Convention Abbreviation: CCPR
COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME
Soixante-neuvième session
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE
Observations finales du Comité des droits de l'homme
Koweït
L'État partie devrait garantir que tous les droits énoncés dans le Pacte sont respectés et garantis, afin que tous les individus se trouvant sur le territoire du Koweït et relevant de sa compétence puissent jouir pleinement de ces droits et disposer de recours conformément à l'article 2 du Pacte.
4. Se référant à son Observation générale No 24 touchant les réserves (CCPR/C/21/Rev.1/Add.6), le Comité note que la "déclaration interprétative" de l'État partie concernant le paragraphe 1 de l'article 2, l'article 3 et l'article 23, ainsi que ses "réserves" concernant l'article 25 b) du Pacte soulèvent la grave question de la compatibilité de ces déclarations et réserves avec l'objet et le but du Pacte. En particulier, il note que les articles 2 et 3 du Pacte constituent des droits fondamentaux et des principes cardinaux du droit international qui ne sauraient être soumis à des "limites fixées par la législation koweïtienne". Ces limites vastes et de portée générale vont à l'encontre de l'objet et du but du Pacte tout entier.
Le Comité constate que la déclaration interprétative concernant les articles 2 et 3 contrevient aux obligations fondamentales qui incombent à l'État partie en vertu du Pacte; elle est donc sans effet juridique et n'a pas d'incidence sur les pouvoirs du Comité. Il prie instamment l'État partie de retirer ses déclarations interprétatives et ses réserves.
5. La discrimination à l'égard des femmes limite la possibilité, pour ces dernières, de jouir de leurs droits énoncés dans le Pacte. En particulier, en vertu de la loi sur le statut personnel, les femmes ne sont pas libres de se marier avant l'âge de 25 ans, sauf avec l'autorisation d'un tuteur, qui est généralement le père ou un juge, le droit des femmes d'épouser des citoyens non koweïtiens est soumis à des restrictions, et l'âge du mariage est différent pour les hommes et les femmes (17 ans pour les hommes, 15 ans pour les femmes). Le Comité constate avec préoccupation que la polygamie est toujours pratiquée au Koweït, que les hommes et les femmes qui commettent l'adultère ne sont pas traités de manière égale et que l'indulgence à l'égard de ce que l'on appelle les "crimes d'honneur" renforce l'inégalité entre les sexes.
Le Koweït doit rendre effective l'égalité des femmes en droit et en pratique et garantir le droit de ces dernières à la non-discrimination, ainsi qu'il est stipulé à l'article 26 du Pacte. La polygamie devrait être interdite par la loi. Le Comité rappelle son Observation générale No 28 sur l'égalité des droits entre hommes et femmes et invite instamment l'État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour sensibiliser la population, de façon à éradiquer les attitudes qui engendrent la discrimination envers les femmes dans tous les secteurs de la vie quotidienne et de la société.
6. Le Comité est très préoccupé par le fait que, en dépit des dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité, la législation électorale continue de priver totalement les femmes du droit de voter et de celui d'être élues à des fonctions publiques. Il note avec regret que les initiatives prises par l'Émir pour remédier à cette situation ont été rejetées par le Parlement.
L'État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer aux femmes le droit de voter et d'être élues sur un pied d'égalité avec les hommes, conformément aux articles 25 et 26 du Pacte.
7. Tout en se félicitant des progrès accomplis récemment par l'État partie - les femmes ont désormais accès à l'enseignement supérieur et à des postes de haut niveau dans la vie publique, y compris dans la profession juridique -, le Comité constate toujours avec préoccupation que le pourcentage de femmes qui occupent des postes de rang supérieur reste bas et que, s'il est vrai qu'il y a des femmes juges d'instruction, aucune n'exerce les fonctions de juge siégeant dans un tribunal.
L'État partie devrait faire en sorte que les femmes jouissent pleinement de leurs droits énoncés à l'alinéa c) de l'article 25 du Pacte.
