University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Philippines, U.N. Doc. E/C.12/1995/7 (1995).


 

COMITE DES DROITS ECONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS



EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES
CONFORMEMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels

PHILIPPINES


1. Le Comité a examiné le rapport initial des Philippines consacré aux articles 10 à 12 du Pacte (E/1986/3/Add.17) à ses 11ème, 12ème et 14ème séances, les 8 et 9 mai 1995 et a adopté à sa 29ème séance (douzième session), le 19 mai 1995 les observations finales suivantes :

A. Introduction

2. Le Comité se félicite d'avoir devant lui une délégation composée principalement d'experts de la capitale et de pouvoir engager le dialogue avec le gouvernement.

3. Le Comité déplore qu'aucune réponse écrite aux questions qu'il a posées dans la liste des points à traiter n'ait été donnée au préalable à ses membres et que seules quelques informations sommaires lui aient été communiquées par écrit, en réponse à ses questions. En partie pour cette raison, bon nombre de questions qui ont été posées durant le débat n'ont pas reçu de réponse satisfaisante de la délégation.

B. Aspects positifs

4. Le Comité se félicite que certains droits garantis par le Pacte trouvent place dans la Constitution et dans la législation nationale. Par ailleurs, il constate avec satisfaction que la délégation a franchement reconnu l'existence de divers problèmes évoqués plus loin, à la section D.

5. Le Comité se félicite en outre que le gouvernement mène une politique de répartition des terres dans le pays, que des programmes de relogement des personnes expulsées et des sans-abri soient en cours et que le gouvernement ait pris l'engagement d'accroître le montant des dépenses publiques consacrées au secteur du logement.

6. Le Comité relève que des mesures sont actuellement prises par le gouvernement pour faire face à la pandémie du SIDA, avec la participation active de l'OMS.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre du Pacte

7. Le Comité constate que les difficultés économiques, exacerbées par une forte migration des zones rurales vers les zones urbaines et par le service de la dette extérieure, ont eu pour effet d'entraver la mise en oeuvre du Pacte.

8. Des obstacles de caractère politico-social, notamment des influences religieuses profondément conservatrices et oligarchiques, ont à maintes reprises entravé et voué à l'échec les tentatives faites pour améliorer le sort des classes défavorisées et éliminer une partie des maux socio-culturels dont souffrent les Philippines.

9. Le Comité prend également note des effets très préjudiciables que la persistance des troubles qui sévissent dans le sud du pays a pour l'application effective des droits économiques, sociaux et culturels.

D. Principaux sujets de préoccupation

10. Le Comité n'a pu se faire une idée de la place exacte qu'occupe concrètement le Pacte dans le système judiciaire. Il relève que la Commission des droits de l'homme n'a été investie d'aucun pouvoir judiciaire pour les questions touchant aux droits de l'homme et que cette question fait l'objet d'une controverse aux Philippines. La délégation n'a pu citer aucun cas précis où des dispositions du Pacte avaient été appliquées par les tribunaux philippins.

11. S'agissant de la question du divorce, le Comité relève que les dispositions juridiques qui s'appliquent dans les provinces à majorité musulmane régies par la chari'a ne sont pas les mêmes que dans le reste des Philippines où le divorce est interdit par la loi. Il juge préoccupant le caractère discriminatoire de cette situation et note que la mariage civil et le divorce devraient être réglementés de manière à laisser à ceux qui sont concernés, le soin de s'acquitter des devoirs qu'impose la religion. L'interdiction de divorcer entraîne souvent l'éclatement des familles avec des conséquences extrêmement préjudiciables, en particulier pour les enfants et les femmes abandonnés ainsi que pour les enfants issus d'unions libres ultérieures qui doivent, par définition, naître hors mariage. Le Comité déplore, en outre, la montée apparente de la violence au sein de la famille.

12. Le Comité est préoccupé par le peu de ressources que le gouvernement consacre à la prévention de l'exploitation économique et sexuelle des enfants et à la lutte contre ce fléau. Il constate que les statistiques officielles sur les cas d'exploitation sexuelle des enfants font état de chiffres bien inférieurs aux estimations apparemment plus fiables émanant de diverses autres sources. Il n'est pas persuadé que le gouvernement en fasse assez pour s'acquitter de l'obligation que lui impose le Pacte de protéger ces enfants. La même remarque vaut en ce qui concerne les enfants des rues. Le Comité déplore également l'absence de mécanismes propres à surveiller l'application des lois régissant l'âge minimum d'admission à un emploi et la protection des enfants qui travaillent, comme l'exigent les dispositions du Pacte.

13. Le Comité est également préoccupé par le fait que, dans la plupart des centres de détention, les mineurs délinquants sont incarcérés avec des adultes, en violation des normes internationales. Bien que le gouvernement ait reconnu que cela devait changer, les efforts accomplis jusqu'à présent dans ce sens sont des plus limités.

