1. Le Comité des droits de l'homme a examiné le quatrième rapport périodique de la Belgique (CCPR/C/BEL/2003/4) à ses 2197e, 2198e et 2199e séances, les 12 et 13 juillet 2004 (CCPR/C/SR.2197, 2198 et 2199). Il a adopté les observations finales suivantes à ses 2210e et 2214e séances, les 21 et 24 juillet 2004 (voir CCPR/C/SR.2210 et 2214).
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de la Belgique, de même que les réponses écrites et orales apportées à sa liste de questions. Il apprécie la qualité des informations fournies, mais regrette l'insuffisance des renseignements relatifs à l'effectivité des mesures adoptées pour mettre en œuvre le Pacte. Le Comité rend hommage à la délégation pour son esprit d'ouverture et se félicite du dialogue constructif qui s'en est suivi.
B. Aspects positifs
3. Le Comité accueille avec satisfaction la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.
4. Le Comité salue l'entrée en vigueur, le 1er mai 2004, de la loi-programme instituant un mécanisme de tutelle pour les mineurs étrangers non accompagnés, et l'assurance selon laquelle ces mineurs ne font plus l'objet de détention dans un centre fermé, même en cas de refus d'accès au territoire.
5. Le Comité se félicite de l'adoption de la loi du 19 mars 2004 octroyant le droit de vote aux élections communales aux étrangers non ressortissants d'un pays de l'Union européenne.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
6. Le Comité est préoccupé par le fait que l'État partie ne soit pas en position d'affirmer, en l'absence de constatation par une juridiction internationale d'un manquement à ses obligations, l'applicabilité automatique du Pacte lorsqu'il exerce un pouvoir ou un contrôle effectif sur quiconque en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix (art. 2).
L'État partie devrait observer les garanties du Pacte non seulement sur son territoire mais aussi quand il exerce sa juridiction à l'étranger, par exemple dans le cadre de missions de paix ou de missions militaires de l'OTAN, et former les membres de telles missions à cet égard.
7. Le Comité regrette que la Belgique n'ait pas levé ses réserves au Pacte, en particulier celles relatives aux articles 10 et 14.
L'État partie devrait reconsidérer sa position à ce propos.
8. Le Comité, saluant les nombreux projets visant à une meilleure application du Pacte, relève avec inquiétude que certains d'entre eux sont en examen depuis de longues années. Il regrette d'autre part que plusieurs recommandations du Comité n'aient pas été appliquées.
L'État partie devrait accorder la plus haute priorité à l'adoption des projets et la mise en œuvre concrète des lois visant à une meilleure application du Pacte.
9. Le Comité est préoccupé par les effets de l'application immédiate de la loi du 5 août 2003 sur les plaintes déposées en vertu de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire (art. 2, 5, 16 et 26).
L'État partie devrait garantir les droits acquis par les victimes à un recours utile, sans aucune discrimination, dans la mesure où les règles obligatoires de droit international général relatives à l'immunité diplomatique ou de l'État ne s'appliquent pas.
10. Le Comité est préoccupé par le faible nombre de condamnations pénales ou disciplinaires prononcées à l'encontre des militaires soupçonnés d'avoir commis des violations des droits de l'homme dans le cadre de la mission des Nations Unies en Somalie. Il note toutefois que l'État partie a abrogé la compétence des juges militaires pour faits commis en temps de paix par des militaires (art. 2).
L'État partie devrait prohiber et punir effectivement tout comportement contraire aux droits de l'homme, notamment ceux énoncés dans les articles 6 et 7 du Pacte, commis par des militaires en temps de paix comme en temps de guerre.
11. Le Comité est préoccupé par le fait que le droit à un recours effectif des personnes se trouvant irrégulièrement en Belgique est menacé par l'obligation faite aux fonctionnaires de police de dénoncer leur présence sur le territoire. Il relève en outre que les délais de séjour destinés à permettre aux plaignants étrangers en situation irrégulière de mener à leur terme les procédures engagées pour faire valoir leurs droits au titre du Pacte demeurent à la discrétion de l'Office des étrangers (art. 2 et 26).
L'État partie devrait, au-delà de l'aménagement des délais de séjour, envisager des mesures supplémentaires garantissant le droit à un recours effectif de ces personnes.
12. Le Comité est préoccupé par la persistance d'allégations de violences policières, souvent accompagnées d'actes de discrimination raciale. Il relève que, selon certaines informations, les enquêtes ne sont pas toujours conduites avec diligence et les sentences, lorsqu'elles sont prononcées, demeurent la plupart du temps symboliques (art. 2 et 7).
