1. Le Comité des droits de l'homme a examiné le rapport initial du Bénin (CCPR/C/BEN/2004/1/Add.1) à ses 2232e, 2233e et 2234e séances, les 21 et 22 octobre 2004 (voir CCPR/C/SR.2232 à 2234). Il a adopté les observations finales suivantes à sa 2248e séance, le 2 novembre 2004 (voir CCPR/C/SR.2248).
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Bénin. Il regrette toutefois que celui-ci ait été soumis avec plus de 10 ans de retard, et ne contienne pas suffisamment de renseignements relatifs à l'effectivité des mesures adoptées pour mettre en œuvre le Pacte. Le Comité salue la venue à Genève d'une délégation de haut rang, et les efforts que celle-ci a déployés pour répondre, tant par écrit que par oral, à sa liste de questions. Il se félicite de l'ouverture d'un dialogue avec l'État partie.
B. Aspects positifs
3. Le Comité prend note avec satisfaction de la possibilité conférée aux individus de saisir la Cour constitutionnelle selon une procédure simple, et du rôle conféré à cette institution en matière de protection des droits fondamentaux.
4. Le Comité note avec intérêt que le procès des magistrats, greffiers et receveurs percepteurs accusés de détournement de frais de justice s'est soldé par la condamnation de 63 personnes à des peines sévères.
5. Le Comité se félicite de la promulgation, le 25 août 2004, d'un nouveau Code des personnes et de la famille tendant à l'égalité des sexes, notamment en matière de mariage, de divorce et d'autorité parentale.
6. Le Comité salue l'adoption de la loi du 3 mars 2003 portant répression de la pratique des mutilations génitales féminines.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
7. Le Comité constate avec préoccupation que la procédure de saisine individuelle de la Cour constitutionnelle, très importante, demeure peu connue des justiciables, et que les décisions de la Cour ne font pas l'objet d'un suivi (article 2 du Pacte).
L'État partie devrait faire davantage connaître aux particuliers les possibilités de saisine de la Cour constitutionnelle, exécuter les décisions de la Cour et envisager de créer un organe chargé du suivi de ces décisions.
8. Le Comité constate avec inquiétude que la Commission béninoise des droits de l'homme n'est plus effective et que l'État partie n'a à ce jour pas adopté les mesures nécessaires, y compris celles d'ordre budgétaire, pour lui permettre de fonctionner efficacement. Il rappelle qu'une institution nationale des droits de l'homme indépendante, dotée d'une mission spécifique de promotion et de protection des droits, ne peut être remplacée ni par des organisations non gouvernementales ni par le Conseil national consultatif des droits de l'homme, rattaché au Ministère de la justice (article 2 du Pacte).
L'État partie devrait mettre sur pied une institution nationale des droits de l'homme, conformément aux Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme (résolution 48/134 de l'Assemblée générale).
9. Le Comité s'inquiète d'informations selon lesquelles la violence domestique contre les femmes serait couramment pratiquée (articles 3 et 7 du Pacte).
L'État partie devrait adopter des mesures efficaces et concrètes pour lutter contre ce phénomène. Il devrait sensibiliser l'ensemble de la société à ce sujet, assurer la poursuite pénale des auteurs de telles violences, et garantir assistance et protection aux victimes.
10. Le Comité note que, en vertu du nouveau Code des personnes et de la famille, seul le mariage monogamique est reconnu, et que «les coutumes cessent d'avoir force de loi en toutes matières prévues par le présent code». Le Comité s'inquiète toutefois des conséquences des mariages polygamiques qui seraient malgré tout encore conclus selon le droit coutumier, en particulier en ce qui concerne la protection dès lors garantie aux femmes impliquées dans de telles unions (articles 3 et 23 du Pacte).
L'État partie devrait clairement interdire la conclusion de nouveaux mariages polygamiques, conformément à l'observation générale no 28 du Comité relative à l'article 3 du Pacte. Il devrait accorder la plus grande protection aux femmes qui, après l'entrée en vigueur du nouveau Code et par respect des traditions, entreraient dans une union polygamique alors que celle-ci n'entraîne plus d'effets juridiques. Le Comité invite l'État partie à accroître ses efforts en matière d'information et de sensibilisation des femmes sur ces questions, y compris dans les zones les plus reculées du pays.
11. Le Comité demeure préoccupé par la persistance des mutilations génitales féminines, notamment dans certaines régions du pays, celles-ci constituant des violations graves des articles 3 et 7 du Pacte.
L'État partie devrait accroître ses efforts contre ces pratiques, en particulier au sein des communautés dans lesquelles elles ont une forte prévalence. Il devrait garantir l'application effective de l'interdiction de ces pratiques, au moyen de programmes de sensibilisation plus nombreux et efficaces et de poursuites pénales contre les auteurs. L'État partie devrait donner des informations plus précises sur le pourcentage de femmes et de filles touchées, leur répartition par régions et groupes ethniques, de même que sur les poursuites pénales engagées contre les auteurs.
