Convention Abbreviation: CCPR
COMITE DES DROITS DE L'HOMME
Observations du Comité des droits de l'homme
États-Unis d'Amérique
266. Le Comité a examiné le premier rapport des États-Unis d'Amérique (CCPR/C/81/Add.4 et HRI/CORE/1/Add.49) à ses 1401e, 1402e, 1405e et 1406e séances (29 et 31 mars 1995) (voir CCPR/C/SR.1401, 1402, 1405, 1406) et il a adopté les observations finales ci-après À sa 1413e séance (cinquante-troisième session), le 6 avril 1995. :
267. Le Comité félicite l'État partie d'avoir présenté un rapport de qualité, détaillé et rédigé conformément aux instructions. Il regrette cependant que ce rapport, s'il renseigne largement sur les dispositions de la législation fédérale qui garantissent les droits consacrés par le Pacte, n'apporte en revanche guère d'informations sur celles qui ont été adoptées par les différents États de l'Union.
268. Une délégation de haut niveau, qui comprenait beaucoup de spécialistes de divers domaines se rattachant à la protection des droits fondamentaux, a donné d'utiles précisions en présentant le rapport et répondu de façon exhaustive et structurée aux questions des membres du Comité, ce qui a permis un dialogue extrêmement riche et constructif.
269. Le Comité constate avec satisfaction que l'État partie a largement diffusé son rapport, ce qui a permis aux organisations non gouvernementales d'en connaître la teneur et de présenter leurs observations. Les représentants de plusieurs de ces organisations ont d'ailleurs assisté à l'examen du rapport par le Comité.
270. Le Comité constate que, bien que la discrimination soit proscrite par la loi, on trouve encore dans la société des comportements discriminatoires et des préjugés raciaux ou sexistes. Cela s'ajoute aux effets de la discrimination qui existaient dans le passé, qui n'ont pas encore été complètement effacés. Dans ces conditions, et avec la recrudescence de la criminalité et de la violence, il est difficile que les droits consacrés par le Pacte puissent se concrétiser pleinement pour tous les ressortissants de l'État partie sans exception.
271. Le Comité note que le système fédéral qui est celui de l'État partie laisse aux États de l'Union beaucoup de latitude dans l'application du droit, en particulier du droit pénal et du droit de la famille; à cela s'ajoute l'absence de rouages formellement établis qui permettraient l'articulation entre ces deux niveaux pour assurer que les droits consacrés par le Pacte sont traduits comme il convient dans la loi et autres dispositions. Il peut donc arriver que l'application du Pacte laisse quelque peu à désirer ici ou là dans le pays.
272. Le Comité constate que la Charte des droits fondamentaux (Bill of Rights), et les lois fédérales protègent bien les individus. Il note aussi avec satisfaction qu'il existe aux États-Unis une solide tradition et un cadre constitutionnel qui protègent de manière effective ces droits et libertés.
273. Le Comité constate avec plaisir que l'État partie vient de déposer les instruments de ratification ou d'adhésion se rapportant au Pacte, à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il prouve ainsi qu'il commence à accepter que des organes internationaux observent et contrôlent la manière dont il applique sur le plan interne les normes universelles de protection des droits de l'homme.
274. Le Comité constate avec satisfaction que le Gouvernement fédéral s'applique à prendre sur les plans législatif, judiciaire et administratif des dispositions qui assurent que les États de l'Union protègent les droits et libertés fondamentaux, et qu'il se déclare prêt à aller encore plus loin dans ce sens.
275. Le Comité est heureux de constater que, dans la première déclaration d'interprétation qu'il a faite en ratifiant le Pacte, l'État partie établit que, pour lui, le principe de non-discrimination proscrit les distinctions qui ne sont pas légitimes au regard de cet instrument.
276. Le Comité prend acte du fait que, bien que l'État partie ait déclaré que le Pacte n'est pas directement applicable sur son territoire, il laisse à ses tribunaux, selon sa délégation, toute latitude pour se laisser guider par cet instrument lorsqu'ils interprètent le droit interne.
