Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Observations du Comité des droits de l'homme
PEROU
1. Le Comité des droits de l'homme a entrepris l'examen du deuxième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/51/Add.4) de sa 1133ème à sa 1136ème séance (lors de sa quarante-quatrième session), tenues les 31 mars et 1er et 2 avril 1992 (CCPR/C/SR.1133 à 1136). A la demande du Gouvernement péruvien, le Comité a décidé d'achever l'examen dudit rapport à sa quarante-cinquième session et de tenir compte des renseignements complémentaires que l'Etat partie avait proposé de communiquer pour donner suite aux questions et aux préoccupations des membres du Comité auxquelles il n'avait pas été répondu.
2. Ultérieurement, et après avoir pris connaissance des événements qui ont eu lieu au Pérou le 5 avril 1992 et qui ont eu un effet préjudiciable sur les droits de l'homme, le Comité a décidé à sa 1148ème séance, le 10 avril 1992, de demander qu'un rapport complémentaire sur ces événements lui soit présenté à sa quarante-cinquième session, pour examen (en même temps que les renseignements complémentaires). En conséquence, ayant tenu compte de l'examen du deuxième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/51/Add.4) auquel il avait procédé de sa 1133ème à sa 1136ème séance, ayant pris note des renseignements complémentaires communiqués par le Gouvernement péruvien (CCPR/C/51/Add.5) et ayant examiné le rapport complémentaire sur les effets des événements du 5 avril 1992 sur l'application des articles 4, 6, 7, 9, 19 et 25 du Pacte (CCPR/C/51/Add.6) de sa 1158ème à sa 1160ème séance, tenues les 20 et 21 juillet 1992 (CCPR/C/SR.1158 à 1160), le Comité a adopté */ les observations qui suivent.
A. Introduction
3. Le Comité exprime ses remerciements au Gouvernement péruvien pour sa coopération, telle qu'elle s'est manifestée dans le dialogue maintenu au cours de l'examen du deuxième rapport périodique de l'Etat partie, et en particulier pour les renseignements complémentaires à propos dudit rapport qu'il lui a communiqués par l'intermédiaire de sa délégation et pour le rapport complémentaire sur la situation au Pérou après le 5 avril 1992 qu'il lui a présenté à sa demande. Les représentants de l'Etat partie ontcertes fait un effort louable pour répondre aux nombreuses questions posées par les membres du Comité, mais le Comité regrette qu'il n'ait pas été dûment tenu compte de ses préoccupations et que la plupart des questions n'aient pas reçu de réponse satisfaisante, soit lors des présentations orales, soit dans l'additif au rapport. Il note avec déception que l'offre faite par la délégation, lors de la quarante-quatrième session du Comité, de répondre à certaines des questions par écrit n'a pas été suivie d'effet. Il regrette également que l'Etat partie n'ait pas communiqué de renseignements sur les problèmes liés à l'application du Pacte à la suite des événements du 5 avril 1992, comme le Comité l'avait demandé. En conséquence, le Comité conclut qu'il lui est difficile de se faire une idée d'ensemble de la situation des droits de l'homme au Pérou au cours de la période considérée, et en particulier pendant la période postérieure au 5 avril 1992.
B. Aspects positifs
4. Le Comité se félicite de la promulgation, à la fois avant et après le 5 avril 1992, de textes de loi sur les procédures régissant le dépôt de plaintes pour détention extrajudiciaire et torture et autorisant les magistrats à effectuer des visites dans les centres de détention et à surveiller les conditions de détention. Il se félicite aussi de constater que la loi affirme la responsabilité de tous les individus - agents de l'Etat compris - qui se livrent à des actes de terrorisme, font un usage arbitraire et abusif de la force ou causent des disparitions. De même,le Comité juge importante la création d'un nouveau registre des détenus et le changement envisagé dans la composition du Conseil national des droits de l'homme, afin de garantir la représentation, en son sein, des différents services gouvernementaux dont les activités ont un rapport avec les droits de l'homme. Il prend note en outre des déclarations énergiques sur l'importance des droits de l'homme que le Président du Pérou a récemment faites à l'intention de l'armée et de la police.
C. Facteurs et difficultés entravant l'application du Pacte
5. Le Comité ne trouve dans le rapport lui-même que peu de renseignements sur la période antérieure au 5 avril 1992 et note que, de l'avis du Gouvernement péruvien, une grande partie du système qui existait avant cette date souffrait de graves et profondes déficiences et avait besoin d'être reconstruit. L'évolution après le 5 avril 1992, date à laquelle l'exécutif a assumé tous les pouvoirs de l'Etat péruvien et mis en place le gouvernement d'urgence et de reconstruction nationale, n'est pas non plus encourageante.
Le Comité considère que le désordre et l'anarchie régnant au Pérou, avant et après le 5 avril 1992, compromettent l'efficacité du Pacte, qu'ils rendent dans certains cas inapplicable.
6. A cet égard, le Comité observe que pendant toute la période considérée, la prise de pouvoir par les forces militaires dans les zones où l'état d'urgence a été déclaré rend inefficace l'exercice de certains des droits et libertés garantis par le Pacte. Le fait que le gouvernement ait accepté la constitution de groupes de vigilance civils qui jouissent de l'entier appui de l'armée, et en particulier de certaines organisations paysannes(rondas campesinas) a aggravé la situation, et il est clair que le gouvernement n'est pas en mesure de remédier aux divers abus, y compris les représailles excessives et aveugles contre les actes de terrorisme.
