1. Au 1er novembre 1994, 46 des 127 Etats parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques avaient, à eux tous, formulé 150 réserves d'importance variable concernant l'acceptation des obligations découlant du Pacte. Certaines de ces réserves excluent l'obligation d'assurer et de garantir tel ou tel droit énoncé dans le Pacte. D'autres, couchées en termes plus généraux, visent souvent à assurer que certaines dispositions du droit interne continuent de primer. D'autres encore concernent la compétence du Comité. Le nombre de réserves, leur teneur et leur portée peuvent compromettre l'application effective du Pacte et tendre à affaiblir le respect de leurs obligations par les Etats parties. Il importe que les Etats parties sachent exactement à quelles obligations eux-mêmes, et les autres Etats parties, ont en fait souscrit. Quant au Comité, pour s'acquitter des devoirs qui lui incombent en vertu de l'article 40 du Pacte ou des Protocoles facultatifs, il doit savoir si un Etat est lié par une obligation donnée ou dans quelle mesure. Il lui faut pour cela déterminer si une déclaration unilatérale est une réserve ou une déclaration interprétative et déterminer sa recevabilité et ses effets.
2. Pour toutes ces raisons, le Comité a jugé utile d'examiner dans le cadre d'une Observation générale les questions qui relèvent du droit international et de celles qui relèvent de la politique en matière de droits de l'homme (Human rights policy). L'Observation générale identifie les principes du droit international applicables à la formulation de réserves et qui permettent d'en déterminer l'acceptabilité et d'en interpréter l'objet. Elle traite du rôle des Etats parties par rapport aux réserves formulées par d'autres Etats parties. Elle traite en outre du rôle du Comité lui-même par rapport à ces réserves. Enfin, l'Observation générale contient certaines recommandations à l'intention des Etats parties actuels afin qu'ils revoient leurs réserves, ainsi qu'à l'intention des Etats qui ne sont pas encore parties au Pacte afin qu'ils aient conscience des considérations juridiques et de celles qui relèvent de la politique en matière de droits de l'homme (Human rights policy) dont ils doivent tenir compte s'ils envisagent de ratifier l'instrument ou d'y adhérer en émettant des réserves particulières.
3. Il n'est pas toujours aisé de distinguer une réserve d'une déclaration traduisant la manière dont un Etat interprète une disposition, ou encore d'une déclaration d'ordre politique. Il faut prendre en compte l'intention de l'Etat plutôt que la forme de l'instrument. Si une déclaration, quels qu'en soient l'appellation ou l'intitulé, vise à exclure ou à modifier l'effet juridique d'un traité dans son application à l'Etat, elle constitue une réserve1. Inversement, si ce qu'un Etat appelle une réserve ne fait que traduire l'interprétation qu'il a d'une disposition donnée, sans exclure ni modifier cette disposition dans son application audit Etat, il ne s'agit pas en réalité d'une réserve.
4. La possibilité d'émettre des réserves peut encourager les Etats qui estiment avoir des difficultés à garantir tous les droits énoncés dans le Pacte à accepter néanmoins la plupart des obligations en découlant. Les réserves peuvent jouer un rôle utile en permettant aux Etats de rendre des éléments spécifiques de leur législation compatibles avec les droits inhérents à l'individu tels qu'ils sont énoncés dans le Pacte. Toutefois, il est souhaitable, en principe, que les Etats acceptent la totalité des obligations, car les normes relatives aux droits de l'homme sont l'expression juridique des droits essentiels que chacun doit pouvoir exercer en tant qu'être humain.
5. Le Pacte n'interdit pas les réserves ni ne mentionne aucun type de réserves autorisées. Il en va de même du premier Protocole facultatif. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 2 du deuxième Protocole facultatif, il ne sera admis aucune réserve au présent Protocole, en dehors de la réserve formulée lors de la ratification ou de l'adhésion et prévoyant l'application de la peine de mort en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime de caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre. Les paragraphes 2 et 3 prévoient certaines obligations de procédure.
