1. Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de l'Iraq (CCPR/C/103/Add.2) à ses 1626ème et 1627ème séances, le 27 octobre 1997, et a par la suite adopté à sa 1640ème séance, tenue le 5 novembre 1997, les observations finales ci-après.
2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de l'Etat partie, et constate qu'il a été soumis dans les délais prescrits et que l'Iraq se montre désireux de poursuivre le dialogue engagé avec le Comité. Il note avec regret que si le rapport apporte des précisions sur le cadre législatif en vigueur en Iraq, il n'évoque pas la façon dont sont concrètement mis en oeuvre les lois internes et le Pacte, ni les difficultés rencontrées à l'occasion de leur application. Le Comité se félicite par ailleurs de ce qu'une délégation venue de Bagdad a répondu aux questions posées par certains de ses membres et apporté des éclaircissements sur la situation en Iraq.
B. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
3. Le Comité est conscient que huit années de guerre avec la République islamique d'Iran ainsi que le conflit qui a fait suite à l'invasion du Koweït par l'Iraq ont entraîné la destruction d'une partie de l'infrastructure du pays et causé de grandes souffrances à la population, et ont créé en Iraq une situation économique et sociale très difficile.
4. Le Comité note que les sanctions et le blocus ont eu pour effet d'infliger des souffrances et de provoquer des pertes en vies humaines parmi la population iraquienne, en particulier parmi les enfants. Il rappelle au Gouvernement iraquien que, quelles que soient les difficultés, l'Etat partie reste tenu de s'acquitter des obligations contractées aux termes du Pacte.
5. Le Comité se félicite de l'adoption en 1996 du décret No 91 du Conseil du commandement de la Révolution, qui met un terme à l'application de la peine capitale et de l'amputation dans certains cas.
6. Le Comité se félicite de l'abrogation du décret No 111 du Conseil du commandement de la Révolution, de 1990, qui exemptait de poursuites les auteurs de certains "crimes d'honneur", notamment lorsque la victime était un membre de la famille de sexe féminin.
7. Le Comité est profondément préoccupé par le fait qu'en Iraq l'ensemble des pouvoirs sont concentrés entre les mains d'un exécutif qui n'est soumis à aucun contrôle et n'a de comptes à rendre à personne, que ce soit sur le plan politique ou autre. L'exécutif opère en l'absence de toute garantie et de tout mécanisme d'équilibre des pouvoirs conçu pour assurer une protection convenable des droits de l'homme et des libertés fondamentales conformément au Pacte. Cela semble être le facteur qui ait contribué le plus à nombre de violations des droits consacrés dans le Pacte en Iraq, tant en droit que dans la pratique.
8. Le Comité regrette que beaucoup des questions qu'il a posées au sujet d'allégations de graves violations des droits de l'homme soient restées sans réponse. En particulier, il relève avec une vive inquiétude que de nombreuses sources font état d'un grand nombre de cas d'exécutions sommaires, d'arrestations et de détentions arbitraires, de tortures et de mauvais traitements dont se rendraient coupables des agents des forces de sécurité et des forces armées, de disparitions de nombreuses personnes dont le nom est cité et de milliers de personnes dans le nord de l'Iraq ainsi que dans la région des marais située au sud du pays, ainsi que de déplacements forcés. A cet égard, le Comité déplore le manque de transparence avec lequel le Gouvernement a répondu à ces questions. Le Comité prend aussi note de la déclaration de la délégation selon laquelle une commission non gouvernementale a été chargée de s'occuper des disparitions et regrette de n'avoir pu obtenir aucun renseignement sur ses attributions, ni sur son pouvoir d'enquêter sur des disparitions involontaires, d'en traduire les responsables en justice et de prévenir et de réprimer par d'autres moyens les disparitions en Iraq. C'est pourquoi :
Le Comité recommande que toutes les allégations mentionnées ci-dessus fassent l'objet d'enquêtes approfondies, publiques et impartiales, que les résultats en soient publiés et que les auteurs de ces actes soient traduits en justice. L'Etat partie devrait donner dans son prochain rapport périodique des informations sur les attributions, les fonctions et les activités de la commission chargée de traiter des disparitions.
9. Le Comité regrette que des décrets provisoires portant atteinte à la mise en oeuvre de certains droits consacrés par le Pacte aient récemment été promulgués par le Conseil du commandement de la Révolution. De plus, il s'inquiète de ce que diverses dispositions de ces décrets, que l'Etat partie a cherché à justifier en faisant valoir qu'ils étaient provisoires, sont incompatibles avec certains droits consacrés par le Pacte qui ne peuvent donner lieu à aucune dérogation, tels que le droit à la vie, l'interdiction de la torture et le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. C'est pourquoi :
Le Comité recommande à l'Etat partie d'entreprendre une révision dans le détail des lois et décrets temporaires en vigueur en vue de les rendre conformes aux dispositions du Pacte. A cet égard, le Comité souligne qu'il ne peut être dérogé aux droits énoncés dans le Pacte que dans le respect de l'article 4 du Pacte.
