Comité des droits de l'homme
Soixante-dix-neuvième session
20 octobre - 7 novembre 2003
ANNEXE
Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe
4
de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques*
- Soixante-dix-neuvième session -
Communication No. 1006/2001
Présentée par: |
M. José Antonio Martínez Muñoz (représenté par M. José
Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
L'auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
15 novembre 2000 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l'homme, institué en application de l'article
28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 octobre 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1006/2001, présentée
au nom de M. José Antonio Martínez Muñoz en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont
été transmises par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte les constatations ci-après:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5
du Protocole facultatif
1. L'auteur de la communication, datée du 3 mai 1999, est M. José Antonio
Martínez Muñoz, de nationalité espagnole. Il se dit victime de violations
par l'Espagne du paragraphe 1 de l'article 14, des alinéas b, c
et d du paragraphe 3 de l'article 14, et de l'article 17 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat.
Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l'Espagne le 25 janvier
1985.
Rappels des faits présentés par l'auteur
2.1 Le 21 septembre 1990, l'auteur, avec six autres personnes, a couvert
de graffitis («pintadas») en faveur du droit à l'insoumission et contre
le service militaire la façade extérieure des arènes de la localité de Yecla.
Pour ces faits, les intéressés ont été interpellés par deux agents de la
police locale; selon l'auteur, lorsque l'un des policiers a essayé de l'appréhender,
des coups ont été échangés et l'auteur a frappé accidentellement le policier
à l'œil, provoquant une contusion.
2.2 L'auteur a été détenu le 21 septembre 1990 et libéré le 22 septembre
1990. L'audience s'est déroulée le 14 juin 1995. Le procureur a inculpé
l'auteur pour avoir commis deux contraventions et un délit et, le 16 juin
1995, le tribunal correctionnel no 3 de Murcie l'a condamné pour atteinte
à un agent de la force publique à une peine d'emprisonnement, de six mois
et un jour, et au versement de 70 000 pesetas au policier blessé, à titre
d'indemnisation.
2.3 L'auteur a fait appel devant l'Audiencia Provincial de Murcie,
en alléguant la violation du principe de l'égalité devant la loi et de l'égalité
des armes, ainsi que la violation des droits de la défense. Toutes ces allégations
ont été rejetées le 20 novembre 1995.
2.4 L'auteur a introduit un recours en amparo et demandé à la Cour
constitutionnelle de l'exempter du ministère d'avoué et de l'autoriser à
se représenter lui-même. Cette demande lui ayant été refusée le 15 janvier
1996, il a sollicité la désignation d'un avoué commis d'office. Après la
nomination de ce dernier, conformément à l'article 27 de la loi sur l'aide
juridictionnelle gratuite, la Cour constitutionnelle a exigé que l'avocat
librement choisi par l'auteur renonce à ses honoraires. Suite à cette décision,
l'auteur a introduit un recours en révision, lequel a été rejeté le 22 mars
1996.
2.5 L'avocat librement choisi ayant refusé de renoncer à ses honoraires,
le 13 décembre 1995 l'auteur a demandé que soit désigné un avocat commis
d'office. L'avocate qui a été désignée a demandé à la Cour constitutionnelle
de la dispenser de présenter le recours en amparo, estimant celui-ci
insuffisamment fondé en raison de l'inexistence de violations de droits
fondamentaux.
2.6 L'auteur a alors décidé de renoncer à l'avocate commise d'office. Cependant,
le 1er juillet 1996, la Cour constitutionnelle l'a informé qu'il n'était
pas possible d'accéder à sa demande, et a transmis le dossier au Conseil
de l'ordre des avocats espagnols, lequel a conclu, le 9 septembre 1996,
que le recours en amparo que l'avocate commise d'office n'avait pas
voulu introduire était partiellement fondé, seule étant recevable la plainte
relative à la durée excessive de la procédure.
2.7 Le 7 octobre 1996, une seconde avocate commise d'office a été désignée,
et l'auteur a pu bénéficier d'un nouveau délai de 20 jours pour préparer
et introduire le recours en amparo en ce qui concernait la durée
excessive de la procédure; le 5 mars 1997, la Cour constitutionnelle a rejeté
ce recours, au motif qu'il était mal fondé.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur se dit victime de violations du paragraphe 1 de l'article
14 du Pacte. Selon lui, les principes d'égalité devant la loi et d'égalité
des armes ont été violés parce qu'au cours du procès le ministère public
a bénéficié de «privilèges inexplicables», comme par exemple celui de proposer
certains actes de procédure. Il soutient également qu'en refusant de l'autoriser
à être dispensé d'avoué et à se représenter lui-même devant la Cour constitutionnelle,
on a créé une situation d'inégalité vis-à-vis des licenciés en droit. Selon
l'auteur, les dispositions du paragraphe 1 de l'article 81 de la loi organique
relative à la Cour constitutionnelle créent une inégalité injustifiée dans
la mesure où, selon lui, les services de l'avoué se limitent à la transmission
de documents entre la Cour et l'avocat.