6. Le fait que les réserves ne soient pas interdites ne signifie pas qu'un Etat peut émettre n'importe quelle réserve. La question des réserves au titre du Pacte et du premier Protocole facultatif est régie par le droit international. Le paragraphe 3 de l'article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités donne des orientations utiles2. En vertu de cet article, si une réserve n'est pas interdite par le traité considéré ou relève bien de la catégorie des réserves autorisées, un Etat peut émettre sa réserve pour autant qu'elle ne soit pas incompatible avec l'objet et le but du traité. Bien que, contrairement à d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme, le Pacte ne fasse pas expressément référence au critère de la compatibilité avec son objet et son but, la question de l'interprétation et l'acceptabilité des réserves est régie par ce critère.
7. Dans un instrument énonçant un très grand nombre de droits civils et politiques, chacun des nombreux articles, et en fait leur conjugaison, tend à assurer la réalisation des objectifs visés par le Pacte. L'objet et le but du Pacte sont de créer des normes relatives aux droits de l'homme juridiquement contraignantes en définissant certains droits civils et politiques et en les plaçant dans un cadre d'obligations juridiquement contraignantes pour les Etats qui le ratifient, ainsi que de fournir un mécanisme permettant de surveiller efficacement les obligations souscrites.
8. Des réserves contraires à des normes impératives ne seraient pas compatibles avec l'objet et le but du Pacte. Les traités qui constituent un simple échange d'obligations entre Etats autorisent certes ceux-ci à formuler entre eux des réserves à l'application de règles du droit international général, mais il en est autrement dans le cas des instruments relatifs aux droits de l'homme qui visent à protéger les personnes relevant de la juridiction des Etats. En conséquence, les dispositions du Pacte qui représentent des règles de droit international coutumier (a fortiori lorsqu'elles ont le caractère de normes impératives) ne peuvent pas faire l'objet de réserves. Ainsi, un Etat ne peut se réserver le droit de pratiquer l'esclavage ou la torture, de soumettre des personnes à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, de les priver arbitrairement de la vie, de les arrêter et de les détenir arbitrairement, de dénier le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, de présumer une personne coupable tant que son innocence n'a pas été établie, d'exécuter des femmes enceintes ou des enfants, d'autoriser l'incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse, de dénier à des personnes nubiles le droit de se marier, ou de dénier aux minorités le droit d'avoir leur propre vie culturelle, de professer leur propre religion ou d'employer leur propre langue. Et si des réserves à des dispositions particulières de l'article 14 peuvent être acceptables, une réserve générale au droit à un procès équitable ne le serait pas.
9. Appliquant plus généralement au Pacte le critère de la compatibilité avec l'objet et le but, le Comité note que, à titre d'exemple, une réserve à l'article premier déniant aux peuples le droit de déterminer leur propre statut politique et d'assurer leur développement économique, social et culturel, serait incompatible avec l'objet et le but du Pacte. De même, une réserve touchant l'obligation de respecter et de garantir les droits reconnus dans cet instrument, sans distinction aucune (art. 2, par. 1), ne serait pas acceptable. Un Etat ne peut pas non plus se réserver le droit de ne pas prendre les mesures nécessaires au plan interne pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte (art. 2, par. 2).
