Convention Abbreviation: CCPR
COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME
Cinquante-sixième session
1. Le Comité a examiné le rapport initial du Guatemala (CCPR/C/81/Add.7 et HRI/CORE/1/Add.47) à ses 1486e, 1488e et 1489e séances, les 26 et 28 mars 1996 (CCPR/C/SR.1486, SR.1488 et SR.1489). Par la suite, à sa 1499e séance, le 3 avril 1996, le Comité a adopté les observations ci-après :
2. Le Comité accueille avec intérêt le rapport initial présenté par l'État partie et se félicite du dialogue franc et fructueux que la délégation a engagé avec lui. Il regrette toutefois que le rapport, tout en donnant des renseignements sur les normes législatives générales en vigueur au Guatemala, ne traite pas de l'application pratique du Pacte et des problèmes rencontrés à ce sujet, problèmes que la délégation a admis avec une franchise que le Comité apprécie. Le Comité s'est félicité de la présence d'une délégation compétente qui lui a donné des renseignements utiles en répondant à ses questions et lui a ainsi permis de se faire une idée plus précise de la situation générale des droits de l'homme dans l'État partie.
3. Le Comité note que le Guatemala souffre toujours des effets d'une longue guerre civile, qui a dévasté le pays depuis plus de quatre décennies. Ce conflit a occasionné des violations grossières et massives des droits de l'homme et, bien que certaines mesures aient été prises récemment pour parvenir à la paix, les parties au conflit n'ont pas encore négocié la fin de la guerre. La situation d'affrontement armé qui prévaut depuis que le Guatemala a ratifié le Pacte a donné lieu à de graves violations des droits de l'homme. Le conflit armé a également subordonné l'autorité du gouvernement civil au pouvoir des militaires, ce qui est incompatible avec les fonctions légitimes des autorités librement élues et va à l'encontre du but des élections.
4. Le Comité note également que divers secteurs de la population, en particulier les personnes qui sont ou ont été membres des forces armées ou fonctionnaires, ou qui détiennent le pouvoir économique, continuent à profiter d'un climat d'impunité qui suscite les violations les plus graves des droits de l'homme et s'oppose à l'instauration de la primauté du droit dans l'État partie.
5. Le Comité note en outre que les disparités économiques et sociales sont omniprésentes dans le pays. Les niveaux élevés de pauvreté et d'analphabétisme, le manque de perspectives d'avenir, et la discrimination contre la population autochtone, les femmes et les pauvres contribuent à la violation généralisée des droits de l'homme.
6. Le Comité exprime sa satisfaction des changements positifs en faveur de la protection des droits de l'homme survenus depuis la signature, le 7 août 1987, des accords de paix en Amérique centrale. Il note les progrès réalisés vers l'ouverture d'un dialogue de nature à mettre fin à la situation de conflit armé et à aboutir à l'établissement de l'état de droit. À cet égard, le Comité prend acte de la signature, le 29 mars 1994, de l'Accord global relatif aux droits de l'homme et, par voie de conséquence, de la création de la Mission des Nations Unies au Guatemala (MINUGUA), dotée d'une composante "droits de l'homme", ainsi que de la conclusion de l'Accord sur la réinstallation des populations déplacées par l'affrontement armé le 23 juin 1994.
7. Le Comité se félicite que le Gouvernement en place ait l'intention de parvenir à une paix stable et durable au Guatemala et qu'il se déclare désireux de mettre un terme aux graves violations des droits de l'homme et de créer un cadre politique, constitutionnel et juridique permettant l'application intégrale des droits consacrés dans le Pacte. Le Comité se félicite également de la fin des actions militaires offensives décrétée par l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque ainsi que de la cessation des opérations gouvernementales contre les insurgés décrétée par le Président Arzú. Le Comité note en outre avec satisfaction la suppression du service militaire obligatoire, ce qui facilitera la démilitarisation du pays.
8. À cet égard, le Comité prend acte avec satisfaction des mesures positives prises par le Gouvernement récemment élu, telles que la destitution de certains officiers supérieurs des forces armées et la reprise du dialogue avec l'opposition armée le 22 février 1996. Il constate également avec satisfaction que le poste de commissaire militaire (Comisionado Militar) a été supprimé et que plus de 14 000 membres des forces de sécurité ont été démobilisés.
9. Le Comité se félicite de la ratification du Pacte par le Guatemala en 1992, ainsi que de l'adoption par le Congrès d'une législation approuvant la ratification du Protocole facultatif. Il note avec satisfaction que les représentants de l'État partie ont indiqué que le Guatemala déposera son instrument de ratification du Protocole facultatif dans les prochains jours.