L'État partie devrait faire cesser toutes violences policières et accroître ses efforts pour procéder à des enquêtes plus approfondies. Les dossiers introduits à l'encontre de membres des forces de l'ordre pour abus ou violences et ceux introduits par ces derniers contre les victimes alléguées devraient être systématiquement joints.
13. Le Comité prend note des explications données par la délégation en ce qui concerne l'indépendance des services d'enquête du Comité P, mais constate que des doutes relatifs à l'indépendance et l'objectivité de ces services demeurent (art. 2 et 7).
L'État partie devrait modifier la composition du personnel des services d'enquête en vue de garantir leur efficacité et leur indépendance réelles.
14. Le Comité est préoccupé par le fait que des allégations d'utilisation excessive de la force lors de l'éloignement d'étrangers ont à nouveau été formulées malgré l'entrée en vigueur de nouvelles directives (art. 6 et 7).
L'État partie devrait faire cesser toute utilisation excessive de la force lors de l'éloignement d'étrangers. Une formation et un contrôle plus poussés des personnes chargées de ces éloignements devraient être assurés.
15. Saluant les efforts déployés en matière de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, le Comité est préoccupé par le fait que des permis de séjour ne sont accordés aux victimes de traite des êtres humains que si celles-ci collaborent avec les autorités judiciaires, et qu'une aide financière en cas d'actes de violence ne leur est octroyée qu'à des conditions restrictives. Il relève que des difficultés persistent en matière d'accueil de grands groupes de migrants interceptés (art. 8).
L'État partie devrait poursuivre ses efforts, garantir une meilleure prise en charge des victimes de traite des êtres humains, considérées en tant que telles, et assurer l'accueil des victimes de trafic dans de bonnes conditions. L'État partie devrait remettre au Comité des informations plus précises et de nature statistique, y compris dans le domaine pénal, sur la mise en œuvre effective des mesures adoptées.
16. Le Comité réitère ses préoccupations au sujet des droits des personnes gardées à vue au regard des exigences des articles 7, 9 et 14 du Pacte.
L'État partie devrait accorder priorité à la modification de son Code de procédure pénale, en projet depuis de longues années, et garantir les droits des personnes gardées à vue d'informer leurs proches de leur détention et d'accéder à un avocat et à un médecin dès les premières heures de la détention. L'intervention systématique d'un médecin en début et en fin de garde à vue devrait en outre être prévue.
17. Le Comité est préoccupé par le fait que des étrangers maintenus en centre fermé dans l'attente de leur éloignement, puis remis en liberté sur décision judiciaire, ont été maintenus en zone de transit de l'aéroport national dans des conditions sanitaires et sociales précaires. Des informations font état de périodes de détention de plusieurs mois dans certains cas. De l'avis du Comité, ces pratiques s'apparentent à des détentions arbitraires et peuvent conduire à la commission de traitements inhumains et dégradants (art. 7 et 9).
L'État partie devrait mettre fin immédiatement à la rétention d'étrangers en zone de transit aéroportuaire.
18. Le Comité est préoccupé par le fait que l'État partie n'a pas mis fin à la pratique de maintien de malades mentaux dans les prisons et les annexes psychiatriques des prisons pendant plusieurs mois avant leur transfert dans des établissements de défense sociale, malgré les recommandations déjà formulées en 1998. Il rappelle que cette pratique est incompatible avec les articles 7 et 9 du Pacte.
L'État partie devrait mettre fin à cette pratique dans les meilleurs délais. Il devrait en outre s'assurer que le suivi et la protection des malades mentaux, de même que la gestion des établissements de défense sociale, relèvent de la responsabilité du Ministère de la santé.
19. Le Comité est préoccupé par la persistance de la surpopulation carcérale en Belgique, due en partie à l'augmentation des mesures de détention préventive, à la multiplication des longues peines et la diminution des libérations conditionnelles (art. 7 et 10).
L'État partie devrait accroître ses efforts dans le cadre d'une politique axée sur la recherche d'une diminution du nombre des détenus.
20. Le Comité est préoccupé par le fait que, près de sept ans après la création de la Commission Dupont, l'État partie n'a toujours pas modernisé sa législation pénitentiaire. Il prend note toutefois de l'assurance de la délégation selon laquelle un projet devrait être examiné en priorité au cours de la présente législature (art. 10).
L'État partie devrait rapidement adopter une législation appropriée définissant le statut juridique des détenus, clarifiant le régime disciplinaire en prison et garantissant le droit des détenus de porter plainte et de recourir efficacement contre la sanction disciplinaire dont ils font l'objet devant un organe indépendant et rapidement accessible.