10. Le Comité s'est en outre demandé si certains types de réserves pouvaient être incompatibles avec l'objet et le but. Il faut étudier en particulier si des réserves à des dispositions du Pacte auxquelles il n'est pas permis de déroger sont compatibles avec son objet et son but. Bien qu'il n'y ait pas de hiérarchie entre les droits consacrés dans le Pacte, l'exercice de certains droits ne peut être suspendu, même en période d'urgence nationale, ce qui souligne l'importance capitale des droits non susceptibles de dérogation. Mais en fait ce ne sont pas tous les droits d'une importance capitale, tels que ceux énoncés aux articles 9 et 27 du Pacte, auxquels il est interdit de déroger. L'une des raisons pour lesquelles certains droits ne sont pas susceptibles de dérogation est que leur suspension est sans rapport avec le contrôle légitime de l'état d'urgence national (par exemple, l'interdiction de l'emprisonnement pour dettes faite à l'article 11). Une autre raison est que cette dérogation peut concrètement être impossible (comme, par exemple, dans le cas de la liberté de conscience). En même temps, il est impossible de déroger à certaines dispositions précisément parce que la primauté du droit ne saurait être assurée en leur absence. C'est ce qui se passerait dans le cas d'une réserve aux dispositions de l'article 4, qui vise justement à contrebalancer les intérêts de l'Etat et les droits de l'individu en période d'exception. Il en va de même de certains droits auxquels il n'est pas permis de déroger -- interdiction de la torture et de la privation arbitraire de la vie, par exemple3 -- et qui, en tout état de cause, ne peuvent faire l'objet d'une réserve puisque ce sont des normes impératives. Bien qu'il n'existe pas de corrélation automatique entre les réserves émises à l'égard de dispositions auxquelles il ne peut être dérogé et celles qui portent atteinte à l'objet et au but du Pacte, il incombe à un Etat de justifier pareille réserve.
11. Le Pacte non seulement consacre des droits spécifiques, mais les assortit de sérieuses garanties. Ces garanties fournissent le cadre nécessaire pour que les droits énoncés dans le Pacte soient assurés et elles sont donc essentielles au respect de son objet et de son but. Certaines s'appliquent au niveau national et d'autres au niveau international. Des réserves visant à les éliminer sont donc inacceptables. Ainsi, un Etat ne pourrait pas faire de réserve au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte en indiquant qu'il n'a pas l'intention d'offrir des recours en cas de violation des droits de l'homme. Ce type de garanties fait partie intégrante du Pacte et en conditionne l'efficacité. Pour faciliter la réalisation de ses objectifs, le Pacte investit par ailleurs le Comité d'une fonction de contrôle. Les réserves émises afin de se soustraire à cet aspect essentiel du Pacte, qui vise également à garantir l'exercice des droits, sont elles aussi incompatibles avec son objet et son but. Un Etat ne peut pas se réserver le droit de ne pas présenter de rapports et de ne pas voir ses rapports étudiés par le Comité. Le rôle du Comité au titre du Pacte, que ce soit en vertu de l'article 40 ou en vertu des Protocoles facultatifs, suppose nécessairement l'interprétation des dispositions du Pacte et l'élaboration d'une jurisprudence. C'est pourquoi une réserve qui rejette la compétence qu'a le Comité d'interpréter les obligations prévues dans une disposition du Pacte serait aussi contraire à l'objet et au but de cet instrument.
12. L'intention des auteurs du Pacte était d'assurer, à toutes les personnes relevant de la juridiction d'un Etat partie, les droits énoncés dans cet instrument. A cette fin, un certain nombre d'obligations connexes peuvent se révéler nécessaires. Il faut peut-être modifier le droit interne pour tenir compte des prescriptions du Pacte et mettre en place des mécanismes au niveau national pour rendre les droits consacrés dans le Pacte applicables au niveau local. Les réserves font souvent apparaître une tendance des Etats à ne pas vouloir modifier telle ou telle loi, et cette tendance est parfois érigée en politique générale. Ce qui est particulièrement préoccupant, ce sont les réserves formulées en termes généraux qui ont essentiellement pour effet de rendre inopérants tous les droits énoncés dans le Pacte dont le respect exigerait une modification du droit interne. Il n'y a donc aucune acceptation réelle des droits ou obligations énoncés dans un instrument international. Lorsque à cela s'ajoutent l'absence de dispositions donnant la possibilité d'invoquer les droits consacrés dans le Pacte devant les tribunaux nationaux et, de plus, l'impossibilité pour les particuliers de saisir le Comité en vertu du premier Protocole facultatif, tous les éléments essentiels des garanties prévues par le Pacte sont supprimés.