10. Le Comité prend également acte avec une vive inquiétude de ce que les catégories de crimes passibles de la peine capitale se sont multipliées en vertu des décrets No 13 de 1992, No 9 de 1993, Nos 86, 95, 179 et 118 de 1994 et No 16 de 1995, et que sont incluses dans ces nouvelles catégories des infractions à caractère non violent et d'ordre économique. Ces mesures sont incompatibles avec l'obligation contractée par l'Iraq aux termes du Pacte de protéger le droit à la vie. C'est pourquoi :
Le Comité recommande à l'Iraq d'abolir la peine capitale pour les crimes qui ne figurent pas parmi les crimes les plus graves, conformément au paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, et d'envisager l'abolition de la peine de mort. A cet égard, l'Etat partie devrait tenir le plus grand compte des constatations faites par le Comité dans son Observation générale No 6 sur le droit à la vie, et en particulier de celles concernant la portée limitée de l'expression "crimes les plus graves".
11. Le Comité se déclare préoccupé par le fait que le décret No 115 du Conseil du commandement de la Révolution du 25 août 1994 viole les dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte, qui limite l'application de la peine capitale aux "crimes les plus graves", en stipulant que les personnes qui se sont soustraites au service militaire à plusieurs reprises sont passibles de la peine de mort et que ce texte comporte des dispositions à caractère rétroactif, contraires à l'article 15 du Pacte. Aussi le Comité recommande-t-il que :
L'application de ce décret soit suspendue sans plus attendre et que des mesures soient prises en vue de son abrogation.
12. Le Comité est profondément préoccupé par le fait que l'Iraq ait recouru à l'imposition de peines cruelles, inhumaines et dégradantes, telles que l'amputation et le marquage au fer rouge, qui sont incompatibles avec l'article 7 du Pacte. De même, il est profondément préoccupé par le décret No 109 du Conseil du commandement de la Révolution, en date du 18 août 1994, aux termes duquel toute personne dont la main a été amputée pour une infraction passible de cette peine doit être marquée au fer rouge entre les sourcils de la lettre "X", par l'application rétroactive de ce décret à des personnes déjà amputées et par l'explication donnée par la délégation, à savoir que ce châtiment est imposé pour faire la distinction entre les délinquants condamnés et les personnes mutilées au cours de la guerre. A cet égard :
L'application de tels châtiments devrait cesser immédiatement, et les lois et décrets prévoyant leur application, dont le décret No 109 de 1994 du Conseil du commandement de la Révolution, devraient tous être abrogés sans délai.
13. Le Comité est préoccupé par le fait que des lois relatives à la famille et à la succession qui sont incompatibles avec le principe de l'égalité des sexes consacré par le paragraphe 1 de l'article 2 et les articles 3, 23 et 26 du Pacte sont toujours en vigueur. C'est pourquoi :
Des mesures devraient être prises pour favoriser et instaurer la pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays, et pour éliminer dans la loi et dans les faits toute discrimination à l'égard des femmes.
14. Le Comité prend note avec préoccupation d'informations faisant état de restrictions imposées arbitrairement par les autorités au droit à la liberté de circulation en Iraq et à la liberté de quitter le territoire de l'Etat partie, en violation des obligations contractées par l'Iraq aux termes de l'article 12 du Pacte. C'est pourquoi :
Des mesures devraient être prises pour faire en sorte que l'article 12 soit respecté et, en particulier, pour réduire les frais administratifs afférents à la délivrance des passeports.
15. Le Comité note aussi avec préoccupation que les juridictions d'exception, qui sont habilitées à prononcer la peine de mort, ne présentent pas toutes les garanties de procédure requises par l'article 14 du Pacte, et qu'en particulier, le droit de faire appel d'une condamnation n'est pas garanti. Il relève aussi qu'outre la liste des infractions qui sont de la compétence de ces tribunaux spéciaux, le Ministre de l'intérieur et le Cabinet de la Présidence de la République ont le pouvoir discrétionnaire de renvoyer tout type d'affaire devant ces juridictions. A cet égard :
Tous les tribunaux ayant compétence en matière pénale ne devraient être composés que de juges indépendants et impartiaux, conformément au paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte. La compétence de ces juridictions devrait être strictement définie par la loi et les règles de procédure énoncées à l'article 14, y compris le droit de recours, devraient être pleinement respectées.
