3. Le Comité se félicite des informations fournies sur l'évolution politique et constitutionnelle de l'État partie ainsi que sur le cadre constitutionnel et la législation engendrés par le renouveau démocratique depuis 1990. Il déplore toutefois le caractère formel du deuxième rapport périodique, qui n'est pas conforme aux directives du Comité: il ne contient en effet que très peu de renseignements relatifs à la mise en œuvre du Pacte dans la pratique quotidienne, et aux facteurs et difficultés rencontrées. Le Comité note avec regret que le rapport ne répond pas aux questions écrites qui ont été transmises à l'État partie à l'avance. Il regrette que la délégation n'ait pas été en mesure de répondre de façon approfondie aux questions et préoccupations exprimées dans la liste de questions écrites et lors de l'examen du rapport.
B. Aspects positifs
4. Le Comité salue la transition démocratique accomplie par le Mali au début des années 90. Il note les efforts déployés par l'État partie pour assurer un meilleur respect des droits de l'homme et en vue d'instaurer un État de droit, à travers la mise en chantier de vastes programmes de réformes législatives, le règlement du conflit au Nord, et la création du poste de médiateur. Le Comité note que ces efforts ont été accomplis malgré les faibles ressources dont dispose l'État partie et les difficultés qu'il rencontre.
5. Le Comité accueille avec satisfaction le moratoire en matière d'application de la peine de mort, qui est respecté au Mali depuis 1979, et la tendance actuelle vers l'abolition de la peine capitale.
6. Le Comité félicite l'État partie pour les mesures qu'il a adoptées en vue de lutter contre le trafic d'enfants maliens vers d'autres pays.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
7. Le Comité note qu'en vertu de la Constitution, les traités ont une autorité supérieure à celle des lois, et que, selon l'information fournie par la délégation, le Pacte peut être directement invoqué devant les juridictions nationales. Il regrette toutefois que des cas précis dans lesquels l'applicabilité directe du Pacte a été invoquée, ou dans lesquels la Cour constitutionnelle a eu à connaître de la compatibilité des lois nationales au Pacte, n'aient pas été portés à son attention.
L'État partie devrait assurer la formation des magistrats, avocats et auxiliaires de justice, y compris ceux qui sont déjà en fonctions, sur le contenu du Pacte et des autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ratifiés par le Mali. Le Comité désire que de plus amples informations sur les recours effectifs mis à disposition des particuliers en cas de violations des droits énoncés dans le Pacte lui soient communiquées, de même que des exemples de cas dans lesquels des cours ou tribunaux ont invoqué le contenu du Pacte.
8. Le Comité constate avec préoccupation que la Commission nationale consultative des droits de l'homme, créée en 1996, n'est à ce jour pas fonctionnelle.
L'État partie devrait prendre les mesures appropriées pour permettre à la Commission nationale consultative des droits de l'homme de fonctionner, en conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme («Principes de Paris»), tels qu'énoncés dans la résolution 48/134 de l'Assemblée générale des Nations Unies.
9. Le Comité, tout en se félicitant de la conclusion, en 1992, du Pacte national entre le Gouvernement et les mouvements rebelles du Nord du pays, regrette de n'avoir pas reçu suffisamment d'informations sur l'état de mise en œuvre de ces accords de paix.
Le Comité souhaite recevoir des renseignements plus détaillés à ce propos, en particulier sur le rapatriement des réfugiés maliens, le développement économique et social au Nord, et les effets de la politique de décentralisation sur la pacification et la situation des droits de l'homme dans cette région.
10. Tout en se félicitant de la création d'un Ministère de la promotion de la femme, de l'enfant et de la famille, le Comité exprime sa plus grande préoccupation face à l'existence, encore aujourd'hui au Mali, de lois discriminatoires envers les femmes, en particulier en matière de mariage, de divorce et de succession, et de règles coutumières discriminatoires en matière d'accession à la propriété. Tout en comprenant que l'adoption d'un Code de la famille demande la mise en place d'une vaste consultation, le Comité constate avec inquiétude que le projet de réforme, en cours depuis 1998, n'a toujours pas abouti. Le Comité est en outre préoccupé par des informations selon lesquelles la pratique du lévirat, par laquelle la veuve revient en héritage aux frères et cousins du mari défunt, persiste au Mali (art. 3, 16 et 23 du Pacte).