8. Le Comité est extrêmement préoccupé par le grand nombre d'infractions passibles de la peine capitale, y compris des atteintes à la sécurité intérieure et extérieure, définies en des termes très vagues, ainsi que des délits liés à la drogue. Il déplore également que, selon la délégation, il y ait actuellement 28 personnes condamnées à mort et que la peine capitale ait continué d'être appliquée depuis l'entrée en vigueur du Pacte au Koweït.
L'État partie devrait faire en sorte que les dispositions de l'article 6 du Pacte soient strictement respectées et que la peine capitale ne soit imposée que pour les crimes considérés comme les plus graves, à l'issue de procès dans lesquels toutes les garanties d'une procédure équitable visées à l'article 14 du Pacte soient respectées. L'État partie est invité à envisager l'abolition de la peine capitale, dans l'esprit du paragraphe 6 de l'article 6 du Pacte.
9. Le Comité note que l'avortement est un délit en vertu de la législation koweïtienne et que celle-ci ne prévoit pas d'exception pour raisons humanitaires.
L'État partie devrait envisager de modifier la législation et prévoit des dispositions pour protéger le droit à la vie des femmes enceintes en application de l'article 6 du Pacte.
10. Le Comité est préoccupé par le nombre de personnes encore détenues en application de peines d'emprisonnement prononcées en 1991 par les cours martiales dans le cadre de procédures qui n'étaient pas conformes aux normes minimales fixées par l'article 14 du Pacte, en particulier aux principes de l'égalité devant les tribunaux, de l'impartialité du tribunal, de la présomption d'innocence, du droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense, et autres droits inhérents à une procédure équitable, énoncés aux paragraphes 3 et 5 de l'article 14 du Pacte.
Les cas des personnes encore détenues en application de ces verdicts devraient être examinés par un organe indépendant et impartial, et les intéressés devraient être indemnisés, s'il y a lieu, conformément au paragraphe 5 de l'article 9 et au paragraphe 6 de l'article 14 du Pacte.
11. Le Comité se déclare préoccupé par le grand nombre de cas signalés de personnes arrêtées en 1991 qui ont disparu par la suite, dont bon nombre étaient des Palestiniens possédant un passeport jordanien, des Kurdes et d'autres personnes ayant résidé au Koweït. La délégation déclare avoir connaissance d'un seul cas, alors que, d'après d'autres sources, le sort d'au moins 62 personnes, dont les noms ont été communiqués à l'État partie, demeure inconnu. Le Comité note avec satisfaction l'engagement de la délégation de recevoir et d'examiner cette liste de noms ainsi que d'autres et, à ce propos, rappelle que l'État partie coopère avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (voir le rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, E/CN.4/2000/64, par. 113 et 114).
Conformément au paragraphe 3 de l'article 2 et aux articles 6, 7 et 16 du Pacte, l'État partie devrait prendre des mesures concrètes pour clarifier chacun des cas de disparition et fournir des informations à ce sujet au Comité dans son prochain rapport.
12. Le Comité est préoccupé par le fait qu'une personne qui a été arrêtée peut être maintenue en garde à vue pendant quatre jours avant d'être traduite devant un magistrat instructeur; il note que, d'après le rapport et les explications orales fournies par la délégation, cette durée peut même être prolongée.
Le Comité fait observer que la durée de la garde à vue d'un individu avant sa présentation à un juge ne doit pas dépasser 48 heures. L'État partie doit veiller à ce que tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale soit traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires (par. 3 de l'article 9), que tous les autres aspects de sa législation et de sa pratique soient rendus conformes aux dispositions de l'article 9 du Pacte et que les personnes en état d'arrestation aient immédiatement accès à un conseil et puissent contacter leurs familles. Le nombre de personnes maintenues en détention avant jugement et la durée de cette détention devraient être indiqués avec précision dans le prochain rapport.
13. Le Comité est préoccupé par les informations concernant des actes de violence commis par la police koweïtienne, en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Cela étant, il note la coopération accrue de l'État partie avec des institutions internationales comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Comité international de la Croix-Rouge, ce qui facilite le suivi, à l'échelon international, de la situation dans les prisons.
Tous les cas d'actes de violence commis par la police ou le personnel pénitentiaire devraient faire l'objet d'enquêtes menées par des autorités indépendantes; les auteurs de ces actes devraient être poursuivis et les victimes indemnisées.
