Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Soixante et unième session
1. Le Comité a examiné le rapport initial de la Lituanie (CCPR/C/81/Add.10) à ses 1634ème et 1635ème séances, tenues le 30 octobre 1997, et a adopté par la suite à sa 1643ème séance, tenue le 6 novembre 1997, les observations finales ci-après:
2. Le Comité se félicite du rapport initial de la Lituanie et des modifications qui lui ont été apportées ultérieurement, mais regrette qu'il ait été présenté tardivement. Il regrette aussi que tout en fournissant des renseignements détaillés sur la législation en vigueur dans le domaine des droits de l'homme en Lituanie, le rapport ne donne pas suffisamment d'informations précises sur la mise en oeuvre du Pacte dans la pratique. Il n'en demeure pas moins que le Comité exprime sa satisfaction devant les réponses apportées par la délégation aux questions posées au cours du débat, qui montraient bien que l'Etat partie était disposé à engager un dialogue ouvert et constructif avec le Comité et ont permis au Comité de se faire une idée plus claire de la situation réelle des droits de l'homme dans le pays.
3. Le Comité constate qu'après avoir connu un régime totalitaire pendant de longues années, la Lituanie n'est pas encore sortie du processus de transition vers la démocratie et qu'il demeure des textes de loi obsolètes et un certain nombre d'institutions qui risquent de porter préjudice à la mise en oeuvre des droits de l'homme et qu'il faudra du temps pour réformer.
4. Le Comité se félicite de l'adhésion de la Lituanie au Pacte et à d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme peu après le rétablissement de son indépendance le 11 mars 1990.
5. Le Comité exprime sa satisfaction de voir que le nouveau code pénal en cours d'élaboration ne contiendra pas de disposition prévoyant la peine capitale et accueille avec satisfaction l'intention de la Lituanie d'adhérer dans un proche avenir au deuxième Protocole facultatif. Le fait que la Commission de clémence, présidée par le Président de la Lituanie, a suspendu dans la pratique les exécutions de personnes condamnées à la peine capitale est aussi une source de satisfaction pour le Comité.
6. Le Comité relève avec un vif intérêt que la Lituanie a entrepris une grande réforme de son système juridique, qui passe notamment par l'abrogation des lois sur la détention préventive, l'abolition du Conseil pour le contrôle de la presse, la soumission des décisions d'internement administratif à un contrôle judiciaire et l'adoption de nouvelles lois sur la protection de la vie privée, les médias et la radio et télédiffusion, la liberté de l'information, le non-refoulement, la protection des enfants et l'insertion des personnes atteintes d'un handicap. Le Comité se félicite de la nouvelle législation qui exige que les décisions de détention provisoire soient approuvées par un tribunal. Il se félicite aussi de la création d'institutions chargées de s'occuper des questions de droits de l'homme, telles que le Comité chargé des droits de l'homme, des droits civiques et des questions intéressant les minorités ethniques, le Département du droit international et des droits de l'homme ainsi que le cabinet du médiateur parlementaire qui enquête sur les plaintes des citoyens dénonçant les cas où des fonctionnaires, aux niveaux national et local, abusent de leurs fonctions. A la lumière de ces considérations,
Le Comité demande à l'Etat partie de fournir dans son prochain rapport périodique des renseignements plus précis sur l'application de ces nouvelles lois et le fonctionnement de ces nouvelles institutions.
7. Le Comité se félicite des informations fournies par la délégation sur les programmes d'éducation aux droits de l'homme et sur les mesures prises pour diffuser auprès de la population des renseignements sur le Pacte.
8. Le Comité se félicite de ce que la Lituanie ait reconnu la compétence du Comité à recevoir et examiner des communications au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. A cet égard,
Il faudrait mettre en place un mécanisme spécifique pour veiller à ce que les constatations formulées par le Comité au sujet de communications individuelles au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte soient systématiquement suivies d'effet.
9. Le Comité est préoccupé par l'ambiguïté du statut juridique du Pacte au regard de l'ordre juridique interne et le fait qu'apparemment les particuliers ne peuvent pas contester en justice l'application de lois qui portent atteinte aux droits et libertés qui leur sont reconnus par le Pacte. C'est pourquoi,
L'Etat partie devrait veiller à ce que les droits énoncés dans le Pacte ne soient pas restreints par une législation incompatible avec lui et prendre toutes les mesures voulues pour permettre aux particuliers de contester en justice l'application de lois qui portent atteinte aux droits et libertés que leur reconnaît le Pacte.