a) L'État partie devrait accélérer le processus d'adoption du Code de la famille; le Comité recommande que ce dernier réponde aux exigences des articles 3, 23 et 26 du Pacte, notamment en ce qui concerne les droits respectifs des époux dans le cadre du mariage et du divorce. Le Comité attire l'attention du Mali, à ce propos, sur son Observation générale no 28 (2000) relative à l'égalité des droits entre hommes et femmes, en particulier en ce qui concerne la polygamie, pratique attentatoire à la dignité de la femme et qui constitue une discrimination inadmissible à son égard. L'État partie devrait abolir définitivement la polygamie;
b) Une attention particulière devrait être accordée à la question du mariage précoce des filles, qui est un phénomène de grande ampleur. L'État partie devrait relever l'âge minimum légal du mariage des filles au même niveau que celui des garçons;
c) l'État partie devrait instaurer un régime de succession non discriminatoire envers les femmes: l'égalité des héritiers sans discrimination fondée sur le sexe devrait être garantie, et l'État devrait veiller à ce que les droits des veuves soient mieux garantis et à ce que le partage en matière d'héritage soit juste;
d) L'État partie devrait abolir définitivement le lévirat, prendre les sanctions appropriées à l'encontre de ceux qui s'y livrent, et adopter des mesures appropriées pour protéger et soutenir les femmes, spécialement les veuves.
11. Le Comité constate avec inquiétude qu'une très grande proportion de femmes au Mali aurait subi des mutilations génitales. Saluant les programmes déjà mis en œuvre par les autorités et les organisations non gouvernementales pour lutter contre cette pratique, le Comité regrette qu'aucune loi ne l'interdise expressément. L'État partie, de plus, n'a pas été en mesure de donner des informations précises sur les résultats concrètement obtenus à la suite des actions déjà entreprises (art. 3 et 7 du Pacte).
L'État partie devrait interdire et pénaliser la pratique des mutilations génitales féminines, de façon à envoyer un signal clair et fort aux personnes concernées. L'État partie devrait renforcer ses programmes de sensibilisation et d'éducation en la matière et faire part au Comité, dans son prochain rapport périodique, des efforts déployés, des résultats obtenus et des difficultés rencontrées.
12. Le Comité s'inquiète des informations faisant état de violences domestiques au Mali, et d'une carence des pouvoirs publics dans la poursuite de ces actes au pénal et la prise en charge des victimes. Prenant en compte la réponse de la délégation, selon laquelle les violences domestiques peuvent être sanctionnées grâce aux dispositions actuelles du Code pénal, le Comité rappelle que la spécificité de ces violences appelle la mise en place d'une législation particulière (art. 3 et 7 du Pacte).
L'État partie devrait adopter une législation spécifique interdisant expressément et sanctionnant les violences domestiques. Une protection adéquate des victimes devrait être prévue. l'État partie devrait s'engager dans une politique de poursuite et de sanction de ces violences, en particulier en faisant parvenir des directives claires en ce sens à ses services de police, tout en sensibilisant et en formant ses agents.
13. Le Comité exprime sa préoccupation face aux informations selon lesquelles les femmes ne jouissent pas de leurs droits en pleine égalité avec les hommes en matière de participation politique, d'accès à l'éducation et à l'emploi.
L'État partie devrait renforcer ses efforts relatifs à la promotion des femmes en matière de participation politique, d'accès à l'éducation et à l'emploi, et invite l'État partie à lui faire part, dans son prochain rapport, des actions entreprises et des résultats obtenus.
14. Tout en prenant note des efforts considérables de l'État partie, le Comité demeure préoccupé par le fort taux de mortalité maternelle et infantile au Mali, dû en particulier au faible niveau d'accessibilité aux services de santé et de planning familial, à la piètre qualité des soins dispensés, au faible niveau d'éducation et à la pratique d'avortements clandestins (art. 6 du Pacte).
En vue de garantir le droit à la vie, L'État partie devrait renforcer son action, en particulier en matière d'accessibilité aux services de santé, y compris les services de soins obstétriques d'urgence. L'État partie devrait assurer une formation adéquate de ses personnels de santé. Il devrait aider les femmes à éviter les grossesses non désirées, notamment en renforçant ses programmes de planning familial et d'éducation sexuelle, et veiller à ce qu'elles ne doivent pas subir d'avortements clandestins mettant en danger leur vie. En particulier, les incidences de la loi restrictive en matière d'avortement sur la santé des femmes devraient être évaluées.
15. Le Comité s'inquiète d'informations reçues faisant état de cas de torture et d'exécutions extrajudiciaires imputées à des soldats en 2000, qui auraient été commises à la suite du meurtre de trois touristes à Kidal. Le Comité ne peut que difficilement souscrire à l'opinion de la délégation selon laquelle il n'y a pas eu d'exécution extrajudiciaire, alors même qu'aucune enquête n'a pu être diligentée par l'État partie. Le Comité est par ailleurs fortement préoccupé par l'affirmation de la délégation selon laquelle les enquêtes relatives aux allégations de torture et de traitements inhumains ou dégradants formulées par des membres de partis d'opposition, arrêtés en 1997, n'ont pas été menées pour des raisons de réconciliation nationale et de protection de l'ordre public (art. 6 et 7).