10. Le Comité se félicite de la création du Bureau du Procureur chargé des droits de l'homme et de la Commission présidentielle de coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits de l'homme. Le Comité se félicite également de la réforme juridique entreprise dans certains domaines, notamment de l'adoption d'amendements constitutionnels visant à mettre le droit guatémaltèque en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l'homme, de l'adoption d'un nouveau code de procédure pénale et de la promulgation d'une nouvelle loi relative au Bureau du ministère public (Ley Orgánica del Ministerio Público) concernant les enquêtes relatives aux violations des droits de l'homme et les peines les sanctionnant.
11. Le Comité prend note avec satisfaction de la législation récente faisant de la torture, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires des infractions punissables au Guatemala. Il note également avec satisfaction les nouvelles mesures prises récemment pour restreindre le pouvoir des tribunaux militaires et porter les affaires de violations des droits de l'homme commises par des membres de l'armée et des forces de sécurité devant les tribunaux civils.
12. Le Comité se félicite de la tenue récente d'élections et du fait que l'échec d'une tentative de coup d'État ait renforcé l'autorité investie dans les dirigeants librement élus.
13. Le Comité déplore le fait que l'absence d'une politique de lutte contre l'impunité n'ait pas permis d'identifier, de mettre en jugement et de châtier les personnes reconnues coupables, ni d'indemniser les victimes. Le Comité juge préoccupants les retards et le non-respect des garanties d'une procédure régulière, ainsi que le non-respect par la police des décisions et ordonnances des tribunaux, qui ont renforcé le septicisme du public à l'égard de l'efficacité de la justice.
14. Le Comité s'inquiète de la persistance de violations des droits de l'homme au Guatemala, en particulier de violations graves et systématiques du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne commises par des groupes paramilitaires, dont bon nombre ont des liens avec les forces de sécurité de l'État.
15. Le Comité craint que l'extension de la peine de mort, telle que prévue, ne soit pas conforme aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
16. Le Comité prend note avec inquiétude d'informations faisant état d'exécutions sommaires, de disparitions, de tortures, de viols et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, d'arrestations arbitraires et de détentions de personnel par des membres de l'armée et des forces de sécurité ou par des groupes paramilitaires et autres groupes ou individus armés (notamment les patrouilles d'autodéfense civiles et les anciens commissaires militaires).
17. Le Comité s'inquiète des cas de violence exercée contre la population rapatriée, qui ont entraîné des exécutions extrajudiciaires, des disparitions et des tortures ou mauvais traitements. À cet égard, il est préoccupé par la conduite de membres des patrouilles d'autodéfense civiles qui se sont prévalus de leurs fonctions pour harceler des rapatriés.
18. Le Comité note avec inquiétude que des membres de différents secteurs sociaux, en particulier des juges, des avocats, des journalistes, des militants des droits de l'homme, des syndicalistes et des membres de partis politiques sont en butte à des pratiques d'intimidation, des menaces de mort, et sont parfois même assassinés, ce qui fait gravement obstacle à l'exercice légitime de leurs fonctions. Le Comité déplore que des mesures efficaces n'aient pas encore été prises pour empêcher que de tels actes ne se produisent à nouveau.
19. Le Comité est préoccupé par le fait que les juges sont soumis à la supervision d'un organe de l'Exécutif, ce qui peut porter atteinte à leur indépendance.
20. Le Comité déplore la situation des enfants des rues au Guatemala qui sont victimes de graves violations de leurs droits de l'homme au regard du Pacte, en particulier le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture et aux mauvais traitements. Le Comité s'inquiète de l'ampleur des violences exercées contre les enfants des rues par des personnes occupant des postes d'autorité, notamment la police publique et privée.
21. Le Comité s'inquiète de coutumes et de traditions guatémaltèques qui perpétuent la discrimination à l'égard des femmes. Il se déclare particulièrement préoccupé par la déclaration de la délégation selon laquelle les institutions de l'État se trouvent souvent dans l'impossibilité de s'occuper des problèmes touchant la population féminine. Le Comité est tout aussi préoccupé par la violence au foyer, qui ne touche pas seulement les femmes mais aussi les enfants.
22. Le Comité se déclare préoccupé par les conséquences de la violence qui règne dans le pays sur la jouissance par les membres des groupes autochtones des droits qui leur sont reconnus aux termes de l'article 27 du Pacte. À cet égard, le Comité s'inquiète du fait que, malgré la signature d'un accord, le 31 mars 1995, entre le Gouvernement et l'opposition armée, relatif à l'identité et aux droits de la population autochtone, la loi sur les communautés autochtones prévue par l'article 17 de la Constitution n'a pas encore été promulguée.
