République kirghize
4. Le Comité note la création d'une Commission des droits de l'homme, en tant qu'organe consultatif auprès du Président de la République, et d'une Commission parlementaire des droits de l'homme. Il note également les mesures prises en vue de créer un poste de commissaire indépendant aux droits de l'homme.
5. Le Comité accueille avec satisfaction l'information donnée par la délégation, selon laquelle les individus ont, en principe, le droit de saisir le Tribunal constitutionnel en cas de violation présumée de leurs droits protégés par la Constitution et par le Pacte, mais note que ce recours n'a pas encore été utilisé.
L'État partie devrait prendre des mesures pour faire davantage connaître le Pacte et son Protocole facultatif, et ce par le biais d'un programme destiné à diffuser les textes de ces instruments et à assurer une formation systématique à toutes les personnes qui participent à l'administration de la justice, en particulier les juges, les avocats, les procureurs et le personnel carcéral.
7. Le Comité est gravement préoccupé par les cas de torture, de traitements inhumains et d'abus de pouvoir qui sont imputables aux responsables de l'application des lois.
L'État partie devrait modifier le Code pénal de façon que les actes de torture soient considérés comme des infractions majeures, que toute allégation concernant de tels actes fasse l'objet d'une enquête en bonne et due forme et que les personnes responsables soient poursuivies (art. 7 du Pacte). Les plaintes relatives à des actes de torture et autres abus commis par des fonctionnaires doivent être examinées par des organes indépendants. Il faut veiller à ce que les personnes arrêtées, en particulier celles qui sont maintenues en détention avant le procès, soient examinées par un médecin, afin de garantir qu'elles ne subissent aucune violence physique. L'État partie doit instituer un système de contrôle indépendant de tous les lieux de détention afin de prévenir tous actes de torture et autres abus de pouvoir de la part des responsables de l'application des lois.
8. Certes, le Comité note qu'un moratoire a été décrété sur l'exécution des peines capitales, mais il demeure toutefois préoccupé par la situation actuelle en ce qui concerne la peine capitale et par le nombre de détenus qui sont actuellement sous le coup d'une telle condamnation.
Le Comité félicite l'État partie d'avoir décrété un moratoire sur l'exécution de la peine capitale et l'invite instamment à proroger ce moratoire indéfiniment et, s'agissant des personnes actuellement condamnées à mort, à commuer leurs peines. Le Comité félicite l'État partie d'avoir aboli la peine capitale pour les femmes, mais fait toutefois remarquer que le maintien de la peine capitale pour les hommes uniquement est incompatible avec les engagements pris par l'État partie au titre des articles 2, 3 et 26 du Pacte. L'État partie devrait assurer l'égalité en abolissant la peine capitale pour tous.
9. Le Comité est préoccupé par le nombre de personnes maintenues en détention avant jugement, dont certaines en régime cellulaire, par le fait que les motifs de détention avant jugement ne sont pas tous indiqués dans les textes de loi ainsi que par l'absence de contrôle judiciaire sur la détention prolongée.
L'État partie doit faire en sorte que tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale soit traduit dans le plus court délai devant un juge (art. 9, par. 3), que tous les autres aspects de sa législation et de sa pratique soient conformes aux dispositions de l'article 9 du Pacte et que les détenus aient accès à un conseil et puissent contacter leurs familles. Le prochain rapport devrait contenir des statistiques précises concernant le nombre de personnes maintenues en détention provisoire et la durée de cette détention.
10. Le Comité est également préoccupé par la mise en détention de personnes pour des raisons de santé mentale et par le fait qu'il est apparemment impossible de contester la détention en pareil cas.
Les personnes mises en détention pour des raisons de santé mentale devraient pouvoir bénéficier sans délai d'un recours en révision.
11. Le Comité demeure préoccupé par le caractère inhumain des conditions carcérales – surpeuplement, manque de nourriture, soins médicaux inadéquats – et par le fait que, dans bien des cas, les condamnés ne sont pas séparés des prévenus et que les jeunes délinquants sont fréquemment détenus dans les mêmes quartiers que les adultes (art. 10).
L'État partie doit prendre des mesures pour améliorer les conditions carcérales et faire en sorte que les mineurs soient détenus dans des établissements séparés. Il doit veiller à ce que tout individu privé de sa liberté soit traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Concrètement, l'État partie doit faire en sorte que tous les détenus reçoivent une nourriture suffisante et bénéficient de soins médicaux appropriés.
