COMITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
1. Le Comité a commencé l'examen du rapport initial du Suriname concernant les droits visés aux articles premier à 15 du Pacte (E/1990/5/Add.20) à sa onzième session, en novembre 1994, puis l'a repris à ses 13ème, 15ème et 16ème séances, les 9 et 10 mai 1995, parce qu'il n'avait pas été possible, à la session précédente, de dissiper totalement un certain nombre de préoccupations graves concernant la mise en oeuvre du Pacte. Ayant examiné le rapport du Suriname, le Comité a adopté à la 27ème séance (douzième session), le 18 mai 1995 les observations finales ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité se déclare satisfait du rapport initial, rédigé pour l'essentiel en suivant ses directives, et du complément d'information apporté oralement par la délégation de l'Etat partie au cours de l'examen du rapport. Le Comité se félicite du dialogue établi avec l'Etat partie qui, encore qu'il ait été instauré avec quelque retard, a été à son avis franc et très constructif et a permis au Comité d'avoir une idée claire de la mesure dans laquelle l'Etat partie donne effet au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Comité regrette cependant de ne pas avoir reçu par écrit de réponses aux questions figurant sur sa liste des points à traiter. Il note aussi que certaines de ces questions sont restées sans réponse.
B. Aspects positifs
3. Le Comité accueille avec satisfaction la signature en 1992 de l'Accord de paix qui a mis fin au conflit armé dans l'intérieur du pays et l'abandon des armes par les groupes paramilitaires qui participaient au conflit.
4. Le Comité se félicite de la place particulière faite aux droits de l'homme dans la Constitution du Suriname et de l'adhésion de l'Etat partie à un certain nombre d'instruments internationaux de défense des droits de l'homme. A cet égard, il prend note des droits économiques, sociaux et culturels énoncés au chapitre 6 de la Constitution.
5. Le Comité accueille avec satisfaction la création de l'Institution nationale pour les droits de l'homme, habilitée notamment à établir des rapports et à les soumettre aux divers organes de surveillance de l'application des instruments internationaux, à étudier les normes internationales et la législation, à promouvoir la coopération internationale et à enquêter sur les plaintes faisant état de violations des droits civils et politiques. Il se félicite aussi de la mise en place, au sein du Ministère des affaires intérieures, du Bureau des questions féminines, chargé de promouvoir les droits des femmes.
6. Le Comité se félicite de l'action entreprise par le gouvernement pour reconstruire et développer l'économie nationale, notamment avec la mise en oeuvre, depuis 1993, du programme d'ajustement structurel. Il note avec satisfaction que ce programme prévoit des mesures de protection sociale à l'intention des groupes les plus vulnérables du point de vue économique.
C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
7. Le Comité prend note avec une profonde préoccupation de la crise économique que connaît l'Etat partie, qui est due en partie à la détérioration des termes de l'échange de son principal produit d'exportation, la bauxite, et qui entraîne inflation et récession. Il s'inquiète des effets de cette crise économique prolongée, qui sont un taux élevé de ch_mage structurel et des difficultés pour le gouvernement à mettre en oeuvre des programmes visant à garantir la promotion et la protection des droits économiques, sociaux et culturels, l'empêchant en particulier de mettre pleinement en oeuvre les dispositions de l'Accord de paix applicables au développement de l'intérieur du pays. Il reconnaît que de telles difficultés financières peuvent entraver la consolidation de la démocratie instaurée à la suite de la signature de l'Accord de paix de 1992. Il note la suspension d'une part importante de l'aide extérieure, notamment des services de vaccination de l'Organisation panaméricaine de la santé/Organisation mondiale de la santé suite à l'incapacité dans laquelle l'Etat partie s'est trouvé de verser ses contributions aux organisations internationales prestataires de ces services.
8. Le Comité note avec préoccupation qu'en raison notamment de certaines coutumes et attitudes traditionnelles à l'égard des femmes, celles-ci ne jouissent toujours pas pleinement de leurs droits économiques, sociaux et culturels, ce qui se manifeste entre autres par des violences à l'égard des femmes et une discrimination dans l'emploi.