3.2 L'auteur affirme que le droit de préparer sa défense, prévu à l'alinéa
b du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte, a été violé par le fait
que le juge no 3 de Murcie n'a pas autorisé son avocate à l'interroger convenablement,
qualifiant de tendancieuse la manière dont le juge a mené l'interrogatoire.
De même, le défenseur n'a pas été autorisé à demander à l'un des témoins
de décrire ce qu'il s'était passé, élément fondamental pour la défense car
cela aurait permis, selon l'auteur, de démontrer que le coup à l'œil
avait été porté de manière accidentelle.
3.3 L'auteur soutient que l'alinéa c du paragraphe 3 de l'article
14 du Pacte a été violé, alléguant que l'intervalle de près de cinq ans
qui s'est écoulé entre la date des faits, survenus le 21 septembre 1990,
et l'audience, tenue le 14 juin 1995, constitue une violation de son droit
à un jugement rapide et sans retard excessif; en effet, selon lui, le caractère
peu complexe de l'affaire ne justifiait pas un tel retard.
3.4 L'auteur affirme que l'alinéa d du paragraphe 3 de l'article
14 du Pacte, qui garantit le droit d'être assisté par un avocat commis d'office,
a été violé, faisant valoir que l'avocate qui a été désignée n'a pas rempli
son devoir de manière efficace devant la Cour constitutionnelle. Il soutient
qu'en demandant à être dispensée de présenter le recours pertinent, celle-ci
a préjugé sa cause.
3.5 L'auteur affirme que la loi qui prévoit que l'avocat librement choisi
doit renoncer à ses honoraires lorsqu'il agit de concert avec un avoué commis
d'office constitue une violation de l'article 17 du Pacte. Selon lui, cette
disposition constitue une immixtion arbitraire dans le domaine privé des
relations entre l'avocat et son client.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans ses observations du 1er octobre 2001, l'État partie conteste la
recevabilité de la communication en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif,
faisant valoir que les recours internes n'ont pas été épuisés, dès lors
que, bien que l'auteur ait interjeté appel devant l'Audiencia Provincial
de Murcie de la décision du tribunal correctionnel no 3, ni lui ni son
avocat n'ont comparu à l'audience en appel, au cours de laquelle l'auteur
aurait pu présenter ses allégations. L'État partie affirme qu'en ne comparaissant
pas en seconde instance, l'auteur a volontairement renoncé à la possibilité
de formuler des plaintes, ou de les corriger; c'est la raison pour laquelle,
en statuant sur le recours, l'Audiencia Nacional a dû se limiter
au contenu des pièces écrites.
4.2 L'État partie soutient que la plainte de l'auteur relative à la procédure
sommaire n'a pas été formulée devant les tribunaux espagnols; partant, elle
n'a pas été examinée, et n'a pas pu faire l'objet d'une décision. Il en
va de même des plaintes relatives à la manière dont l'interrogatoire a été
conduit et à la représentation devant la Cour constitutionnelle. L'État
partie affirme que, dans le recours en amparo que le défenseur de
l'auteur a présenté devant cette juridiction, celui-ci a uniquement allégué
le retard excessif du procès et présenté en même temps une demande de grâce.
Dans sa décision, la Cour s'est limitée à examiner ces allégations.
4.3 L'État partie soutient que la Cour constitutionnelle ne s'est pas opposée
de façon absolue à ce que l'avocat librement choisi par l'auteur assure
sa défense, mais que, l'aide juridictionnelle gratuite lui ayant été reconnue
en raison de la faiblesse de ses ressources, il lui était interdit de verser
des honoraires à un professionnel du droit. L'avocat n'étant pas disposé
à renoncer à ses honoraires, il a refusé d'assurer la défense de l'auteur
et demandé à ce qu'un avocat soit désigné d'office. En ce qui concerne le
comportement de l'avocate commise d'office, la plainte se fonde sur une
différence entre la méthode de cette dernière et celle de l'avocate actuelle.