12. Le Comité est préoccupé par le fait que la loi sur l'état d'urgence de la République kirghize ne restreint pas de façon spécifique le droit de déroger à certaines dispositions du Pacte, ainsi qu'il est stipulé à l'article 4 de cet instrument.
L'État partie doit faire le nécessaire pour mettre sa législation sur l'état d'urgence en conformité avec l'article 4 du Pacte.
13. Le Comité note que, malgré l'article 15 de la Constitution qui stipule l'égalité des hommes et des femmes, la condition des femmes n'a cessé de se détériorer dans les secteurs public et privé. Le nombre des femmes au Parlement dans la fonction publique et dans les postes de direction demeure très faible; ceci constitue une atteinte grave au principe fondamental d'égalité et à des incidences négatives sur la jouissance de tous les autres droits ainsi que sur le développement harmonieux de la société. En outre, la pauvreté et le chômage sont en grande partie responsables des taux élevés de mortalités maternelle et infantile.
Le Comité renvoie aux articles 3 et 26 du Pacte et rappelle son Observation générale No 28 sur l'égalité des droits entre hommes et femmes et invite instamment l'État partie à prendre toutes mesures nécessaires pour sensibiliser la population, de façon à améliorer la condition des femmes en éradiquant tous les comportements traditionnels et les vues stéréotypées qui font que les femmes se voient dénier l'égalité dans le domaine de l'éducation, dans le monde du travail, dans la société et dans la fonction publique. En particulier, les dispositions adoptées pour lutter contre la discrimination devraient être appliquées et des initiatives devraient être prises pour développer l'éducation des femmes à tous les niveaux.
14. Le Comité se déclare très préoccupé par la violence dont les femmes sont l'objet et par le phénomène croissant de la traite des femmes, phénomène qu'aggrave encore la situation économique particulièrement difficile des femmes dans la République kirghize (art. 3, 7, 8).
L'État partie doit faire en sorte que les lois qui interdisent la violence contre les femmes et la traite des femmes soient rigoureusement appliquées; adopter des mesures efficaces pour protéger les femmes; veiller à ce que les victimes de violences et d'abus reçoivent réparation et bénéficient de mesures de réinsertion; et lutter contre la traite par tous les moyens appropriés, notamment en poursuivant et en sanctionnant les responsables. L'État partie devrait adopter des textes de loi interdisant et sanctionnant spécifiquement la violence à l'intérieur du foyer et la traite des femmes.
15. Le Comité s'inquiète de ce que l'indépendance du pouvoir judiciaire n'est pas pleine et entière (art. 14, par. 1). Il note en particulier que la procédure d'assermentation des juges, le réexamen de leurs fonctions tous les sept ans, le bas niveau de leur rémunération et le caractère précaire de leur statut risquent d'encourager la corruption. Le Comité est également préoccupé par le fait que le huis clos peut être prononcé dans des circonstances non autorisées par le paragraphe 1 de l'article 14.
16. Le Comité note avec approbation la fixation de délais qui garantissent l'engagement rapide des procédures pénales; il est toutefois préoccupé par le fait que le tribunal a la faculté, en vertu du Code de procédure pénale, de ne pas se prononcer à la fin du procès, mais plutôt de renvoyer l'affaire devant le procureur pour complément d'enquête.
Cette procédure devrait être abolie.
17. Le maintien du système des autorisations de résidence (propiska) est contraire au droit à la liberté de circuler et de choisir librement son lieu de résidence prévu à l'article 12 du Pacte.
L'État partie devrait abolir ce système (propiska) et donner pleinement effet aux dispositions de l'article 12 du Pacte.
18. Le Comité prend note du fait que l'objection de conscience au service militaire est autorisée uniquement dans le cas des personnes appartenant à une organisation religieuse dûment enregistrée, dont la doctrine interdit l'usage des armes. Il regrette que l'État partie n'ait pas expliqué de façon convaincante pourquoi la durée du service de remplacement est deux fois plus longue que celle du service militaire normal et pourquoi les personnes possédant un niveau d'instruction supérieur sont appelées à servir pendant une période considérablement moins longue, qu'il s'agisse du service militaire normal ou du service de remplacement (art. 18 et 26).