9. Le Comité est également préoccupé de ce que le gouvernement ne soit pas en mesure de recueillir des données indiquant le degré de réalisation des droits économiques, sociaux et culturels dans l'Etat partie. A cet égard, il regrette l'absence de statistiques relatives au niveau de vie des différents secteurs de la population, et en particulier des groupes les plus vulnérables identifiés par le gouvernement dans son rapport, le manque d'information sur les enfants qui travaillent ou les enfants abandonnés, ainsi que sur les sans-abri, et le manque d'information sur la nature des travaux exercés dans le secteur non structuré et sur le volume d'emploi que représente ce secteur.
D. Principaux sujets de préoccupation
10. Le Comité note avec préoccupation l'inégalité dans la protection des droits des travailleurs, selon qu'ils appartiennent ou non à un syndicat. Il note à cet égard que les travailleurs qui ne sont pas couverts par des conventions collectives ne bénéficient pas d'un salaire minimum garanti, ne sont pas visés par les clauses relatives à la sécurité du travail, et n'ont aucune protection ou ont une protection minime en cas de maladie. Dans le cas des femmes qui travaillent, le Comité note que celles qui ne sont pas affiliées à un syndicat reçoivent des prestations de maternité minimes, quand elles en ont, et peuvent être licenciées si elles sont enceintes. Le Comité est aussi préoccupé par l'insuffisance de la protection des travailleurs immigrés.
11. Le Comité relève une incohérence dans le fait que, alors que la majorité a été fixée à 21 ans au Suriname, les hommes peuvent se marier à partir de 15 ans et les femmes à partir de 13 ans. Il note avec préoccupation que cette différence n'est pas conforme aux dispositions des articles 2 et 10 du Pacte, et ne semble pas davantage compatible avec les articles 2 et 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant, à laquelle le Suriname est également partie. De plus, le Comité se déclare profondément inquiet de la possibilité, tolérée par la loi, que l'un des futurs conjoints soit choisi sans son consentement, disposition qui s'applique généralement au détriment des femmes plus souvent que des hommes.
12. Le Comité est inquiet de ce que l'aide sociale aux personnes démunies (FB) soit accordée de façon discrétionnaire ce qui permet des inégalités dans la protection assurée aux pauvres. De plus, il est préoccupé de constater que, même au bénéfice de l'aide sociale, un grand nombre de personnes défavorisées reçoivent des allocations insuffisantes ou que celles dont les revenus sont légèrement supérieurs au minimum de ressources fixé officiellement ne reçoivent aucune aide au titre des programmes de FB. Le Comité considère que le minimum de ressources doit être réévalué et que, tel qu'il est défini actuellement, il exclut un grand nombre de personnes qui se trouvent pourtant véritablement dans le besoin.
13. Le Comité note avec préoccupation l'insuffisance des logements au Suriname, en particulier dans l'intérieur du pays où vivent de nombreuses personnes déplacées. Il constate avec préoccupation que le gouvernement n'est pas en mesure de mettre en oeuvre sa politique de logement en faveur des secteurs les plus pauvres.
14. Le Comité est gravement préoccupé par le problème de la malnutrition des enfants au Suriname, aggravé par la crise économique. Il est aussi préoccupé par les taux élevés de mortalité des enfants dans les camps de réfugiés et par l'insuffisance de l'enseignement dispensé dans les camps. Il est également inquiet de constater que la couverture vaccinale est en régression.
15. En ce qui concerne l'éducation, le Comité note que l'enseignement est dispensé seulement en néerlandais, langue officielle du Suriname. Il regrette que le gouvernement ne fasse pas l'effort de promouvoir l'utilisation du sranan tongo, qui est parlé par la majorité des habitants du Suriname, ou de préserver les langues parlées par les divers groupes autochtones. Le Comité se demande en outre si un enseignement dispensé exclusivement en néerlandais n'est pas un facteur qui contribuerait au fort taux d'abandon scolaire.
