Observations finales du Comité des droits de l'homme
PHILIPPINES
1. Le Comité des droits de l'homme a examiné les deuxième et troisième rapports périodiques des Philippines regroupés en un seul document (CCPR/C/PHL/2002/2) de sa 2138e à sa 2140e séance, les 20 et 21 octobre 2003 (voir CCPR/C/SR.2138, 2139 et 2140). Il a adopté les observations finales ci-après à ses 2153e et 2154e séances (CCPR/C/SR.2153 et 2154), tenues le 30 octobre 2003.
A. Introduction
2. Le Comité prend note de la présentation des deuxième et troisième rapports périodiques des Philippines regroupés en un seul document, qui contiennent des informations détaillées sur la législation interne dans le domaine des droits civils et politiques, et de la possibilité qui s'offre de reprendre le dialogue avec l'État partie après un intervalle de plus de 14 ans. Il considère que ne pas présenter un rapport pendant si longtemps est un manquement à l'obligation souscrite au titre de l'article 40 du Pacte.
3. Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements fournis dans le rapport. Tout en saluant les observations faites par la délégation sur une série de questions posées oralement par les membres du Comité, il regrette qu'un grand nombre de questions restent totalement ou partiellement sans réponse à l'issue de la discussion. Le Comité a tenu compte d'informations écrites supplémentaires reçues le 24 octobre 2003.
B. Aspects positifs
4. Le Comité est heureux des progrès accomplis par l'État partie dans la réforme de son ordre juridique interne afin de s'acquitter des engagements qu'il a souscrits au titre du Pacte. Il accueille avec satisfaction, entre autres initiatives, la ratification du Protocole facultatif se rapportant au Pacte en août 1989. Il considère que le processus de réforme devrait être accéléré et renforcé.
5. Le Comité note avec satisfaction que l'État partie a facilité l'assistance internationale pour ce qui est de l'éducation et de la formation en matière de protection des droits de l'homme.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
6. Le Comité note l'absence d'informations concernant le statut du Pacte en droit interne et la question de savoir si des dispositions du Pacte ont été invoquées devant un tribunal à ce jour.
L'État partie devrait veiller à ce que sa législation donne pleinement effet aux droits énoncés dans le Pacte et à ce que le droit interne soit harmonisé avec les obligations contractées au titre de cet instrument.
7. Le Comité regrette qu'aucune information n'ait été donnée sur la procédure de suivi de ses constatations au titre du Protocole facultatif. Il est particulièrement préoccupé par le fait qu'en ne donnant pas suite à la demande de mesures conservatoires qui lui avait été adressée dans des affaires soumises au titre du Protocole facultatif (
Piandiong, Morallos et Bulan c.
Philippines), l'État partie a manqué gravement à ses obligations.
L'État partie devrait mettre en place des procédures pour donner suite aux constatations du Comité et à ses demandes de mesures conservatoires.
8. Le Comité constate avec préoccupation qu'aucune mesure appropriée n'a été prise pour enquêter sur des délits qui auraient été commis par les forces de sécurité et des agents de l'État, en particulier contre des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes et des dirigeants de peuples autochtones, et que rien n'a été fait pour poursuivre les responsables en justice et les punir. Il est également préoccupé par des informations faisant état de mesures d'intimidation et de menaces de représailles qui empêcheraient les personnes dont les droits et les libertés ont été violés d'exercer leur droit de disposer d'un recours effectif.
a) L'État partie devrait adopter des mesures législatives et autres pour prévenir pareilles violations, conformément aux articles 2, 6 et 9 du Pacte, et assurer la mise en œuvre effective de la loi.
b) L'État partie devrait fournir des informations sur l'issue des procédures intentées contre Eden Marcellana et Eddie Gumanoy et sur l'exécution de 11 personnes sur Commonwealth Avenue, à Manille, en 1995.
9. Le Comité prend note de la législation sur le terrorisme dont le Congrès des Philippines est saisi. S'il a conscience des exigences de sécurité qui vont de pair avec la lutte contre le terrorisme, il est préoccupé par la portée excessive de la législation proposée, que la délégation a reconnue. Cette législation contient une définition large et vague des actes de terrorisme qui pourrait avoir un effet néfaste sur les droits garantis par le Pacte.
L'État partie devrait veiller à ce que la législation adoptée et les mesures de lutte contre le terrorisme soient conformes aux dispositions du Pacte.
