COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE
Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
TOGO
1. Le Comité a examiné l'état de l'application par le Togo des droits économiques,
sociaux et culturels consacrés par le Pacte à sa 19e séance (E/C.12/2001/SR.19),
tenue le 4 mai 2001, et, à sa 26e séance (E/C.12/2001/SR.26), tenue le 9 mai
2001, il a adopté les observations finales ci-après.
A. Introduction
2. À sa septième session, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
avait décidé de procéder à l'examen de l'état de l'application du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans un certain nombre
d'États parties qui, malgré des demandes réitérées, ne s'étaient pas acquittés
de l'obligation de présenter des rapports qui leur incombe en vertu des articles
16 et 17 du Pacte.
3. Le but du système de présentation de rapports institué par le Pacte
est que les États parties fassent rapport à l'organe de surveillance compétent,
à savoir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et, par
son intermédiaire, au Conseil économique et social sur les mesures qu'ils
ont adoptées, les progrès qu'ils ont accomplis et les difficultés qu'ils
ont rencontrées dans leurs efforts pour donner effet aux droits consacrés
par le Pacte. Outre une violation du Pacte, tout manquement d'un État partie
à ses obligations en la matière est une sérieuse entrave à l'accomplissement
des fonctions du Comité. Celui-ci n'en est pas pour autant déchargé de son
rôle d'organe de surveillance, qu'il doit assumer en se fondant sur tous
les renseignements fiables dont il dispose.
4. Partant, lorsqu'un gouvernement ne lui a communiqué aucune information
quant au respect de ses obligations au regard du Pacte, le Comité doit fonder
ses observations sur divers éléments émanant de sources intergouvernementales
aussi bien que non gouvernementales. Alors que les premières fournissent
essentiellement des données statistiques et d'importants indicateurs économiques
et sociaux, l'information recueillie dans les écrits pertinents, auprès
des organisations non gouvernementales et dans la presse est généralement,
par nature, plus critique à l'égard de la situation politique, économique
et sociale qui règne dans le pays considéré. En temps normal, le dialogue
constructif que l'État partie qui fait rapport entretient avec le Comité
offre à son gouvernement l'occasion d'exprimer ses propres vues, de tenter
de réfuter les critiques éventuelles et de convaincre le Comité que sa politique
est conforme aux prescriptions du Pacte. Il s'ensuit que, si un État partie
ne présente pas de rapport et ne se présente pas devant le Comité, il se
prive de la possibilité de rétablir les faits.
5. Le Togo est partie au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels depuis le 23 août 1984, mais, malgré les très nombreuses
demandes qui lui ont été adressées par écrit, il n'a pas encore présenté
son rapport initial. Nonobstant les difficultés actuelles qui entraveraient
les efforts de cet État partie pour s'acquitter des obligations qui lui
incombent en la matière en vertu du Pacte, le Comité lui demande instamment
de faire tout ce qui est en son pouvoir pour s'en acquitter et engager avec
lui un dialogue constructif.
6. Eu égard à la gravité de la situation économique, sociale et politique
qu'entraînent les troubles politiques et sociaux qui persistent au Togo,
le Comité juge nécessaire de se borner dans les présentes observations finales
à faire le point de ses délibérations sur l'état actuel des droits économiques,
sociaux et culturels dans ce pays. Le Comité considère en outre que, vu
le peu d'informations dont il dispose, ainsi que la nécessité d'offrir une
assistance technique à l'État partie pour lui permettre de s'acquitter de
son obligation de présenter un rapport, lesdites observations ne peuvent
avoir qu'un caractère très préliminaire.
B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
7. Le Comité sait que la persistance des troubles politiques, la crise économique
et la grave faiblesse des infrastructures ont eu des effets très négatifs
sur la situation générale et sur la jouissance de tous les droits de l'homme
- économiques, sociaux, culturels, civils et politiques - au Togo.