10. Tout en se félicitant des progrès réalisés pour permettre aux hommes et aux femmes de jouir de leurs droits sur un pied d'égalité, et notamment de la mise en oeuvre du Plan d'action 1998-2000 pour l'application du programme en faveur des femmes, le Comité s'inquiète de ce que les femmes continuent de subir une discrimination, en particulier dans le domaine de l'emploi et l'accès à des postes de responsabilité dans la vie politique et sociale, et que le projet de loi relatif à l'égalité des hommes et des femmes n'ait pas encore été adopté. C'est pourquoi,
L'Etat partie devrait prendre des mesures concrètes pour éliminer toute discrimination à l'égard des femmes et améliorer et renforcer leur condition sociale en leur assurant des voies de recours en cas de discrimination dans quelque domaine que ce soit, y compris l'emploi et la publicité commerciale. Il faudrait mettre en place des mécanismes pour suivre l'application des lois interdisant la discrimination, recevoir les plaintes des victimes, enquêter sur les faits dénoncés et, le cas échéant, indemniser les victimes.
11. Tout en prenant acte des mesures adoptées dernièrement pour fournir une assistance aux femmes victimes d'actes de violence et de prostitution forcée et poursuivre les intermédiaires, le Comité est extrêmement préoccupé par l'étendue de ces phénomènes. Il est aussi préoccupé par les problèmes de maltraitance, notamment de sévices sexuels, dont des enfants sont victimes. C'est pourquoi,
L'Etat partie devrait prendre des mesures complémentaires pour prévenir les cas de violence à l'égard des femmes, y compris au sein de la famille, et de mauvais traitements à enfants, y compris de sévices sexuels, enquêter sur ces cas, engager des poursuites contre les responsables et promouvoir le droit des femmes et des enfants à la sécurité de leur personne. Il faut mettre au point des programmes de réadaptation en faveur des enfants traumatisés et des procédures juridiques et sociales adéquates ainsi que des mécanismes propres à traiter des plaintes pour mauvais traitements à la fois physiques et psychologiques.
12. Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de cas de harcèlement et de recours à une force excessive de la part d'agents des forces armées contre des conscrits ainsi que de brutalités policières contre des détenus. C'est pourquoi,
Il faudrait créer un mécanisme d'enquête indépendant pour faire la lumière sur tous les cas d'allégations de brutalités dont des policiers ou des militaires se seraient rendus coupables. Il est aussi recommandé aux autorités lituaniennes d'entreprendre des programmes de formation et d'éducation intensives aux droits de l'homme propres à inculquer aux militaires et aux agents de la force publique le respect du Pacte et en particulier de ses articles 7, 9 et 10.
13. Le Comité est préoccupé par le fait que la police peut user de son pouvoir pour maintenir des personnes en garde à vue pendant cinq heures en vue d'exercer sur elles des mesures de harcèlement ou d'intimidation, en violation du droit consacré à l'article 9 du Pacte à la liberté et la sécurité de la personne. C'est pourquoi,
Il faudrait réviser les dispositions relatives à la garde à vue par la police pour les rendre conformes au Pacte.
14. Tout en reconnaissant les efforts entrepris par l'Etat partie pour améliorer les conditions carcérales, le Comité est préoccupé par le fait que la plupart des prisons et en particulier les centres de détention provisoire sont surpeuplés. C'est pourquoi,
L'Etat partie devrait prendre les mesures qui s'imposent pour veiller à ce que les conditions de détention des personnes privées de liberté respectent l'article 10 du Pacte, compte tenu de l'Observation générale No 21 (44) du Comité et de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.
