Le Comité des droits de l'homme, institué en vertu de l'article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 7 août 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 1020/2001 présentée au nom de M. Carlos Cabal et de M. Marco Pasini Bertran en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif
1. Les auteurs de la communication, datée du 6 juillet 2001, sont Carlos Cabal, qui réside actuellement au Mexique, et Marco Pasini Bertran («Pasini»), actuellement détenu à la prison de haute sécurité de Port Philip en attendant d'être extradé vers le Mexique. Les deux auteurs ont la nationalité mexicaine. Ils se disent victimes d'une violation par l'Australie de l'article 7, des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 10 et du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits présentés par les auteurs
Procédure d'extradition
2.1 Le 11 novembre 1998 (1), les auteurs ont été arrêtés en Australie, en vertu d'un mandat d'amener délivré en application de la loi de 1988 sur l'extradition («loi sur l'extradition»). Ils ont été déférés devant un magistrat (Magistrate) et placés en détention provisoire au Centre d'évaluation de Melbourne (État de Victoria), où ils étaient séparés des condamnés. Le 4 janvier 1999, ils ont été transférés à la prison de Port Philip (Victoria). Avoir après passé trois semaines dans un quartier de transit, ils ont été transférés dans un quartier de détention ordinaire, avant d'être transférés de nouveau, en août 1999, à Sirius East, quartier de haute sécurité de la prison de Port Philip. Pendant toute la durée de leur détention à la prison de Port Philip, les auteurs n'ont pas été séparés des condamnés ni fait l'objet d'un régime distinct.
2.2 Le 31 décembre 1998 et le 11 février 1999, le Mexique a demandé officiellement l'extradition de Cabal à raison de plusieurs infractions relatives au fonctionnement d'une banque ainsi que d'autres infractions (fraude, évasion fiscale et blanchiment d'argent). Le 20 janvier 1999, le Mexique a demandé officiellement l'extradition de Pasini pour deux infractions qu'il aurait commises, l'une relative au fonctionnement d'une banque et l'autre à un recel. Le 17 décembre 1999, un magistrat a décidé que les auteurs étaient passibles d'extradition et signé des mandats ordonnant leur incarcération à la prison de Port Philip. Le 29 août 2000, la Cour fédérale d'Australie a rejeté le recours en révision de la procédure d'extradition que les auteurs avaient introduit. Ceux-ci ont alors interjeté appel devant les chambres réunies de la Cour fédérale. Le 18 avril 2001, les chambres réunies ont rejeté leur appel. Le 7 septembre 2001, la Haute Cour a rejeté une requête de Pasini demandant l'autorisation de former un recours contre la décision rendue par les chambres réunies de la Cour fédérale.
2.3 À partir du 20 décembre 2000, Pasini a été libéré sous caution à plusieurs reprises avant d'être de nouveau incarcéré le 19 juillet 2001; il est toujours en prison. Le 4 juillet 2001, Cabal a été libéré sous caution par la Haute Cour mais cette décision a été annulée en appel le 2 août 2001. Le même jour, Cabal a fait savoir aux autorités qu'il ne souhaitait pas se prévaloir des recours encore disponibles et qu'il acceptait d'être extradé vers le Mexique. Le 6 septembre 2001, il a été remis aux autorités mexicaines.
2.4 Le 22 mai 2002, Pasini a demandé au Ministre de la justice de surseoir à toute décision d'extradition en vertu de l'article 22 de la loi sur l'extradition jusqu'à ce que l'issue de sa procédure d'amparo introduite au Mexique soit connue. Le Ministre a fait droit à cette demande. Dans une télécopie du 9 février 2003, Pasini a fait savoir au Comité que, ayant épuisé tous les recours disponibles en Australie concernant son extradition, il acceptait d'être extradé; il est actuellement en passe d'être remis aux autorités mexicaines. Il est toujours détenu dans le quartier Sirius East de la prison de Port Philip.
Conditions et régime de détention
2.5 Avant d'être extradé, Cabal était détenu, avec des condamnés, dans le quartier de haute sécurité Sirius East de la prison de Port Philip, qui est elle-même un établissement de haute sécurité. Pasini est toujours détenu dans le même quartier avec des condamnés. La prison de Port Philip est un établissement privé géré par le Group 4 Correction Services Pty Ltd. («Group 4») et régi par la législation de l'État de Victoria. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres États et territoires d'Australie, la législation pénitentiaire de cet État ne prévoit pas que les détenus en instance d'extradition soient séparés des condamnés.
2.6 Selon les auteurs, le quartier Sirius East est «peuplé de meurtriers multiples et de violeurs» et la violence y est monnaie courante. Les prisonniers ont presque tous un passé de violence et de toxicomanie. Un psychologue expert a indiqué à leur propos qu'ils étaient «plus susceptibles d'être les auteurs d'actes de violence que d'en être les victimes». Un des prisonniers du quartier a le sida et 12 d'entre eux souffrent d'hépatite C. Beaucoup de prisonniers ont des maladies contagieuses et, selon les auteurs, un prisonnier aurait déclaré par écrit et sous serment que, le 4 janvier 2000, un de leurs codétenus «crachait le sang».
2.7 Une atmosphère de peur règne dans la prison et les auteurs mentionnent la déclaration sous serment d'un autre prisonnier selon lequel il aurait été agressé sexuellement à plusieurs reprises par d'autres prisonniers. Les auteurs décrivent deux incidents au cours desquels on les a menacés de violence. Le 30 mai 2000, Pasini, qui était en compagnie de Cabal, a été menacé par un autre prisonnier, toxicomane notoire et violent, qui était armé d'un couteau de 20 centimètres. Le 26 octobre 2000, alors qu'ils étaient dans la cour de promenade, deux prisonniers ont fait signe à Cabal pour lui indiquer qu'ils souhaitaient lui parler et se sont approchés de lui. Ils ont été interceptés par deux gardiens de prison qui les ont fouillés et ont trouvé une paire de ciseaux sur l'un d'eux.