277. Le Comité prend également acte des assurances données par l'État partie au sujet de sa déclaration concernant le système fédéral, laquelle, affirme-t-il, ne doit pas être considérée comme une réserve et ne vise pas à modifier les obligations internationales de l'État.
278. Le Comité a pris note des questions soulevées par la délégation américaine, adressées par écrit à son président, au sujet de l'Observation générale No 24 (52) relative aux réserves émises lors du dépôt des instruments de ratification ou d'adhésion se rapportant au Pacte ou à ses protocoles facultatifs (CCPR/C/21/Rev.1/Add.6). Il rappelle à cet égard les observations faites par le Président lors de la 1406e séance, le 31 mars 1995 (CCPR/C/SR.1406).
279. Le Comité note avec regret l'étendue des réserves et des déclarations, entre autres des déclarations d'interprétation, faites par l'État partie à l'égard du Pacte. Il semble ressortir de tous ces énoncés que l'État partie a voulu masquer qu'il n'accepte que ce qui est déjà inscrit dans sa législation interne. Le Comité relève en particulier les réserves au paragraphe 5 de l'article 6 et à l'article 7 du Pacte, qui lui paraissent incompatibles avec les fins de cet instrument.
280. Le Comité regrette que le personnel des organes judiciaires à tous les échelons de la structure fédérale n'ait pas été parfaitement informé des obligations assumées par l'État partie lorsqu'il a signé le Pacte et que les programmes de formation permanente ne lui fassent pas connaître cet instrument et commenter son application. Que les tribunaux nationaux concluent ou non à l'applicabilité directe du Pacte, les organes judiciaires devraient néanmoins être informés de la teneur de cet instrument.
281. Le Comité constate que, dans plusieurs États, le nombre d'infractions passibles de la peine capitale est excessif, de même que le nombre de condamnations à mort et les délais d'exécution, la longueur de ces derniers pouvant dans certains cas constituer une violation de l'article 7 du Pacte. Il est à déplorer que la loi fédérale ait récemment étendu le champ d'application de la peine de mort et que certains États l'aient rétablie. Le Comité déplore aussi l'existence dans un certain nombre d'États de dispositions de loi qui permettent de condamner à mort des mineurs de moins de 18 ans, de même que le fait que des condamnations de cette nature ont été prononcées et exécutées. Il est également regrettable qu'il n'y ait pas toujours, semble-t-il, de dispositions excluant l'application de la peine capitale aux handicapés mentaux.
282. Il apparaît qu'un grand nombre de personnes sont tuées, blessées ou maltraitées par la police qui argue pour se justifier des nécessités de sa fonction. Il est également regrettable que le public puisse se procurer facilement des armes à feu et que la législation fédérale et celle des États en la matière ne soient pas assez rigoureuses pour protéger la vie et la sécurité des individus, protection que le Pacte considère comme un droit qui doit être garanti.
283. Les garanties de légalité sont moins strictes pour les étrangers susceptibles d'être refoulés hors du pays que pour les autres étrangers; il est en particulier possible de maintenir indéfiniment en détention les personnes qui ne peuvent pas être expulsées ou extradées. La situation d'un certain nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés est également préoccupante.
284. Lorsque l'État partie soutient que le Pacte n'est en aucun cas applicable, hors de son territoire, il prend une position contraire à celle du Comité, qui a toujours considéré que, dans certaines circonstances particulières, la juridiction de l'État partie peut s'étendre en la matière à une personne qui se trouve hors du territoire de cet État.
