Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Quarante-huitième session
1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de l'Egypte (CCPR/C/51/Add.7) à ses 1244ème à 1247ème séances, les 19 et 20 juillet 1993 et a adopté à sa 1260ème séance (quarante-huitième session), tenue le 29 juillet 1993 les observations suivantes :
2. Le Comité remercie l'Egypte de son rapport et se félicite de la volonté du gouvernement de l'Etat partie de poursuivre le dialogue avec le Comité, comme en témoigne le haut niveau de la délégation égyptienne. Il déplore, cependant, que le rapport ait été présenté avec quatre années de retard, qu'il n'ait pas été rédigé conformément aux directives concernant la présentation des rapports des Etats parties (CCPR/C/20/Rev.1) et que les informations qu'il contient ne suivent pas l'ordre des articles du Pacte. Si le rapport fournit des renseignements détaillés sur la législation égyptienne et est accompagné d'annexes où figure une analyse comparée très utile des dispositions de la législation égyptienne par rapport aux articles du Pacte, il contient très peu d'informations sur l'application du Pacte dans la pratique, ainsi que sur la jouissance effective des droits de l'homme en Egypte ou les difficultés qui l'entravent. Le Comité estime qu'il aurait été particulièrement utile de disposer d'informations supplémentaires, notamment de statistiques, à propos de certaines questions importantes comme la peine de mort, les enquêtes sur les allégations de torture, la poursuite et le châtiment effectif des auteurs d'actes de torture, les mauvais traitements et l'usage abusif d'armes à feu. Des statistiques sur la participation des femmes dans la conduite des affaires publiques auraient également été appréciées.
3. Le Comité remercie l'Etat partie pour le document de base (HRI/CORE/1/Add.19) établi conformément aux directives unifiées concernant la première partie des rapports des Etats parties présentés en application des divers instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme (HRI/1991/1).
4. Le Comité rend également hommage à la délégation égyptienne qui s'est efforcée de donner des informations et explications pour faire mieux comprendre la situation relative à l'application du Pacte dans l'Etat partie. Il prend note de l'information sur la situation du Pacte dans la législation égyptienne, même si certaines précisions sont encore nécessaires en ce qui concerne l'harmonisation des lois nationales avec les articles du Pacte, notamment pour ce qui est de l'état d'urgence et de certaines autres dispositions.
5. La délégation égyptienne et la mission permanente de l'Egypte auprès de l'Office des Nations Unies à Genève ont informé le Comité de la teneur du décret présidentiel du 9 décembre 1981 relatif à la ratification du Pacte par l'Egypte. Le Comité regrette de ne pas avoir eu la possibilité d'examiner avec la délégation égyptienne le sens exact dudit décret, celui-ci ayant été porté tardivement à sa connaissance.
6. Le Comité note avec satisfaction la reprise du dialogue constructif avec l'Etat partie; cela l'a aidé à évaluer la situation en Egypte, notamment en ce qui concerne la compatibilité de la législation nationale avec les dispositions du Pacte ainsi que les facteurs et difficultés qui entravent leur application en Egypte. Le Comité prend acte de l'attachement résolu de l'Etat partie aux principes du droit et de la démocratie.
7. Le Comité note que l'état d'urgence proclamé en Egypte sans interruption depuis 1981 est l'un des principaux obstacles qui s'opposent à la pleine application du Pacte par l'Etat partie. En juin 1991, l'état d'urgence a été prolongé jusqu'en juin 1994. A cet égard, le Comité regrette que l'Egypte n'ait pas informé les autres Etats parties au Pacte, par l'intermédiaire du Secrétaire général, des dispositions auxquelles elle a dérogé ainsi que des motifs qui ont provoqué cette dérogation comme le demande expressément le paragraphe 3 de l'article 4 du Pacte. La délégation a toutefois assuré le Comité que cette omission n'avait pas été intentionnelle.
