Convention Abbreviation: CCPR
COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME
Soixante-troisième session
6. Le Comité est vivement préoccupé par les massacres généralisés d'hommes, de femmes et d'enfants dans un grand nombre de villes et de villages.
Le Comité est aussi gravement préoccupé par le fait que des femmes ont été non seulement assassinées mais aussi victimes d'enlèvements, de viols et de graves sévices.
Le Comité est également préoccupé devant l'absence de mesures opportunes ou préventives de protection des victimes de la part des autorités de police et du commandement de l'armée dans le secteur concerné, ainsi que devant les allégations persistantes de collusion de membres des forces de sécurité dans la perpétration d'actes de terrorisme.
Le Comité demande instamment à l'État partie d'adopter des mesures efficaces pour :
a) empêcher ces attaques et, si elles se produisent quand même, intervenir rapidement pour protéger la population;
b) garantir que des enquêtes appropriées soient menées par une instance indépendante en vue d'identifier les coupables et de les traduire en justice; et
c) faire en sorte que, dans tous les cas de massacres, une enquête indépendante soit menée sur le comportement des forces de sécurité à tous les échelons, du plus bas jusqu'au plus élevé, et que des sanctions pénales et disciplinaires soient prises à leur encontre, selon qu'il convient.
7. Le Comité est en outre préoccupé, au vu des réponses de la délégation qui sont loin d'être satisfaisantes, par les innombrables informations reçues faisant état d'exécutions arbitraires ou extrajudiciaires, dont certaines auraient eu lieu en détention provisoire et d'autres seraient associées d'une manière ou d'une autre à des groupes terroristes.
L'État partie devrait, de manière urgente, faire en sorte que :
a) des mécanismes indépendants soient créés pour examiner toutes les violations du droit à la vie et à la sécurité des personnes;
b) les contrevenants soient traduits en justice;
c) l'accès soit accordé dès que possible au CICR et à d'autres observateurs indépendants.
8. Le Comité se déclare préoccupé par le fait que le Gouvernement, à la fois dans son rapport, dans la présentation orale qu'il en a faite et dans ses réponses aux questions posées par le Comité, n'a fourni que de maigres renseignements concernant l'organisation des "groupes de légitime défense", leur reconnaissance officielle, leur compétence, la supervision à laquelle ils sont soumis et leur formation. De graves questions se posent quant à la légitimité du transfert par l'État à des groupes privés d'un tel pouvoir, étant donné en particulier le pouvoir que l'État lui-même leur concède et le risque très réel que l'exercice de ce pouvoir, conjugué aux risques d'exactions non sanctionnées, fait peser sur la vie et la sécurité des personnes.
Le Comité recommande que le Gouvernement prenne d'urgence des mesures visant à maintenir au sein de ses forces de police et de ses forces armées la responsabilité du maintien de l'ordre public et de la protection de la vie et de la sécurité de la population et que, dans l'intervalle, il veille à ce que ces groupes de défense soient placés sous le contrôle strict et effectif des organes de l'État responsables et promptement traduits en justice en cas d'exactions.
9. Bien que la délégation algérienne ait nié que certaines autorités recourent à la torture, le Comité est profondément préoccupé par les allégations persistantes de torture systématique. Le Comité déplore le fait que des juges semblent admettre couramment les aveux obtenus sous la contrainte, alors même qu'il existe des preuves médicales attestant que des actes de torture ont été perpétrés, et il demande à l'État partie de prendre toutes mesures pour remédier à cette situation.
Le Comité prie instamment l'État partie de :
a) mettre en place un système crédible qui permette de suivre le traitement de tous les détenus afin de s'assurer qu'ils ne sont soumis ni à la torture ni à un traitement cruel, inhumain ou dégradant;
b) faire en sorte que toutes les allégations spécifiques fassent l'objet d'une enquête par un organe impartial et que les résultats de cette enquête soient publiés;
c) faire en sorte que les fonctionnaires mêlés à des actes de torture soient poursuivis et s'ils sont reconnus coupables, sévèrement punis.