2.8 Le régime de détention auquel ont été soumis les auteurs (et c'est toujours le cas pour Pasini) ne diffère en rien de celui qui est appliqué aux condamnés. La description suivante, qui concerne Pasini, s'appliquait aussi à Cabal avant son extradition. Pasini a un numéro de matricule (Criminal Record Number), qu'il est obligé de réciter chaque fois qu'on lui demande de s'identifier. Il est soumis aux mêmes horaires et aux mêmes restrictions que les condamnés, notamment en ce qui concerne les contacts avec sa famille et les repas. En cas de conflit du travail se soldant par une grève du personnel pénitentiaire, seul un effectif minimal continue de travailler. En conséquence, les détenus restent dans leur cellule pendant 23 heures par jour et n'ont pas accès au téléphone. Pour les dédommager de ces désagréments, les condamnés voient leur peine réduite d'un à deux jours par journée de grève du personnel des prisons. Pasini, quant à lui, n'a reçu aucune compensation.
2.9 Chaque fois que Pasini sort de l'enceinte de la prison, il est menotté et entravé avec des chaînes à 12 ou 17 maillons. De plus, il est soumis à une fouille à corps après chaque visite au parloir, ainsi qu'avant et après chaque déplacement entre la prison et le tribunal. Cela signifie qu'il fait parfois l'objet de trois fouilles intégrales en une seule journée. Pasini est régulièrement bousculé et molesté par les gardiens de prison.
2.10 Le 17 décembre 1999, les auteurs ont été enfermés ensemble pendant une heure dans une cellule qu'ils qualifient de «cage». La «cage», de la taille d'une cabine téléphonique, est de forme triangulaire; deux des côtés sont des murs et le troisième, une porte métallique percée de petits trous ronds. La cage est munie d'un siège, mais si on y met deux personnes, il n'y a pas de place pour s'asseoir. (2)
2.11 Selon les auteurs, les tribunaux se sont émus à plusieurs reprises des conditions de leur détention, sans juger toutefois qu'elles étaient suffisamment anormales pour justifier une décision de libération sous caution en leur faveur.(3) Les tribunaux ont considéré que le risque d'évasion l'emportait sur les effets négatifs que l'incarcération pouvait avoir sur les auteurs.
Tentatives faites par les auteurs pour contester leur détention
2.12 Le 8 novembre 1999, Cabal a demandé à la Cour fédérale de prononcer une injonction interlocutoire interdisant au Ministère de la justice et des douanes et au directeur de la prison de Port Philip de le maintenir en détention, en attendant qu'elle se prononce sur le recours portant sur la procédure d'extradition dont elle était saisie.(4) Cette demande a été rejetée le 3 décembre 1999.
2.13 Le 19 mai 2000, les auteurs ont introduit une requête en habeas corpus devant la Cour suprême de l'État de Victoria. Le 30 mai 2000, leur requête a été rejetée. Le 19 juin 2000, ils ont introduit la même requête auprès de la Cour fédérale australienne, au motif que leur détention contrevenait à la loi sur l'extradition. Le 14 juillet 2000, la Cour fédérale a rejeté leur demande. Le 28 juillet 2000, les auteurs ont interjeté appel devant les chambres réunies de la Cour fédérale, lesquelles ont rejeté l'appel. Le 13 septembre 2000, les auteurs ont introduit une requête auprès de la Haute Cour d'Australie pour demander l'autorisation spéciale de faire appel du jugement rendu par les chambres réunies de la Cour fédérale. Le 28 novembre 2000, leur requête a été rejetée.
2.14 Dans une requête datée du 27 juillet 2000, les auteurs ont, entre autres, demandé à la Cour fédérale d'Australie d'ordonner leur mise en liberté et de les confier à la garde de la police fédérale australienne, de la police de l'État de Victoria ou du Ministère de la justice. Le 11 août 2000, la Cour a reporté sine die l'examen de cette requête. Aucune autre information n'est fournie concernant l'issue de cette requête.
2.15 Le 8 mars 2000, les auteurs ont porté plainte devant la Commission australienne des droits de l'homme et de l'égalité des chances (HREOC), au motif que leur détention violait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le 9 novembre 2000, la Commission a rendu ses conclusions préliminaires dans lesquelles elle a jugé que la détention des auteurs constituait une violation de leurs droits au titre de l'article 7 et des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 10 du Pacte. Le 23 octobre 2001, après avoir reçu d'autres observations, la Commission a rendu sa décision finale selon laquelle «les actes et pratiques faisant l'objet de la plainte ne violaient aucun droit de l'homme».
2.16 Depuis que les auteurs sont incarcérés, de nombreuses lettres ont été adressées, en leur nom, aux autorités pénitentiaires pour demander l'assouplissement de leurs conditions de détention.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs soutiennent que l'État partie a violé le paragraphe 2 a) de l'article 10 du Pacte du fait qu'il ne les a pas séparés des condamnés et ne les a pas soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées.(5) Dans ce contexte, ils invoquent l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (Ensemble de règles minima) et le Principe 8 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (Ensemble de principes), qui prévoient tous deux la séparation des condamnés et des non-condamnés.
3.2 Concernant la question de la séparation, les auteurs font valoir que la réserve («sauf dans des circonstances exceptionnelles») qui figure au paragraphe 2 a) de l'article 10 a été prévue à l'intention des pays pauvres, qui n'ont pas les moyens de construire des installations séparées pour les condamnés et les prévenus (6) Ils mentionnent l'Observation générale no 21 du Comité selon laquelle «cette séparation est nécessaire pour faire ressortir qu'un prévenu n'est pas une personne condamnée et qu'il a le droit d'être présumé innocent, comme le dispose le paragraphe 2 de l'article 14. Les États parties devraient indiquer dans leurs rapports comment ils assurent la séparation entre les prévenus et les condamnés et préciser en quoi le régime applicable aux prévenus diffère de celui réservé aux condamnés».(7)
3.3 Concernant la question du régime distinct, les auteurs font observer qu'aucune restriction n'est prévue au paragraphe 2 a) de l'article 10, où il est clairement question d'«un régime distinct, approprié à leur condition de personne non condamnée».(8) Ils font valoir que «les prévenus devraient être séparés des condamnés et que leurs conditions de détention doivent être différentes» et conformes à l'Ensemble de règles minima (règles 85 à 93), qui prévoit des mesures d'application, notamment en ce qui concerne l'accès aux médecins, aux dentistes et aux avocats.
3.4 Les auteurs rappellent que l'Australie a formulé la réserve suivante concernant l'article 10:
«En ce qui concerne le paragraphe 2 a), le principe de la séparation est accepté en tant qu'objectif à réaliser progressivement.».