14. Le Comité est très préoccupé par la situation des travailleurs philippins à l'étranger et en particulier celle des femmes qui sont souvent confrontées à des difficultés et des humiliations. Il relève que cette exportation massive de main-d'oeuvre peut être à l'origine de problèmes importants - éclatement des familles et délinquance juvénile.

15. Le Comité est particulièrement préoccupé par le recours à des dispositions du droit pénal pour régler des problèmes qui sont imputables à la crise du logement. Il relève à ce propos que, dans certains cas, des squatters se sont vu infliger une condamnation pénale sur la base du décret présidentiel No 772 et que le décret présidentiel No 1818 restreint, dans le cas des personnes expulsées, les garanties prévues par la loi. Certes, le Comité ne saurait accepter que des terrains soient illégalement occupés ni que les droits de propriété soient usurpés par des personnes qui, par ailleurs, ne peuvent avoir accès à un logement convenable, mais il estime qu'en l'absence de mesures concertées pour trouver une solution à ces problèmes, il ne faudrait pas, d'emblée, appliquer des dispositions du droit pénal ou procéder à des démolitions.

16. Le Comité a reçu des informations de diverses sources indiquant que les expulsions forcées en masse sont fréquentes. On estime que, depuis la ratification du Pacte par les Philippines, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été concernées. Selon un chiffre fourni au Comité, entre juin 1992 et août 1994, quelque 15 000 familles auraient été expulsées de force. Le nombre des expulsions forcées et la façon dont elles se déroulent préoccupent le Comité. Le gouvernement lui-même reconnaît que les expulsions pourraient concerner jusqu'à 200 000 familles et que les autorités n'ont recensé que 150 000 sites de réinstallation. Si ces estimations sont correctes, un nombre non négligeable de personnes actuellement menacées d'expulsion ne seront pas convenablement réinstallées, ce qui violerait le droit au logement.

17. Le Comité ne saurait accepter les propos du gouvernement selon lesquels le Pacte n'offre aucune protection contre les expulsions forcées. On ne peut interpréter le droit au logement comme étant muet sur ce point et le Comité a toujours appelé l'attention d'autres Etats parties là-dessus.

18. S'il n'appartient pas au gouvernement de construire les logements nécessaires pour satisfaire totalement la demande dans le pays ou d'en financer la construction, il faudrait en revanche que celui-ci mette tout en oeuvre pour qu'une part équitable des ressources disponibles soit affectée à la construction de logements à bas prix pour les secteurs les plus défavorisés et les plus vulnérables de la société et que le secteur privé puisse être associé à cet effort. Le Comité note, cependant, que les sommes actuellement dépensées paraissent l'être au profit des groupes à revenu élevé, au détriment des pauvres.

19. Le Comité reconnaît que le gouvernement est déterminé à appliquer la réforme agraire, à en juger par le programme général de réforme agraire de 1987. Il relève cependant que la mise en oeuvre de ce programme pâtit de lacunes graves, d'un manque de fonds et de l'absence de mesures d'application. Il relève également que le gouvernement n'a pas atteint les objectifs qu'il s'était fixés et que la volonté politique de remédier à la situation semble faire défaut. Les insuffisances du programme de réforme agraire paraissent avoir eu un effet négatif sur la réalisation pleine et entière du droit à l'alimentation énoncé à l'article 11 du Pacte.

20. S'agissant des services de santé, le Comité prend note du projet du gouvernement de privatiser et de décentraliser une grande partie de ces services. Bien qu'il n'y ait aucune raison pour que le secteur privé ne participe pas pleinement à la fourniture des services de santé, le Comité souligne que cela ne délie en aucune manière le gouvernement de l'obligation que lui impose le Pacte de faire tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir l'accès aux services de santé, en particulier pour les couches les plus pauvres de la population. Il n'a pu obtenir du gouvernement aucune assurance que, dans le cadre de ce projet, celui-ci s'est suffisamment préoccupé de ce problème.

21. En ce qui concerne les ressources disponibles, le Comité constate avec inquiétude que la part du budget national consacrée aux dépenses militaires est supérieure à celle qui est consacrée aux secteurs du logement, de l'agriculture et de la santé réunis.

22. Le Comité note également avec préoccupation que si le nombre de personnes contaminées par le VIH et le SIDA augmente rapidement - l'OMS estime qu'elles sont plus de 30 000 - elles ne sont que quelques centaines à être inscrites au programme du gouvernement, ce qui semblerait indiquer que le programme sanctionne ceux qui y participent, ou qu'il est insuffisamment connu des victimes du virus et accessible à elles. Qui plus est, le Comité n'a pu obtenir aucune information indiquant que le gouvernement tente de lutter contre la discrimination généralisée qui frappe les victimes du virus.

E. Suggestions et recommandations

23. Le Comité recommande d'envisager d'accroître la part du budget national allouée aux programmes d'assainissement des taudis, au programme de crédits hypothécaires communautaires et aux programmes dans les domaines de la santé et de l'agriculture conçus en particulier pour les groupes les plus démunis de la société.