12. Le Comité s'inquiète de ce que certaines dispositions des projets de Code pénal et de Code de procédure pénale relatives à la lutte contre le terrorisme pourraient être de nature à porter atteinte à des droits énoncés dans le Pacte (articles 2, 7, 9 et 14).
L'État partie devrait veiller à ce que ces dispositions ne portent pas atteinte aux droits énoncés dans le Pacte, en particulier le droit à la sécurité et à la liberté de la personne, le droit à un procès équitable, et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
13. Tout en saluant le fait que, depuis environ 18 ans, aucune condamnation à mort prononcée par un tribunal n'a été exécutée au Bénin, le Comité note avec inquiétude que la peine capitale n'est pas restreinte aux crimes les plus graves. Il relève avec préoccupation que des personnes sont dans le couloir de la mort depuis de nombreuses années, et s'inquiète des informations contradictoires sur leurs conditions de détention (articles 6, 7 et 10 du Pacte).
L'État partie devrait restreindre la peine capitale aux crimes les plus graves. Il devrait envisager d'abolir la peine capitale et d'adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité recommande à l'État partie de commuer les peines capitales déjà prononcées en peines de prison, de vérifier immédiatement les conditions de détention des condamnés à mort, et d'assurer en toutes circonstances le respect de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.
14. Le Comité est préoccupé par la persistance de phénomènes de vindicte populaire. Il constate également avec préoccupation que des infanticides motivés par des croyances populaires sont commis dans le pays (articles 6, 7 et 24 du Pacte).
L'État partie devrait protéger les individus contre des actes commis par des personnes privées qui entravent leur droit à la vie et à l'intégrité physique, et exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes, enquêter à leur sujet et réparer le préjudice qui en résulte. L'État partie devrait en outre accroître ses efforts pour sensibiliser la population, et fournir des informations plus détaillées sur l'ampleur de ces phénomènes.
15. Le Comité s'inquiète d'informations selon lesquelles l'utilisation abusive du système de garde à vue, la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants demeurent une pratique courante au Bénin. Il est préoccupé par le fait que les responsables de l'application des lois auteurs de ces violations semblent jouir d'une large impunité (articles 2, 7 et 9 du Pacte).
L'État partie devrait faire preuve d'une plus grande fermeté en matière d'interdiction des gardes à vue abusives, de la torture et des mauvais traitements, et intensifier la formation de ses agents à ce sujet. Il devrait engager d'office des procédures disciplinaires et pénales contre les auteurs de violations, et faire suite en particulier aux décisions de la Cour constitutionnelle sur de telles affaires. Le Comité recommande à l'État partie de lui fournir des informations détaillées sur les plaintes déposées pour de tels actes et les sanctions disciplinaires et pénales infligées au cours des trois dernières années, et de procéder à une enquête indépendante sur les méthodes ayant lieu au Petit Palais.
16. Le Comité constate avec inquiétude que les droits essentiels des personnes gardées à vue ne sont pas garantis en droit béninois (articles 7, 9 et 14 du Pacte).
L'État partie devrait garantir le droit des personnes gardées à vue d'accéder à un avocat dans les premières heures de la détention, d'informer leurs proches de leur détention, et d'être informées de leurs droits. Une visite médicale devrait être prévue en début et en fin de garde à vue. Des possibilités de recours rapides et efficaces permettant aux personnes concernées de contester la légalité de la garde à vue et de faire valoir leurs droits devraient être ouvertes.
17. Le Comité, prenant note des efforts déployés par le Bénin pour améliorer les conditions de détention, demeure préoccupé par la situation dans les prisons, en particulier en matière d'hygiène, d'accès aux soins de santé et d'alimentation. Il s'inquiète de la forte surpopulation carcérale, et du fait que la séparation des mineurs et des majeurs n'est pas garantie dans tous les cas (articles 7, 10 et 24 du Pacte).
L'État partie doit garantir le droit des détenus d'être traités avec humanité et dans le respect de leur dignité, en particulier leur droit de vivre dans des lieux salubres et d'avoir accès aux soins de santé et à une nourriture suffisante. La détention devrait n'être envisagée qu'en dernier recours, et des mesures alternatives à la détention devraient être prévues. L'État partie, puisqu'il n'est pas en mesure de répondre aux besoins des détenus, doit réduire dans les plus brefs délais la population carcérale. Enfin, une protection particulière devrait être assurée aux mineurs, et ceux-ci, y compris les filles, devraient être systématiquement séparés des adultes.