Ils font valoir que cette réserve ne concerne que l'élément «séparation» et qu'en ratifiant le Pacte, l'État partie a souscrit l'obligation d'assurer un régime distinct aux condamnés et aux non-condamnés. Cette réserve ayant été formulée il y a 20 ans, on pourrait raisonnablement s'attendre, argumentent-ils, que l'Australie ait atteint l'objectif qu'elle s'est fixé de s'acquitter intégralement de ses obligations; ils rappellent que l'article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités énonce le principe de la bonne foi dans l'exécution des obligations souscrites par les États. Selon les auteurs, au lieu de «progresser» l'État partie a régressé, du moins en ce qui concerne l'application du principe de la séparation dans le système pénitentiaire de l'État de Victoria. Ainsi, le Centre de détention provisoire de Melbourne qui, à partir du 6 avril 1989, s'était employé à séparer les condamnés des prévenus, est revenu sur cette politique à partir de 1994. Quant à la prison de Port Philip, la séparation n'y est pas pratiquée et contrairement à ce que prétend l'État partie dans le quatrième rapport qu'il a présenté conformément à l'article 40 du Pacte (9) et que le Comité a examiné en juillet 2000, à savoir que la prison de Port Philip «permettra de mieux séparer encore les détenus condamnés et les prévenus», ces intentions n'ont pas été suivies d'effet.
3.5 Selon les auteurs, les conditions dans lesquelles Cabal a été détenu et Pasini continue de l'être portent atteinte au droit à être traité avec humanité et avec le respect inhérent à la dignité de la personne humaine et sont donc contraires à l'article 7 et au paragraphe 1 de l'article 10.
3.6 Comme Cabal a été traité et Pasini continue de l'être à tous égards comme un condamné purgeant sa peine, le droit des auteurs d'être présumés innocents jusqu'à preuve du contraire a été violé, en infraction du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.
3.7 Les auteurs affirment que «leur droit à la santé a été gravement compromis» du fait qu'ils ont été détenus avec des condamnés atteints de maladies contagieuses. Ils insistent à ce propos sur le cas d'un codétenu qui aurait «craché le sang», symptôme classique de la tuberculose. Ils mentionnent aussi un article sur le sujet, publié dans une revue internationale, qui mentionne la Déclaration de Bakou sur la tuberculose dans laquelle il est demandé aux gouvernements et aux autorités sanitaires de prendre des mesures pour s'attaquer au problème de la tuberculose dans les prisons. Comme il ne fait rien pour s'attaquer à ce problème, l'État partie porte atteinte à l'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Réponse de l'État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication
4.1 Dans une note verbale du 1er octobre 2002, l'État partie a fait des observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il fournit des informations générales sur la prison de Port Philip, en précisant notamment qu'il s'agit du principal centre de détention provisoire de l'État de Victoria, qu'entre 40 et 50 % des détenus sont des prévenus et que la prison fait office d'établissement de transit dans le système pénitentiaire de l'État de Victoria. Quant à Sirius East, on y place des détenus qui doivent être protégés contre d'autres détenus, qu'ils aient été condamnés ou non. L'État partie explique que Cabal et Pasini ont été transférés à Sirius East pour des motifs de sécurité, car ils auraient fait l'objet de tentatives d'extorsion de la part d'autres prisonniers et auraient eu un comportement qui les exposait à la vindicte de leurs codétenus.(10)
4.2 L'État partie fait observer qu'il ressort des conclusions du Groupe de travail sur la détention arbitraire de la Commission des droits de l'homme (avis no 15/2001 du 18 mai 2001 - Australie) que la dÚtention des auteurs n'Útait pas arbitraire et que leurs conditions de dÚtention qui, selon eux, auraient mis leur vie en pÚril, ne relevaient pas de son mandat. Il se rÚfÞre aussi Ó l'appel pressant que le Rapporteur spÚcial de la Commission des droits de l'homme sur la question de la torture lui a adressÚ le 12 juin 2001.
4.3 L'╔tat partie fait valoir que la communication est irrecevable au motif que ses auteurs n'ont prÚsentÚ au ComitÚ aucun ÚlÚment nouveau par rapport Ó ceux qu'ils ont prÚsentÚs Ó la HREOC, laquelle a conclu dans son rapport final du 23 octobre 2001 que l'╔tat partie n'avait violÚ aucun de leurs droits consacrÚs par le Pacte. Les violations invoquÚes par les auteurs, abstraction faite de la prÚtendue violation du paragraphe 2 de l'article 14, sont identiques dans les deux affaires. Selon l'╔tat partie, il ressort des conclusions du ComitÚ dans l'affaire F., au nom de son fils, C. c. Australie (11) que si la HREOC a conclu que les allégations d'un auteur et les éléments de preuve ne faisaient apparaître aucune violation du Pacte et que l'auteur ne fournit au Comité aucune information autre que celles qu'il a fournies à la HREOC, la communication doit être considérée comme irrecevable parce qu'insuffisamment étayée.
4.4 L'État partie fait valoir que, du fait de la réserve qu'il a formulée, la violation du paragraphe 2 a) de l'article 10 alléguée par les auteurs, à savoir que l'État partie a manqué à son obligation de séparer les auteurs des condamnés, est irrecevable ratione materiae. Il rappelle que lors de la treizième session de l'Assemblée générale, les débats de la troisième Commission ont révélé que beaucoup de pays avaient des difficultés quant aux incidences pratiques du paragraphe 2 a) de l'article 10. En effet, «certains représentants ont exprimé des doutes quant à la faisabilité de séparer dans tous les cas les condamnés et les non-condamnés, comme l'exige le paragraphe 2 de l'article».(12) La réserve de l'Australie n'a d'ailleurs suscité aucune objection et est conforme à ce que le Comité a lui-même indiqué au sujet des réserves dans son Observation générale no 24. (13) L'État partie invoque le paragraphe 3 de l'article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, selon lequel un État peut formuler une réserve pour autant que cette réserve ne soit pas interdite par le traité, qu'elle relève bien de la catégorie des réserves autorisées et qu'elle ne soit pas incompatible avec l'objet et le but du traité. Or le Pacte n'interdit pas les réserves ni ne mentionne aucun type de réserve autorisées.