16. S'agissant de l'article 19 du Pacte sur le droit à la liberté d'expression, le Comité s'inquiète des graves restrictions qui pèsent sur le droit d'exprimer son opposition au Gouvernement ou à sa politique ou de les critiquer. Il s'inquiète aussi du fait que la législation punit les insultes proférées à l'encontre du Président de l'emprisonnement à perpétuité et, dans certains cas, de la peine de mort. La loi prévoit par ailleurs des châtiments sévères pour certaines infractions définies de manière floue en laissant aux autorités une importante marge d'interprétation, telles que le fait d'être à l'origine d'écrits préjudiciables au Président. De telles restrictions apportées à la liberté d'expression, qui, en pratique, empêchent tout débat d'idées et musèlent les partis politiques opposés au Parti baath au pouvoir, constituent une violation des articles 6 et 19 du Pacte et font obstacle à l'application de ses articles 21 et 22, qui consacrent les droits de réunion pacifique et d'association. C'est pourquoi :
Les lois pénales et les décrets imposant des restrictions aux droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association devraient être modifiés et mis en conformité avec les articles 19, 21 et 22 du Pacte.
17. Le Comité est préoccupé par les restrictions, les interdictions et la censure imposées à la création et au fonctionnement d'organes indépendants de radio et télédiffusion, ainsi qu'à la presse écrite, parlée et télévisée étrangère, qui ne sont pas conformes aux exigences du paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte. C'est pourquoi :
Il faudrait modifier les lois et décrets relatifs à la presse et aux autres moyens de communication de façon à les rendre conformes au paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte, qui consacre le droit de chacun à la "liberté d'expression, y compris la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix".
18. Le Comité est préoccupé par le fait qu'aux termes de l'alinéa c) de l'article 38 de la Constitution iraquienne, les membres du Conseil du commandement de la Révolution ne sont pas élus au suffrage universel et égal. Cette disposition est incompatible avec le droit des citoyens de prendre part à la direction des affaires publiques, consacré par les alinéas a) et b) de l'article 25 du Pacte. C'est pourquoi :
Le Comité recommande que des mesures soient prises en vue de donner aux citoyens le droit et la possibilité de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis.
19. Le Comité est aussi préoccupé par le fait que l'article 42 de la Constitution habilite le Conseil du commandement de la Révolution à promulguer des lois, décrets et décisions sans que ces textes soient soumis à un contrôle indépendant et fassent l'objet d'un examen propre à assurer leur compatibilité avec les dispositions du Pacte. C'est pourquoi :
Il faudrait veiller à ce que les personnes dont les droits peuvent être violés par ces lois, décrets ou décisions disposent d'un recours utile comme l'exige le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
20. Le Comité s'inquiète de la situation des membres de minorités religieuses et ethniques ainsi que d'autres groupes qui font l'objet de discrimination en Iraq, en particulier la population chiite de la région des marais située au sud du pays et les Kurdes. Le Comité regrette aussi de n'être pas informé de la situation d'autres minorités telles que les Turkmènes, Assyriens, Chaldéens et chrétiens, ni de la façon dont leurs droits sont respectés en vertu des articles 26 et 27 du Pacte. A cet égard, le Comité appelle l'attention sur son Observation générale No 23 (50) relative à l'article 27 du Pacte. En outre :
Le Comité recommande que soient adoptées des mesures destinées à garantir aux membres de tous les groupes religieux ainsi qu'aux minorités ethniques et linguistiques la jouissance de leurs droits en toute égalité, et que dans son prochain rapport périodique, l'Etat partie fournisse des informations sur la mise en oeuvre des articles 26 et 27 du Pacte.
21. Le Comité prend note avec inquiétude d'informations qui lui sont parvenues concernant les difficultés rencontrées par les organisations non gouvernementales souhaitant s'établir et travailler en Iraq. C'est pourquoi :
Le Comité recommande que des mesures soient prises sans délai afin de faciliter l'établissement et la liberté d'action d'organisations non gouvernementales indépendantes, en particulier celles qui oeuvrent dans le domaine des droits de l'homme.
22. Le Comité appelle l'attention du Gouvernement iraquien sur les dispositions des Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports communiqués par les Etats parties et lui demande de fournir dans son prochain rapport périodique, qui doit être présenté le 4 avril 2000, des renseignements qui tiennent compte de chacune des présentes observations finales. Le Comité demande en outre que ces observations finales soient largement diffusées parmi le grand public sur l'ensemble du territoire iraquien.