L'objection de conscience devrait être prévue par la loi, selon des modalités conformes aux dispositions des articles 18 et 26 du Pacte, eu égard au fait que l'article 18 protège également la liberté de conscience des non-croyants. L'État partie devrait fixer la durée du service militaire normal et celle du service de remplacement d'une manière non discriminatoire.
19. Le Comité est préoccupé par la persistance du travail des enfants, par le problème de la maltraitance des enfants dans certains établissements scolaires, par les traitements cruels qui leur sont infligés, et par le phénomène de la traite des enfants.
L'État partie doit, de toute urgence, prendre des mesures pour régler ces problèmes et faire en sorte que les enfants bénéficient de la protection spéciale à laquelle ils ont droit en vertu de l'article 24 du Pacte. En particulier, les châtiments corporels doivent être interdits.
20. Le Comité est préoccupé par les actes d'intimidation et de harcèlement dont sont victimes, de la part des pouvoirs publics notamment, des journalistes et des militants des droits de l'homme, y compris des membres d'organisations non gouvernementales s'occupant des droits de l'homme, qui ont été poursuivis et condamnés à des amendes et à des peines d'emprisonnement. Il est particulièrement préoccupé par les procès en diffamation intentés contre des journalistes qui critiquent le Gouvernement. De tels actes sont incompatibles avec la liberté d'expression et la liberté de la presse telles qu'elles sont stipulées à l'article 19 du Pacte.
L'État partie doit protéger les journalistes et les militants des droits de l'homme contre le harcèlement et faire en sorte que les journalistes puissent exercer leur profession sans crainte d'être traduits en justice et poursuivis en diffamation pour avoir critiqué la politique gouvernementale ou des fonctionnaires du Gouvernement. Les journalistes et les militants des droits de l'homme soumis à des peines d'emprisonnement en violation des articles 9 et 19 du Pacte doivent être libérés, réhabilités et indemnisés conformément au paragraphe 5 de l'article 9 et au paragraphe 6 de l'article 14 du Pacte.
21. Le Comité se déclare préoccupé par le fait que des journaux sont interdits de publication pour fraude fiscale et pour obtenir le paiement d'amendes. Il est également préoccupé par les fonctions de l'Agence nationale des communications, attachée au Ministère de la justice, qui jouit, à proprement parler, d'un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d'accorder ou de refuser des autorisations d'émettre aux chaînes de radio et de télévision. Le fait de différer l'octroi de ces autorisations ou de refuser de les délivrer entrave la liberté d'expression et la liberté de la presse garanties par l'article 19 et limite sévèrement l'exercice des droits politiques énoncés à l'article 25, en particulier le droit à des élections honnêtes.
La loi devrait définir clairement les tâches et les compétences de l'Agence nationale des communications et il doit pouvoir être fait appel de ses décisions devant une autorité judiciaire.
22. Le Comité est préoccupé par les restrictions qui frappent la tenue de réunions et de manifestations publiques, restrictions qui dépassent celles autorisées par l'article 21, ainsi que par l'absence de recours en cas de déni d'autorisation.
23. Le Comité est préoccupé par la manière dont les élections parlementaires ont été conduites dans la République kirghize en mars 2000 et en particulier par la non-participation des partis politiques qui ne s'étaient pas fait enregistrer un an avant les élections ou qui n'avaient pas inclus formellement dans leurs statuts l'intention de se présenter aux élections.
L'État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que tous les citoyens jouissent des droits énoncés à l'article 25 du Pacte, en tenant dûment compte de l'Observation générale No 25 du Comité concernant l'article 25 du Pacte.
Diffusion d'informations
25. Le Comité demande à l'État partie de présenter son deuxième rapport périodique avant le 31 juillet 2004. Ce rapport devrait être établi conformément aux nouvelles directives du Comité (CCPR/C/66/GUI/Rev.1), fournir des données ventilées par sexe ainsi que des statistiques actualisées touchant la condition des femmes, et accorder une attention particulière aux recommandations formulées dans les présentes observations finales. Le Comité invite instamment l'État partie à rendre public le texte de son rapport initial, conjointement avec les présentes observations finales. Il demande en outre que le deuxième rapport périodique soit largement diffusé, notamment dans la société civile et auprès des organisations non gouvernementales qui exercent leurs activités dans la République kirghize.