4.5 L'État partie fournit des renseignements sur les mesures concrètes visant à instaurer progressivement un régime de séparation dans les établissements pénitentiaires de l'État de Victoria. La construction d'un nouveau centre de détention provisoire à Melbourne, d'une capacité d'accueil de 600 détenus, et d'un établissement pénitentiaire à régime de sécurité intermédiaire, d'une capacité d'accueil de 300 détenus, devrait être achevée à la fin de 2004. L'emplacement exact de ces nouveaux établissements pénitentiaires n'a pas encore été décidé. L'État partie renvoie à l'explication donnée par l'ancien Directeur général des services pénitentiaires de l'État de Victoria à la HREOC: «l'État de Victoria n'est pas actuellement en mesure de séparer les condamnés des prévenus. En 1989, le centre de détention provisoire de Melbourne a été construit pour accueillir tous les détenus en détention provisoire, mais six semaines après l'ouverture, le centre était plein et il a fallu diriger le surplus de détenus vers le complexe des pénitentiaires de Coburg… Le système pénitentiaire dans l'État de Victoria est soumis à de fortes pressions et la crise ne concerne pas que cet État. Idéalement, les condamnés et les prévenus devraient être séparés mais, dans la pratique, il faut prendre en considération les besoins de tous les détenus… Pour pouvoir séparer les prévenus des condamnés dans tous les cas, il faudrait doubler les établissements pénitentiaires tout en maintenant les différents régimes de sécurité et en prévoyant les installations voulues pour les prévenus… Il faut donc mettre dans la balance, d'une part, l'objectif [de la séparation] et, d'autre part, des facteurs qui ont un impact direct et immédiat sur la sécurité et le bien-être des détenus et sur la population carcérale en général… Le système de placement des prisonniers fait périodiquement l'objet d'un réexamen. Toutes ces considérations s'inscrivent dans le contexte d'un système pénitentiaire fonctionnant à pleine capacité…».
4.6 Pour l'État partie, le fait que la séparation n'est pas encore faite ne constitue pas une violation du paragraphe 2 a) de l'article 10. La réalisation progressive de l'objectif n'implique pas «un progrès purement linéaire». Dans certaines circonstances, il faut parfois marquer une pause, voire un recul, lorsque, par exemple, les contraintes budgétaires sont telles qu'un centre de détention provisoire destiné aux prévenus doit faire office de prison où se mêlent condamnés et non-condamnés. Le fait qu'il y ait un recul temporaire ne signifie pas que la séparation n'est pas réalisée progressivement. L'État partie rappelle l'argument avancé par le Directeur général des services pénitentiaires de l'État de Victoria devant la HREOC: «prétendre (comme le font les plaignants) que, comme la réserve a été formulée il y a 20 ans, la séparation devrait déjà avoir été réalisée, c'est ne tenir aucun compte de problèmes tels que l'explosion de la population carcérale et l'évolution du profil des détenus auxquels l'administration pénitentiaire a dû faire face au cours des 20 dernières années». L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité concernant la séparation prévue au paragraphe 2 a) de l'article 10, mais considère qu'elle ne s'applique pas, étant donné la réserve qu'il a formulée au sujet de l'article 10.
4.7 En ce qui concerne le droit à la présomption d'innocence qui, selon les auteurs, aurait été violé, l'État partie fait valoir que le paragraphe 2 de l'article 14 ne s'applique qu'aux personnes contre lesquelles une action pénale a été engagée. (14) Bien que les auteurs fassent l'objet de poursuites pénales au Mexique, cela n'a jamais été le cas en Australie. Selon le droit australien, la procédure d'extradition ne constitue pas une action pénale et les tribunaux australiens ne se sont à aucun moment prononcés sur la culpabilité ou l'innocence des auteurs. Ils se sont bornés à déterminer si ceux-ci pouvaient être extradés conformément à la loi sur l'extradition. L'État partie considère donc que le droit à la présomption d'innocence consacré dans le Pacte n'entre pas en ligne de compte. De ce fait, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae.
4.8 Selon l'État partie, le fait que les auteurs soient détenus n'implique pas qu'ils soient considérés comme coupables; ils n'ont produit aucun élément prouvant que leur droit à la présomption d'innocence a été enfreint par les tribunaux ou les autorités australiennes. L'État partie considère donc que les auteurs n'ont pas dûment étayé cette allégation.
4.9 S'agissant du droit à la santé des auteurs qui, selon eux, aurait été mis en péril, l'État partie fait observer que les auteurs n'ont pas relié cette allégation à l'un des droits protégés par le Pacte. Aucune disposition du Pacte ne consacre le droit à la santé; toute plainte relative à une violation de ce droit est dès lors irrecevable ratione materiae. Au cas où le Comité déciderait d'interpréter une disposition du Pacte comme protégeant le droit à la santé, l'État partie se réserve le droit de lui faire part de ses observations avant qu'il ne prenne une décision finale à ce propos. De plus, il fait valoir que les auteurs n'ont pas apporté la preuve que leur droit à la santé avait été violé et fournit des informations détaillées sur le programme de lutte contre les maladies à la prison de Port Philip. En particulier, ils n'ont pas apporté la preuve qu'ils encouraient un risque réel de contracter une des maladies dont souffrent leurs codétenus.
4.10 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'État partie a contrevenu à la Convention de Vienne sur le droit des traités, l'État partie soutient qu'elle est irrecevable du fait que le mandat du Comité ne porte que sur les violations présumées du Pacte et non sur celles d'autres instruments internationaux.