13. On peut se demander si le premier Protocole facultatif autorise des réserves et, dans l'affirmative, si une réserve à cet instrument pourrait être contraire à l'objet et au but du Pacte, ou du premier Protocole facultatif lui-même. Il est évident que le premier Protocole facultatif est un instrument international distinct du Pacte tout en lui étant étroitement lié. Son objet et son but sont de reconnaître que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation, par un Etat partie, de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Les Etats acceptent les droits reconnus aux particuliers en se référant au Pacte, et non au premier Protocole facultatif, dont la fonction est de permettre que les réclamations dont ces droits peuvent faire l'objet soient présentées au Comité. En conséquence, une réserve touchant l'obligation d'un Etat de respecter et de garantir un droit énoncé dans le Pacte, formulée au titre du premier Protocole facultatif, alors qu'elle n'a pas été émise auparavant au titre du Pacte, ne porte pas atteinte au devoir de l'Etat de respecter ses obligations de fond. Une réserve ne peut être émise au Pacte par le biais du Protocole facultatif; ce type de réserve aurait pour effet d'obtenir que le Comité ne contrôlerait pas, en vertu du premier Protocole facultatif la façon dont l'Etat remplit l'obligation considérée. Et comme l'objet et le but du premier Protocole facultatif sont de permettre au Comité de vérifier que les dispositions ayant force obligatoire pour les Etats sont bien appliquées, une réserve tendant à l'en empêcher serait contraire à l'objet et au but du premier Protocole, si ce n'est au Pacte. Une réserve portant sur une obligation de fond émise pour la première fois au titre du premier Protocole facultatif semblerait refléter l'intention de l'Etat concerné d'empêcher le Comité de donner son avis sur un article donné du Pacte, dans le cadre d'un recours individuel.
14. Le Comité considère que les réserves touchant les procédures requises au titre du premier Protocole facultatif ne seraient pas compatibles avec l'objet et le but de cet instrument. Le Comité doit rester maître de sa propre procédure, telle qu'elle est définie par le Protocole facultatif et par le règlement intérieur. Toutefois des réserves ont été faites dans le but de limiter la compétence du Comité aux faits et événements survenus après l'entrée en vigueur du premier Protocole facultatif pour les Etats intéressés. De l'avis du Comité, il s'agit là non pas d'une réserve, mais le plus souvent d'une déclaration conforme à sa compétence normale ratione temporis. Dans le même temps, le Comité a soutenu qu'il était compétent, même en cas de déclarations ou observations de cette nature, lorsque des événements ou actes intervenus avant la date de l'entrée en vigueur du premier Protocole facultatif, ont continué, au-delà de cette date, d'avoir un effet sur les droits d'une victime. Certaines réserves ont été formulées, qui ajoutent en fait un critère supplémentaire d'irrecevabilité aux motifs prévus au paragraphe 2 de l'article 5, en empêchant l'examen d'une communication lorsque la même question a déjà été examinée dans le cadre d'une autre procédure comparable. Dans la mesure où l'obligation la plus fondamentale était d'assurer que le respect des droits d'un individu fasse l'objet d'un examen indépendant par une tierce partie, le Comité, lorsque le droit et le domaine concernés étaient identiques au regard du Pacte et d'un autre instrument international, a considéré qu'une telle réserve ne portait pas atteinte à l'objet et au but du premier Protocole facultatif.
15. Le but du deuxième Protocole facultatif est avant tout d'étendre la portée des obligations de fond contractées en vertu du Pacte qui touchent au droit à la vie, en interdisant l'exécution et en abolissant la peine de mort4. Il contient une disposition spécifique qui détermine ce qui est permis. En vertu du paragraphe 1 de l'article 2, un seul type de réserve est autorisé, à savoir celle par laquelle un Etat partie se réserve le droit d'appliquer la peine de mort en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime de caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre. Les Etats parties qui souhaitent se prévaloir du droit de formuler une réserve de cet ordre doivent s'acquitter de deux obligations de procédure. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 2, l'Etat qui se trouve dans cette situation doit informer le Secrétaire général, lors de la ratification ou de l'adhésion, des dispositions pertinentes de sa législation interne qui s'appliquent en temps de guerre. Cette disposition vise clairement à servir les objectifs de spécificité et de transparence et, de l'avis du Comité, une réserve qui ne serait pas accompagnée de ce type de précisions serait sans effet juridique. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 2, l'Etat qui a formulé une telle réserve doit notifier au Secrétaire général la proclamation et la levée de l'état de guerre sur son territoire. Pour le Comité, aucun Etat ne peut chercher à se prévaloir de sa réserve (c'est-à-dire faire considérer l'exécution comme légale en temps de guerre) s'il ne s'est pas acquitté de l'obligation visée au paragraphe 3 de l'article 2.