23. Le Comité est préoccupé par les restrictions apportées au droit d'association, en particulier sur les lieux de travail. À cet égard, il s'inquiète de l'ampleur de la violence exercée contre des syndicalistes et des pratiques d'intimidation utilisées par des agents d'opérations en mer ainsi que du nombre élevé de grèves qui sont déclarées illégales.
25. Le Comité invite instamment le Gouvernement à continuer à oeuvrer au processus de réconciliation nationale qui peut apporter une paix durable à la société guatémaltèque. Le Gouvernement devrait prendre toutes les mesures appropriées pour empêcher les cas d'impunité et, en particulier, permettre aux victimes de violations des droits de l'homme de découvrir la vérité au sujet des actes commis, d'en connaître les auteurs, et d'obtenir une indemnisation appropriée.
26. Le Comité recommande que l'État partie s'efforce de traduire en justice les auteurs de violation des droits de l'homme, quel que soit le poste qu'ils aient occupé, conformément au Pacte. Il exhorte l'État partie à enquêter sur les allégations de violation des droits de l'homme passées et présentes, à agir en fonction des conclusions de ces enquêtes, à traduire les suspects en justice, à punir les coupables et à indemniser les victimes de tels actes. Les personnes reconnues coupables de violations de droits de l'homme devraient être exclues des forces armées ou des forces de sécurité et châtiées en conséquence.
27. Le Comité recommande que le Bureau du Procureur chargé des droits de l'homme et la Commission présidentielle de coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits de l'homme soient renforcés, s'agissant des ressources et de la juridiction, afin de pouvoir s'acquitter effectivement de leurs responsabilités.
28. Le Comité recommande de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire respecter les droits de l'homme par les membres de l'armée, des forces de sécurité et de la police. Il demande instamment que l'on engage une action vigoureuse et soutenue pour faire en sorte que les personnes responsables de violations des droits de l'homme ne soient pas réintégrées dans la police, dans l'armée ou dans les forces de sécurité. Il faudrait prendre immédiatement des mesures de démantèlement des groupes paramilitaires et autres, en particulier des patrouilles d'autodéfense civiles.
29. Le Comité recommande l'élaboration d'un programme éducatif permettant à tous les secteurs de la population, en particulier aux membres de l'armée, des forces de sécurité et de la police, ainsi qu'aux membres actuels et anciens des patrouilles d'autodéfense civiles, de développer une culture de tolérance et de respect des droits et de la dignité de l'homme.
30. Le Comité prie instamment le Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des mesures de protection et des mesures préventives, pour permettre aux membres des différents secteurs sociaux, en particulier aux juges, aux avocats, aux journalistes, aux militants des droits de l'homme, aux syndicalistes et aux membres de partis politiques de remplir leurs fonctions sans intimidation d'aucune sorte.
31. Le Comité recommande d'assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire et de promulguer une loi le réglementant.
32. Le Comité recommande de prendre les strictes mesures appropriées en vue d'assurer l'application la plus large possible de l'article 24 du Pacte, notamment la protection adéquate des enfants des rues. Des mesures rigoureuses doivent être prises pour punir les personnes reconnues coupables de violences, quelles qu'elles soient, contre des mineurs, en particulier contre ceux dont les conditions d'existence sont particulièrement difficiles.
33. Le Comité demande aussi instamment que la violence (en particulier au foyer) et les actes de discrimination à l'égard des femmes (comme le harcèlement sexuel sur les lieux de travail) soient considérés comme infractions punissables.
34. Le Comité recommande l'adoption de nouvelles mesures pour assurer la protection des membres des groupes autochtones contre la violence qui sévit dans le pays et leur permettre de jouir pleinement des droits qui leur sont reconnus aux termes de l'article 27 du Pacte, en particulier en ce qui concerne la préservation de leur identité culturelle, de leur langue et de leur religion. Il faudrait promulguer sans retard la législation relative à la protection des communautés autochtones.
35. Le Comité demande instamment que le respect des droits de l'homme soit institutionnalisé à tous les échelons du gouvernement et reconnu comme élément essentiel du processus de réconciliation et de reconstruction nationale. À cette fin, le Comité recommande qu'une éducation dans le domaine des droits de l'homme soit assurée à tous les niveaux de l'enseignement et que les présentes observations finales fassent l'objet d'une large diffusion.
36. Le Comité exhorte le Gouvernement guatémaltèque à restreindre l'application de la peine de mort aux crimes considérés comme les plus graves, conformément au paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte.
37. Le Comité prie instamment la MINUGUA de poursuivre ses activités dans le pays jusqu'à ce qu'elle certifie qu'elle s'est pleinement acquittée du mandat qui lui a été confié dans le domaine des droits de l'homme.