4.11 Sur le fond, et en ce qui concerne la question du régime distinct et la référence des auteurs à l'Ensemble de règles minima et à l'Ensemble de principes, l'État partie fait valoir que ces principes n'ont pas force obligatoire et que le fait qu'un État n'applique pas toutes les recommandations qu'ils contiennent ne constitue pas en soi un signe que le paragraphe 2 a) de l'article 10 a été violé. Ainsi, il ressort clairement du rapport que la troisième Commission de l'Assemblée générale a adopté en 1958 que l'Ensemble de règles minima est certes un instrument d'interprétation du Pacte mais n'entretient aucun lien formel avec cet instrument. (15) De plus, l'introduction à l'Ensemble des règles minima laisse entendre que ces règles ne sont ni contraignantes pour les États ni créatrices de droits pour les détenus. Par ailleurs, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a expliqué que «l'Ensemble de règles minima n'est pas en soi un instrument juridique, le Conseil économique et social n'ayant pas le pouvoir de légiférer. L'Assemblée générale encourage certes les États à s'y conformer, mais elle ne le fait pas d'une manière qui implique que ses résolutions sur le sujet sont davantage que des recommandations d'ordre politique ou moral». (16)
4.12 L'État partie soutient que les auteurs ont bénéficié d'un régime suffisamment distinct pour que ses obligations découlant du paragraphe 2 a) de l'article 10 soient considérées comme respectées. Il fait valoir que les auteurs ont bénéficié de la plupart des éléments du traitement distinct qui doit être réservé aux prévenus selon l'Ensemble de règles minima et l'Ensemble de principes, notamment en ce qui concerne l'accès à un conseil juridique, les visites familiales, le droit de porter leurs propres vêtements, le fait d'être détenus dans des cellules individuelles munies de toilettes, l'accès à leur propre médecin, le droit d'acheter des journaux et des livres et la possibilité de travailler s'ils le souhaitent. À l'appui de ce qui précède, l'État partie cite le rapport final de la HREOC, selon lequel «M. Cabal a passé plus de 2 600 appels téléphoniques et M. Pasini en a passé plus de 1 600».(17)
4.13 S'agissant de la violation présumée du droit de Cabal et de Pasini à la présomption d'innocence, l'État partie soutient que si les auteurs ont bénéficié d'un régime distinct, c'est en partie parce qu'ils sont considérés comme des personnes non condamnées contre lesquelles aucune action pénale n'a été engagée en vertu du droit australien. C'est pourquoi le simple fait qu'ils ont été détenus ne saurait avoir donné l'impression qu'ils étaient coupables. L'État partie répète les arguments qu'il a invoqués concernant la recevabilité de la communication et soutient que, même si les auteurs avaient été détenus dans des conditions impliquant leur culpabilité, cela n'aurait eu aucun effet sur l'issue de l'action pénale engagée contre eux au Mexique.
4.14 L'État partie réfute les allégations des auteurs selon lesquelles le régime de détention auquel ils ont été soumis constitue une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte. Il fait valoir que, dans la mesure où les auteurs imputent les actes incriminés à d'autres prisonniers, ces actes ne sauraient être attribués à l'Australie, puisqu'ils n'ont pas été commis par des agents de l'État. L'État partie invoque à ce propos le rapport final de la HREOC daté du 23 octobre 2001 selon lequel ni l'une ni l'autre de ces dispositions n'a été enfreinte. Concernant les griefs invoqués par les auteurs devant la HREOC concernant les conditions générales de leur détention, notamment un accès insuffisant à la bibliothèque et aux activités récréatives, des droits de visite insuffisants, la nature du travail offert, la difficulté de téléphoner à leurs avocats et aux membres de leur famille à l'étranger et d'obtenir la nourriture à laquelle ils sont habitués, l'État partie note que la HREOC a estimé que, pour qu'il y ait violation du paragraphe 1 de l'article 10, il aurait fallu des conditions de détention beaucoup plus rigoureuses que celles décrites, les difficultés et les contraintes inhérentes à la privation de liberté ne constituant pas une violation en soi.
4.15 S'agissant de la question de l'entravement auquel les auteurs ont été soumis, l'État partie fait valoir que l'Ensemble de règles minima et l'Ensemble de principes peuvent être utilisés pour interpréter le paragraphe 2 de l'article 10.
Ainsi, le paragraphe 33 de l'Ensemble de règles minima dispose que:
«… les instruments de contrainte ne peuvent être utilisés que dans les cas suivants: a) par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu'ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative.»
Quant au paragraphe 34, il dispose que:«Le modèle et le mode d'emploi des instruments de contrainte doivent être déterminés par l'administration pénitentiaire centrale. Leur application ne doit pas être prolongée au-delà du temps strictement nécessaire.».
4.16 L'État partie précise que si les auteurs étaient entravés lorsqu'on les emmenait de la prison au tribunal et du tribunal à la prison, c'est parce que le risque d'évasion était suffisant pour justifier un régime de haute sécurité. À ce propos, il rappelle les observations faites par le Directeur général des services pénitentiaires de l'époque à la HREOC, selon lesquelles le risque d'évasion avait été évalué en tenant compte du fait que: les auteurs avaient par le passé échappé à l'arrestation en utilisant des documents de voyage et des pièces d'identité falsifiés, avaient accès à des ressources financières considérables; avaient versé de l'argent à d'autres prisonniers; les services de renseignements de la prison avaient rapporté plusieurs incidents; d'autres prisonniers avaient offert aux auteurs de les aider à s'évader contre rétribution. L'État partie cite aussi les propos d'un juge, qui figurent dans le rapport de la HREOC et selon lesquels il existait un risque considérable que les auteurs prennent la fuite en cas de libération sous caution.
4.17 L'État partie cite un extrait du rapport final de la HREOC sur la nature des instruments de contrainte utilisés: «Il est vrai que les plaignants ont été entravés par des chaînes à 12 maillons pendant les transports. Cependant, à partir du 7 janvier 2000, seules des chaînes à 17 maillons ont été utilisées. Or, les chaînes à 17 maillons donnent une plus grande liberté de mouvement, notamment pour ce qui est de monter dans le fourgon. Les gardiens de l'escorte aident les prisonniers à accéder au fourgon en les soutenant par la ceinture qui leur entoure la taille…». L'État partie cite également la conclusion de la HREOC sur cette question: «… la décision d'entraver les détenus pendant les transports a été prise par le Gouverneur responsable du Groupe des services de sécurité d'urgence (SESG) sur la base d'une évaluation du risque d'évasion. La décision a été confirmée par le Directeur général des services pénitentiaires. Les fers n'ont été utilisés que lors des transports. On peut déplorer que le Gouverneur ait jugé que de tels instruments de contrainte étaient nécessaires, mais en tout état de cause, j'estime qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 1 de l'article 10 ou de l'article 7 en ce qui concerne l'entravement».
4.18 Pour ce qui est de la détention des auteurs dans une «cage», la HREOC a reçu des témoignages selon lesquels les auteurs sont restés pendant une heure dans la cellule en question, parce que c'était la seule disponible dans l'établissement qui pouvait alors accueillir les deux prisonniers (les prisonniers placés sous le régime de haute sécurité sont généralement détenus individuellement). Ils ont refusé la possibilité d'être placés dans des cellules individuelles, préférant rester ensemble. Ils pouvaient soit se tenir debout, soit s'asseoir dans la cellule, mais ils ont choisi de rester debout. La gêne qu'ils ont pu ressentir n'a pas duré longtemps et la souffrance physique et mentale qui aurait pu être éprouvée (mais dont il n'y a aucune preuve) n'aura été que temporaire et légère. Dans ses conclusions sur les allégations faites par les auteurs à ce propos, la HREOC a estimé que, même en admettant que la cellule était exiguë et inconfortable, les auteurs y sont restés un laps de temps trop court pour qu'il puisse être affirmé, au regard de la jurisprudence, qu'ils ont subi un traitement contraire aux articles 7 et 10 du Pacte.