10. Vu le caractère insatisfaisant des réponses fournies par la délégation et le nombre de plaintes émanant des familles, le Comité exprime les graves préoccupations que lui inspirent le nombre des disparitions et l'incapacité de l'État à réagir de manière appropriée, ou à répondre tout simplement, à des violations aussi graves. Les disparitions peuvent mettre en cause le droit à la vie consacré par l'article 6 du Pacte ainsi que, lorsque les personnes disparues sont toujours en vie et détenues au secret, le droit garanti par l'article 16 du Pacte, qui dispose que chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Dans cette situation, ces personnes sont également privées de leur capacité d'exercer tous les autres droits reconnus par le Pacte ainsi que de toute possibilité de recours. Qui plus est, les disparitions constituent une violation de l'article 7 pour ce qui est des familles des disparus.
Le Comité demande instamment à l'État partie d'adopter des mesures pour :
a) établir un registre central pour enregistrer tous les cas de disparition signalés et toutes les démarches effectuées au jour le jour pour retrouver les disparus;
b) aider les familles concernées à retrouver les disparus.
Le Comité demande en outre que, dans son prochain rapport périodique, l'État partie donne des renseignements sur le nombre de cas signalés, les enquêtes menées et les résultats obtenus.
11. Le Comité a noté que le décret de 1992 portant état d'urgence pour faire face à "la subversion par le terrorisme" a été abrogé, mais que certaines de ses dispositions ont été incorporées dans la législation pénale ordinaire. Les dispositions en question augmentent le nombre d'infractions passibles de la peine de mort, abaissent à 16 ans l'âge à partir duquel une personne peut être condamnée à cette peine, font passer de 2 à 12 jours la durée pendant laquelle un suspect peut être gardé administrativement au secret et donnent des activités "terroristes" ou "subversives" une définition qui se prête à des abus.
Le Comité recommande que les modifications apportées à la législation pénale soient alignées rigoureusement sur les articles 6 et 9 du Pacte.
12. L'Observatoire national des droits de l'homme a reconnu dans son rapport annuel pour 1996 qu'il existe des lieux de détention qui échappent au contrôle stipulé par la loi. Ceci renforce les allégations émanant de plusieurs sources concernant la garde à vue de personnes qui ne sont pas inscrites sur des registres et qui ne sont pas déférées aux tribunaux, contrairement à ce qu'exigent à la fois la législation algérienne et l'article 9 du Pacte.
L'État partie doit veiller à ce que :
a) nul ne soit arrêté ni détenu "hors du cadre prescrit par la loi";
b) les plaintes concernant ces arrestations ou ces détentions fassent l'objet d'une attention immédiate et que les familles, amis ou avocats des personnes détenues soient en mesure de faire valoir un recours utile, y compris l'examen de la légalité de la détention;
c) toutes les personnes arrêtées soient placées dans des lieux de détention officiellement désignés; que leurs familles soient informées immédiatement; que ces personnes puissent entrer immédiatement en contact avec un avocat; et qu'elles soient promptement inculpées et traduites en justice;
d) la durée de la garde à vue ne dépasse pas la limite fixée par la loi et que les personnes qui font l'objet de cette mesure aient le droit de passer une visite médicale au début et à la fin de la garde à vue.
13. En ce qui concerne la garantie de l'égalité de traitement des femmes quant à la jouissance de tous les droits qui leur sont garantis, le Comité note que la délégation a indiqué que la déclaration interprétative concernant le paragraphe 4 de l'article 23 du Pacte faite par l'Algérie lors de la ratification de celui-ci deviendrait caduque avec le temps. Il note aussi que des progrès ont été réalisés en ce qui concerne la participation des femmes à la vie publique et à la société civile. Toutefois, le Code de la famille comporte encore de vastes champs d'inégalités qui ne sont pas conformes aux articles 3, 16, 23 et 26 du Pacte, au sujet desquels l'Algérie n'a pas fait de réserves. À cet égard, le Comité note que, selon le Code de la famille, le consentement de la femme à un premier mariage passe généralement par un tuteur et que ce dernier peut lui refuser le droit de choisir son époux. Il note également que le Code de la famille prévoit que le mari est le chef de la famille, autorise la polygamie et interdit à une femme d'épouser un non-musulman, alors que cette restriction ne s'applique pas aux hommes.
Le Comité recommande donc à l'État partie de mettre sa législation en conformité avec le Pacte de manière à reconnaître aux femmes tous les droits auxquels elles peuvent prétendre en vertu des articles 3, 16, 23 et 26 de celui-ci.
14. Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, le Comité craint que l'application de certains décrets exécutifs pris en 1992, qui réglementent la nomination, la promotion et la révocation des juges, ne compromette son indépendance. Il note en outre avec préoccupation que les juges ne deviennent inamovibles qu'après dix ans de carrière.
Le Comité souhaiterait recevoir des informations complémentaires sur la procédure applicable à la désignation, à l'élection et à la révocation des magistrats. Il recommande que des mesures appropriées soient prises pour assurer une totale indépendance au pouvoir judiciaire.
15. Le Comité prend acte de la déclaration de la délégation selon laquelle le décret sur l'utilisation de l'arabe qui est entré en vigueur le 5 juillet 1998 a pour objet de renforcer le statut que cette langue nationale doit posséder. Il note cependant que l'utilisation obligatoire, immédiate et exclusive de cette langue dans tous les domaines de la vie publique aboutirait à entraver, pour une grande partie de la population qui utilise le berbère ou le français, la jouissance des droits garantis par les articles 19, 25, 26 et 27 du Pacte.
Le Comité recommande que la loi soit réexaminée d'urgence de manière qu'elle ne produise plus ces effets négatifs.
16. Le Comité accueille avec satisfaction la suppression dans les imprimeries des "comités de lecture" placés sous le contrôle de l'État et le retrait des directives officielles interdisant la publication d'informations non autorisées touchant les "questions de sécurité". Il note cependant que de nombreuses restrictions subsistent en pratique en ce qui concerne la liberté d'expression, par exemple celles qui touchent la diffusion d'informations portant sur les allégations de corruption et l'examen de ce problème, ainsi que la critique des autorités, et la diffusion de matériaux considérés comme une manifestation de sympathie ou d'encouragement à la subversion, toutes restrictions qui portent gravement atteinte au droit des médias d'informer le public et au droit du public d'être informé. Le Comité est aussi profondément préoccupé par les menaces que reçoivent les journalistes, les militants des droits de l'homme et les avocats, et par les assassinats dont ils sont victimes.
Le Comité recommande que la législation actuelle soit réexaminée de manière à protéger pleinement le droit à la liberté de pensée et d'opinion et à la liberté d'expression que garantissent les articles 18 et 19 du Pacte.
17. Le Comité demeure préoccupé par le fait que la restriction imposée par l'État partie, en vertu de la loi 97-09, au droit de constituer des partis politiques empêche en fait des militants politiques d'exercer le droit de s'associer librement avec d'autres ou de voter pour les représentants de leur choix, vu la grande diversité des catégories de groupements interdits (groupements fondés sur la religion, la langue, la race, le sexe, l'appartenance à une région ou à une corporation). Depuis qu'elle est entrée en vigueur, cette loi a été invoquée pour interdire ou empêcher la légalisation de plus de 30 partis.
Le Comité recommande que les conditions requises par le Pacte en ce qui concerne les restrictions à la liberté d'association soient respectées et que la législation actuellement en vigueur soit modifiée de manière à la rendre conforme aux exigences du Pacte et aux obligations auxquelles l'Algérie a souscrit lorsqu'elle y a adhéré.
18. Le Comité observe qu'en dépit du fait que l'Algérie est devenue partie au Protocole facultatif en 1989, très peu de communications ont été adressées au Comité, malgré la crise profonde que connaissent les droits de l'homme et les graves violations qui se sont produites ces 10 dernières années. Cette situation donne à penser que la population algérienne ignore peut-être qu'elle a le droit d'adresser des communications au Comité.
Le Comité recommande que des mesures urgentes soient prises par l'Algérie pour que le public, les universités, les juristes et, en particulier, les organisations non gouvernementales qui défendent les droits de l'homme soient informés des droits protégés au titre du Pacte et du fait que les particuliers dont les droits ont été violés peuvent présenter des communications au Comité.
19. Le Comité appelle l'attention du Gouvernement algérien sur les dispositions de l'alinéa a) du paragraphe 6 des Directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques communiqués par les États parties et lui demande de fournir dans son prochain rapport périodique, qu'il doit présenter en juin 2000, des informations qui répondent aux présentes observations finales dans leur intégralité. Le Comité demande en outre que le deuxième rapport périodique de l'Algérie et les présentes observations finales soient largement diffusés auprès de l'opinion publique partout en Algérie.