10. Le Comité prend note du moratoire partiel actuellement proclamé sur l'exécution de la peine capitale (qui ne porte pas sur les délits liés à la drogue), mais il reste préoccupé par l'adoption de lois prévoyant la peine capitale après que l'article 3, paragraphe 19 1), de la Constitution des Philippines eut interdit l'imposition de cette peine. En tout état de cause, le Comité note que la peine capitale sanctionne automatiquement un certain nombre de délits et est applicable à un nombre excessif de crimes qui ne répondent pas à la définition «des crimes les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte. Il note que la peine capitale est interdite pour les personnes de moins de 18 ans mais s'inquiète de ce que des mineurs aient été condamnés à mort et que sept d'entre eux soient actuellement emprisonnés dans le quartier des condamnés à mort.
Le Comité prie instamment l'État partie de prendre des mesures pour abroger toutes les lois qui permettent l'imposition de la peine capitale et d'adhérer au deuxième Protocole facultatif au Pacte. L'État partie devrait aussi assurer le respect du paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte, qui dispose qu'une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans.
11. Le Comité se déclare préoccupé par des informations faisant état de cas d'exécution extrajudiciaire, de détention arbitraire, de harcèlements, d'intimidations et de sévices, y compris à l'égard de détenus, dont beaucoup sont des femmes et des enfants, qui n'ont jamais fait l'objet d'une enquête ni d'une action en justice. Pareille situation favorise la perpétration de nouvelles violations des droits de l'homme et une culture d'impunité.
L'État partie devrait adopter et mettre en œuvre des mesures législatives et autres pour prévenir des violations de ce type, conformément aux articles 6 et 9 du Pacte, et pour assurer une application plus stricte des lois pertinentes. Il devrait veiller à ce que des enquêtes soient menées promptement et impartialement et à ce que les responsables soient poursuivis et châtiés.
12. Le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles les responsables de l'application des lois continueraient d'avoir largement recours à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l'encontre des détenus, et par l'absence de lois interdisant expressément la torture conformément aux articles 7 et 10 du Pacte. Il note que les éléments de preuve dont il est avéré qu'ils ont été obtenus par des moyens illicites ne sont pas recevables, mais demeure préoccupé qu'en pareil cas la victime supporte la charge de la preuve.
L'État partie devrait mettre en place un système efficace de contrôle du traitement de tous les détenus, de manière que les droits qui leur sont reconnus au titre des articles 7 et 10 du Pacte soient pleinement protégés. Il devrait faire en sorte qu'une autorité indépendante enquête promptement et efficacement sur toutes les allégations de torture, que les auteurs de ces actes soient poursuivis et que les victimes obtiennent dûment réparation. Il devrait garantir l'accès gratuit à un conseil et à un médecin, immédiatement après l'arrestation et à toutes les étapes de la détention. Toutes les allégations indiquant que des déclarations de détenus ont été obtenues sous la contrainte doivent donner lieu à une enquête, les déclarations en question ne doivent jamais être utilisées comme éléments de preuve, sauf pour prouver la torture, et la charge de la preuve en pareil cas ne doit pas être supportée par la personne qui serait la victime.
13. Le Comité relève avec préoccupation de nombreux cas de traite (art. 8) de femmes et d'enfants aux Philippines, dans le pays et transfrontière. Tout en notant l'importance de la législation en vigueur (R.A. 9208) en la matière, il constate avec préoccupation l'insuffisance des mesures prises pour prévenir réellement ce trafic et aider et soutenir les victimes.
L'État partie devrait prendre des mesures appropriées pour combattre la traite sous toutes ses formes, en assurant la mise en œuvre effective de la législation pertinente et en sanctionnant les responsables. Le Comité encourage l'État partie à dispenser une formation intégrant la distinction hommes-femmes aux agents de l'État concernés afin de les sensibiliser aux problèmes auxquels se heurtent les victimes de la traite, conformément aux articles 3, 8 et 26 du Pacte.
14. Le Comité s'inquiète de ce que la loi autorisant les arrestations sans mandat se prête à des abus puisque, dans la pratique, les arrestations ne se font pas toujours dans le respect de la légalité, qui exige que la personne arrêtée soit en train de commettre un crime ou que l'agent effectuant l'arrestation ait «une connaissance personnelle des faits indiquant que la personne arrêtée a commis le crime». Il est également préoccupé de ce qu'une loi contre le vagabondage rédigée en termes vagues serve à procéder à des arrestations sans mandat, notamment de prostituées et d'enfants des rues.
L'État partie devrait veiller à ce que ses lois et pratiques concernant l'arrestation soient pleinement mises en conformité avec l'article 9 du Pacte.
15. Le Comité est préoccupé par des informations continuant de faire état de personnes déplacées et de populations évacuées, notamment des groupes de populations autochtones, dans des zones de lutte contre la rébellion.
L'État partie devrait d'urgence prendre des mesures pour assurer la protection des civils dans les zones d'opérations militaires, conformément à ses obligations dans le domaine des droits de l'homme.