16. De l'avis du Comité, il importe de savoir quel organe est investi du pouvoir de déterminer si certaines réserves spécifiques sont compatibles avec l'objet et le but du Pacte. Pour ce qui est des traités internationaux en général, dans l'affaire des Réserves à la Convention sur le génocide (1951) la Cour internationale de Justice a estimé qu'un Etat faisant objection à une réserve au motif d'incompatibilité avec l'objet et le but d'un traité pouvait, par son objection, considérer le traité comme n'étant pas en vigueur entre lui-même et l'Etat auteur de la réserve. Le paragraphe 4 de l'article 20 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui prévoit la possibilité pour un Etat de faire objection à une réserve formulée par un autre Etat, contient des dispositions très intéressantes concernant l'acceptation des réserves et les objections aux réserves. Il permet à un Etat de faire objection à une réserve formulée par un autre Etat. L'article 21 traite des effets juridiques des objections élevées par les Etats aux réserves émises par d'autres Etats. Fondamentalement, une réserve empêche l'application, entre l'Etat auteur de la réserve et les autres Etats, de la disposition qui a fait l'objet de la réserve. Toute objection fait que, dans les rapports entre l'Etat auteur de la réserve et l'Etat qui a formulé l'objection, la réserve ne s'applique que dans la mesure où elle n'est pas touchée par l'objection.
17. Comme on l'a indiqué ci-dessus, c'est la Convention de Vienne sur le droit des traités qui donne la définition des réserves et prévoit l'application du critère de la compatibilité avec l'objet et le but en l'absence d'autres dispositions spécifiques. Mais le Comité est d'avis que les dispositions de la Convention concernant le rôle des objections des Etats aux réserves ne permettent pas de régler le problème des réserves émises à l'égard des instruments relatifs aux droits de l'homme. Ces instruments, et le Pacte tout particulièrement, ne constituent pas un réseau d'échanges d'obligations interétatiques. Ils visent à reconnaître des droits aux individus. Le principe de la réciprocité interétatique ne s'applique pas, sauf peut-être dans le contexte limité des réserves aux déclarations touchant la compétence du Comité faites au titre de l'article 41. Etant donné que les règles classiques sur les réserves sont tout à fait inadaptées, souvent les Etats n'ont pas vu l'intérêt juridique s'agissant du Pacte, ni la nécessité d'élever une objection aux réserves. L'absence de protestation de la part d'un Etat ne peut pas laisser supposer qu'une réserve est compatible ou incompatible avec l'objet et le but du Pacte. Les objections formulées ont été occasionnelles, elles ont été émises par certains Etats et non par d'autres, pour des raisons qui n'ont pas toujours été précisées; souvent, quand une objection est élevée, la Partie qui la formule ne précise pas ses conséquences juridiques ou, parfois même indique qu'elle ne considère pas pour autant que le Pacte n'est pas en vigueur entre les parties concernées. En bref, le profil de ces objections est si peu clair qu'on peut difficilement déduire de l'absence d'objection de la part d'un Etat qu'il juge une réserve particulière acceptable. De l'avis du Comité, en raison des caractéristiques particulières du Pacte en tant qu'instrument relatif aux droits de l'homme, on peut se demander quels sont les effets d'une objection pour les relations entre les Etats intéressés. Cela étant, une objection élevée par les Etats à une réserve peut donner au Comité un élément d'appréciation pour déterminer si la réserve est compatible avec l'objet et le but du Pacte.
