Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er novembre 2002,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est M. Jacobus Gerardus Strik, de nationalité
néerlandaise, né le 6 octobre 1938. Il se dit victime d'une violation par
les Pays-Bas (1), du paragraphe 2 de l'article 5, de l'article 7, des
paragraphes 6 et 7 de l'article 14, du paragraphe 1 de l'article 15, du paragraphe
2 de l'article 19 et de l'article 26 du Pacte. Il n'est pas représenté par
un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur était un employé de mairie de la ville d'Eindhoven depuis
30 ans. Le 8 avril 1990, il a envoyé un rapport au service du personnel
ainsi qu'au conseil municipal d'Eindhoven, pour se plaindre du traitement
que lui avaient fait, selon lui, subir ses supérieurs hiérarchiques. Il
avait apparemment usé d'un langage diffamatoire. La municipalité d'Eindhoven
a considéré qu'en écrivant ce rapport l'auteur avait négligé ses obligations
professionnelles et avait diffamé ses employeurs. Dans une décision du 25
septembre 1990, la municipalité a donc décidé de supprimer pour deux ans
les deux dernières augmentations de salaire dont l'auteur avait bénéficié,
de le rétrograder temporairement et de l'affecter à un autre service.
2.2 L'auteur a fait appel de la décision de la municipalité en saisissant
l'Ambtenarengerecht de Bois-le-Duc (s-Hertogenbosch) (2), qui, dans
une décision du 6 juin 1991, a statué que la municipalité était fondée à
prendre des mesures disciplinaires, mais que celles-ci étaient disproportionnées
par rapport à la nature et aux circonstances de la faute de service, parce
que l'auteur était surmené au moment des faits. Le tribunal a donc annulé
ces mesures disciplinaires et a laissé la municipalité d'Eindhoven libre
de prendre d'autres mesures disciplinaires, qui tiennent compte de la décision
du tribunal.
2.3 Le 15 décembre 1992, la municipalité ayant fait appel, la Commission
centrale de recours a confirmé la décision de la juridiction inférieure.
Le 5 janvier 1993, la municipalité d'Eindhoven a pris une nouvelle décision
et imposé de nouvelles mesures disciplinaires consistant en une réduction
de salaire identique à celle de la première décision.
2.4 Depuis le 11 avril 1990, l'auteur était en congé de maladie. Le médecin
du travail ayant estimé que l'auteur pouvait reprendre son travail sous
certaines conditions, ce dernier a travaillé du 1er janvier 1991 au 1er
janvier 1992 au service des affaires culturelles de la municipalité. Par
la suite, la municipalité n'ayant pas été en mesure de lui trouver un autre
poste susceptible de lui convenir, l'auteur a fait l'objet de ce que la
municipalité a appelé un «licenciement honorable», à compter du 1er août
1993, accompagné d'une allocation s'élevant à 80 % de son salaire.
2.5 Étant donné que l'auteur a refusé en février 1994 un emploi que la
municipalité lui offrait pour deux mois, cette dernière a décidé de diminuer
l'indemnité pendant huit mois. L'auteur a porté l'affaire devant le tribunal
de district en demandant que la réduction de l'allocation soit suspendue,
et a été débouté le 2 juillet 1994. D'après la loi, un fonctionnaire qui
est au bénéfice d'une allocation peut se voir proposer un emploi approprié
dans un autre service afin de réduire les frais à la charge de l'employeur.
À ce stade, l'auteur avait déjà atteint l'âge de 55 ans ce qui devait, selon
lui, le dispenser de l'obligation d'accepter cet emploi.
2.6 Le 4 juillet 1996, le tribunal de district a rendu sa décision concernant
la demande de l'auteur qui attaquait les quatre décisions de la municipalité:
a) réduction du salaire à titre de mesure disciplinaire (décision du 5 janvier
1993); b) licenciement (décision du 8 juin 1993); c) fixation du montant
de l'allocation en fonction du salaire réduit (décision du 23 juin 1993)
et d) réduction temporaire de l'allocation du fait du refus d'accepter un
emploi qui pouvait lui convenir. Le tribunal a statué dans une décision
du 4 juillet 1996, en ce qui concerne la première décision attaquée [décision
a)], que la municipalité était fondée à imposer de nouvelles mesures disciplinaires
et que l'argument de l'auteur qui invoquait le principe ne bis in idem
n'était pas valable parce que les premières mesures disciplinaires avaient
été annulées et que la deuxième décision de la municipalité remplaçait la
première. Le tribunal a toutefois considéré que la sanction consistant en
une réduction totale de 10 000 florins était toujours disproportionnée par
rapport à la nature de la faute de service. Pour ce qui est de la deuxième
décision attaquée [décision b)], il a considéré que le licenciement de l'auteur
du fait de l'impossibilité de lui retrouver un emploi approprié n'était
pas déraisonnable. La troisième décision [décision c)] a été annulée par
le tribunal - qui pourtant en approuvait le fondement - comme
conséquence de sa décision concernant le grief a). Enfin, en ce qui concerne
la quatrième décision attaquée [décision d)], le tribunal de district a
débouté l'auteur, considérant qu'il n'avait pas le droit de refuser le travail,
et qu'en pareil cas, la loi prévoit la réduction des allocations telle qu'elle
lui a été imposée.