L'État partie fait valoir que, après que la première avocate commise d'office
eut présenté ses conclusions, dans lesquelles elle estimait le recours insuffisamment
fondé, le Conseil de l'ordre des avocats a formulé des observations qui
ont conduit à la désignation d'une nouvelle avocate commise d'office, laquelle
a présenté le recours en amparo. L'auteur a donc été assisté par
un défenseur.
4.4 L'État partie soutient que les faits n'ont pas de rapport avec le droit
au respect de la vie privée, énoncé à l'article 17 du Pacte, et que, par
conséquent, conformément aux dispositions de l'article 3 du Protocole facultatif,
la plainte doit être déclarée irrecevable ratione materiae.
4.5 Selon l'État partie, l'auteur prétend que la durée excessive du procès
devait entraîner sa grâce. Il soutient que le Pacte ne comportant aucune
disposition en ce sens, la plainte se rapportant à l'alinéa c du
paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte n'est pas fondée. Il affirme que,
conformément aux articles 292 et suivants de la loi organique relative au
pouvoir judiciaire, la durée excessive du procès autorise les justiciables
à réclamer une indemnisation pour mauvais fonctionnement de la justice.
Or, l'auteur n'ayant pas présenté cette réclamation prévue par la loi, il
n'a pas épuisé les recours internes.
4.6 Dans ses observations du 18 février 2002, l'État partie a signalé au
Comité que ses commentaires du 1er février 2001 devaient s'appliquer également
au fond, faisant valoir que, les plaintes n'ayant pas été formulées dans
le cadre des voies internes, il n'avait pas été possible de les examiner
ni de statuer sur elles, et qu'il lui était donc impossible de les commenter.
Commentaires de l'auteur sur les observations de l'État partie
5.1 Par lettre du 2 janvier 2002, relative à son recours en appel, l'auteur
soutient que le fait qu'il n'a pas assisté à l'audience n'avait pas pour
conséquence la perte du droit à l'examen des arguments préalablement exposés
par écrit; en effet, le premier considérant du jugement lui-même précise
que «le fait pour l'appelant de ne pas comparaître à l'audience en seconde
instance n'empêche pas de connaître des motifs de la contestation formulée
dans les conclusions…». L'auteur affirme qu'il n'a pas assisté à l'audience
parce que l'avouée commise d'office n'avait pas transmis à temps la notification
à son avocate.
5.2 L'auteur soutient que son recours en amparo ne s'est pas limité
à une allégation unique relative au retard excessif du procès, et à une
demande de grâce. Selon lui, il convient d'observer que l'avocate commise
d'office n'a pas tenu compte de ses arguments et qu'elle n'a pas exposé
toutes ses plaintes devant la Cour constitutionnelle, ce qui n'est pas imputable
à l'auteur mais à l'incompétence de la défense et, partant, à l'État partie
puisque c'est lui qui désigne les défenseurs commis d'office.
5.3 L'auteur affirme que sa plainte relative à l'inégalité des armes entre
le procureur et son défenseur au cours de la procédure pénale sommaire a
été retirée dans le recours en appel; en effet, cette question ne méritait
pas d'être soulevée devant la Cour constitutionnelle car elle n'avait guère
de chances de prospérer.
5.4 En ce qui concerne la plainte relative aux limites imposées à la défense,
l'auteur allègue que l'État partie ne fait que contester sans avancer ses
motifs. Il insiste sur le fait que le juge n'a pas autorisé son avocate
à poser certaines questions parce qu'il les jugeait captieuses ou tendancieuses,
mais qu'il a traité différemment le procureur, lequel a eu toute latitude
pour l'interroger et ne s'est pas vu interdire de poser des questions qui
semblaient cependant formulées dans un style similaire.
5.5 L'auteur soutient que la Cour constitutionnelle devait l'autoriser
à se représenter lui-même; il insiste en effet sur le fait que les fonctions
d'avoué se limitent à recueillir des notifications et à les transmettre
à l'avocat, et qu'il sollicitait non une dispense d'avocat mais d'avoué.
5.6 Il affirme que les deux avocates commises d'office n'ont pas satisfait
aux exigences d'une défense efficace, puisqu'elles ont laissé en dehors
du recours en amparo les arguments fondés exposés dans le recours
en appel, ce qui constitue selon lui une violation de l'alinéa d
du paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte.