18. Il incombe nécessairement au Comité de déterminer si une réserve donnée est compatible avec l'objet et le but du Pacte, en partie parce que, comme on l'a vu plus haut, cette tâche n'est pas du ressort des Etats parties s'agissant d'instruments relatifs aux droits de l'homme, et en partie parce que le Comité ne peut se soustraire à cette tâche dans l'exercice de ses fonctions. Afin de savoir jusqu'où va son devoir d'examiner dans quelle mesure un Etat s'acquitte de ses obligations au titre de l'article 40 ou d'examiner une communication soumise en vertu du premier Protocole facultatif, il doit nécessairement se faire une idée de la compatibilité d'une réserve avec l'objet et le but du Pacte et avec le droit international général. En raison du caractère particulier d'un instrument relatif aux droits de l'homme, la compatibilité d'une réserve avec l'objet et le but du Pacte doit être établie objectivement, en se référant à des principes juridiques. Le Comité est particulièrement bien placé pour s'acquitter de cette tâche. La conséquence normale d'une réserve inacceptable n'est pas que le Pacte restera totalement lettre morte pour l'Etat auteur de la réserve. Une telle réserve est dissociable, c'est-à-dire que le Pacte s'appliquera à l'Etat qui en est l'auteur, sans bénéficier de la réserve.
19. Les réserves doivent être spécifiques et transparentes, de façon que le Comité, les personnes qui vivent sur le territoire de l'Etat auteur de la réserve et les autres Etats parties sachent bien quelles sont les obligations en matière de droits de l'homme que l'Etat intéressé s'est ou non engagé à remplir. Les réserves ne sauraient donc être de caractère général, mais doivent viser une disposition particulière du Pacte et indiquer précisément son champ d'application. Lorsqu'ils examinent la compatibilité de réserves éventuelles avec l'objet et le but du Pacte, les Etats devraient prendre en considération l'effet général d'un groupe de réserves ainsi que l'effet de chacune d'elles sur l'intégrité du Pacte qui demeure une considération primordiale. Ils ne devraient pas formuler un si grand nombre de réserves qu'ils n'acceptent en fait qu'un nombre limité d'obligations touchant aux droits de l'homme et non plus le Pacte en tant que tel. Pour ne pas aboutir à une perpétuelle mise en échec des normes internationales relatives aux droits de l'homme, les réserves ne devraient pas systématiquement réduire les obligations contractées uniquement aux normes moins contraignantes qui existent dans le droit interne. Il ne faudrait pas non plus que les déclarations interprétatives ou les réserves visent à supprimer l'autonomie d'obligations énoncées dans le Pacte, en les proclamant identiques -- ou acceptables uniquement dans la mesure où elles sont identiques -- à des dispositions du droit interne. Les Etats ne devraient pas s'employer, à travers des réserves ou des déclarations interprétatives, à indiquer que le sens de telle ou telle disposition du Pacte est similaire à celui qui lui a été donné par le mécanisme compétent de tout autre organe conventionnel international.
20. Les Etats devraient instituer des procédures garantissant que chaque réserve envisagée est compatible avec l'objet et le but du Pacte. Il est souhaitable qu'un Etat qui formule une réserve indique précisément les dispositions législatives ou les pratiques internes qu'il juge incompatibles avec l'obligation énoncée dans le Pacte qui fait l'objet de sa réserve, justifie les délais dont il a besoin pour aligner ses lois et pratiques sur le Pacte, ou explique pourquoi il n'est pas en mesure de le faire. Les Etats devraient en outre veiller à ce que la nécessité de maintenir les réserves soit examinée périodiquement en tenant compte de toute observation ou recommandation faite par le Comité pendant l'examen des rapports les concernant. Les réserves devraient être retirées dès que possible. Dans les rapports qu'ils présentent au Comité les Etats devraient indiquer les mesures qu'ils ont prises pour réexaminer, reconsidérer ou retirer leurs réserves.