C. Aspects positifs
8. Le Comité relève que le Gouvernement togolais s'était engagé en 1996 dans
des projets de coopération technique avec le Haut-Commissariat aux droits
de l'homme, en vue de renforcer l'état de droit et de créer une culture des
droits de l'homme au Togo, ce qui a abouti en 1998 à un certain nombre d'activités
comme la mise en place d'un centre d'information et de documentation.
9. Le Comité note aussi que l'État partie avait créé une Commission nationale
des droits de l'homme en 1987 et un Ministère des droits de l'homme en 1992
pour protéger les droits des citoyens, promouvoir les droits de l'homme
et instruire le peuple togolais de ses droits.
10. Le Comité reconnaît les efforts faits par le Gouvernement pour s'attaquer
au problème du trafic d'enfants et des mutilations sexuelles féminines,
notamment en organisant des ateliers et des campagnes de sensibilisation.
D. Principaux sujets de préoccupation
11. Le Comité tient à dire combien il est préoccupé par la détérioration de
la situation générale sur le plan des droits de l'homme survenue durant les
trois dernières années, marquées, d'après le rapport du 22 février 2001 de
la Commission internationale d'enquête pour le Togo, par des violations massives
des droits de l'homme sous forme de massacres, exécutions extrajudiciaires,
viols et destructions de maisons à la bombe.
12. Le Comité est préoccupé par la situation des femmes dans la société
togolaise. Bien que la Constitution proclame l'égalité de tous devant la
loi, les femmes continuent à subir une discrimination généralisée, surtout
en ce qui concerne les droits à l'éducation, à la sécurité sociale (et aux
pensions en particulier) et à la protection de la famille (notamment sous
le rapport du régime des successions dans le cadre du droit de la famille)
et les pratiques découlant du droit traditionnel.
13. La discrimination sociale fondée sur l'appartenance ethnique, à laquelle
se livrent tous les groupes ethniques, est pour le Comité un grave sujet
d'inquiétude, et tout spécialement la discrimination entre gens du sud et
gens du nord, qui est manifeste à l'embauche dans le secteur privé, dans
les habitudes d'achat et dans la ségrégation ethnique de facto par quartiers
dans les villes. Ces tensions nord-sud ont régulièrement été à l'origine
d'éruptions de violence de caractère indubitablement interethnique.
14. Le Comité est préoccupé de constater la persistance du trafic de femmes
qui sont ensuite livrées de force à la prostitution ou placées sans leur
consentement comme domestiques. Il note aussi avec inquiétude que le trafic
d'êtres humains porte principalement sur les enfants, qui sont vendus dès
l'âge de 2 ans pour travailler ultérieurement sur les plantations ou comme
domestiques. Ces enfants seraient systématiquement exploités, mal nourris,
sommairement vêtus et délaissés. Bien que l'État partie ait pris quelques
mesures pour s'attaquer à ces problèmes, notamment en menant des campagnes
de sensibilisation de l'opinion et en organisant pour les fonctionnaires
de la police des frontières et autres services répressifs un atelier sur
les tendances d'évolution du trafic d'enfants et les recours judiciaires,
les causes profondes de ces problèmes n'ont pas été suffisamment traitées.
De plus, la violence dirigée contre les femmes demeure un problème grave,
car les mécanismes de réparation sont insuffisamment utilisés et la police
intervient rarement dans les affaires de sévices domestiques, tout comme
la persistance des mutilations sexuelles pratiquées sur les très jeunes
filles, malgré les mesures prises par le Gouvernement.
15. Le Comité tient à dire qu'il est particulièrement préoccupé par le
problème de l'éducation des enfants. Ceux-ci, et surtout les filles, sont
systématiquement victimes de discrimination dans l'État partie. Selon le
Rapport mondial sur le développement humain 2000, 70,2 % seulement
des filles qui sont en âge de le faire fréquentent l'école primaire, ce
qui représente 74 % du nombre total de garçons scolarisés dans le primaire.
