Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
1. Le Comité des droits de l'homme a examiné le rapport initial de la Géorgie (CCPR/C/100/Add.1) à ses 1564ème, 1565ème et 1566ème séances, tenues les 26 et 27 mars 1997, et a adopté à sa 1583ème séance, tenue le 9 avril 1997 les observations finales ci-après :
2. Le Comité prend acte avec intérêt du rapport initial de la Géorgie et se félicite du dialogue qu'il a eu avec une délégation de haut niveau. Il constate avec satisfaction que la délégation géorgienne a été en mesure de compléter le rapport et de fournir des précisions sur les dispositions juridiques en vigueur et sur leur champ d'application, ainsi que sur la réforme en cours, ce qui a permis au Comité de se faire une idée un peu plus claire de la situation des droits de l'homme en Géorgie.
3. Le Comité note que la Géorgie n'a toujours pas échappé à l'influence d'un passé totalitaire, d'où des sentiments de méfiance et d'insécurité dans la population. De plus, l'Etat partie subit encore le contrecoup des conflits qui se sont déroulés en Ossétie du Sud (1992) et en Abkhazie (1993-1994), conflits à l'origine de graves violations des droits de l'homme, dont des déplacements massifs de population; s'agissant de la protection des droits de l'homme, le Gouvernement a du mal à exercer sa juridiction dans ces régions.
4. Le Comité prend acte des assurances données par le chef de l'Etat selon lesquelles la jouissance des droits de l'homme deviendrait un souci prioritaire en Géorgie.
5. Le Comité considère comme des signes encourageants l'entrée en vigueur de la Constitution de 1995 - encore qu'elle ne reprenne pas pleinement les droits garantis par le Pacte - et l'instauration du Tribunal constitutionnel auquel peut s'adresser tout citoyen dont les droits qui lui sont reconnus par la Constitution auraient été violés.
6. Le Comité note avec satisfaction l'abolition du passeport interne (propiska), qui gênait la liberté de circulation prévue à l'article 12 du Pacte.
7. Le Comité voit des signes de progrès dans la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, conjuguée à la restructuration de la prokuratura, dans le but d'en limiter le rôle à celui d'un ministère public privé des prérogatives dont il jouissait auparavant et qui lui permettaient de s'ingérer dans les décisions de justice.
8. Tout en regrettant la sous-représentation des femmes dans les organes de gouvernement et les inégalités persistantes dans les domaines économique et social, le Comité constate avec plaisir que la discrimination à l'égard des femmes devant la loi et dans le domaine de l'éducation s'est atténuée.
9. Le Comité se félicite des efforts consentis par l'Etat partie pour accorder une protection plus efficace aux droits de l'homme des minorités afin de leur garantir la liberté d'expression sur le plan culturel et l'usage de leur langue.
10. Le Comité déplore le fait que les victimes des événements survenus en 1992, 1993 et 1994 ne disposent d'aucune voie de recours leur permettant de demander réparation, conformément à l'article 2 du Pacte, pour les violations des droits qui leur sont reconnus. A ce propos, il note que l'Etat partie était lié par les dispositions du Pacte non seulement à compter de la date à laquelle le pays est devenu indépendant, mais aussi pendant la période qui a précédé sa déclaration d'adhésion, attendu qu'il faut considérer qu'il avait succédé aux obligations contractées par l'ancienne Union soviétique dont il faisait partie intégrante jusqu'à ce qu'il proclame son indépendance.
11. Le Comité regrette que le Pacte, tout en étant directement applicable en vertu du droit interne, ne soit pas invoqué devant les tribunaux. De plus, il estime que le fait que personne n'ait été nommé au poste d'ombudsman, créé en mai 1996, revient à refuser d'accorder un recours utile aux personnes qui se plaignent de la violation de leurs droits fondamentaux.
12. Le Comité regrette que malgré l'élimination des inégalités devant la loi, les femmes demeurent victimes d'une inégalité de traitement et d'une discrimination dans les domaines politique, économique et social. Il note par ailleurs avec préoccupation qu'exception faite de l'avortement, il est difficile d'obtenir des moyens de contraception.
13. Le Comité craint que le moratoire dont fait l'objet l'application de la peine capitale ne soit qu'un faible palliatif. Malgré la réduction du nombre d'infractions passibles de la peine capitale, celles-ci demeurent trop nombreuses et certaines d'entre elles ne relèvent pas de la catégorie des crimes les plus graves envisagés à l'article 6 du Pacte. Il déplore aussi que dans certains cas, la peine capitale ait, semble-t-il, été imposée alors que les aveux avaient été obtenus sous la torture ou la contrainte ou à l'issue de procès pendant lesquels les garanties prévues à l'article 14 du Pacte n'avaient pas été respectées, en particulier le droit de faire entendre sa cause par une juridiction supérieure (art. 14, par. 5, du Pacte).
14. Le Comité est profondément préoccupé par les tortures infligées à des personnes privées de liberté, notamment dans le but de leur extorquer des aveux. Il déplore que de telles pratiques, à l'instar d'autres actes de torture, demeurent généralement impunies et que dans bien des cas, faute d'avoir confiance dans les autorités, les victimes s'abstiennent de porter plainte.
15. Le Comité déplore l'usage excessif qui est fait de la détention provisoire et de la garde à vue. Les limites imposées par la Constitution à ces mesures ne sont souvent pas respectées dans la pratique, au mépris également des dispositions de l'article 9 du Pacte.