2.7 Suite au recours, la Commission centrale de recours a décidé en dernier
ressort, le 22 janvier 1998, de confirmer la décision du tribunal de district
datée du 4 juillet 1996.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il est victime d'une violation du droit à une indemnisation,
prévu par la loi, en réparation de la sanction illégale, qui lui a été infligée,
du droit de ne pas être puni une deuxième fois pour une infraction qui avait
fait l'objet d'une décision finale, du droit de ne pas être puni pour un
acte qui ne constituait pas une infraction au moment des faits, du droit
de ne pas faire l'objet de discrimination au motif de l'âge, du droit d'exprimer
librement son opinion ainsi que du droit de ne pas être soumis à un traitement
inhumain.
3.2 L'auteur fait valoir qu'il a été puni plusieurs fois pour les mêmes
faits de par les décisions de son employeur du 25 septembre 1990, du 5 janvier
et du 8 juin 1993, et que ce préjudice n'a pas été réparé en dépit de la
décision de la Commission centrale de recours qui lui était favorable, ce
qui constitue une violation des paragraphes 6 et 7 de l'article 14.
3.3 L'auteur fait valoir ce que la Commission centrale de recours, en ajoutant
l'obligation de démissionner aux autres peines, lui a infligé une peine
plus lourde que celle qui était applicable au moment de l'infraction, ce
qui constitue une violation de l'article 15 du Pacte.
3.4 L'auteur se déclare victime d'une violation de l'article 26 ou du paragraphe
2 de l'article 5 du Pacte, parce que le tribunal n'a pas appliqué la législation
qui empêchait qu'on l'oblige à travailler alors qu'il avait atteint l'âge
de 55 ans et lui a imposé plusieurs peines pour les mêmes faits lorsqu'il
a été décidé qu'il devait démissionner, alors que la loi l'interdit.
3.5 L'auteur dit avoir été sanctionné pour faute de service et diffamation
pour avoir rédigé un rapport dans lequel il se plaignait du traitement que
lui avaient infligé ses supérieurs alors que le rapport en question reposait
sur des faits concrets et n'avait été adressé qu'à la municipalité pour
laquelle il travaillait, ce qui constitue une violation du droit à la liberté
d'expression énoncé au paragraphe 2 de l'article 19 du Pacte.
3.6 L'auteur fait valoir qu'il a été victime d'un traitement inhumain,
en violation de l'article 7 du Pacte, parce que la Commission centrale de
recours a tiré argument de son état de santé pour justifier son licenciement,
et parce que la procédure dans son ensemble a été très longue.
Réponse de l'État partie quant à la recevabilité
4.1 Par note verbale datée du 1er octobre 2001, l'État partie a informé
le Comité qu'il contestait la recevabilité de la communication.
4.2 L'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas épuisé les recours internes
puisqu'il n'a pas porté les griefs qui font l'objet de la communication
soumise au Comité devant les tribunaux nationaux. L'auteur n'a donc pas
rempli la condition de recevabilité énoncée à l'article 2 du Protocole facultatif.
4.3 En outre, en ce qui concerne l'allégation de violation des articles
14 et 15 du Pacte, ces dispositions ne s'appliquent pas en l'espèce, puisque
l'auteur n'a pas fait l'objet de poursuites du fait de la teneur du rapport
qu'il a envoyé à la municipalité.
4.4 L'État partie relève en outre qu'en aucune circonstance, l'auteur n'a
été soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 7
du Pacte.
4.5 En ce qui concerne la plainte pour traitement discriminatoire (art.
26 du Pacte) et pour atteinte à la liberté d'expression (art. 19 du Pacte),
l'État partie objecte que l'auteur n'a avancé aucun argument valable.
4.6 L'État partie se réfère à la décision d'irrecevabilité rendue le 29
octobre 1998 par la Commission européenne des droits de l'homme dans la
même affaire: la Commission, après avoir étudié les pièces soumises par
l'auteur, a conclu qu'elles ne font pas apparaître de violation des droits
énoncés dans la Convention européenne et ses Protocoles. Il affirme donc
que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que la plainte
n'est pas étayée et renvoie aux décisions du Comité dans les affaires nos
419/1990, 379/1989, 378/1989, 341/1988 et 329/1988.