15. Le Comité exprime son inquiétude devant le fait que le droit des étrangers à la liberté de circulation peut faire l'objet de restrictions pour des motifs incompatibles avec le Pacte et que des personnes qui, en raison de leur emploi, peuvent disposer d'informations liées à des secrets d'Etat ne jouissent pas pleinement de leur droit de quitter la Lituanie. Qui plus est, le Comité est préoccupé par les restrictions imposées à la liberté de circulation des demandeurs d'asile au bénéfice d'un permis de réfugié temporaire et le fait que le non-respect de ces restrictions peut se solder par le rejet de la requête d'asile. En outre, le Comité est préoccupé par le fait que la loi protège apparemment de l'expulsion dans les cas où les personnes peuvent être exposées à des "persécutions", à l'exclusion des menaces à leur droit à la vie ou des risques de traitements ou de peines inhumains et dégradants. C'est pourquoi,
Il faudrait abroger les dispositions qui restreignent la liberté de circulation de façon incompatible avec l'article 12 du Pacte. Il faudrait aussi faire en sorte que personne ne puisse être expulsé vers un Etat où ses droits, consacrés par les articles 6 et 7 du Pacte, risquent réellement d'être violés.
16. En ce qui concerne l'article 14 du Pacte, le Comité est préoccupé de ce que, bien qu'il existe de nouvelles dispositions visant à assurer l'indépendance du pouvoir judiciaire, les magistrats qui siègent dans les tribunaux de district doivent encore subir un contrôle de la part de l'exécutif cinq ans après leur entrée en fonction avant d'être définitivement nommés. A cet égard, le Comité recommande que :
Seules les compétences judiciaires fassent l'objet d'un éventuel contrôle et que celui-ci soit exercé uniquement par un organe professionnel indépendant.
17. Le Comité est particulièrement préoccupé par les pouvoirs considérables dont jouissent les fonctionnaires des services de l'immigration à l'égard des immigrants dans l'illégalité en zone frontalière. C'est pourquoi,
Il faudrait définir clairement et soumettre à un contrôle judiciaire les pouvoirs de perquisition et de fouille dévolus aux fonctionnaires des services de l'immigration pour assurer le respect de l'article 17 et des autres dispositions du Pacte.
18. Le Comité est préoccupé de ce que les conditions imposées aux organisations religieuses en matière d'enregistrement, ainsi que les distinctions faites entre les groupes religieux à cet égard risquent de se traduire par une discrimination fondée sur des motifs religieux en violation du droit de ne subir aucune discrimination fondée sur la religion. Le Comité recommande :
D'abolir toute discrimination en droit et dans la pratique dans le traitement des différentes religions qui serait contraire aux articles 18 et 26 du Pacte.
19. Le Comité exprime son inquiétude devant les conditions imposées aux personnes qui voudraient effectuer un service autre que militaire pour des raisons d'objection de conscience, en particulier devant les motifs admis pour établir le droit à un service civil et sa durée. C'est pourquoi,
Le Comité recommande à l'Etat partie de préciser les motifs et les conditions à remplir pour accomplir, sans faire l'objet de discrimination, un service civil au motif d'objection de conscience ou de convictions religieuses, dans le respect du droit à la liberté de conscience et de religion.
20. Le Comité est préoccupé par le fait que des associations et des organisations doivent répondre à certaines conditions pour se faire enregistrer et exercer des activités en Lituanie et que leurs activités se heurtent à des interdictions trop vagues. C'est pourquoi,
Le Comité recommande que les restrictions dont le fonctionnement d'associations et d'organisations fait l'objet ne soient pas plus sévères que celles prévues à l'article 22 du Pacte.
21. Le Comité constate que l'exercice de certains droits prévus dans la Constitution lituanienne est limité aux citoyens, alors que la délégation a déclaré que, dans la pratique, chacun jouissait de ces droits. A cet égard,
Le Comité recommande de réviser la législation pertinente pour supprimer toute discrimination arbitraire à l'égard des étrangers, qui serait incompatible avec les dispositions du paragraphe 1 de l'article 2 et l'article 26 du Pacte.
22. Le Comité appelle l'attention du Gouvernement lituanien sur les dispositions des Directives concernant la forme et le contenu des rapports communiqués par les Etats parties et lui demande d'incorporer dans son prochain rapport périodique, qui doit être présenté le 7 novembre 2001, des renseignements qui répondent à chacune des observations finales et en particulier à celles portant sur l'application des dispositions du Pacte. Le Comité lui demande aussi d'assurer une large diffusion des présentes observations finales auprès de la population en général, sur l'ensemble du territoire lituanien.