285. Les conditions de détention dans les prisons fédérales et les prisons des États sont préoccupantes, d'autant plus que sont prévues des mesures qui aggraveraient encore le surpeuplement des établissements pénitentiaires. Il est également préoccupant que le personnel pénitentiaire masculin ait accès aux prisons de femmes, ce qui a été à l'origine de sérieuses allégations de violences sexuelles et de non-respect de l'intimité de détenues. Le Comité est particulièrement troublé par les conditions de détention dans certaines prisons de haute surveillance, conditions qui sont incompatibles avec l'article 10 du Pacte et avec l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois.
286. Il est troublant que, dans certains États, des expériences médicales à fins non thérapeutiques puissent être faites sur la personne de mineurs ou de malades mentaux avec le seul consentement de l'autorité de tutelle, ce qui contrevient à l'article 7 du Pacte.
287. Le Comité constate que certains États portent gravement atteinte à la vie privée des citoyens en qualifiant d'infractions pénales les rapports sexuels que peuvent avoir en privé des adultes consentants mais de même sexe, avec tous les effets discriminatoires que cette criminalisation peut avoir, pour ces personnes, sur l'exercice d'autres droits fondamentaux.
288. Le Comité note avec inquiétude que, dans certains États, le mode de désignation des juges, par élection, peut parfois avoir des répercussions sur la concrétisation des droits consacrés à l'article 14 du Pacte et il se réjouit que plusieurs États essaient de mettre en place un mode de sélection fondé sur le mérite. Il est préoccupant également que, dans beaucoup de régions rurales, la justice soit administrée par des personnes qui ne sont ni qualifiées ni formées pour cela. Il n'existe pas non plus de véritables moyens d'assurer que les indigents qui comparaissent devant la justice pour infraction grave soient représentés par des avocats compétents, en particulier devant les tribunaux des États.
289. Le Comité a plaisir à constater que l'État partie s'applique réellement à assurer le droit de vote à tous les individus, mais il note aussi que les frais considérables qu'entraîne une campagne électorale excluent que certaines personnes puissent se porter candidates aux élections.
290. Le Comité craint que le Congrès de l'État partie n'abolisse dans la loi les droits des autochtones. Il constate aussi que la pauvreté, la maladie et l'alcoolisme sont très répandus dans ces groupes, malgré les quelques progrès réalisés dans le cadre du Self-Governance Demonstration Project.
291. Le Comité relève dans le document de référence générale qu'un nombre disproportionné d'Américains autochtones, d'Africains-Américains, d'hispanophones et de familles dont le chef est une femme seule se trouvent en deçà du seuil de pauvreté et que, parmi les enfants de moins de 6 ans, un sur quatre vit dans ces conditions. Les personnes qui appartiennent à ces couches sociales, des pauvres qui n'ont pas de possibilités d'instruction, ne tirent pas autant de bénéfices que le reste de la population des droits consacrés par le Pacte.
292. Le Comité recommande à l'État partie de reconsidérer les réserves et les déclarations, entre autres les déclarations d'interprétation, qu'il a formulées, en vue de retirer ces restrictions, en particulier les réserves au paragraphe 5 de l'article 6 et à l'article 7 du Pacte.
293. Le Comité espère que l'État partie envisagera de signer le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
294. Le Comité recommande à l'État partie de mettre en place, à l'échelon fédéral et dans les États de l'Union, les rouages institutionnels qui conviennent pour revoir la législation et autres dispositions existantes ou proposées, afin de se conformer pleinement au Pacte, y compris en ce qui concerne l'obligation de présenter des rapports.
295. Le Comité souligne que l'État partie doit s'appliquer davantage à prévenir et à abolir les comportements discriminatoires et les préjugés qui s'exercent encore à l'encontre des femmes et des représentants de groupes minoritaires, cela en adoptant au besoin des mesures correctives systématiques. Lorsque la législation d'un État n'est pas encore parfaitement conforme aux articles du Pacte proscrivant la discrimination, il faudrait y remédier sans tarder.