4.19 En ce qui concerne la fouille à corps, l'État partie décrit les modalités prévues par le règlement intérieur de toutes les prisons. La procédure, qui est conduite par deux membres du personnel de la prison du même sexe que le prisonnier, est d'abord expliquée à l'intéressé. La fouille a lieu dans un endroit sec et chaud, hors de la vue d'autres personnes, et un paillasson est fourni si le sol n'est pas recouvert d'une moquette. On demande au détenu, alors qu'il est toujours habillé, d'ouvrir la bouche, de lever la langue et d'enlever son dentier s'il en a un, et une inspection purement visuelle est alors effectuée. Les vêtements du prisonnier sont ensuite vérifiés; lorsque le prisonnier est en sous-vêtements, on lui demande de lever les bras afin que son torse puisse être examiné visuellement; il est ensuite prié d'enlever ses sous-vêtements, et les parties inférieures du corps sont aussi examinées visuellement. Enfin, il est demandé au prisonnier de montrer la plante de ses pieds. Toute la procédure est menée le plus rapidement possible.
4.20 L'État partie cite un extrait du rapport final de la HREOC selon lequel: «il semble que ce type de fouilles [fouilles à corps] est inévitable en milieu carcéral. L'objet de ces fouilles est de détecter et de réprimer l'introduction de drogues illicites dans la prison. En particulier, il s'agit d'éviter que des drogues ne soient introduites en prison à la faveur des visites au parloir; c'est pourquoi les détenus sont fouillés à corps après chaque visite. Je prends note du fait que ces fouilles corporelles sont strictement visuelles et ne comportent aucune intrusion… Je suis convaincu que les fouilles sont indispensables au bon fonctionnement des prisons et qu'elles semblent donc être une conséquence inévitable de la détention; j'estime donc que le fait que les plaignants y aient été soumis ne constitue pas une violation du paragraphe 1 de l'article 10 ou de l'article 7 du Pacte…». L'État partie fait valoir que les auteurs n'étaient pas indûment visés par les fouilles, qui ont été menées de façon à leur causer le minimum de gêne et pour des motifs de sécurité uniquement.
4.21 L'État partie conteste l'allégation selon laquelle la détention constitue un risque pour la santé physique et mentale des auteurs. Il fait valoir que l'allégation selon laquelle Pasini a été menacé au moyen d'un couteau de 20 centimètres par un codétenu a fait l'objet d'une enquête et qu'elle s'est avérée non fondée. Cependant, dans l'intérêt de l'auteur et de sa sécurité, le Directeur de la gestion des peines a fait transférer l'agresseur présumé dans une autre prison. Il précise également que la déclaration écrite sous serment invoquée par les auteurs selon laquelle un détenu de Sirius East a été victime d'une agression sexuelle est sans fondement et que l'intéressé a refusé de coopérer à une enquête policière.
4.22 Bien qu'il considère qu'aucune disposition du Pacte n'a trait au droit à la santé, l'État partie fournit néanmoins les renseignements suivants concernant le fond. Il nie que le détenu qui «crachait le sang» ait été atteint de tuberculose et précise que les détenus qui en sont atteints sont isolés des autres et envoyés à l'infirmerie située dans le quartier de St Johns. La réponse du Group 4 (que l'État partie prie le Comité de considérer comme faisant partie de ses observations), confirme l'explication fournie par l'État partie. Par ailleurs, les institutions pénitentiaires ont pour politique de ne pas isoler les détenus atteints du sida de la population carcérale générale. Tous les détenus, quel que soit leur état de santé, doivent être traités équitablement et il serait contraire à la loi sur l'égalité des chances de l'État de Victoria d'agir autrement. Étant donné que les détenus ne sont pas tenus de déclarer leur éventuelle séropositivité lorsqu'ils arrivent à la prison de Port Philip et qu'il n'est pas obligatoire de leur faire subir un test de dépistage du VIH le Group 4 fait valoir qu'il serait de toute façon impossible d'appliquer une politique d'isolement des séropositifs et des malades du sida.
Commentaires des auteurs
5.1 Dans une lettre du 28 janvier 2003, les auteurs ont répondu aux observations de l'État partie. Ils contestent l'argument selon lequel la communication est inadmissible et font valoir que les conclusions du Comité dans l'affaire F., au nom de son fils, C. c. Australie, (18) ne s'appliquent pas en l'espèce.
5.2 Les auteurs considèrent que l'intervention du Rapporteur spécial sur la question de la torture est importante, puisque l'information qu'il avait recueillie l'avait amené à lancer un appel pressant à l'État partie. Ils maintiennent la plainte introduite devant le Groupe de travail sur la détention arbitraire, au motif que la procédure par laquelle ils ont été transférés d'un quartier à régime ordinaire à un quartier de haute sécurité (Sirius East) était en soi arbitraire puisqu'ils n'ont pas eu l'occasion de contester les raisons motivant la décision. Selon les auteurs, les tribunaux australiens ne sont pas compétents pour revoir cette procédure et peuvent seulement se prononcer sur la question de savoir si la détention est conforme à la loi sur l'extradition.
5.3 Les auteurs rappellent que, dans son quatrième rapport au Comité, l'État partie a indiqué expressément que «la prison de Laverton accueillera la plupart des détenus de sexe masculin en détention provisoire et permettra de mieux séparer encore les condamnés et les prévenus». (19) Or, selon les auteurs, la prison susmentionnée est la prison de Port Philip, qui pourrait servir, et était censée servir, à séparer les condamnés des non-condamnés, groupe dont font partie les auteurs, mais ce n'est pas le cas pour des raisons de politique. L'État partie dispose en effet des moyens et des équipements voulus pour que les conditions de détention des auteurs soient conformes aux dispositions du paragraphe 2 a) de l'article 10.