16. Le Comité accueille avec satisfaction l'adoption de la loi de 1997 relative aux droits des populations autochtones et la création ultérieure de la Commission nationale des populations autochtones (NCIP), mais il demeure préoccupé par le fait que cette loi n'est pas réellement appliquée. Il accueille également avec satisfaction les mesures positives annoncées par la délégation, mais considère qu'elles sont de portée limitée. Il est en outre préoccupé par les incidences que des activités économiques telles que les opérations minières ont sur les droits de l'homme des groupes autochtones.
L'État partie devrait assurer la mise en œuvre effective de la législation susmentionnée et veiller à ce que les droits des peuples autochtones sur leurs terres et leurs ressources soient dûment protégés face aux activités minières et autres activités concurrentes, et à ce que la capacité de la Commission nationale des populations autochtones soit renforcée. Les mesures positives devraient être élargies à la question des droits fonciers.
17. Le Comité constate avec préoccupation que les mesures de protection des enfants sont insuffisantes et que la situation d'un grand nombre d'enfants, notamment des plus vulnérables, est déplorable. Si certaines lois ont été adoptées dans ce domaine, bien des problèmes subsistent dans la pratique, comme les suivants:
a) L'absence de législation régissant la justice des mineurs - et la situation dÚplorable des enfants en dÚtention, notamment de ceux qui sont dÚtenus sans ÚlÚments de preuve pendant de longues pÚriodes;
b) Les informations persistantes faisant état de mauvais traitements et de sévices, y compris de sévices sexuels, lorsque des mineurs sont détenus dans les mêmes locaux que des adultes et dans des conditions qui peuvent être assimilées à des traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7);
c) La vulnérabilité des enfants des rues aux exécutions extrajudiciaires et à diverses formes de sévices et d'exploitation;
d) Les allégations selon lesquelles des enfants de 13 ans seulement sont recrutés par des groupes armés et ne bénéficient pas de mesures de protection adéquates de la part de l'État (art. 24);
e) L'exploitation économique des enfants, en particulier dans le secteur informel.
L'État partie devrait:
a) Accélérer l'adoption de lois régissant la justice des mineurs qui soient conformes avec les normes internationales en la matière, en application du paragraphe 3 de l'article 10 du Pacte. Le Comité recommande à l'État partie de renforcer la formation de professionnels dans le domaine de l'administration de la justice des mineurs et d'assurer les ressources humaines et financières nécessaires pour mettre réellement en œuvre la nouvelle législation;
b) Élaborer des programmes de soutien et d'aide aux enfants des rues. Il serait bon de fournir un appui aux organisations non gouvernementales qui s'occupent de ces enfants;
c) Prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des enfants qui ont été impliqués dans des conflits armés et pour leur apporter l'aide et les conseils qui leur permettront de se réinsérer dans la société (art. 24); et
d) Pour ce qui est du travail des enfants, accorder une attention particulière au suivi et à la mise en œuvre effective des normes applicables au travail dans le cas des enfants des rues et des enfants employés dans le secteur informel, ainsi que de ceux qui travaillent dans la zone de libre-échange.
18. Tout en prenant note des dispositions constitutionnelles qui garantissent l'égalité de tous devant la loi, le Comité est préoccupé par l'absence de législation interdisant expressément la discrimination raciale (art. 3 et 26).
Le Comité prie instamment l'État partie de faire le nécessaire pour adopter des lois interdisant expressément la discrimination, conformément aux articles 3 et 26 du Pacte. Il note qu'une loi relative à l'orientation sexuelle est actuellement débattue par le Congrès et demande instamment à l'État partie, à ce propos, de continuer à lutter contre toutes les formes de discrimination. Il l'invite en outre à renforcer l'éducation dans le domaine des droits de l'homme pour prévenir les manifestations d'intolérance et la discrimination de facto.
D. Diffusion d'informations concernant le Pacte (art. 2)
19. Le Comité appelle l'attention de l'État partie sur ses nouvelles directives concernant l'établissement des rapports (CCPR/C/66/GUI/Rev.1). Le quatrième rapport périodique devrait être élaboré conformément à ces directives et présenté d'ici au 1er novembre 2006. Il devrait porter en particulier sur les mesures prises pour donner effet aux présentes observations finales. Le Comité demande que le texte des deuxième et troisième rapports périodiques de l'État partie regroupés en un seul document et celui des présentes observations finales soient publiés et largement diffusés dans tout le pays.
20. Conformément au paragraphe 5 de l'article 70 du règlement intérieur du Comité, l'État partie doit faire parvenir dans un délai d'un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 10, 11 et 14. Le Comité lui demande de communiquer dans son prochain rapport des renseignements sur la suite donnée aux autres recommandations et sur l'application du Pacte dans son ensemble.