Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Soixante et unième session
1. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de la Jamaïque (CCPR/C/42/Add.15) de sa 1622ème à sa 1624ème séance, tenues les 23 et 24 octobre 1997, et a adopté, à sa 1641ème séance, tenue le 5 novembre 1997, par la suite les observations finales ci-après.
2. Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique présenté par l'Etat partie et se félicite de la volonté manifestée par la délégation de renouer le dialogue avec le Comité, même s'il déplore d'avoir eu à attendre ce rapport durant plus de 15 ans. Le Comité regrette toutefois que bien que ce rapport apporte des informations utiles sur le cadre législatif général en place à la Jamaïque, il ne décrive pas de manière systématique la façon dont est effectivement appliqué le Pacte, et n'évoque pas toujours article par article les difficultés rencontrées dans sa mise en oeuvre.
3. Le Comité n'ignore pas que la Jamaïque a connu une situation économique difficile durant une grande partie de la période visée par le deuxième rapport périodique, et que le taux de criminalité violente y est élevé.
4. Le Comité est sensible au fait qu'à l'occasion de la réforme envisagée de la Constitution jamaïcaine, toute disposition contraire au Pacte qui pourrait découler de l'application de l'article 24 de la Constitution actuelle serait éliminée. Il exprime l'espoir que la recommandation de la Commission constitutionnelle tendant à ce que la nouvelle Charte des droits fasse expressément mention de l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe, sera mise en oeuvre dans le cadre de cette réforme.
5. Le Comité se félicite de la création, en 1993, d'une autorité chargée d'examiner les plaintes déposées contre la police, qui permet aux citoyens jamaïcains de demander réparation s'ils ont été maltraités par des policiers, ainsi que de l'obligation faite à cet organe de publier un rapport sur ses activités. Le Comité se félicite en outre de la mise en place d'une commission publique chargée d'enquêter au sujet des incidents qui ont eu lieu dans plusieurs établissements pénitentiaires en août 1997, incidents qui ont entraîné la mort de 16 détenus. Le Comité souhaite à cet égard souligner que les résultats des enquêtes menées par ces organes et les mesures prises par eux devraient être publiés aussi largement que possible et communiqués au Comité.
6. Le Comité est sensible au fait que la question de l'imposition de la peine capitale a été réexaminée par les autorités jamaïcaines au cours de la période considérée, et que ce réexamen a abouti à l'adoption de la loi de 1992 portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes, ainsi qu'à l'adoption de procédures en matière de représentation en justice, de classification des infractions, de peines incompressibles et de voies de recours.
7. Le Comité apprécie que, sur la base de la classification des crimes emportant la peine capitale, instaurée par la loi portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes, de décisions judiciaires et d'un certain nombre de constatations adoptées par le Comité en vertu du Protocole facultatif, de nombreuses condamnations à mort ont été commuées, ce qui a permis de réduire considérablement le nombre de prisonniers condamnés à mort.
8. Le Comité se félicite de ce que la rédaction d'un projet de loi visant à améliorer le système d'aide judiciaire à la Jamaïque est presque achevée : en vertu du système proposé, l'aide judiciaire sera étendue à tous les aspects de la procédure pénale et des recours, aux requêtes constitutionnelles, aux ordonnances de prérogative et aux ordonnances d'habeas corpus ainsi qu'à d'autres procédures civiles. Le Comité exprime l'espoir que le nouveau projet de loi sur l'aide judiciaire sera adopté et entrera en vigueur dès que possible, et que des ressources suffisantes seront consacrées à sa mise en oeuvre effective.
9. Le Comité se félicite de la mise en oeuvre en cours d'un programme de modernisation et de reconstruction des établissements pénitentiaires. D'après les informations communiquées par la délégation, les projets déjà approuvés et mis en oeuvre, comme par exemple la modernisation qui s'imposait depuis longtemps de la prison de district de St. Catherine et la construction d'un bâtiment destiné à remplacer le vieux Centre pénitentiaire pour adultes de Tower Street, permettront d'améliorer les conditions de détention, de remédier au surpeuplement des prisons et à d'autres conditions laissant à désirer. Le Comité se félicite de l'intention dont a fait état la délégation de modifier les règlements administratifs énumérant les objets que les prisonniers, quelle que soit la nature de leur condamnation, sont autorisés à conserver par devers eux, de telle sorte qu'ils seront autorisés à détenir de la correspondance dans leur cellule et auront accès aux pièces de leur dossier.