Commentaires de l'auteur
5.1 Par des lettres datées du 20 novembre 2001 et du 20 février 2002, l'auteur
a fait parvenir ses commentaires sur la réponse de l'État partie.
5.2 Au sujet de l'objection de non-épuisement des voies de recours internes
opposée par l'État partie, l'auteur fait valoir qu'il a porté ses griefs
devant la juridiction nationale la plus élevée et considère donc qu'il a
épuisé tous les recours internes.
5.3 En ce qui concerne l'objection de l'État partie qui affirme que les
articles 14 et 15 du Pacte ne s'appliquent pas parce qu'il n'a pas fait
l'objet de poursuites, l'auteur avance qu'il a néanmoins été puni trois
fois pour les mêmes faits et que la peine qui lui a été infligée était plus
lourde que celle qui était prescrite par la loi, ce qui constitue une violation
desdits articles.
Délibérations du Comité
6. Le Comité, agissant par l'intermédiaire de son rapporteur spécial pour
les nouvelles communications, a décidé le 12 février 2002 d'examiner la
question de la recevabilité et le fond de la communication séparément.
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
7.2 Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe
2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif, que la même question n'était
pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement (3).
7.3 En ce qui concerne l'argument de l'auteur qui fait valoir qu'il a été
puni plusieurs fois pour les mêmes faits, dans les décisions prises par
son employeur le 25 septembre 1990, les 5 janvier et 8 juin 1993, que le
préjudice n'a pas été réparé malgré la décision en sa faveur de la Commission
centrale de recours et que cette dernière, en ajoutant l'obligation de démissionner
à d'autres peines, lui a infligé une peine plus lourde que celle qui était
applicable au moment où l'infraction a été commise, ce qui constitue une
violation des paragraphes 6 et 7 de l'article 14 et de l'article 15 du Pacte,
le Comité note que les dispositions du Pacte invoquées visent les infractions
pénales, alors que l'auteur n'a été l'objet que de mesures disciplinaires,
et note aussi que les éléments dont il est saisi ne portent pas sur une
«infraction pénale» ou un «acte délictueux» au sens des articles 14 et 15
du Pacte. Cette partie de la communication ne relève pas du champ d'application
du Pacte et est irrecevable, ratione materiae, au titre de l'article
3 du Protocole facultatif.
7.4 En ce qui concerne le fait que d'après la décision de la Commission
centrale de recours, la loi néerlandaise ne conférait pas à l'auteur, qui
avait atteint l'âge de 55 ans, le droit de refuser un nouvel emploi, le
Comité note que l'auteur n'a pas démontré le contraire en produisant des
documents valables. En conséquence, le Comité conclut que l'allégation de
violation de l'article 26, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l'article
5, n'est pas étayée, aux fins de la recevabilité de la communication, et
qu'elle est de ce fait irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif.
7.5 En ce qui concerne le grief d'atteinte à la liberté d'expression, le
Comité note que prendre des mesures disciplinaires ou autres à l'encontre
d'un employé de mairie au motif qu'il a rédigé un rapport critique envers
son employeur, lequel qualifie le libellé de diffamatoire, pourrait soulever
des questions au regard de l'article 19 du Pacte. Toutefois, puisque toutes
les sanctions disciplinaires imposées pour ce motif ont été par la suite
annulées par les tribunaux de l'État partie, le Comité considère que l'auteur
n'est plus fondé à se déclarer victime d'une violation de l'article 19 du
Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable
en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
7.6 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 7 du Pacte
au motif que l'auteur aurait été soumis à un traitement inhumain du fait
de la décision de la Commission centrale de recours de l'autoriser à travailler
sous certaines conditions, et de l'inexécution par son employeur des décisions
de la Commission centrale de recours qui lui étaient favorables, le Comité
conclut que l'auteur n'a pas montré, aux fins de la recevabilité de sa communication,
en quoi ce traitement pourrait soulever des questions au titre de l'article
7 du Pacte.
7.7 Étant donné les conclusions qui précèdent, le Comité n'a pas à examiner
les autres arguments de l'État partie concernant la recevabilité de la communication.
8. En conséquence, le Comité des droits de l'homme décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du
Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la communication
et transmise pour information à l'État partie.
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[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
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* Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l'examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati,
Mme Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Ahmed Tawfik Khalil,
M. Eckart Klein, Mme Cecilia Medina Quiroga, M. Rafael Rivas Posada, M. Martin
Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen et M. Maxwell Yalden.
1. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Pays-Bas le 10
décembre 1978.
2. Tribunal administratif pour la fonction publique.
3. L'affaire a été soumise à la Commission européenne des droits de l'homme,
qui l'a déclarée irrecevable le 29 octobre 1998.