Observations finales du Comité des droits de l'homme
République de Corée
2. Le Comité se félicite de la présentation, dans les délais impartis, du deuxième rapport périodique de la République de Corée. Il regrette cependant que, bien qu'il ait fait observer que le rapport initial de l'État partie ne renfermait pas suffisamment d'informations sur la mise en oeuvre des dispositions du Pacte dans la pratique, le deuxième rapport périodique souffre de la même lacune. Le Comité regrette en outre qu'il n'ait pas été répondu à un certain nombre de questions posées par ses membres lors de l'examen du rapport. Dans ces conditions, le Comité n'a pas été en mesure de s'assurer pleinement si l'État partie donne effet à toutes les dispositions du Pacte.
3. Le Comité est sensible au souci de sécurité que l'État partie manifeste et qui tient au fait qu'aucun accord final n'a été conclu entre les deux Corée. Il souligne cependant que les considérations de sécurité ne justifient pas en ellesmêmes les restrictions imposées à l'exercice des droits énoncés dans le Pacte et que, même lorsqu'un État partie est aux prises avec d'authentiques problèmes de sécurité, les restrictions à l'exercice desdits droits doivent répondre aux conditions posées par le Pacte.
4. Le Comité note avec satisfaction que le rapport a été diffusé auprès des organisations non gouvernementales, qui ont largement contribué à l'examen auquel il a procédé. Le Comité constate que la société est de plus en plus ouverte, comme en témoigne la suppression du Comité de surveillance des arts du spectacle.
5. Le Comité prend note de l'adoption d'un certain nombre de lois visant à renforcer la protection des droits énoncés dans le Pacte, en particulier le droit à l'égalité visé au paragraphe 1 de l'article 2 et aux articles 3 et 26 du Pacte. Il s'agit notamment de la loi fondamentale en faveur de l'avancement des femmes, des amendements à la loi relative à l'égalité dans le domaine de l'emploi, de la loi pour la promotion de l'emploi des handicapés, de la loi relative à la prévention de la discrimination fondée sur le sexe et à la promotion de l'égalité entre les sexes et de la loi relative à la prévention de la violence au foyer et à la protection des victimes.
6. Le Comité prend note des mesures adoptées pour sensibiliser davantage l'opinion publique au Pacte et aux droits de l'homme en général et qui portent notamment sur la formation obligatoire des juges, avocats et procureurs aux droits de l'homme. Il se félicite d'autre part de la traduction en coréen des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et de leur diffusion.
7. La place dans la législation interne des droits visés dans le Pacte demeure imprécise, essentiellement parce que la Constitution de la République Corée n'énumère pas tous ces droits et ne précise pas la mesure dans laquelle leur exercice peut être limité et les critères selon lesquels il peut l'être. Le Comité est préoccupé par le fait que l'article 6 de la Constitution, qui prévoit que les traités internationaux ratifiés par l'État partie ont le même effet que les lois internes, a été interprété comme signifiant que les lois promulguées après l'adhésion au Pacte l'emportent sur le Pacte.
8. Le Comité réitère sa grave préoccupation qu'il avait déjà exprimée à l'issue de l'examen du rapport initial à propos du maintien et de l'application de la loi sur la sécurité nationale. Selon l'État partie, la loi sur la sécurité nationale vise à faire face aux problèmes juridiques dus à la division de la Corée. Or le Comité craint qu'elle ne soit également utilisée pour élaborer en matière de détention, d'interrogatoire et de responsabilité matérielle des règles spéciales incompatibles avec divers articles du Pacte, dont les articles 9, 18 et 19.
9. Le Comité considère que le champ des activités susceptibles d'être considérées comme encourageant les "organisations hostiles à l'État" au sens de l'article 7 de la loi sur la sécurité nationale est excessivement large. Il ressort clairement des cas portés devant le Comité à travers des communications présentées par des particuliers en vertu du Protocole facultatif et d'autres informations qui lui sont parvenues à propos des poursuites engagées au titre dudit article 7, que les restrictions imposées à la liberté d'expression ne répondent pas aux conditions énoncées au paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte, en ce sens qu'elles ne sauraient être considérées nécessaires pour protéger la sécurité du pays. Le Pacte ne permet pas de restreindre l'expression des idées au simple motif qu'elles coïncident avec celles d'une entité ennemie ou qu'elles peuvent être considérées comme créant un courant de sympathie en faveur de cette entité. Le Comité souligne par ailleurs que les directives internes touchant la procédure en matière de poursuites n'offrent pas suffisamment de garanties contre l'invocation de l'article 7 d'une manière incompatible avec le Pacte.
10. Le Comité est profondément préoccupé par la législation et la pratique qui encouragent et renforcent des comportements discriminatoires visàvis des femmes. En particulier, le système selon lequel la famille est dirigée à la fois symbolise et renforce une société patriarcale dans laquelle les femmes ont un rôle subalterne. La pratique consistant à déterminer le sexe des foetus, le pourcentage disproportionné de garçons parmi les deuxièmes et les troisièmes enfants et le taux élevé de mortalité liée à la maternité qui s'explique apparemment par la fréquence des avortements non médicalisés sont fort inquiétants. Le Comité souligne que les comportements sociaux établis ne sauraient justifier l'inexécution par l'État partie des obligations qui lui incombent, en vertu des articles 3 et 26 du Pacte, d'assurer une égale protection de la loi et de garantir le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits énoncés dans le Pacte.
