University of Minnesota



Observations finales du Comité des droits de l'homme, Kenya, U.N. Doc.
CCPR/CO/83/KEN (2005).



FRANÇAIS
Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME
Quatre‑vingt‑troisième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

KENYA

1. Le Comité des droits de l’homme a examiné le deuxième rapport périodique du Kenya (CCPR/KEN/2004/2) à ses 2255 e et 2256 e séances, les 14 et 15 mars 2005 (CCPR/C/SR.2255 et 2256). Il a adopté les observations finales ci‑après à sa 2271 e séance, le 24 mars 2005 (voir CCPR/C/SR.2271).

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique du Kenya. Il regrette toutefois que ce rapport lui ait été soumis avec plus de 18 années de retard et ne renseigne pas suffisamment sur les mesures concrètes prises pour donner effet au Pacte ni sur l’application pratique des garanties qu’il prévoit. Le Comité salue les efforts de la délégation pour répondre, oralement et par écrit, à ses questions et le fait qu’elle se soit engagée à ce que le prochain rapport périodique soit soumis dans les délais impartis. Il se félicite de la réouverture d’un dialogue trop longtemps interrompu avec l’État partie.

B. Aspects positifs

3. Le Comité note avec satisfaction que le nouveau projet de constitution de l’État partie comporte un projet de Charte des droits qui s’inspire des normes internationales relatives aux droits de l’homme et vise à remédier aux lacunes actuelles concernant la protection des droits fondamentaux, y compris l’inégalité entre les sexes. Il espère qu’une Charte des droits sera adoptée prochainement. 4. Le Comité se félicite de la mise en place en 2003 de la Commission indépendante des droits de l’homme du Kenya et espère que celle-ci sera dotée de ressources suffisantes pour lui permettre de s’acquitter efficacement de l’ensemble de ses attributions et de fonctionner conformément aux Principes de Paris.

5. Le Comité apprécie la prudence dont fait preuve le législateur kényen concernant le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, qui a été rendu public afin de connaître les réactions des parties prenantes dans la société civile, et son intention d’équilibrer dans cette loi le souci de sécurité et la protection des droits de l’homme. Dans ce contexte, l’État partie est invité à tenir compte des considérations figurant dans l’Observation générale n o  29 du Comité concernant les dérogations en période d’état d’urgence et l’Observation générale n o  31 relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte.

6. Le Comité a appris avec satisfaction que le Kenya interdisait maintenant toutes les formes de châtiments corporels pratiqués sur les enfants, et note que cette interdiction devrait s’accompagner de vastes campagnes d’information et d’éducation.

7. Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la loi de 2003 portant modification du Code pénal qui interdit à la justice d’admettre des aveux, à moins qu’ils n’aient été faits devant le tribunal.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

8. Le Comité relève que le Pacte n’a pas été incorporé au droit interne et que les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles du Pacte, ne soient pas dans la pratique invoquées devant les tribunaux. Il souligne que les garanties prévues par le Pacte sont applicables et que le Pacte peut être invoqué devant les tribunaux nationaux indépendamment du fait que l’État partie soit ou non partie au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité invite l’État partie à prendre les mesures appropriées pour que les droits protégés par le Pacte puissent être invoqués devant les tribunaux nationaux.

9. Le Comité note avec préoccupation que, du fait, entre autres choses, de la corruption largement répandue dans la pratique, les citoyens kényens n’ont qu’un accès limité aux tribunaux nationaux et aux recours judiciaires. L’inexécution fréquente des décisions et jugements est une cause supplémentaire de préoccupation (art. 2 du Pacte).

L’État partie doit veiller à ce que toutes les personnes relevant de sa juridiction aient accès en toute égalité aux recours judiciaires et autres recours.

10. Le Comité note avec préoccupation que les femmes continuent de faire systématiquement l’objet de discrimination aussi bien en droit qu’en fait. En témoignent la faible représentation des femmes au Parlement et dans la fonction publique, en dépit des progrès récents réalisés dans ce domaine, les inégalités concernant l’exercice des droits de propriété, la pratique discriminatoire de «l’héritage de l’épouse» et les inégalités sanctionnées par le droit en matière de succession ou d’héritage. En outre, l’application persistante de certaines lois coutumières, y compris l’autorisation de la polygamie, restreint la portée des dispositions antidiscriminatoires qui figurent dans la Constitution et autres lois (art. 2, 3, 23, 24 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures pour remédier à l’absence dans la Constitution de dispositions garantissant aux femmes une protection contre la discrimination et les inégalités, et intensifier ses efforts pour leur assurer une protection, par l’intermédiaire de la Commission nationale de la promotion de la femme et du développement ou d’une autre manière. Le projet de loi visant à assurer l’égalité des droits entre époux en ce qui concerne le mariage, le divorce, la transmission des biens et autres droits devrait être adopté sans délai. L’État partie devrait interdire les mariages polygames.

