façon à promouvoir le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'État partie est prié de fourni des informations à ce sujet dans son troisième rapport périodique.
43. Dans la mesure où des pratiques traditionnelles constituent un obstacle à l'exercice de certains droits ou contribuent à perpétuer une quelconque discrimination, notamment la préférence pour les garçons et l'avortement des fœtus de sexe féminin, l'État partie devrait entreprendre de vastes campagnes d'information pour sensibiliser le grand public aux droits de l'homme.
44. Le Comité recommande à l'État partie de préparer, conformément à la Déclaration et au Programme d'action de Vienne adoptés en 1993 par la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, et en coopération avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, un plan d'action national dans le domaine des droits de l'homme qui tienne compte des observations formulées par le Comité ainsi que par d'autres organes conventionnels. Des informations à ce sujet devraient figurer dans le troisième rapport périodique de l'État partie.
45. Le Comité demande instamment à l'État partie de faire figurer dans son troisième rapport périodique, qu'il devra soumettre pour le 30 juin 2006, des informations détaillées concernant la situation dans le secteur rural ainsi que l'état de l'agriculture et de la production alimentaire.