10. Le Comité prend acte avec un vif regret de la notification par laquelle la Jamaïque a dénoncé le Protocole facultatif. Si cet acte de dénonciation n'est pas retiré, il prendra effet le 23 janvier 1998. Le Comité affirme que :
a) Les constatations déjà adoptées par le Comité au sujet de communications examinées en vertu du Protocole facultatif resteront valables et devront être suivies d'effet;
b) Les communications en instance ou soumises avant le 23 janvier 1998, ne seront pas visées par la notification faite par la Jamaïque et seront examinées par le Comité en temps opportun;
c) La Jamaïque continuera d'être tenue par les dispositions du Pacte et d'avoir à répondre au Comité dans l'exercice de ses autres fonctions de suivi.
11. Le Comité considère que la notification du Gouverneur général en date du 7 août 1997, tendant à imposer unilatéralement un calendrier pour l'examen des communications par le Comité au titre du Protocole facultatif, ne saurait être invoquée pour justifier une quelconque mesure qui s'écarterait du Pacte, du Protocole facultatif ou de demandes de mesures conservatoires de protection formulées par le Comité.
12. Le Comité est préoccupé par la fréquence avec laquelle les femmes sont victimes de violences conjugales; c'est pourquoi il recommande de faire davantage d'efforts pour sensibiliser la population à la nécessité de respecter la dignité des femmes, d'adopter une législation qui offre des voies de recours aisément accessibles aux femmes en cas de violation de leurs droits fondamentaux et de mettre en oeuvre des programmes sociaux et éducatifs pour assurer le respect des droits des femmes en abolissant toute discrimination.
13. Le Comité note avec inquiétude que l'administration du système pénitentiaire de l'Etat partie continue de souffrir de graves lacunes. En particulier, le Comité considère les conditions de détention comme incompatibles avec l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus prescrites par les Nations Unies et avec l'article 10 du Pacte; des mesures sont à prendre pour ce qui est de l'insuffisance des installations sanitaires, de l'éclairage des cellules, du régime alimentaire des prisonniers, de la formation du personnel pénitentiaire, de l'aménagement des locaux où les condamnés reçoivent des visites (de leur famille et de leurs représentants en justice), et de la persistance des mauvais traitements infligés aux détenus. A cet égard,
14. Tout en prenant acte des tentatives en cours pour réformer le système de l'aide judiciaire, le Comité reste préoccupé par la façon dont l'assistance judiciaire est actuellement assurée. Cette situation est particulièrement inquiétante dans les cas où les intéressés encourent la peine capitale et où l'absence d'aide judiciaire équivaut à une violation de l'article 6 lu conjointement avec l'article 14 du Pacte. C'est pourquoi,
15. Le Comité est profondément préoccupé par le fait que la loi de 1903 portant réglementation de la flagellation et la loi de 1942 sur la lutte contre la criminalité, qui prévoient et réglementent les châtiments corporels à la fois en tant que peines infligées pour certains crimes et en tant que sanctions imposées en cas d'infraction à des règles pénitentiaires ou autres, sont toujours en vigueur. A cet égard,
16. Le Comité regrette que les informations sur la fréquence inquiétante avec laquelle la police et les forces de sécurité font usage de leurs armes à feu ne soient pas rendues publiques. C'est pourquoi,
17. S'agissant de l'administration de la justice et de la conduite des procès au pénal, en particulier lorsque les accusés encourent la peine de mort, le Comité est préoccupé de ce que, même si des progrès ont récemment été accomplis en ce qui concerne les délais d'examen des affaires à tous les stades de la procédure entre l'inculpation initiale et le recours final, des efforts restent encore à faire pour réduire ces délais. Cela est particulièrement vrai des délais s'écoulant entre le moment où le recours contre une condamnation à mort a été rejeté par la Cour d'appel de la Jamaïque et celui où une demande d'autorisation spéciale de recours est examinée par la section judiciaire du Conseil privé. C'est pourquoi,
18. Le Comité relève avec préoccupation que l'Etat partie ne respecte pas strictement le paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, ni la durée maximale imposée par la législation nationale à la détention provisoire. C'est pourquoi,
19. Le Comité est préoccupé d'apprendre que les cas de décès d'une personne qui se trouvait entre les mains de la police ou des forces de sécurité ne font pas tous l'objet d'une enquête du coroner. C'est pourquoi,
20. Le Comité a pris acte de l'information donnée par la délégation selon laquelle les écoutes téléphoniques restent une mesure administrative exceptionnelle. Il considère toutefois que le règlement administratif en vigueur est insuffisant pour assurer le respect de l'article 17 du Pacte. C'est pourquoi,
21. Le Comité appelle l'attention du Gouvernement jamaïcain sur les dispositions des directives générales concernant la forme et le contenu des rapports des Etats parties et lui demande d'incorporer dans son prochain rapport périodique, qui doit être présenté le 7 novembre 2001, des informations qui répondent à chacune des présentes observations finales. Il lui demande en outre de diffuser largement les présentes observations finales auprès du public en général, sur l'ensemble du territoire jamaïcain.