8. Le Comité s'inquiète des nombreuses mesures sévères prises par le Gouvernement égyptien pour combattre le terrorisme dans le pays. Il n'ignore pas que le nombre croissant d'actes terroristes, notamment ces 12 derniers mois, a créé une situation particulièrement alarmante. Conscient qu'il est du devoir du gouvernement de combattre le terrorisme, le Comité estime toutefois que les mesures prises à cet effet ne doivent pas porter atteinte à l'exercice des droits fondamentaux consacrés dans le Pacte, en particulier aux articles 6, 7 et 9. Il est particulièrement troublé par l'adoption en 1992 de la loi No 97 sur le terrorisme, qui contient des dispositions qui vont à l'encontre de celles des articles 6 et 15 du Pacte. La définition du terrorisme dans cette loi est si large qu'elle englobe tout un éventail d'actes de gravité différente. De l'avis du Comité, cette définition doit être revue par les autorités égyptiennes et être beaucoup plus précise compte tenu en particulier du fait qu'elle augmente le nombre d'actes passibles de la peine de mort. Le Comité souligne qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves.
9. Le Comité s'inquiète aussi de la prolongation de l'état d'urgence en Egypte. Par ailleurs, la loi sur l'état d'urgence habilite le Président de la République à saisir les cours de sûreté de l'Etat, à approuver des jugements et à grâcier des condamnés. Même s'il a été précisé qu'en matière d'appel, le Président n'interviendrait que pour réduire les peines prononcées, le Comité note avec préoccupation que le chef de l'exécutif exerce aussi des fonctions judiciaires. Par ailleurs, les tribunaux militaires ne devraient pas être habilités à juger les affaires qui ne se rapportent pas à des infractions commises par des membres des forces armées dans l'exercice de leurs fonctions.
10. Une autre source d'inquiétude est la durée et les conditions de la garde à vue et de l'internement administratif durant lesquels les inculpés peuvent être soumis par les forces de police ou de sécurité à la torture et à des mauvais traitements comme le montrent de nombreuses allégations émanant de sources non gouvernementales fiables. A ce propos, le Comité regrette que l'Egypte ne lui ait pas fourni de renseignements précis sur les enquêtes effectuées et les peines appliquées aux responsables de tortures, ainsi que sur l'indemnisation et le traitement médical des victimes de la torture, même si le représentant de l'Etat partie a, dans le cadre de ses remarques finales, donné quelques informations supplémentaires sur ces questions.
11. Le Comité s'inquiète aussi du fait qu'il y a beaucoup trop de tribunaux d'exception en Egypte. Afin d'assurer l'uniformité en ce qui concerne la procédure judiciaire et les garanties prévues par la loi, il est important que ces tribunaux restent exceptionnels, si tant est qu'ils soient indispensables.
12. Le Comité est préoccupé en outre par les restrictions apportées par la loi à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de réunion et d'association. Il s'inquiète plus particulièrement des restrictions non conformes aux dispositions de l'article 18 du Pacte appliquées à diverses communautés ou sectes religieuses telles que les Bahaïs. Un autre sujet de préoccupation générale est le refus par les autorités égyptiennes de reconnaître l'existence dans le pays de minorités, religieuses ou autres, et l'existence de certaines dispositions juridiques concernant la peine d'emprisonnement avec travaux forcés pour délits politiques. Il existe en outre de nombreux domaines où la loi présente un caractère discriminatoire à l'égard des femmes et les empêche de jouir des droits et libertés dans des conditions d'égalité.
13. Le Comité recommande à l'Etat partie de prendre soigneusement connaissance des remarques et des observations qu'il a faites durant l'examen du deuxième rapport périodique de l'Egypte en vue d'étudier et d'adopter des mesures juridiques et pratiques de nature à assurer l'application effective de toutes les dispositions du Pacte. En outre, le prochain rapport périodique devrait répondre dans le détail aux nombreuses questions et demandes d'informations qui sont restées sans réponse durant le débat. Le Comité recommande également aux autorités égyptiennes d'établir un dialogue plus soutenu et constructif avec les organisations non gouvernementales actives dans le domaine des droits de l'homme et de mettre au point des programmes de formation sur les droits de l'homme spécifiquement destinés aux fonctionnaires. Le Comité recommande en outre à l'Etat partie de rendre sa législation conforme aux dispositions de l'article 6 du Pacte et, en particulier, de limiter le nombre des crimes passibles de la peine capitale. Le Comité recommande enfin à l'Etat partie d'attacher une attention particulière à la protection des droits des personnes qui sont arrêtées et détenues.