14. Le Comité ne saurait accepter la déclaration de la délégation selon laquelle il n'y a pas de minorités au Koweït. Étant donné la grande diversité de personnes se trouvant sur le territoire de l'État partie et relevant de sa compétence, il existe manifestement au Koweït des personnes appartenant à des minorités ethniques, religieuses et linguistiques, dont les droits énoncés à l'article 27 du Pacte doivent être garantis et protégés.
Le prochain rapport périodique devrait contenir des informations complètes concernant toutes les questions relatives aux minorités qui se posent eu égard à l'article 27 du Pacte.
15. Le Comité demeure très préoccupé par le traitement des milliers de Bédouins (inclus dans la catégorie des apatrides) au Koweït. Étant donné que bon nombre de ces Bédouins sont nés sur le territoire koweïtien ou y vivent depuis des décennies, et que certains d'entre eux sont employés par le Gouvernement, le Comité est vivement préoccupé par la déclaration péremptoire de la délégation qui qualifie tous les Bédouins de "résidents en situation illégale". Le Comité juge préoccupant que de nombreux Bédouins, ayant vécu longtemps au Koweït et ayant quitté le pays pendant l'occupation iraquienne de 1990-1991, ne soient pas autorisés à rentrer dans le pays.
L'État partie doit veiller à ce que toutes les personnes se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence jouissent sans discrimination des droits énoncés dans le Pacte (art. 26). Le droit de demeurer dans son propre pays et d'y retourner doit être scrupuleusement respecté (art. 12).
16. Le Comité est préoccupé en outre par le fait que la délégation n'a pas réfuté les allégations selon lesquelles un permis de séjour de cinq ans a été proposé à des Bédouins à condition qu'ils renoncent à toute demande de naturalisation, et l'État partie chercherait à déporter des Bédouins vers des pays avec lesquels ils n'ont aucun lien véritable.
L'État partie devrait conférer la nationalité koweïtienne dans des conditions non discriminatoires et faire en sorte que les personnes auxquelles cette nationalité a été octroyée soient traitées sur un pied d'égalité avec les autres citoyens koweïtiens en ce qui concerne le droit de vote (art. 25 et 26 du Pacte). Il est demandé instamment à l'État partie de s'abstenir de déporter des résidents en les définissant comme des Bédouins ayant omis de régulariser leur situation.
17. Le Comité est préoccupé par le manque d'information concernant la situation des enfants de parents non koweïtiens vivant au Koweït, notamment en ce qui concerne l'éducation, les soins médicaux et la délivrance d'actes de naissance et de certificats de décès. Le Comité constate en outre avec préoccupation que les enfants nés au Koweït de parents apatrides, ou dont la mère seulement a la nationalité koweïtienne, sont sans nationalité.
L'État partie devrait garantir le droit de tous les enfants au Koweït de bénéficier d'une protection spéciale conformément aux articles 24 et 26 du Pacte. L'État partie a l'obligation de respecter le paragraphe 3 de l'article 24 du Pacte, qui dispose que tout enfant a le droit d'acquérir une nationalité.
18. Le Comité est préoccupé par d'autres cas de discrimination, en particulier par le fait que seuls les musulmans ont le droit de demander la naturalisation. Il note également avec préoccupation que, en vertu de la loi, un musulman qui se convertit à une autre religion peut perdre sa nationalité koweïtienne.
La législation sur la naturalisation et la nationalité devrait être modifiée afin de garantir que son application n'engendre pas la discrimination pour l'un ou l'autre des motifs énumérés à l'article 26 du Pacte.
19. Le Comité est préoccupé par le manque d'information concernant la détention de personnes en attente d'expulsion.
L'État partie devrait veiller à ce que tous les droits protégés par le Pacte soient respectés à l'égard de ces personnes, en particulier ceux énoncés aux articles 9, 10, 12 et 13, et il devrait fournir des informations à ce sujet dans son deuxième rapport périodique.