24. Le Comité recommande également que l'accent soit mis davantage, dans le cadre de l'aide publique au développement (APD) fournie par les pays donateurs, sur l'appui aux programmes d'ajustement social destinés par exemple à financer l'octroi de crédits à faible taux d'intérêt aux paysans les plus pauvres, l'assainissement des taudis et d'autres programmes de logement pour les pauvres. Il rappelle que tout doit être fait, en période d'ajustement structurel, pour que les droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux des secteurs les plus pauvres et les plus désavantagés de la population soient, dans toute la mesure possible, protégés.

25. Le Comité recommande que la situation des enfants des rues fasse l'objet d'études plus détaillées orientées vers l'action et souhaiterait connaître le nombre de personnes sanctionnées pour avoir commis des infractions liées à l'exploitation sexuelle des enfants.

26. Le Comité prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures voulues pour appliquer la législation nationale et les dispositions du Pacte relatives à la protection des enfants contre l'exploitation économique et sexuelle en particulier, et pour promouvoir et garantir le respect de leur droit à l'éducation, à la santé et au logement.

27. Le Comité souhaiterait recevoir, dans un délai d'un an, des chiffres indiquant le nombre et l'âge des enfants qui travaillent, le secteur d'activité dans lequel ils sont employés et les mesures prises pour réduire leur nombre. Il souhaiterait également recevoir des informations sur les mesures prises pour réduire le nombre d'enfants victimes d'exploitation sexuelle et le nombre d'enfants des rues.

28. Le Comité reconnaît, certes, en ce qui concerne le problème des Philippins qui travaillent à l'étranger, que le gouvernement ne peut exercer de contrôle sur cette émigration mais il estime que l'on peut et doit faire plus pour sensibiliser ces travailleurs et ceux qui pourraient suivre leur exemple aux difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés et les informer de leurs droits.

29. Le Comité demande instamment la révision de toute la législation incompatible avec l'égalité de droits pleine et entière des femmmes et recommande un renforcement des voies de recours judiciaires et autres pour permettre aux femmes victimes de violences familiales d'obtenir réparation.

30. Le Comité recommande au gouvernement d'instituer un plan d'urgence définissant des critères de réalisation, en vue de hâter le processus de réforme agraire et de mettre en place des mécanismes pour examiner rapidement les plaintes faisant état d'irrégularités dans l'application du programme général de réforme agraire. Il l'invite instamment à réformer la législation relative au fermage.

31. Il faudrait que le gouvernement veille à ce qu'il n'y ait d'expulsion forcée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, après examen de toutes les solutions possibles et dans le respect parfait des droits de tous les intéressés. Il prie instamment le gouvernement de proroger indéfiniment le moratoire en ce qui concerne les expulsions et les démolitions forcées, sommaires et illégales et de veiller à ce que tous ceux sur lesquels pèse une telle menace bénéficient de toutes les garanties prévues par la loi. Le gouvernement devrait promouvoir une plus grande sécurité d'occupation en matière de logement, conformément aux principes formulés dans l'Observation générale No 4 du Comité et prendre les mesures nécessaires, y compris l'ouverture de poursuites lorsque de besoin, pour mettre un terme aux violations de lois comme la loi de la République No 7279. De manière générale, le Comité le prie instamment d'envisager l'abrogation des décrets présidentiels Nos 772 et 1818 et lui recommande de réexaminer toute la législation relative à la pratique des expulsions forcées de façon à en aligner les dispositions sur celles du Pacte. Il estime que, lors de la réinstallation des personnes ou des familles expulsées ou sans abri, il faudrait tenir compte des possibilités d'emploi, des écoles, des hôpitaux ou centres de santé ainsi que des moyens de transport qu'offrent les sites retenus.

32. Il faudrait que le gouvernement envisage de créer un organe indépendant chargé de prévenir les expulsions illégales forcées, de contrôler et d'examiner tous les cas d'expulsions forcées en cours ou prévues et d'en assurer le suivi. La Commission présidentielle sur la pauvreté urbaine pourrait également être investie d'un mandat plus large incluant la protection des droits en matière de logement et la collecte de statistiques et d'indicateurs précis et fiables concernant les problèmes urbains, tels que le problème des sans-abri, les expulsions forcées, le nombre de personnes qui ont été réinstallées et le nombre de squatters.

33. Le Comité recommande que les dispositions du Pacte constituent un guide supplémentaire pour l'interprétation de la législation nationale pertinente et que toutes les autorités nationales compétentes - cours, tribunaux, organes administratifs et autres - veillent à ce que leurs décisions soient conformes aux obligations énoncées dans le Pacte. A cet égard, il recommande la mise en place de programmes de formation portant sur l'application du Pacte destinés aux juges, aux gens de loi et au personnel des autres organes concernés.



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