5.4 Les auteurs contestent l'argument avancé par l'État partie selon lequel la réserve qu'il a formulée concernant le paragraphe 2 a) de l'article 10 n'a soulevé aucune objection et rappellent que les Pays-Bas ont exprimé leurs «doutes» quant à cette réserve. Ils soutiennent que lorsqu'on examine l'étendue et la portée de la réserve, il faut songer à l'intention de l'État partie au moment où il l'a formulée et tenir compte de ce que le Comité a indiqué dans son Observation générale no 24: les réserves sont l'exception tandis que l'acceptation de toutes les obligations découlant du Pacte est la règle, et les réserves devraient être retirées le plus tôt possible. Dès lors que la séparation est considérée comme un objectif à atteindre progressivement, il n'est pas conforme à la réserve de placer les détenus en fonction d'«impératifs administratifs plutôt que de la qualité de condamné ou de prévenu», comme l'a indiqué le Directeur général des services pénitentiaires, (20) alors que les installations nécessaires pour séparer les prévenus des condamnés existent. Selon les auteurs, la pratique actuelle de l'État de Victoria résulte d'une politique introduite après que la réserve a été formulée, politique qui semble contredire tant l'intention exprimée dans la réserve elle-même que les principes énoncés dans l'Observation générale.
5.5 Les auteurs mentionnent la décision de la HREOC qui, selon eux, n'est contraignante ni pour l'État partie ni pour le Comité. Ils insistent sur le fait que bien que la HREOC n'ait constaté aucune violation du Pacte, elle n'a pas contesté la version des faits des auteurs, à savoir qu'ils ont subi des menaces, qu'ils ont été menottés et entravés, qu'ils ont été soumis à des fouilles à nu, qu'ils n'ont pas été séparés des condamnés et n'ont pas fait l'objet d'un régime distinct. Les auteurs invoquent la décision de la HREOC dans la mesure où elle comporte une évaluation des faits de la cause, qui conforte leur argument selon lequel le Commissaire a pris une décision erronée.
Observations complémentaires des parties
6.1 Dans une note verbale datée du 24 avril 2003, l'État partie a fait des observations complémentaires concernant l'état et les effets de sa réserve au sujet du paragraphe 2 de l'article 10 du Pacte et a réitéré ses précédents arguments sur la question.
6.2 L'État partie a soumis une autre note verbale le 22 juillet 2003. Au vu du projet de constatations dont il était saisi, qui avait été élaboré par son groupe de travail présession, le Comité a décidé que celle-ci n'avait aucune incidence sur les déclarations du Comité.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l'homme doit, conformément à l'article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s'est assuré que la même affaire n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
7.2 Avant de déterminer si les différentes plaintes sont recevables, le Comité doit tout d'abord vérifier si les obligations souscrites par l'État partie en vertu du Pacte s'appliquent aux établissements pénitentiaires administrés par des sociétés privées, comme c'est le cas en l'espèce, de la même façon qu'elles s'appliquent à des établissements administrés par l'État. Bien que cet argument n'ait pas été avancé par l'État partie, le Comité se doit de déterminer ex officio si la communication concerne un État partie au Pacte au sens de l'article premier du Protocole facultatif. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle «l'État partie n'est pas dégagé de ses obligations en vertu du Pacte lorsque certaines de ses fonctions sont déléguées à d'autres organes autonomes». (21) Le Comité considère que le fait de confier au secteur privé des activités essentielles de l'État comportant le recours à la force et la détention de personnes ne dégage pas l'État partie des obligations qu'il a souscrites en vertu du Pacte, notamment celles qui découlent des articles 7 et 10 et font l'objet de la présente communication. Par conséquent, le Comité tient l'État partie pour responsable en vertu du Pacte et du Protocole facultatif, du traitement qui est réservé aux détenus de la prison de Port Philip, établissement pénitentiaire géré par le Group 4.
7.3 Le Comité note que l'État partie a invoqué la réserve qu'il a formulée au sujet du paragraphe 2 a) de l'article 10, à savoir «en ce qui concerne le paragraphe 2 a), le principe de la séparation est accepté en tant qu'objectif à réaliser progressivement». Le Comité note aussi l'argument présenté par les auteurs selon lequel, malgré cette réserve, cette partie de la communication est recevable, au motif que la réserve a été formulée il y a 20 ans et qu'il serait raisonnable de s'attendre que, dans un tel délai, l'État partie aurait atteint son objectif de s'acquitter pleinement des obligations découlant de l'article en question. Le Comité note par ailleurs que les deux parties se sont référées à l'Observation générale no 24 relative aux réserves.
7.4 Le Comité fait observer que la réserve formulée par l'État partie est spécifique et transparente, et que son champ d'application est clair. Elle porte sur la séparation des prévenus et des condamnés et ne s'étend pas, comme le soutiennent les auteurs et comme ne le conteste pas l'État partie, à l'élément régime distinct prévu au paragraphe 2 a) de l'article 10. S'il est vrai que 20 ans se sont écoulés depuis que l'État partie a formulé sa réserve, que l'État partie comptait atteindre progressivement son objectif, et que même s'il serait souhaitable que les États parties retirent leurs réserves le plus vite possible, le Pacte ne prévoit aucun délai pour le retrait des réserves. Le Comité note en outre les efforts déployés par l'État partie pour réaliser cet objectif, notamment la construction du centre de détention provisoire de Melbourne en 1989, qui était précisément censé servir à l'accueil des personnes en détention provisoire, et qu'il compte construire deux nouvelles prisons à Melbourne, dont un centre de détention provisoire, d'ici à la fin de 2004. Par conséquent, si l'on peut déplorer que l'État partie n'ait pas encore réalisé son objectif de séparer les prévenus des condamnés, comme le demande le paragraphe 2 a) de l'article 10, le Comité ne saurait considérer que la réserve en question est incompatible avec l'objet et le but du Pacte. Cette partie de la plainte est donc irrecevable en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
7.5 S'agissant du reste de la plainte en vertu du paragraphe 2 a) de l'article 10, à savoir que l'État partie a manqué à son obligation de soumettre les auteurs à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées, le Comité note qu'à bien des égards, les auteurs ont fait l'objet d'un régime distinct, en obtenant des privilèges tels que le droit de porter leurs propres vêtements, de passer des appels téléphoniques et de recevoir des plats mexicains. Le Comité estime que les auteurs n'ont pas, aux fins de la recevabilité de leur plainte, suffisamment étayé leur allégation selon laquelle le fait qu'ils ont été traités à certains égards comme des condamnés est incompatible avec leur qualité de détenus en instance d'extradition ou soulève des questions distinctes de celle de l'absence de séparation, aspect qui est couvert par la réserve de l'État partie. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la plainte est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
7.6 En ce qui concerne la plainte selon laquelle le droit à la présomption d'innocence des auteurs a été violé du fait qu'ils n'ont pas été séparés des condamnés ni fait l'objet d'un régime distinct, le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l'article 14 ne porte que sur les personnes qui font l'objet de poursuites pénales. Étant donné que les auteurs n'étaient pas poursuivis au pénal par l'État partie, ce grief ne soulève pas de question au titre du Pacte et le Comité le déclare donc irrecevable ratione materiae en vertu de l'article 3 du Protocole facultatif.