16. Le Comité est profondément préoccupé par la situation catastrophique qui sévit dans les prisons; le surpeuplement, l'insalubrité et l'absence de soins médicaux se sont traduits par la prévalence élevée des cas de maladies infectieuses et un taux de mortalité très inquiétant, en particulier parmi les jeunes détenus. Le Comité souligne que l'Etat partie ne respecte pas les dispositions de l'article 10 du Pacte selon lesquelles toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
17. Le Comité s'inquiète du maintien de relations étroites entre le procureur et les juges; il craint qu'en l'absence d'une loi assurant l'indépendance de la magistrature, l'impartialité des décisions ne puisse être garantie et que le pouvoir exécutif n'exerce des pressions sur le pouvoir judiciaire.
18. Le Comité note avec inquiétude que la procédure suivie devant les tribunaux ne répond pas aux conditions requises à l'article 14 du Pacte; ainsi, bien que la loi prévoie l'accès à l'assistance d'un conseil, dans la pratique l'excès de bureaucratie y fait obstacle.
19. Le Comité regrette que malgré l'élimination de la propiska, il demeure des obstacles à la liberté de circulation dans le pays. Il note avec préoccupation que la corruption demeure étendue dans ce domaine.
20. Le Comité souligne que les qualifications vagues et de caractère seulement général des crimes et la difficulté qu'il y a à en cerner les éléments constitutifs (insubordination, sabotage, etc.) ont permis d'engager des poursuites contre des opposants politiques au Gouvernement.
21. Le Comité regrette qu'en raison de l'absence de législation concernant l'exercice de la liberté d'association, il n'ait pas été possible de créer des syndicats pour permettre aux travailleurs d'exercer les droits qui leur sont reconnus par l'article 22 du Pacte.
22. Le Comité est préoccupé par l'augmentation du nombre d'enfants touchés par la pauvreté et les bouleversements sociaux et l'augmentation parallèle du nombre d'enfants des rues, des délinquants et des toxicomanes.
23. Le Comité invite le Gouvernement à fournir à toutes les personnes qui relèvent de sa juridiction une voie de recours utile et une indemnisation pour les violations des droits de l'homme dont il a été établi qu'elles se sont produites depuis l'accès du pays à l'indépendance, en 1991.
24. Le Comité recommande à l'Etat partie de nommer un ombudsman dans les meilleurs délais et d'établir des procédures pour donner effet à ses constatations au titre du Protocole facultatif. Il exhorte le Gouvernement à assurer la légitimité et l'autorité du Comité des droits de l'homme et des relations ethniques et à définir les rapports qui doivent s'établir entre le Comité et l'ombudsman.
25. Le Comité engage les autorités à maintenir le moratoire sur les exécutions et à poursuivre sérieusement leurs efforts en vue d'abolir la peine capitale.
26. Le Comité recommande à l'Etat partie d'entreprendre des enquêtes systématiques et impartiales sur toutes les plaintes de mauvais traitements et de tortures, de traduire en justice les personnes inculpées de violations à la suite de ces enquêtes et d'indemniser les victimes. Les aveux obtenus sous la contrainte devraient être systématiquement exclus des procédures judiciaires et, l'Etat partie ayant admis que la torture avait été largement pratiquée dans le passé, toutes les condamnations fondées sur des aveux qui auraient été obtenus sous la torture devraient être revues.
27. Le Comité recommande de procéder à la détention, y compris provisoire, conformément aux exigences de la Constitution et du Pacte. Il souligne notamment que toutes les personnes qui sont arrêtées doivent immédiatement avoir accès à un conseil, être examinées sans retard par un médecin et pouvoir soumettre rapidement une requête à un juge lui demandant de statuer sur la légalité de leur détention.
28. Le Comité invite instamment l'Etat partie à prendre d'urgence des mesures pour améliorer la situation dans les prisons, la situation sanitaire en particulier. Il l'invite à renoncer progressivement à recourir à l'emprisonnement pour réprimer des infractions d'ordre mineur et à la détention provisoire pour des laps de temps excessifs.
29. Le Comité recommande aux autorités de mettre un terme une fois pour toutes aux restrictions qui pèsent sur la liberté de circulation dans le pays et sur le droit de quitter le pays.
30. Le Comité exhorte l'Etat partie à adopter une loi garantissant l'indépendance du pouvoir judiciaire et assurant sa totale indépendance vis-à-vis du ministère public et du pouvoir exécutif.
31. Le Comité invite instamment l'Etat partie à garantir les droits énoncés à l'article 14 du Pacte, en particulier en remédiant aux déficiences dont souffre l'exercice du droit de se défendre et du droit de recours. L'instauration d'un barreau indépendant est, de l'avis du Comité, une condition préalable nécessaire à la jouissance effective de ces droits.
32. Le Comité recommande sérieusement à l'Etat partie, dans le cadre de la révision du Code pénal, d'abroger les dispositions qui permettent sous couvert de faire respecter la loi d'engager des poursuites contre des opposants politiques en raison de leurs convictions.
33. Le Comité invite l'Etat partie à adopter des lois qui donnent toute liberté à des syndicats pour se créer et mener leurs activités de défense des droits des travailleurs.
34. Le Comité exhorte l'Etat partie à prendre d'urgence des mesures pour protéger les enfants conformément aux dispositions de l'article 24 du Pacte.
35. Le Comité recommande l'élaboration de programmes éducatifs et de formation en vue de développer une philosophie du respect des droits de l'homme dans tous les secteurs de la population, parmi les juges, les forces de sécurité et le personnel pénitentiaire notamment. Ces programmes devraient aussi insister sur le fait que les femmes sont en droit de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux.
36. Le Comité recommande que le rapport de l'Etat partie, ainsi que les observations finales adoptées par le Comité, soient largement diffusés et que le texte du Pacte soit diffusé dans toutes les langues couramment utilisées dans le pays.