11. Le fait, reconnu par la délégation kényenne, que les femmes soient toujours régulièrement victimes de violences domestiques au Kenya et qu’elles ne bénéficient d’aucune protection juridique appropriée contre les violences sexuelles, fléau également répandu (art. 7 et 10 du Pacte), préoccupe beaucoup le Comité.

L’État partie devrait adopter des mesures concrètes et efficaces pour lutter contre ces formes de violence. Il devrait sensibiliser l’ensemble de la société à ce problème, veiller à ce que les auteurs de telles violences fassent l’objet de poursuites et apporter aide et protection aux victimes. Le projet de loi concernant la protection de la famille (violences domestiques) devrait être promulgué aussitôt que possible.

12. Le Comité demeure préoccupé de ce qu’en dépit de l’interdiction des mutilations génitales sur les enfants (art. 14 de la loi relative à l’enfance de 2001) la pratique de l’excision des petites filles n’a pas disparu, en particulier dans les régions rurales du pays, et qu’aucun texte ne l’interdise en ce qui concerne les adultes (art. 3 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait redoubler d’efforts pour éliminer la pratique de l’excision, notamment en l’interdisant également pour les adultes, et en particulier renforcer la campagne lancée par le Ministère de la condition de la femme, des sports, de la culture et des services sociaux.

13. Le Comité se félicite qu’aucun condamné à mort n’ait été exécuté au Kenya depuis 1988, mais note avec préoccupation qu’un nombre non précisé mais important de personnes se trouvent sous le coup d’une condamnation à mort et que la peine capitale puisse être prononcée pour des délits qui n’ont pas de conséquences fatales ou gravissimes, tels le vol avec violence ou la tentative de vol avec violence qui ne peuvent être considérés comme des «crimes les plus graves», selon les termes du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.

L’État partie devrait envisager d’abolir de jure la peine de mort et d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il devrait supprimer dans les textes la possibilité de prononcer la peine capitale pour les délits qui n’entrent pas dans la catégorie des crimes visés au paragraphe 2 de l’article 6. Il devrait faire en sorte que tous les condamnés à mort qui ont épuisé les recours disponibles bénéficient d’une commutation de peine.

14. Le Comité est préoccupé par le taux de mortalité maternelle élevé enregistré au Kenya, qui est imputable, entre autres causes, au grand nombre d’avortements illégaux ou effectués dans de mauvaises conditions sanitaires (art. 6 du Pacte).

L’État partie devrait adopter des mesures visant à faciliter l’accès aux services de planification familiale pour toutes les femmes. Il devrait revoir sa législation relative à l’avortement afin de la mettre en conformité avec le Pacte.

15. Le Comité prend note avec satisfaction des récentes campagnes de sensibilisation et des activités du Conseil national de lutte contre le sida, mais il reste néanmoins préoccupé par le taux extrêmement élevé de décès causés par cette maladie et par l’inégalité des possibilités d’accès à un traitement approprié offertes aux personnes infectées par le VIH (art. 6 du Pacte).

L’État partie devrait prendre des mesures pour assurer que toutes les personnes infectées par le VIH aient accès en toute égalité à un traitement.

16. Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par certains services de police («brigades volantes») ou autres agents des forces de l’ordre. Il a pris note de l’intention de la délégation d’examiner cette question, mais il déplore que seul un très petit nombre d’affaires d’exécutions illégales par des agents des services de police ait fait l’objet d’enquêtes et donné lieu à des poursuites et que, le plus souvent, l’impunité de facto continue de régner (art. 2, 6 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait enquêter sans délai sur les rapports dénonçant des exécutions extrajudiciaires par la police ou autres agents des forces de l’ordre et veiller à ce que les responsables soient poursuivis. Il devrait envisager sérieusement la création d’un organe civil indépendant qui serait chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre la police.