21. Le Comité, saluant l'établissement d'une commission des plaintes individuelles chargée de connaître des plaintes d'étrangers sur les conditions et le régime de leur détention, est préoccupé par le fait que le dépôt des plaintes doit être effectué dans un délai de cinq jours et n'entraîne pas la suspension de la mesure d'éloignement (art. 2 et 10).
L'État partie devrait augmenter le délai de dépôt des plaintes et le doter d'un caractère suspensif de la mesure d'éloignement.
22. Le Comité s'inquiète de ce que les règles de fonctionnement des centres INAD (passagers non admis sur le territoire) et les droits des étrangers qui y sont détenus ne semblent pas être clairement établis par la loi (art. 2 et 10).
L'État partie devrait clarifier cette situation et veiller à ce que les étrangers détenus dans ces centres soient informés de leurs droits, y compris en matière de recours et de plaintes.
23. Le Comité est préoccupé par le fait que l'instruction ministérielle de 2002 conférant un caractère suspensif aux recours d'extrême urgence formulés contre une décision d'expulsion par un demandeur d'asile n'a pas été publiée, ce qui est de nature à créer une insécurité juridique pour les personnes concernées (art. 2 et 13).
L'État partie devrait clairement établir dans sa législation les règles relatives aux recours formulés contre une décision d'éloignement du territoire. Il devrait conférer un caractère suspensif non seulement aux recours en extrême urgence, mais aussi aux recours en annulation assortis d'une demande de suspension ordinaire formulés par tout étranger contre les mesures d'éloignement le concernant.
24. Le Comité est préoccupé par le fait que la loi relative aux infractions terroristes du 19 décembre 2003 offre une définition du terrorisme qui, se référant au degré de gravité des infractions et à la finalité de l'action de l'auteur, n'est pas de nature à satisfaire entièrement au principe de la légalité des délits et des peines (art. 15).
L'État partie devrait élaborer une définition plus précise des infractions terroristes.
25. Le Comité est préoccupé par le fait que la directive du Ministère de l'intérieur relative à la double peine, qui n'a pas été publiée, pose des conditions à l'expulsion des étrangers ne permettant pas d'assurer le plein respect de l'article 17 du Pacte, en ce qu'elle ne garantit pas en toutes circonstances que des étrangers ayant la majorité de leurs attaches en Belgique ne seront pas expulsés.
L'État partie devrait introduire des garanties supplémentaires en la matière, publier les règles édictées afin de permettre aux personnes concernées de connaître et faire valoir leurs droits, et adopter dans les plus brefs délais une loi sur ce point.
26. Le Comité est préoccupé par le fait qu'aucune mosquée n'est encore reconnue officiellement en Belgique (art. 18 et 26).
L'État partie devrait accroître ses efforts pour faire en sorte que les mosquées soient reconnues et que la religion musulmane bénéficie des mêmes avantages que les autres religions.
27. Le Comité note avec inquiétude que plusieurs actes racistes, xénophobes, antisémites ou antimusulmans sont intervenus sur le territoire. Il se déclare préoccupé par le fait que des partis politiques incitant à la haine raciale peuvent continuer à bénéficier du système de financement public et relève qu'une proposition de loi visant à mettre fin à cette situation est toujours à l'étude devant le Sénat (art. 20).
L'État partie devrait prendre toutes les mesures utiles pour protéger les communautés résidant en Belgique contre les actes racistes, xénophobes, antisémites ou antimusulmans. Il devrait assurer au plus vite l'adoption de la proposition de loi précitée et envisager l'adoption de mesures plus sévères pour empêcher les activités de personnes et de groupes qui incitent à la haine raciale et à la xénophobie, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 20 du Pacte.
28. Le Comité a pris note de la nouvelle loi visant à renforcer la protection des enfants contre les diverses formes d'exploitation sexuelle, mais est préoccupé par la fréquence avec laquelle se produisent des cas de violence sexuelle à l'égard des enfants (art. 24).
L'État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour protéger les enfants dans tous les domaines pour mettre fin aux cas de violence sexuelle dont ils sont victimes.
29. Le Comité fixe au 1er août 2008 la date de soumission du cinquième rapport périodique de la Belgique. Il demande que le texte du quatrième rapport périodique de l'État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et diffusés largement en Belgique, et que le cinquième rapport périodique soit porté à la connaissance des organisations non gouvernementales qui opèrent en Belgique.
30. Conformément au paragraphe 5 de l'article 70 du règlement intérieur du Comité, l'État partie devrait adresser dans un délai d'un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 12, 16 et 27. Le Comité demande à l'État partie de communiquer dans son prochain rapport des renseignements sur les autres recommandations qu'il a faites et sur l'applicabilité du Pacte dans son ensemble.