20. Le Comité note avec préoccupation que les limites imposées au Koweït en ce qui concerne la liberté d'expression et d'opinion ne sont pas acceptables au regard au paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte, et il rappelle à cet égard son Observation générale No 10. Il est particulièrement préoccupé par le caractère vague du chapitre III de la loi No 3 de 1961 sur l'édition et la publication (par. 240 du rapport), les restrictions concernant la liberté d'enseignement et la liberté de la presse, l'interdiction temporaire qui frappe un périodique et l'interdiction de certains livres; il est alarmé par les poursuites pénales, les peines d'emprisonnement et les amendes à l'encontre d'auteurs et de journalistes qui expriment leurs opinions de façon non violente, ou d'artistes dont l'œuvre a été jugée, dans certains cas, irrespectueuse envers l'islam et, dans d'autres, pornographique. Le Comité est préoccupé par les procédures pénales engagées contre des journalistes, qui sont tenus de prouver leur bonne foi en révélant leurs sources, ce qui soulève des questions, non seulement au titre de l'article 19 mais également en ce qui concerne la présomption d'innocence garantie par le paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.
L'État partie doit veiller à ce que toute personne puisse jouir des droits énoncés à l'article 19 du Pacte sans craindre d'être soumise à des brimades. La loi sur la presse et les publications et le Code pénal doivent être rendus conformes aux dispositions de l'article 19 du Pacte. Toute restriction des droits énoncés à l'article 19 doit être en stricte conformité avec les dispositions du paragraphe 3 de cet article.
21. Le Comité note avec préoccupation la législation koweïtienne sur les associations, en particulier la loi No 24 de 1962 sur les clubs et les sociétés de services communautaires, ainsi que les difficultés qu'ont les Koweïtiens à exercer les droits énoncés à l'article 22 du Pacte. Ainsi, depuis 1992, la Société koweïtienne des droits de l'homme cherche en vain à s'enregistrer en tant qu'association.
L'État partie devrait modifier la loi No 24, encourager la création d'organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme au Koweït et favoriser leurs activités afin de permettre le développement et l'épanouissement d'une culture des droits de l'homme.
22. Le Comité se déclare préoccupé par les restrictions qui frappent de facto le droit des travailleurs, étrangers et nationaux, de créer des syndicats, d'y adhérer et de prendre part à leurs activités.
L'État partie devrait permettre à tous les travailleurs d'adhérer à des syndicats et de participer à leurs activités, notamment en les informant des droits qui sont les leurs en vertu du paragraphe 1 de l'article 22 du Pacte.
23. Le Comité déplore l'absence de partis politiques au Koweït.
Étant donné que les partis politiques sont un élément important de la démocratie, l'État partie devrait prendre des mesures appropriées pour garantir le droit des Koweïtiens de créer de tels partis, en conformité avec les articles 22 et 25 du Pacte.
24. Le Comité note l'existence du service militaire obligatoire et le fait que la législation koweïtienne ne contient aucune disposition concernant l'objection de conscience.
En application de l'article 18 du Pacte, l'État partie devrait prendre en compte, sur le plan légal, la situation des personnes qui considèrent que l'utilisation de la force armée est contraire à leurs convictions et prévoir pour ces personnes un service civil de remplacement.
25. Tout en notant la création d'une commission des droits de l'homme au Ministère de l'intérieur et d'un comité des droits de l'homme à l'Assemblée nationale, le Comité encourage l'État partie à créer un mécanisme véritablement indépendant et efficace afin d'assurer des recours utiles, comme l'exige le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte.
26. Le Comité fixe la date de présentation du deuxième rapport périodique au 31 juillet 2004; ce rapport devrait être établi conformément aux nouvelles directives du Comité (CCPR/C/66/GUI/Rev.1), contenir des données ventilées par sexe ainsi que des statistiques à jour touchant la condition des femmes et accorder une attention particulière aux recommandations formulées dans les présentes observations finales. Le Comité demande instamment que le texte du rapport initial de l'État partie et des présentes observations finales soit mis à la disposition du public. Il demande en outre que le deuxième rapport périodique soit diffusé largement auprès du public, y compris de la société civile et des organisations non gouvernementales ayant des activités au Koweït.