7.7 En ce qui concerne la plainte relative à une violation du droit à la santé des auteurs, le Comité partage l'opinion de l'État partie selon laquelle aucune disposition du Pacte ne vise spécifiquement un tel droit. Le Comité considère que le fait de ne pas isoler les détenus souffrant de maladies contagieuses des autres détenus pourrait soulever des questions au titre du paragraphe 1 de l'article 6 et du paragraphe 1 de l'article 10 (22). Cependant, en l'espèce, le Comité considère que les auteurs n'ont pas suffisamment étayé leur plainte et qu'elle est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
7.8 En ce qui concerne la nouvelle plainte des auteurs (voir par. 5.2), selon laquelle la décision de les transférer du quartier de détention ordinaire au quartier de haute sécurité (Sirius East) était arbitraire, du fait qu'ils ne pouvaient ni refuser ce transfert ni contester la décision devant un tribunal, le Comité note que les auteurs, qui étaient détenus en vertu de la loi sur l'extradition, ont introduit plusieurs requêtes en habeas corpus pendant leur détention à Sirius East. Il note que les auteurs n'ont pas, aux fins de la recevabilité, suffisamment étayé leur allégation selon laquelle leur transfert soulève une question distincte au regard du Pacte du fait qu'il était arbitraire. Par conséquent, cette plainte est irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.
7.9 Le Comité ne voit aucun obstacle à juger recevables les plaintes à raison d'une violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10. Ces plaintes doivent donc être examinées quant au fond.
Examen quant au fond
8.1 Le Comité des droits de l'homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.
8.2 En ce qui concerne la plainte selon laquelle l'État partie aurait violé l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10 en raison des conditions de détention et du régime auquel les auteurs ont été soumis, le Comité note que les plaintes relatives à l'entravement au moyen de fers reliés par des chaînes à 12 maillons, remplacées par la suite par des chaînes à 17 maillons, pendant les transports, et celles relatives aux fouilles qu'ils ont subies après chaque visite ne sont pas contestées par l'État partie sur le plan des faits. Cependant, l'État partie justifie le traitement en question, en expliquant que l'évaluation des risques d'évasion se fonde sur le fait que les auteurs avaient, par le passé, échappé à l'arrestation en utilisant des documents de voyage et des pièces d'identité falsifiés, qu'ils avaient accès à des ressources financières considérables, qu'ils avaient fait des paiements à d'autres prisonniers et parce que les services de renseignements de la prison avaient signalé des incidents dans lesquels d'autres prisonniers avaient proposé aux intéressés de les aider à s'évader moyennant finances. De plus, l'État partie a expliqué que les auteurs n'étaient pas indûment visés par les fouilles, qui avaient été menées de manière à leur causer un minimum de gêne et pour des motifs de sécurité. Selon le Comité, il n'y a pas eu violation de l'article 7 ou du paragraphe 1 de l'article 10 à cet égard.
8.3 Pour ce qui est des questions soulevées par la détention des auteurs pendant une heure dans une «cage» triangulaire, le Comité note l'argument de l'État partie selon lequel la cellule en question était alors la seule capable d'accueillir deux personnes en même temps et que les auteurs ont voulu rester ensemble. De l'avis du Comité, le fait de ne pas disposer d'une cellule remplissant les conditions requises pour que deux personnes y soient placées n'est pas une raison valable pour obliger deux prisonniers à être assis ou debout chacun à son tour dans un espace aussi exigu, même si cela n'a duré qu'une heure. Dans ces circonstances, le Comité considère que cet incident fait apparaître une violation du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
9. Le Comité des droits de l'homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l'Australie du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.
10. En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, le Comité considère que les auteurs ont droit à un recours utile sous la forme d'une indemnisation. L'État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l'avenir.
11. Étant donné qu'en adhérant au Protocole facultatif, l'État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s'il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l'article 2 du Pacte, il s'est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu'une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l'État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L'État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.
____________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
* Les membres suivants du Comité ont participé à l'examen de la présente communication: M. Abdelfattah Amor, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo Castillero Hoyos, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley, M. Martin Scheinin, M. Hipólito Solari Yrigoyen et M. Roman Wieruszewski.
Conformément à l'article 85 du Règlement intérieur du Comité, Sir Nigel Rodley n'a pas pris part à l'adoption des constatations.
Le texte d'une opinion dissidente signée de M. Hipólito Solari Yrigoyen est joint au présent document.
APPENDICE
OPINION DISSIDENTE DE M. HIPÓLITO SOLARI-YRIGOYEN,
MEMBRE DU COMITÉ
Mon opinion dissidente concerne le paragraphe 8.2 des constatations qui, à mon sens, devrait être libellé comme suit:«8.2 En ce qui concerne la plainte selon laquelle l'État partie a violé l'article 7 et le paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte, du fait des conditions de détention et du traitement auxquels ont été soumis les auteurs, et parce que chaque fois que Pasini doit sortir de la prison, il est entravé au moyen de chaînes de 12 à 17 maillons, qu'après chaque visite il est déshabillé et fouillé, de même qu'avant et après qu'on l'emmène au tribunal, ce qui signifie qu'il peut avoir à subir une inspection des orifices corporels plus de trois fois par jour, et qu'il est communément exposé aux rudoiements et à la violence générale des gardiens de la prison, le Comité note que l'État partie n'a démenti aucun de ces faits. Il a toutefois essayé de les justifier en invoquant le risque que Pasini tente de s'évader. Le Comité estime que l'État partie dispose des pouvoirs et des moyens nécessaires pour se protéger de ce risque d'évasion sans recourir à des mesures vexatoires et inutiles qui sont incompatibles avec le respect de la dignité inhérente à l'être humain et au traitement que doit recevoir toute personne privée de liberté. Par conséquent, le Comité considère qu'il y a eu violation de l'article 7 et du paragraphe 1 de l'article 10 du Pacte.».