E. Suggestions et recommandations
16. Le Comité recommande au gouvernement d'entreprendre des programmes d'éducation publique en vue de changer progressivement les coutumes et attitudes traditionnelles discriminatoires à l'égard des femmes et d'y mettre un terme. Parallèlement, il prie instamment le gouvernement de veiller à ce que les lois soient appliquées sans discrimination aucune et d'abroger celles manifestement discriminatoires à l'encontre des femmes. Il recommande en particulier d'abroger les textes permettant des mariages à l'insu ou sans le consentement d'un des deux partenaires, de légiférer pour apporter une solution au problème de la violence à l'égard des femmes et de promulguer et de mettre en oeuvre une législation générale relative aux prestations de maternité.
17. Le Comité recommande l'élaboration d'une législation visant à protéger les travailleurs qui ne sont pas couverts par des conventions collectives, de façon à leur assurer un salaire minimum, des prestations en matière de santé et de maternité, des conditions de travail sûres et d'autres garanties qui répondent aux normes internationales en matière de conditions de travail. A cet égard, le Comité recommande au gouvernement de solliciter l'assistance de l'Organisation internationale du Travail. Il encourage par ailleurs les autorités à étendre cette protection aux travailleurs immigrés.
18. Le Comité recommande au gouvernement de se faire aider pour rassembler des données et établir des statistiques permettant d'avoir une indication du degré d'exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Il recommande la collecte permanente d'informations sur les enfants qui travaillent ou les enfants abandonnés, sur les sans-abri et sur les groupes les plus vulnérables identifiés par le gouvernement dans son rapport et suggère que l'Institution nationale pour les droits de l'homme soit spécialement chargée d'une étude sur ce sujet ainsi que sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels au Suriname en général. A ce sujet, le Comité recommande au gouvernement de solliciter l'aide du Centre pour les droits de l'homme au titre du programme de coopération technique.
19. Le Comité recommande l'établissement de critères précis pour l'administration de l'aide sociale aux personnes démunies (FB) de façon à protéger les groupes aux plus bas revenus. Il recommande en outre au gouvernement d'entreprendre la révision du minimum de ressources fixé officiellement pour que toutes les personnes défavorisées réellement dans le besoin reçoivent une aide d'un niveau suffisant.
20. Le Comité recommande au gouvernement de solliciter une aide internationale pour chercher une solution aux problèmes de la malnutrition et de la régression de la couverture vaccinale.
21. Le Comité recommande au gouvernement de mettre en oeuvre les moyens dont il dispose pour appliquer le plan d'action en faveur de la population de l'intérieur du pays, prévu dans l'Accord de paix de 1992. Il recommande en particulier d'accorder une attention spéciale à l'édification d'une infrastructure et à la mise en place des services essentiels dans l'intérieur du pays, en particulier de logements à l'intention des personnes déplacées au cours du récent conflit armé interne.
22. Dans le domaine de l'enseignement, le Comité recommande au gouvernement d'envisager de promouvoir l'utilisation du sranan tongo à l'école et ailleurs et de prendre des mesures en vue de sauvegarder les langues parlées par les groupes autochtones. Il recommande en outre au gouvernement de faire une étude pour déterminer les causes de l'abandon scolaire.
23. Le Comité recommande la collecte d'informations sur la nature du travail dans le secteur non structuré et sur le volume que représente ce travail, ce qui peut être un facteur important dans l'action entreprise par le gouvernement pour relancer l'économie nationale. A cet égard le gouvernement pourrait solliciter l'aide d'organismes internationaux, notamment du Programme des Nations Unies pour le développement, de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement et d'autres organisations qui opèrent dans ce domaine.
24. Le Comité attend avec intérêt un deuxième rapport périodique plus complet, qui mette à jour le rapport initial et contienne aussi des renseignements détaillés et des statistiques sur les points qui ont fait l'objet de questions auxquelles il n'a pas été pleinement répondu à la présente session.