5.7 L'auteur soutient que l'article 17 du Pacte a été violé, faisant valoir
que l'article 27 de la loi sur l'aide juridictionnelle gratuite autorise
les personnes qui bénéficient de cette assistance à engager leur propre
avocat et leur propre avoué, et à prendre en charge leurs honoraires; en
revanche, lorsque le bénéficiaire fait appel à un avocat ou à un avoué de
son choix, ledit article prévoit que l'autre professionnel désigné renonce
par écrit, et par-devant le collège professionnel, à percevoir des honoraires,
ce qui ne se justifie pas.
5.8 Dans sa lettre du 18 avril 2002, l'auteur répond aux commentaires de
l'État partie datés du 18 février 2002, sans toutefois répéter les allégations
formulées le 2 janvier 2002.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement
intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
6.2 Conformément à l'alinéa a du paragraphe 2 de l'article 5 du
Protocole facultatif, le Comité s'est assuré que la même question n'est
pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement.
6.3 L'auteur soutient que le paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte
a été violé, faisant valoir qu'au cours du procès des privilèges ont été
accordés au ministère public, lequel a été autorisé à proposer des actes
de procédure après le commencement de la procédure sommaire. À cet égard,
le Comité observe que l'auteur ne motive pas sa plainte en précisant en
quoi ont consisté lesdits actes, ni en quoi ils lui ont causé un préjudice.
De même, l'auteur n'étaie pas sa plainte lorsqu'il affirme que le tribunal
no 3 de Murcie a accordé une totale liberté au procureur au cours de l'interrogatoire,
et n'a pas censuré les questions formulées dans un style semblable à celui
que son défenseur n'a pas été autorisé à utiliser. Cette partie de la plainte
est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
6.4 L'auteur allègue une violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte,
faisant valoir que le refus de l'autoriser à se passer d'un avoué et à se
représenter lui-même devant la Cour constitutionnelle a créé une situation
d'inégalité vis-à-vis des licenciés en droit, ce qui ne se justifie pas.
À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence constante,(1) à
savoir que l'exigence d'un avoué se justifie par la nécessité qu'une personne
connaissant le droit soit chargée de la présentation du recours devant cette
juridiction. Il considère par conséquent que les allégations de l'auteur
n'ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Cette partie
de la plainte est donc jugée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole
facultatif.
6.5 L'auteur soutient que son droit à la défense, visé à l'alinéa b
du paragraphe 3 de l'article 14, a été violé car le juge n'a pas autorisé
son avocate à l'interroger en la forme souhaitée, qualifiant celle-ci de
tendancieuse; de même, le juge n'a pas autorisé l'un des témoins à décrire
ce qu'il s'était passé, ce qui était selon l'auteur fondamental pour sa
défense. Le Comité observe que le rejet de cette plainte a été motivé tant
par le tribunal de première instance que par l'Audiencia Nacional
lorsqu'elle a statué sur le recours en appel. Il rappelle à cet égard sa
jurisprudence constante, selon laquelle l'interprétation du droit interne
dans les cas particuliers est généralement du ressort des tribunaux et des
autorités des États parties au Pacte. Il n'appartient donc pas au Comité
d'apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf si les décisions internes
prises ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice.
En l'espèce, l'auteur n'a pas étayé sa plainte. En conséquence, cette partie
de la communication est déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du
Protocole facultatif.
6.6 L'Etat partie soumet que la communication devrait être déclarée irrecevable,
affirmant que les recours internes n'ont pas été épuisés, dans la mesure
où l'auteur n'a pas fait usage du recours administratif prévu par la loi
N°6/1985 sur le Pouvoir Judiciaire (Ley Organica 6/1985 del Poder Judicial).
Cette loi, en son Chapitre V, stipule les conditions en vertu desquelles
ceux qui se considèrent victime d'un préjudice en raison des délais non-raisonnables
des procédures judiciaires, qui constituent une irrégularité dans l'administration
de la justice de l'Etat partie, peuvent réclamer une compensation de l'Etat.