18. Le Comité note les efforts déployés par l'État partie pour rapprocher la justice des justiciables, mais demeure préoccupé par des informations faisant état de dysfonctionnements importants dans l'administration de la justice, tenant principalement au manque de moyens humains et matériels, à l'engorgement des juridictions, à la lenteur des procès, à la corruption, et aux immixtions de l'exécutif dans le judiciaire. À ce propos, le Comité note avec inquiétude les protestations de magistrats contre la remise pure et simple aux autorités nigérianes de personnes et de véhicules sous main de justice, et d'autres actes liés à l'affaire dite «Hamani» (articles 2, 13 et 14 du Pacte).
L'État partie devrait accorder une grande priorité aux actions devant être adoptées pour répondre à ces problèmes. Il devrait au plus vite assurer la mise en œuvre effective de la loi du 27 août 2002 portant organisation judiciaire sur l'augmentation des cours et tribunaux, renforcer l'indépendance de la justice en garantissant l'interdiction de toute immixtion de l'exécutif dans le judiciaire, et garantir que les recours seront traités dans un délai raisonnable. Il devrait également offrir une réparation effective en cas de violation constatée par la Cour constitutionnelle. L'État partie devrait en outre garantir que l'expulsion d'individus ne pourra être décidée qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi, et que les personnes concernées pourront faire valoir les raisons qui militent contre leur expulsion.
19. Le Comité note que les tribunaux de conciliation sont utiles, mais craint que les missions respectives de ces tribunaux et des tribunaux de droit commun soient délimitées de manière imprécise, peu transparente pour les justiciables, et que le système d'homologation devant les tribunaux d'instance n'offre pas toutes les garanties prévues par l'article 14 du Pacte.
L'État partie devrait s'attacher à clarifier les missions respectives des différents tribunaux et à s'assurer que le système d'homologation devant les tribunaux répond aux exigences de l'article 14 du Pacte.
20. Le Comité s'inquiète du fait que peu de personnes, y compris les mineurs, sont assistées d'un avocat au cours des procès pénaux, une telle assistance n'étant obligatoire que devant la cour d'assises. Il constate en outre avec inquiétude que la commission d'office devant la cour d'assises n'a lieu qu'au cours du dernier interrogatoire qui précède l'audience proprement dite, ce qui ne permet pas de garantir le respect des droits de la défense (article 14 du Pacte).
L'État partie devrait veiller à la formation d'un nombre suffisant d'avocats, faciliter l'accès des personnes à un avocat et à l'aide juridictionnelle en matière pénale, et garantir l'intervention de l'avocat dès l'arrestation.
21. Le Comité estime que l'obligation faite aux prévenus et aux condamnés de porter un gilet indiquant le lieu de leur détention constitue un traitement dégradant, et que l'obligation faite aux prévenus d'apparaître ainsi vêtus à leur procès est de nature à porter atteinte au principe de la présomption d'innocence (articles 7 et 14 du Pacte).
L'État partie devrait abolir cette mesure.
22. Le Comité constate avec préoccupation que, en vertu des lois du 30 juin 1960 et du 20 août 1997, les délits de presse peuvent être sanctionnés de peines allant jusqu'à cinq ans de prison, ce qui constitue une restriction disproportionnée au regard des exigences de l'article 19 du Pacte.
L'État partie devrait abolir les peines de prison pour délits de presse.
23. Le Comité constate avec préoccupation que des interdictions de manifester sur la voie publique ont été prononcées pour des raisons ne semblant pas se rattacher à la liste des motifs prévus à l'article 21 du Pacte.
L'État partie devrait garantir le droit de réunion pacifique, et n'imposer que les seules restrictions nécessaires dans une société démocratique, imposées dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui. Des possibilités de recours rapides devraient être garanties contre toute décision d'interdiction.
24. Prenant note des efforts déployés par l'État partie, le Comité s'inquiète des dérives choquantes du placement d'enfants chez une tierce personne dans le cadre d'une entraide familiale ou communautaire (vidomégons), source de trafic et d'exploitation économique des enfants à l'intérieur même du Bénin. Il constate avec préoccupation que le Bénin est devenu un pays de transit, d'origine et de destination du trafic international d'enfants (articles 7, 16 et 24 du Pacte).
L'État partie devrait accroître ses efforts pour lutter contre le trafic d'enfants, et fournir au Comité des informations plus précises sur ce phénomène, en particulier une estimation du nombre d'enfants concernés. Il devrait créer des mécanismes de contrôle du placement des enfants, sensibiliser davantage l'opinion publique, et poursuivre pénalement les auteurs de trafic et d'exploitation économique des enfants.
25. Le Comité a noté les efforts déployés par l'État partie dans le domaine de la sensibilisation de la population en matière de droits de l'homme mais s'inquiète que ces efforts soient limités.
Comme le prescrit expressément l'article 40 de la Constitution, l'État partie devrait intégrer l'éducation et l'enseignement aux droits de l'homme dans les programmes des différents cycles scolaires, primaire, secondaire, supérieur et professionnel, et en particulier les programmes de formation des forces de sûreté.