7. Il reste à voir si les changements apportés par le gouvernement d'urgence et de reconstruction nationale aideront à rétablir le respect de la loi et l'ordre dans le pays. Rien ne prouve que ce soit le cas jusqu'à présent. La concentration de tous les pouvoirs entre les mains de l'exécutif, les modifications apportées unilatéralement au système judiciaire par ce gouvernement et les graves atteintes à l'ordre légal font obstacle, selon le Comité, à l'application du Pacte au Pérou.
D. Principaux sujets de préoccupation
8. Le Comité se déclare vivement préoccupé par le terrorisme qui semble faire partie de la vie quotidienne au Pérou. Le Comité condamne les atrocités perpétrées par des groupes d'insurgés, et est particulièrement troublé par l'ampleur des actes de violence terroriste qui montre l'absence d'égard pour les droits de l'homme les plus fondamentaux. Néanmoins, le Comité censure aussi la force et la violence excessives auxquelles recourent l'armée, les groupes paramilitaires, la police et des groupes de civils armés. Il est troublé par le grand nombre de plaintes concernant des exécutions extrajudiciaires et des disparitions attribuées aux forces de sécurité. A ce sujet, le Comité est gravement préoccupé par l'absence d'autorité civile exercée sur les unités militaires et paramilitaires, surtout dans les zones placées sous leur contrôle, qui équivaut dans certains cas à une situation d'impunité. Le Comité regrette en particulier que les membres de ces unités ne puissent être jugés pour leurs actes de violence qu'en vertu du droit militaire. Le Comité estime que l'usage abusif et arbitraire de la violence par les pouvoirs publics pour lutter contre le terrorisme ne peut se justifier, quelles que soient les circonstances.
9. Le Comité se déclare également préoccupé par les circonstances entourant les événements du 5 avril 1992. Le décret-loi 25418, en vertu duquel l'exécutif a été transformé en Gouvernement d'urgence et de reconstruction nationale et d'autres pouvoirs constitutionnels dissous, a de fait suspendu l'application de parties importantes de la Constitution et rendu incertain l'état de droit; il a bouleversé le système juridique et le pouvoir judiciaire; il a aussi eu pour effet la suspension de facto de l'habeas corpus et de l'amparo et l'application rétroactive de lois nouvelles, et en particulier des lois visant des situations particulières.
10. Le Comité est gravement préoccupé par l'application de l'état d'urgence au Pérou. Le Secrétaire général n'a pas reçu d'avis officiel relatif à cette période. Les formes requises n'ont pas été respectées. La délégation péruvienne a affirmé au Comité qu'il n'avait été dérogé à aucun des droits pour lesquels l'article 4 interdit toute dérogation, mais le Comité n'a pas été informé des articles précis du Pacte ou de la Constitution dont l'application est suspendue.
11. La mise en détention temporaire, le 5 avril 1992, de dirigeants de l'opposition, essentiellement des hommes politiques, de dirigeants syndicalistes et de journalistes, est aussi une source de préoccupation, et le Comité ne juge pas convaincants les motifs avancés pour l'expliquer. Le fait d'avoir privé ces personnes, et d'autres, de certains droits à la suite des événements du 5 avril 1992 n'a pas de justification légale.
12. Le Comité s'inquiète également de constater que de grands nombres de personnes, y compris des femmes avec leurs enfants, restent en détention prolongée dans les locaux de la police avant de passer en jugement. Cela ne saurait être compatible avec les droits garantis aux termes de l'article 9 du Pacte.
13. Un autre sujet de préoccupation concerne la réaction aux constatations adoptées par le Comité en vertu du Protocole facultatif à propos du Pérou, à savoir à propos des communications 202 (1986) et 203 (1986). Le Comité regrette qu'aucune réponse n'ait été reçue, en dépit de la demande adressée par son Rapporteur chargé du suivi et des questions posées à maintes reprises au cours du dialogue.
E. Suggestions et recommandations
14. Le Comité note que le Gouvernement péruvien a l'intention de rétablir la démocratie et la primauté du droit. Il considère cependant que le gouvernement, surtout au cours de la période actuelle où la totalité des pouvoirs de l'Etat sont détenus par l'exécutif, doit dûment veiller à l'exercice des droits et libertés garantis par le Pacte. Au cas où des circonstances exceptionnelles justifieraient qu'il soit dérogé à l'exercice de ces droits, ces dérogations devraient être strictement assujetties aux limitations précisées à l'article 4, et les autres Etats parties et le Comité devraient être dûment tenus informés du fait et des détails de ces dérogations. Le Comité exprime l'espoir que les institutions démocratiques seront rétablies dès que possible. Etant donné que les élections pour la mise en place d'une assemblée constituante doivent avoir lieu le 22 novembre 1992, le Comité compte que le plein exercice des droits et libertés énoncés dans le Pacte sera assuré dans un proche avenir.
*/ A la 1175ème séance, le 30 juillet 1992.