17. Le Comité note avec préoccupation la différence entre le délai dans lequel les personnes inculpées d’un délit doivent comparaître devant un juge (24 heures) et le délai prévu dans les cas où une personne est inculpée d’un crime pouvant emporter la peine capitale (14 jours); un délai de 14 jours est incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité s’inquiète également de ce que la plupart des suspects n’ont pas accès à un avocat au début de la détention.

L’État partie devrait veiller à ce que les personnes accusées de meurtre, crime emportant la peine capitale, bénéficient pleinement des garanties prévues au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Il devrait également garantir aux individus placés en garde à vue le droit de voir un avocat dès les premières heures de la détention.

18. Le recours fréquent et abusif à la garde à vue et la pratique également fréquente de la torture dans ces circonstances préoccupent le Comité. Il s’inquiète en particulier du nombre extrêmement élevé de décès survenant en garde à vue, qui lui a été communiqué par la délégation. Il a pris note des explications de celle-ci, mais le fait que les personnels responsables d’actes de torture fassent rarement l’objet de poursuites et que les formules de dépôt de plaintes («formule P3») ne puissent être obtenues qu’auprès de la police elle‑même ne laissent pas de l’inquiéter. S’il se félicite de ce que la Commission nationale des droits de l’homme soit habilitée à se rendre librement sur les lieux de détention, il s’inquiète que la police lui en interdise parfois l’accès sans motif valable (art. 2, 6, 7 et 9 du Pacte).

L’État partie devrait prendre des mesures plus efficaces pour prévenir les placements abusifs en garde à vue, les tortures et autres mauvais traitements, et il devrait renforcer la formation dispensée au personnel compétent dans le domaine considéré. Il devrait s’assurer que les allégations de torture et autres mauvais traitements, ainsi que les décès en détention, fassent sans délai l’objet d’enquêtes approfondies confiées à un organe indépendant afin que les auteurs de ces actes soient traduits en justice, et veiller à ce que les formules officielles de dépôt de plaintes soient disponibles auprès d’un service public indépendant de la police. Il faudrait en particulier que les décisions de la Haute Cour concernant ces affaires soient sans délai suivies d’exécution. Le Comité recommande à l’État partie de lui fournir des renseignements détaillés sur les dépôts de plaintes dénonçant de tels actes et sur les sanctions disciplinaires et pénales qui ont été imposées à leurs auteurs au cours des cinq dernières années. L’État partie devrait appliquer rigoureusement la loi exigeant que la Commission nationale des droits de l’homme ait librementaccès aux lieux de détention.

19. Le Comité prend note des efforts qu’a faits l’État partie pour améliorer les conditions de détention et désengorger les établissements pénitentiaires en adoptant la loi sur les ordonnances relatives aux travaux d’intérêt général, mais il demeure préoccupé par la situation dans les prisons, en particulier en ce qui concerne les conditions sanitaires et les possibilités d’accès aux soins de santé et à une alimentation suffisante. Il s’inquiète de l’extrême surpeuplement des prisons, qui a été reconnu par la délégation et qui, s’ajoutant aux carences sanitaires et médicales, crée des conditions de détention qui peuvent avoir des conséquences fatales (art. 7 et 10 du Pacte).

L’État partie doit garantir aux détenus le droit d’être traités avec humanité, dans le respect de leur dignité, et en particulier leur droit de vivre dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de bénéficier de soins de santé et d’une alimentation suffisante. Il conviendrait qu’il donne dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures prises pour remédier au surpeuplement des établissements pénitentiaires.

20. Le Comité reste préoccupé par les graves dysfonctionnements qui ont été signalés dans l’administration de la justice, et qui sont imputables essentiellement au manque de ressources humaines et matérielles ainsi qu’à la lenteur des procédures. Le Comité apprécie les mesures que le Gouvernement a prises récemment comme l’adoption de la loi réprimant la corruption et la criminalité économique, sa mise en application et la mise en place d’une commission nationale anticorruption, qui ont entraîné la démission ou la suspension de nombreux juges de la Haute Cour et de la cour d’appel, mais il constate que les allégations de corruption judiciaire persistent, ce qui compromet gravement l’indépendance et l’impartialité de la justice (art. 2 et 14 du Pacte).