11. Tout en saluant les nouvelles lois adoptées par l'État partie en vue de prévenir et punir la violence au foyer, le Comité demeure préoccupé par l'ampleur de ce phénomène et les lacunes qui subsistent en droit et en fait. Plus précisément, le Comité note avec inquiétude que pour qu'il y ait viol il faut qu'il soit prouvé que la femme a résisté, que le violeur peut en guise de défense offrir le mariage à sa victime et que le viol conjugal ne semble pas être considéré comme une infraction pénale.
12. Le Comité est préoccupé par l'ampleur de la discrimination contre les femmes dans le domaine de l'emploi, par l'absence de mesures de protection appropriées pour les nombreuses femmes qui travaillent dans de petites entreprises et par l'écart existant entre les salaires des hommes et ceux des femmes.
13. Le code de procédure pénale, selon lequel la mise en détention d'un suspect n'est susceptible d'examen par un organe judiciaire que si l'intéressé forme un recours, est incompatible avec le paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, qui stipule que tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. La durée excessive de la détention provisoire autorisée (30 jours en cas de délit de droit commun et 50 jours dans les cas relevant de la loi sur la sécurité nationale) et l'absence d'obligation de motiver avec précision la mise en détention provisoire soulèvent par ailleurs des questions quant au respect par l'État partie de l'article 9.
14. Le Comité prend note des procédures d'inspection mensuelle par le parquet des conditions régnant dans les centres de détention, mais il est préoccupé par le fait que ces procédures et d'autres mécanismes existants ne suffisent pas pour prévenir la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants pouvant être infligés à des détenus. Le faible pourcentage de cas dans lesquels des plaintes pour torture ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ont donné lieu à des poursuites contre les responsables jettent un doute sur la crédibilité des procédures d'enquête en vigueur. Le Comité craint par ailleurs que la nonexécution par l'État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 9 du Pacte et l'acceptation, apparemment généralisée, par le parquet et les tribunaux, des aveux des accusés et des complices n'amènent ceux qui sont chargés des interrogatoires à se livrer à des actes de torture et à infliger des traitements cruels, inhumains ou dégradants à des détenus.
15. Le Comité se félicite de l'abolition du "serment de conversion à l'idéologie" mais regrette que celuici ait été remplacé par un "serment d'obéissance à la loi". Il n'est pas clair au vu des informations communiquées au Comité quels sont les détenus qui sont tenus de signer le serment et quels sont les conséquences et les effets juridiques de ce serment. Le Comité est préoccupé par le fait que l'obligation de serment s'applique, d'une façon discriminatoire, en particulier dans le cas des personnes condamnées en vertu de la loi sur la sécurité nationale et qu'en fait, elle astreint les personnes visées à faire le serment d'obéir à une loi qui est incompatible avec le Pacte.
16. Vu les maigres informations contenues dans le rapport et dans les réponses données par la délégation lors de son examen, le Comité regrette de ne pas être à même d'évaluer avec précision dans quelle mesure la magistrature est indépendante. Il est en particulier préoccupé par le système de reconduction des juges dans leurs fonctions, qui pose de graves problèmes sur le plan de l'indépendance de la magistrature.
17. Le large recours aux écoutes téléphoniques soulève de graves questions quant au respect par l'État partie de l'article 17 du Pacte. Le Comité est par ailleurs préoccupé par le fait qu'il n'existe pas de procédure adéquate permettant de modifier des renseignements inexacts figurant dans des bases de données ou de prévenir leur utilisation à mauvais escient ou à des fins abusives.
18. Il semblerait que l'interdiction de toute réunion sur les grandes artères de la capitale soit excessivement large. Certes, certaines restrictions au droit de réunion sur les grandes artères dans l'intérêt de l'ordre public sont permises, mais l'article 21 du Pacte exige que ces restrictions soient toutes conformes à la loi et nécessaires dans une société démocratique. Les restrictions absolues imposées par l'État partie au droit de réunion sur les grandes artères ne répondent pas à ces conditions.
19. Le Comité prend acte des modifications qui ont été apportées à la loi pour permettre aux enseignants de constituer des syndicats et aux fonctionnaires de créer des associations professionnelles. Le Comité n'en demeure pas moins préoccupé par le fait que les autres restrictions au droit des enseignants et autres fonctionnaires à la liberté d'association ne satisfont pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l'article 22 du Pacte.
20. Le Comité se félicite du retrait par l'État partie de ses réserves au sujet du paragraphe 4 de l'article 23 et du paragraphe 7 de l'article 14. Il recommande vivement à l'État partie de revoir ses autres réserves concernant le paragraphe 5 de l'article 14 et l'article 22, en vue de leur éventuel retrait.
21. Pour ce qui est de ses constatations sur les communications dont il est saisi en vertu du Protocole facultatif, le Comité juge inacceptable que l'État partie exige de l'auteur d'une communication à propos de laquelle le Comité a fait part de ses constatations qu'il fasse valoir ses droits devant les tribunaux nationaux, soit en formant un nouveau recours, soit en déposant une demande en réparation.
22. Le Comité encourage l'État partie à poursuivre ses efforts pour dispenser une formation aux droits de l'homme à ses fonctionnaires. Il recommande à l'État partie de songer à rendre cette formation obligatoire, non seulement pour les fonctionnaires, mais aussi pour les membres de toutes les professions ayant un rapport avec les droits de l'homme, dont les travailleurs sociaux et le personnel médical.
23. Le Comité demande à l'État partie de présenter son troisième rapport périodique d'ici au 31 octobre 2003. Ledit rapport devra être établi en fonction des directives adoptées par le Comité (CCPR/C/66/GUI) et faire une large place aux questions soulevées dans les présentes observations finales. Le Comité demande que lesdites observations finales et le prochain rapport du Comité fassent l'objet d'une large diffusion en République de Corée.