Le Comité rappelle sa jurisprudence en sa communication N°864/1999, Alfonso
Ruiz Agudo c. Espagne, en vertu de laquelle les recours internes sont
considérés comme épuisés, malgré la possibilité d'un recours en compensation
en vertu de la loi administrative, si les procédures judiciaires ont été
irraisonnablement prolongées, ceci en l'absence d'explication suffisante
fournie par l'Etat partie. Dans le cas présent, les évènements se sont produits
le 21 septembre 1990, l'auteur a été détenu le même jour et libéré deux
jours plus tard, il a été inculpé en 1992; son audition s'est déroulée le
14 juin 1995 ; le jugement du tribunal de première instance a été délivré
le 16 juin 1995, et le jugement du tribunal provincial de Murcia le 20 novembre
1995. Les appels formés par l'auteur ont été rejetés aux deux stades du
procès et, le 5 mars 1997, le tribunal constitutionnel n'a pas retenu sa
plainte portant sur le retard non-raisonnable. Prenant en compte ce retard,
la nature du délit, et l'absence d'éléments qui auraient compliqué les enquêtes
et les procédures judiciaires, ainsi que l'absence d'explication de la part
de l'Etat partie relativement au retard de telles procédures, le Comité
conclue que la communication est recevable quant à une possible violation
de l'article 14, paragraphe 3 (c), du Pacte.
6.7 L'auteur affirme que l'alinéa d du paragraphe 3 de l'article
14 du Pacte, qui garantit le droit d'être assisté par un avocat commis d'office,
a été violé, faisant valoir que l'avocate qui a été désignée n'a pas rempli
son devoir de manière efficace devant la Cour constitutionnelle. Le Comité
note à cet égard qu'à la suite des conclusions formulées par le Conseil
de l'ordre des avocats le 9 septembre 1996, une seconde avocate commise
d'office a été désignée, laquelle a introduit un recours en amparo dans
le délai fixé par la Cour constitutionnelle et pour les motifs suggérés
par le Conseil de l'ordre des avocats. Par conséquent, le Comité estime
que l'auteur n'a pas étayé son allégation aux fins de la recevabilité et
que cette partie de la plainte est donc irrecevable en vertu de l'article
2 du Protocole facultatif.
6.8 L'auteur affirme qu'il y a eu violation de l'article 17 du Pacte
étant donné que la loi sur l'aide juridictionnelle gratuite prévoit que
l'avocat librement choisi doit renoncer à ses honoraires lorsqu'il agit
de concert avec un avoué commis d'office, ce qui constitue une immixtion
arbitraire dans le domaine privé des relations entre l'avocat et son client.
Aucun des arguments avancés par l'auteur ne permet au Comité de penser qu'il
existe un rapport entre les faits considérés et l'article 17 du Pacte; cette
partie de la communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu
de l'article 2 du Protocole facultatif.
Examen au fond
7.1 L'auteur soutient que son procès a donné lieu à des retards excessifs,
puisque près de cinq années se sont écoulées entre la date des faits et
celle de l'audience. Le Comité prend acte des circonstances de l'affaire;
ainsi, il observe qu'il s'agissait d'un flagrant délit, qui n'exigeait donc
pas que la police effectue une enquête approfondie pour établir les éléments
de preuve, et que, comme le signale l'auteur, l'absence de complexité de
l'affaire ne justifie pas le retard observé. Le Comité rappelle sa jurisprudence
constante, à savoir qu'il faut démontrer l'existence de raisons exceptionnelles
pour justifier un retard dans le jugement, retard qui est en l'espèce de
près de cinq ans. L'État partie n'ayant pas fourni de raisons susceptibles
de justifier un tel retard, le Comité conclut que l'alinéa c du paragraphe
3 de l'article 14 du Pacte a été violé.
7.2 L'alinéa a du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte prévoit que
l'État partie doit garantir aux auteurs un recours utile, permettant une
indemnisation adéquate. L'État partie a l'obligation de prendre les mesures
nécessaires pour éviter qu'à l'avenir de telles violations ne se reproduisent.
7.3 En adhérant au Protocole facultatif, l'Espagne a reconnu que le Comité
avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte.
Conformément à l'article 2 du Pacte, l'État partie s'est engagé à garantir
à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction
les droits reconnus dans le Pacte, et à leur assurer un recours utile et
exécutoire lorsqu'une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir
de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les
mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est
également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
____________________________
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra
ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente
communication: M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal
Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, Mme. Christine Chanet, M. Franco
Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik
Khalil, M. Rajsoomer Lallah, M. Rafael Rivas Posada, M. Nigel Rodley,
M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari Yrigoyen, Mme. Ruth
Wedgwood, M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Le texte d'une opinion individuelle signée de M. Nisuke Ando, Mme. Ruth
Wedgwood, M. Roman Wieruszewski Kälin et M. Maxwell Yalden est joint au
présent document.
Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, M. Maxwell Yalden,
Mme Ruth Wedgwood et M. Roman Wieruszewski, membres du Comité
Il nous est impossible de souscrire dans la présente affaire au point
de vue de la majorité selon lequel il y a eu violation du paragraphe 3 c)
de l'article 14 du Pacte. Ce point de vue est que l'auteur a été jugé avec
un retard excessif dès lors que près de cinq ans se sont écoulés entre la
date de l'incident et celle de la condamnation.