L’État partie devrait s’efforcer en priorité de lutter contre la corruption dans le système judiciaire et veiller à ce que les ressources complémentaires indispensables à l’administration de la justice soient fournies.

21. Le Comité s’inquiète que seules les personnes inculpées de meurtre et risquant la peine capitale bénéficient à l’heure actuelle d’une aide juridictionnelle et que celles qui sont inculpées d’autres délits graves pour lesquels elles sont ou non passibles de la peine capitale ne bénéficient d’aucune aide judiciaire (art. 14, par. 3 d), du Pacte).

L’État partie devrait veiller à ce que tous les individus inculpés dans une quelconque procédure pénale bénéficient d’une aide judiciaire lorsque les intérêts de la justice l’exigent. Il faudrait s’employer activement à développer, comme cela est envisagé, le système d’aide juridictionnelle.

22. En dépit des explications données par la délégation, le Comité reste préoccupé par les informations faisant état d’expulsions forcées de milliers de personnes installées dans des établissements dits sauvages à Nairobi et en d’autres endroits du pays, sans que les populations concernées aient été consultées ni même préalablement averties. Ces expulsions arbitraires portent atteinte aux droits garantis par le Pacte, en particulier les droits visés à l’article 17.

L’État partie devrait élaborer des politiques et procédures transparentes concernant les expulsions et veiller à ce qu’il n’y soit pas procédé sans que les intéressés aient été consultés et que des arrangements appropriés aient été prévus en vue de leur réinstallation.

23. Le Comité note avec préoccupation que les réunions publiques politiques importantes sont subordonnées à une obligation de notification de trois jours au moins avant la date prévue, en vertu de l’article 5 de la loi concernant l’ordre public, et que des manifestations publiques ont été interdites pour des raisons qui semblent n’avoir rien à voir avec les raisons prévues à l’article 21 du Pacte. Le fait qu’aucun recours ne soit prévu en cas de refus d’autorisation et que les manifestations non autorisées soient parfois dispersées par la force donne également matière à préoccupation (art. 21, par. 2).

L’État partie devrait garantir le droit de réunion pacifique et n’imposer que les restrictions nécessaires dans une société démocratique.

24. Le Comité est préoccupé par le très jeune âge fixé pour la responsabilité pénale, à savoir 8 ans (par. 190 du rapport), ce qui ne peut pas être considéré comme compatible avec l’article 24 du Pacte.

L’État partie est instamment engagé à relever l’âge minimum de la responsabilité pénale.

25. Le Comité est préoccupé par les allégations de traite d’enfants et les cas de prostitution d’enfants, et s’inquiète également de ce que les délits de trafic dont les autorités ont eu connaissance n’ont pas donné lieu à poursuites et sont restés impunis et que les victimes ne bénéficient pas d’une protection suffisante (art. 8 et 24).

L’État partie devrait adopter une législation spécifique réprimant la traite des êtres humains et prévoyant la protection des droits fondamentaux des victimes, et veiller à ce que des enquêtes soient diligemment menées sur les affaires de traite qui doivent donner lieu à des poursuites. Il devrait également veiller à ce que le Gouvernement, à tous les niveaux, s’implique dans une politique visant l’élimination de la traite et la fourniture d’une assistance aux victimes.

26. Le Comité a pris note des efforts déployés par l’État partie pour régler la question du travail des enfants, mais continue d’être préoccupé par la prévalence du phénomène au Kenya, en particulier dans le secteur commercial et agricole (art. 8 et 24 du Pacte).

L’État partie devrait redoubler d’efforts pour réduire sinon éliminer le travail des enfants.

27. Le Comité note avec préoccupation que l’homosexualité continue d’être une infraction pénale, visée à l’article 162 du Code pénal (art. 17 à 26 du Pacte).

Il est instamment demandé à l’État partie d’abroger l’article 162 du Code pénal.

28. Le Comité fixe au 1 er avril 2008 la date à laquelle le Kenya devra lui soumettre son troisième rapport périodique. Il demande à l’État partie de veiller à ce que son deuxième rapport périodique accompagné des présentes observations finales soit publié et largement diffusé au Kenya, et à ce que son troisième rapport périodique soit distribué parmi les organisations non gouvernementales présentes dans le pays.

29. Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devra présenter dans un délai d’un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 10, 16, 18 et 20 ci-dessus. Il est prié d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux autres recommandations du Comité et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

 

 



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