Dans le secondaire, 40 % seulement des filles de la classe d'âge correspondante
fréquentent l'école, soit 52 % de l'effectif de garçons. Au niveau universitaire,
l'effectif féminin n'atteint que 21 % de l'effectif masculin. Cette inégalité
se retrouve dans les taux d'alphabétisation chez les adultes: avec 38,4
%, les femmes n'atteignent que 53 % du taux masculin.
16. Le Comité est préoccupé par la qualité extrêmement médiocre des services
de santé et le manque criant de personnel qualifié dans le secteur public,
et en particulier par la prévalence alarmante du VIH/sida, trois fois plus
élevée que pour l'ensemble des pays ayant un faible indice du développement
humain (185,2 cas pour 100 000 personnes, contre une moyenne de 67,5); cette
maladie touche 8,52 % de la population adulte.
E. Suggestions et recommandations
17. Le Comité demande à nouveau au Gouvernement togolais de s'engager dans
un dialogue constructif avec lui pour déterminer comment les obligations qu'impose
le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
peuvent être remplies d'une manière plus satisfaisante. Il appelle son attention
sur le fait que le Pacte crée à la charge de tous les États parties une obligation
juridique de présenter un rapport initial et des rapports périodiques et que
le Togo manque à cette obligation depuis de nombreuses années.
18. Le Comité recommande au Gouvernement togolais de faire appel aux services
consultatifs du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme,
afin de pouvoir présenter, dès que possible, un rapport très complet sur
l'application du Pacte, établi conformément aux directives révisées du Comité
et mettant l'accent en particulier sur les questions soulevées et les préoccupations
exprimées dans les présentes observations finales.
19. Le Comité encourage aussi l'État partie à rechercher le concours d'experts
du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, dans le cadre de son programme
de services consultatifs et de coopération technique, pour définir une politique
en matière de droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que civils
et politiques, pour établir des plans d'action cohérents et complets en
vue de promouvoir et protéger les droits de l'homme et pour se doter de
moyens adéquats d'évaluation et de contrôle de leur réalisation.
20. Le Comité recommande au Gouvernement togolais de s'attaquer au problème
que pose la persistance, dans la société togolaise, de pratiques discriminatoires
systématiques, en particulier envers les femmes et les filles et entre les
diverses minorités ethniques qui vivent au Togo, pour tâcher d'éliminer
ces pratiques en adoptant des mesures législatives et administratives appropriées,
en définissant une politique de non-discrimination et en prenant des dispositions
efficaces pour faire respecter ces mesures et cette politique.
21. Le Comité demande instamment à l'État partie d'agir pour remédier à
la situation actuelle dans le domaine de la santé, qui laisse encore trop
à désirer pour répondre aux besoins essentiels de la population en la matière,
notamment en améliorant les services de santé de base et en prenant les
mesures préventives et thérapeutiques nécessaires pour combattre la pandémie
de VIH/sida et autres maladies transmissibles. Le Comité recommande aussi
à l'État partie de tenir compte de son Observation générale n° 14 sur le
droit au meilleur état de santé susceptible d'être atteint.
22. Le Comité invite l'État partie à prendre part, à l'occasion de l'une
de ses futures sessions, à un dialogue avec les représentants des institutions
spécialisées compétentes, et notamment la Banque mondiale, le Fonds monétaire
international, la FAO, l'OMS, l'OIT, le PNUD, l'UNICEF et l'UNESCO, conformément
aux articles 2 1) et 23 du Pacte. Le Comité est convaincu que seul un dialogue
constructif entre l'État partie, les institutions susmentionnées et le Comité
lui-même peut permettre une appréciation adéquate et réaliste de ce qui
est faisable dans le domaine du développement et la mise au point d'une
stratégie des droits de l'homme au profit de toute la population du Togo.
23. Le Comité tient à souligner que les suggestions et recommandations
formulées dans les paragraphes qui précèdent ne pourront porter leurs fruits
que moyennant un engagement renouvelé de la part de l'État partie de s'acquitter
de son obligation de présenter des rapports comme des autres obligations
juridiques internationales qui lui incombent en vertu du Pacte.