296. Le Comité engage l'État partie à réviser la législation fédérale et celle des États de façon à réserver la peine de mort uniquement aux crimes les plus graves, conformément à l'article 6 du Pacte, et dans la perspective de l'abolition totale de ce châtiment. Il l'exhorte à faire le nécessaire pour que la peine capitale ne soit pas applicable pour des crimes commis avant l'âge de 18 ans. L'État partie doit absolument choisir des moyens d'exécution qui ne causent pas de souffrances inutiles et le Comité lui recommande de prendre toutes les dispositions nécessaires dans le sens de l'article 7 du Pacte.
297. Le Comité demande instamment à l'État partie de faire en sorte que la police n'abuse pas de la force, que les règles et dispositions diverses auxquelles doivent obéir les forces de police et de sécurité en ce qui concerne l'usage de leurs armes soient parfaitement conformes aux Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, que toute infraction à ces règles fasse systématiquement l'objet d'une enquête, afin que leurs auteurs soient poursuivis devant les tribunaux et sanctionnés s'ils sont jugés coupables, et que les victimes soient dédommagées. Il faudrait renforcer et étendre la réglementation limitant la vente d'armes à feu au public.
298. Le Comité recommande à l'État partie de prendre le plus tôt possible les dispositions qui conviennent pour assurer aux étrangers susceptibles d'être refoulés hors du pays les mêmes garanties légales qu'aux autres étrangers et d'établir des directives qui limitent la durée de détention des personnes qui ne peuvent pas être expulsées.
299. Le Comité espère que l'État partie prendra les mesures nécessaires pour que les conditions de détention dans les prisons fédérales et les prisons des États répondent parfaitement aux normes définies à l'article 10 du Pacte. Le législateur, le ministère public et les organes judiciaires doivent tenir compte, dans les peines imposées, du fait que le surpeuplement des prisons constitue une violation de cet article 10 du Pacte. Les dispositions réglementaires actuelles qui permettent au personnel pénitentiaire masculin d'accéder aux quartiers de femmes devraient être revues et au moins stipuler que ces agents devront toujours être accompagnés par des agents féminins. Il faudrait contrôler de très près les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, en particulier dans les prisons de haute surveillance, en veillant à ce que les détenus soient traités avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et en observant l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois. Il faudrait faire en sorte que les personnes arrêtées illégalement ou arbitrairement aient des recours effectifs qui leur permettent d'obtenir rapidement réparation, comme le stipule le paragraphe 5 de l'article 9 du Pacte.
300. Le Comité recommande à l'État partie de réviser toute disposition de la loi fédérale ou de la loi de certains États qui permet de faire des expériences à fins non thérapeutiques sur la personne de mineurs ou de malades mentaux avec le seul consentement de l'autorité de tutelle.
301. Le Comité recommande à l'État partie de reconsidérer le mode de désignation des juges — par élection — pratiqué dans certains États, afin de le remplacer par un système où les juges seront choisis par un organe indépendant et au mérite.
302. Le Comité recommande à l'État partie de faire en sorte que les droits qui ont été antérieurement reconnus aux autochtones ne puissent pas être annulés. Il l'engage vivement à faire confirmer par les organes judiciaires, au terme d'un examen approfondi, la reconnaissance des tribus par l'autorité fédérale. Il faudrait renforcer le "Self-Governance Demonstration Project" et les autres programmes de même nature pour continuer la lutte contre la pauvreté, la maladie et l'alcoolisme, qui sont largement répandus parmi les autochtones.
303. Le Comité espère que lorsque l'État partie décidera s'il doit ou non rapporter les actuelles mesures correctives systématiquement appliquées en faveur des minorités et des femmes, il tiendra compte de son obligation de donner effet aux droits énoncés par le Pacte dans la législation et dans la pratique.
304. Le Comité recommande à l'État partie de faire mieux connaître la teneur du Pacte au grand public et de faire en sorte que les gens de loi et les autorités judiciaires et administratives au niveau fédéral et dans les États assimilent suffisamment ces dispositions pour qu'elles soient réellement traduites dans les faits.