L'État partie devrait éviter que se développe une culture d'impunité pour les auteurs de violations des droits de l'homme, et garantir que des enquêtes systématiques soient menées en cas d'allégations d'atteintes à la vie et à l'intégrité physique par ses agents.
16. Le Comité regrette que l'État partie n'ait pas répondu de façon précise aux informations faisant état de pratiques esclavagistes et de servitude héréditaire dans le Nord du pays. Bien que la loi nationale n'autorise pas de telles pratiques, le Comité s'inquiète fortement de leur possible survivance entre les descendants d'esclaves et les descendants de maîtres. Le Comité souligne que l'inexistence de plaintes relatives à de telles pratiques ne peut être avancée comme preuve de l'inexistence même de ces pratiques (art. 8).
L'État partie devrait mener une étude approfondie sur les relations entre descendants d'esclaves et descendants de maîtres dans le Nord du pays, aux fins de déterminer si des pratiques esclavagistes et de servitude héréditaire demeurent dans les faits, et informer le Comité, le cas échéant, des mesures prises à cet égard.
17. Tout en rappelant les efforts fournis par l'État partie en la matière, le Comité demeure préoccupé par le trafic d'enfants maliens vers les pays de la région, notamment vers la Côte d'Ivoire, et leur soumission à l'esclavage et au travail forcé (art. 8).
L'État partie devrait faire en sorte que ce phénomène soit éradiqué. Des informations sur les mesures prises par les autorités aux fins de poursuivre les auteurs de ce trafic, de même que des renseignements plus précis sur le nombre de victimes et le nombre d'enfants ayant bénéficié de mesures de protection, de rapatriement et de réintégration, devraient être fournis dans le prochain rapport périodique.
18. Tout en saluant les nombreux programmes adoptés par l'État partie, le Comité est très préoccupé par la situation des filles migrantes, qui partent des zones rurales vers les villes pour travailler comme domestiques, et qui, selon certaines informations, travaillent en moyenne 16 heures par jour pour un salaire très faible ou inexistant, sont souvent victimes de viols, de mauvais traitements, et peuvent être soumises à la prostitution (art. 8).
L'État partie devrait intensifier ses efforts pour sanctionner les personnes responsables de l'exploitation de ces filles migrantes. L'État devrait adopter et développer des mécanismes de plaintes et de protection adéquats. L'État partie est vivement prié de fournir des informations sur le nombre de filles ainsi exploitées, le nombre de celles qui ont bénéficié de mesures de protection et de réinsertion, de même que sur le contenu de la législation du travail et de la loi pénale à ce propos.
19. Le Comité constate qu'en droit malien, la garde à vue peut être prolongée au-delà de 48 heures et que d'autre part cette prolongation est autorisée par le Procureur de la République.
L'État partie devrait a) compléter sa législation afin de se conformer aux dispositions de l'article 9, paragraphe 4, du Pacte, qui exige qu'un magistrat du siège statue sans délai sur la légalité de la détention, et b) veiller aux conditions de la garde à vue, conformément à l'article 9 du Pacte. Des informations précises sur les droits des personnes gardées à vue, les mesures adoptées pour faire respecter ces droits en pratique et les méthodes de supervision des conditions de détention en garde à vue devraient être fournies dans le prochain rapport périodique.
20. Le Comité est préoccupé par des informations faisant état de la difficile situation dans laquelle se trouveraient quelque 6 000 réfugiés mauritaniens, qui vivraient depuis une décennie dans l'ouest du pays (région de Kayes), ne seraient pas enregistrés, ne possèderaient pas de documents d'identité, auraient de fait un statut d'apatrides, et ne verraient pas leur droit à la sécurité physique protégé de façon suffisante.
L'État partie devrait engager un dialogue avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en vue d'améliorer le statut et la condition de ces personnes.
21. Le Comité fixe au 1er avril 2005 la date de soumission du troisième rapport périodique du Mali. Il demande que le texte du deuxième rapport périodique de l'État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et soient diffusés largement au Mali, et que le troisième rapport périodique soit porté à la connaissance de la société civile et des organisations non gouvernementales qui opèrent au Mali.
22. Conformément au paragraphe 5 de l'article 70 du règlement intérieur du Comité, l'État partie devrait adresser dans un délai d'un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 10 a) et d), 11 et 12. Le Comité demande à l'État partie de communiquer dans son prochain rapport des renseignements sur les autres recommandations qu'il a faites et sur l'applicabilité du Pacte dans son ensemble.