Toutefois, ce point de vue n'est pas étayé par le dossier incomplet dont
dispose le Comité. Ce dossier indique que l'auteur a été arrêté pour avoir
agressé un policier le 21 septembre 1990 dans la ville de Yecla en Espagne
et qu'il a été libéré le lendemain. Le 29 septembre 1992, il y a eu une
sorte d'audience judiciaire sur les chefs d'accusation potentiels mais nous
ne disposons d'aucun compte rendu ou résumé de cette audience. Un procès
en première instance s'est ouvert le 14 juin 1995, la déclaration de culpabilité
a été prononcée le 16 juin 1995 et le jugement a été confirmé par la Haute
Cour provinciale le 20 novembre 1995. Le 5 mars 1997, la Cour constitutionnelle
a rejeté l'allégation de l'auteur selon laquelle il y a été jugé avec un
retard excessif estimant que sa «requête ne contenait pas suffisamment d'informations
pour qu'une décision puisse être prise». Se référer à cet égard au paragraphe
2.7 des constatations du Comité.
Avec tout le respect dû au point de vue de la majorité, nous constatons
que nous faisons face au même dilemme que la Cour constitutionnelle. L'auteur,
qui est représenté par un conseil devant le Comité, n'a pas fourni une chronologie
des faits qui apporte au Comité les informations requises et encore moins
des documents à l'appui de ce qu'il affirme. Nous ignorons en fait à quelle
date les accusations pénales sur la base desquelles il a été condamné ont
été portées. Il est tout à fait possible que toutes les charges initiales
ont été abandonnées sans suite après que le défendeur eut été détenu pendant
une nuit pour avoir, semble-t-il, frappé un policier à l'œil.
Le paragraphe 3 de l'article 14 du Pacte garantit le droit de toute personne
d'«être jugée sans retard excessif» pour que soit vérifié le «bien-fondé
de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle». Cette disposition
doit être interprétée en accordant l'attention voulue à la pratique largement
acceptée des États. Dans la plupart des systèmes juridiques, la rapidité
d'un procès n'est pas mesurée en fonction du temps écoulé entre la date
de l'acte délictueux présumé et le procès. Les dispositions relatives à
la rapidité du procès imposent des limites en ce qui concerne le traitement
des accusations pendantes. Mais rien dans le dossier dont a été saisi le
Comité n'indique que des accusations étaient pendantes de 1990 à 1992. La
possibilité qu'a un État de se donner le temps d'étudier s'il convient ou
non de porter des accusations bénéficie souvent aux défendeurs. Dans une
affaire de graffitis politiques, un État peut vouloir réfléchir à la question
de savoir s'il y a lieu ou non de porter des accusations. La formulation
d'accusations est bien entendu elle aussi soumise à un délai de prescription.
Dans la plupart des systèmes juridiques, ce délai commence à la date de
l'incident. Mais pour les accusations graves, il arrive que ce délai soit
de cinq ans voire plus.
En l'espèce, toute la procédure en première instance a duré moins de cinq
ans. Comme cela a été noté plus haut, la Cour constitutionnelle a rejeté
l'allégation de l'auteur selon laquelle il a été jugé avec un retard excessif
au motif que sa «demande ne contenait pas suffisamment d'informations pour
qu'une décision puisse être prise». À cet égard, nous tenons à souligner
que le Comité devrait prendre l'habitude d'obtenir et de faire traduire
le jugement de la juridiction d'appel qui a eu à connaître de l'allégation
précise soumise à son appréciation. C'est à l'auteur, en particulier lorsqu'il
est représenté par un conseil, qu'incombe à juste titre la charge de la
preuve.
Dans les circonstances de la cause, il nous est difficile de souscrire
à la conclusion selon laquelle tout le procès a souffert d'un retard excessif
ou constitue une violation du paragraphe 3 c) de l'article 14. Il aurait
peut-être été plus prudent pour le Comité de conclure que l'auteur n'a pas
étayé sa plainte aux fins de la recevabilité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra
ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du
Comité à l'Assemblée générale.]
1. Communication no 865/1999, Alejandro Marín Gómez c. Espagne,
constatations du 22 octobre 2001, par. 8.4; communication no 866/1999, Marina
Torregrosa Lafuente et consorts c. Espagne, constatations du 16
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